Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur le projet de loi sur la consultation par référendum relative au futur statut de la Corse, Ajaccio le 6 mai 2003.

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Circonstance : Intervention de M. Poncelet devant l'Assemblée de Corse le 6 mai 2003

Texte intégral

Messieurs les représentants de la Nation,
Monsieur le Préfet, représentant l'Etat,
Monsieur le Président du Conseil exécutif de Corse,
Monsieur le Président de l'Assemblée de Corse,
Mesdames et Messieurs les Conseillers à l'Assemblée de Corse,
Mesdames et Messieurs les élus locaux,
Mesdames, Messieurs,
D'emblée, je voudrais vous dire, mes chers amis, combien je suis, tout à la fois, fier et heureux de me trouver en Corse et de vous rencontrer, aujourd'hui, à Ajaccio.
La fierté que j'éprouve se teinte d'émotion car je n'oublie pas que la Corse fut le premier département français à se libérer du joug de l'occupant nazi. En ces temps dramatiques où la France était avilie et la République bafouée, le courage, la détermination et l'abnégation des corses, des corses de la Corse " libre et française ", furent une lumière d'espoir et le signal du sursaut pour leurs compatriotes du continent.
Le gaulliste que je suis ne saurait l'oublier.
Je suis fier également d'être le premier Président du Sénat, le premier depuis des lustres, à se rendre en Corse pour une visite officielle.
Je suis, en outre, particulièrement sensible à l'honneur que vous me faites en me donnant l'occasion de m'exprimer dans cette enceinte prestigieuse où bat le cur de la démocratie en Corse.
A ce sentiment de fierté se mêle une joie sans pareille, celle que je ressens chaque fois que je foule, à titre privé, comme simple citoyen, le sol de l'Ile de Beauté, la bien nommée.
En effet, pourquoi le dissimuler plus longtemps : j'aime la Corse, cette montagne dans la méditerranée ; j'aime ses paysages, dans leur variété contrastée et leur beauté préservée ; j'aime les corses, leurs respect pour les anciens, leur sens de la famille, leur fierté parfois ombrageuse et leur goût pour la politique, au sens noble du terme.
J'aime la culture corse, dans toutes ses dimensions, et en particulier, la beauté émouvante de vos chants polyphoniques, l'élégance architecturale de vos édifices et, dans un autre registre, la délicieuse authenticité de votre art culinaire.
Bref, j'aime toutes les composantes de l'identité corse, toutes les facettes de l'âme corse.
Mesdames, Messieurs,
Vous recevez, à un moment particulier de votre histoire institutionnelle, celui d'une nouvelle réflexion sur votre avenir statutaire, le Président d'une assemblée spécifique puisque le Sénat est à la fois une assemblée parlementaire à part entière et, - c'est un plus, un bonus constitutionnel dont ne bénéficie pas l'Assemblée nationale -, le représentant des collectivités territoriales de la République.
C'est en sa qualité d'assemblée parlementaire à part entière que le Sénat débattra, dès la semaine prochaine, du projet de loi organisant une consultation des électeurs de Corse sur la modification du statut de la collectivité territoriale, projet dont il a été saisi en priorité.
C'est à l'aune de la décentralisation, dont il est le promoteur et l'avocat, que le Sénat examinera ce projet de loi, à la lumière de son annexe et dans la perspective des textes subséquents relatifs au mode d'élection de l'Assemblée de Corse et au futur statut de la collectivité territoriale de Corse.
Comme vous le savez, Mesdames, Messieurs, le Sénat considère, toutes tendances politiques confondues, que la décentralisation, véritable oxygène de la République, libère les énergies et les initiatives locales, accroît l'efficience de l'action publique grâce aux bienfaits de la gestion de proximité et contribue à donner corps et âme à la démocratie locale.
D'Etats généraux des élus locaux en propositions de loi relatives à la libre administration des collectivités territoriales, le Sénat, depuis plus de quatre ans, est devenu l'initiateur, l'inspirateur et l'aiguillon de la relance de la décentralisation voulue et mise en uvre par M. le Premier ministre.
A cet égard, vous me permettrez de saluer le courage et la clairvoyance de Jean-Pierre Raffarin qui s'attaque à des réformes structurelles, longtemps différées, dont les effets bénéfiques ne se feront sentir qu'à moyen terme, alors que le temps gratifiant du politique est plutôt celui du court terme.
Tel est le contexte, tout à la fois général et particulier, dans lequel je voudrais, Mesdames et Messieurs, mettre à profit cette tribune pour formuler un certain nombre d'observations.
Ma première série d'observations portera sur le cadre, totalement nouveau et radicalement différent, dans lequel s'inscrit votre réflexion sur le futur statut de la Corse.
En effet, la révision constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République, entérinée par le Parlement réuni en Congrès, le 17 mars dernier, a sonné le glas d'une conception par trop uniforme et uniformisatrice de notre République et de son organisation territoriale.
Certes, cette conception jacobine s'est avérée utile pour forger la France et notre Etat-Nation ; mais elle était devenue, au fil des siècles, un carcan, un éteignoir et un étouffoir des initiatives locales nourries par la diversité de nos collectivités.
Désormais, notre République, tout en demeurant une et indivisible, sera une République des territoires, une République des proximités.
Cette nouvelle architecture des pouvoirs reposera sur deux piliers.
Premier pilier, un Etat redevenu performant car recentré sur ses fonctions régaliennes, sa mission de stratège et son rôle de garant de l'égalité des chances entre les citoyens mais aussi entre les territoires.
Second pilier, des collectivités territoriales fortes, avec des compétences accrues, au nom du principe de subsidiarité, et je l'espère, des ressources garanties.
Des collectivités fortes car dotées d'un statut et d'une organisation susceptibles de varier en fonction de la diversité de leurs situations.
Telle est la portée de la consécration du droit à la différence statutaire et de la reconnaissance du droit à l'expérimentation.
Comme l'a dit M. le Président de la République, dans son discours de Rouen, en avril 2002, " l'égalité ne doit pas entraîner le refoulement de notre diversité ".
A l'évidence, la République est plus forte quand elle accepte la différence comme une richesse.
A l'évidence, la République est plus juste lorsqu'elle reconnaît que les handicaps doivent être corrigés par un effort particulier.
Désormais, toutes les collectivités territoriales de la République seront logées à la même enseigne, celle du droit à la différence qui devient la norme.
Ce retour de la Corse dans le giron du droit commun, - celui du droit à la différence pour tous -, présente des avantages pour votre collectivité et pour les autres collectivités territoriales de la République.
Tout d'abord, la Corse ne pourra plus être considérée comme une exception législative, un cobaye statutaire ou un laboratoire institutionnel.
D'une manière générale, l'ancrage constitutionnel de la décentralisation différenciée devrait vous prémunir contre le risque d'un énième bricolage institutionnel et vous mettre à l'abri d'un " ixième " rafistolage statutaire. Cet ancrage devrait, enfin, conférer à votre collectivité des fondements stables et pérennes car adaptés et adaptables.
Par ailleurs, certaines avancées réalisées par la révision constitutionnelle, comme la consécration, pour toutes les collectivités territoriales, d'un pouvoir d'adaptation, à titre expérimental, de la législation ou de la réglementation mettront un terme à certaines frustrations qui alimentaient, en retour, l'instabilité statutaire de la Corse.
Il vous appartiendra de formuler des propositions pour faire usage de cette faculté d'adaptation législative.
Enfin, la reconnaissance d'un droit à la différence, à la carte mais pour tous, met un terme à l'immobilisme dans lequel étaient cantonnées les autres collectivités du continent sous prétexte d'afficher une spécificité de la collectivité territoriale de Corse, sans pour autant se donner les moyens constitutionnels de la faire vivre...
L'ancrage constitutionnel de la décentralisation permet d'en finir avec cette hypocrisie paralysante.
En outre, la révolution culturelle, la révolution tranquille, opérées par la révision constitutionnelle, introduit une transparence démocratique.
C'est ainsi que le projet de loi que le Sénat adoptera, sans doute, la semaine prochaine, permettra de vous consulter, vous les corses de Corse, sur les termes de la modification du statut de votre collectivité. C'est une grande première.
Cette consultation démocratique couronnera un processus de concertation que je me plais à qualifier d'exemplaire car il s'est tenu non seulement dans la plus grande clarté, mais en plus, en Corse, pour parler de la Corse en Corse. C'est du jamais vu, avec deux visites de M. le Premier ministre et six séjours de Nicolas Sarkozy, notre excellent ministre de l'intérieur et des libertés locales, qui n'a pas ménagé son dynamisme et ses efforts pour tenter de dégager un consensus sur le contenu du prochain statut.
Cet exercice républicain s'est avéré positif puisqu'il a permis de dresser un constat et de circonscrire le champ des possibles.
Le constat, c'est celui de la nécessité de rationaliser les structures administratives de l'île qui juxtaposent une collectivité régionale de statut particulier, deux départements, six offices et neuf compagnies consulaires.
Le resserrement du champ des possibles, c'est la sélection de deux scénarios, et de deux scénarios seulement : soit, le statu quo rationalisé avec une activation des outils de concertation et de coopération entre les trois collectivités, outils déjà existants mais peu ou pas mis en uvre jusqu'à présent et, le cas échéant, un recours à la notion de collectivité chef de file consacrée par la révision constitutionnelle ; soit l'avènement d'une collectivité unique et nouvelle, issue de la fusion de la collectivité territoriale et des deux départements.
Pour ma part, et ce sera ma deuxième série d'observations, je considère que le prochain statut de la Corse devra, à l'heure de la relance de la décentralisation, - qui va conférer des responsabilités accrues aux collectivités territoriales -, concilier un impératif d'efficience et une exigence de proximité.
Un impératif d'efficience, en premier lieu, dont découle une ardente obligation de cohérence de l'action publique qui repose sur une unité de conception, une unité d'élaboration et une unité de définition des politiques territoriales pour l'ensemble de la Corse.
Cette règle des trois unités permettra de promouvoir une stratégie globale du développement, d'éviter des inégalités entre les diverses composantes du territoire, de dégager des économies d'échelle et d'atteindre un seuil financier et fiscal crédible.
Elle se traduira également par une plus grande lisibilité de l'action territoriale qui permettra au citoyen-usager-contribuable de savoir enfin qui fait quoi.
Dans cette perspective de simplification des structures politico-administratives de la Corse au service de la définition d'un projet cohérent et global de développement, l'avènement d'une collectivité nouvelle, regroupant la collectivité territoriale et les deux départements, apparaît comme la solution la plus pertinente.
Elle seule semble, en effet, capable de mettre un terme à la fragmentation des pouvoirs, à la parcellisation des politiques, à la multiplication des chevauchements, à la prolifération des doublons et à l'inflation des dépenses de fonctionnement qui apparaissent comme autant de défauts consubstantiels à l'organisation actuelle, défauts insusceptibles d'être corrigés par un simple effort de coordination et d'harmonisation.
A cet égard, il est certain, pour ne retenir qu'un seul exemple des bienfaits de l'instauration d'une collectivité nouvelle, que l'existence d'un pôle unique de décision permettra de mettre en uvre, plus rapidement et plus efficacement, les crédits ouverts au titre du plan exceptionnel d'investissement.
L'avènement de cette nouvelle collectivité, qui se traduirait par la disparition des deux départements corses, devrait, pour répondre à l'exigence de proximité, s'accompagner d'une organisation pleinement déconcentrée. Il s'agirait de prévoir l'existence de deux conseils territoriaux, simples subdivisions de la collectivité territoriale, qui prendraient la suite des deux départements, mais sans disposer de la personnalité morale.
Les deux conseils territoriaux seraient composés d'élus de la collectivité unique de Corse, investis de compétences d'exécution et de gestion de droit commun dévolues par la loi, et de compétences supplémentaires, décidées par la collectivité territoriale et dotés, à cette fin, de crédits délégués.
Mesdames, Messieurs, il me semble que ce schéma institutionnel est le seul à même de mettre la proximité au service de la cohérence et donc de l'efficacité de l'action publique en Corse.
Il instaure un véritable levier, tout à la fois efficace et démocratique, démocratique et efficace, du développement économique, social, culturel et humain de la Corse, la seule querelle qui vaille comme aurait pu le dire le Général de Gaulle.
Instance de proximité, la nouvelle collectivité devra également s'efforcer d'instaurer un partenariat avec les 360 communes de l'île, trop souvent dépourvues de ressources humaines et dénuées de moyens financiers. Elle devra promouvoir une dynamique mobilisatrice de l'intercommunalité dans le respect de l'identité communale.
C'est l'un des défis que devra affronter la future collectivité de Corse pour créer toutes les conditions d'un développement durable et équilibré.
La question institutionnelle nous conduit inéluctablement au problème, que je ne saurais esquiver, du mode d'élection des conseillers à l'organe délibérant de la future collectivité unique de Corse.
Les traits distinctifs de ce mode de scrutin doivent découler des avantages attendus de l'instauration d'une collectivité unique.
De l'impératif de cohérence découle la nécessité de voir émerger une majorité de gestion.
De l'exigence de proximité et de démocratie se déduit l'obligation d'une double représentation, d'une part, de toutes les sensibilités politiques et, d'autre part, de toutes les composantes du territoire de la Corse.
Dans cette perspective, je suis enclin à considérer que la formule la plus pertinente pourrait résider dans l'application du nouveau droit commun des élections régionales c'est-à-dire un scrutin proportionnel de listes, à deux tours, avec une prime majoritaire et des sections territoriales.
C'est une suggestion que je me permets de livrer à votre réflexion.
Le nouveau droit commun pour les élections régionales, c'est aussi l'avènement de la parité sous sa forme alternée, dite " chabada ", " un homme, une femme " ou " une femme, un homme ".
Au risque de vous surprendre, je voudrais vous dire ma conviction que la parité, exigence de justice s'il en est, va s'avérer un facteur d'efficience pour la vie publique.
Je suis, en effet, convaincu que les femmes vont faire prévaloir une conception plus pragmatique, plus concrète, plus tolérante et plus pacifique de la politique.
La parité c'est un plus pour notre société, pour notre avenir, pour votre avenir au sein de la République, dans une démocratie apaisée où le dialogue remplacera la violence.
Messieurs, nos tendres moitiés vont réussir et vous verrez que la parité deviendra bien vite une protection pour nous, les hommes...
Mesdames, Messieurs, doter la Corse d'un statut opérant, adapté et enfin pérenne, constitue une ardente obligation ; mais quelle que soit sa pertinence, un statut, aussi parfait soit-il, si la perfection était de ce monde, ne représente qu'un outil au service de la seule cause qui vaille : le développement durable et équilibré de la Corse dans la paix et la concorde.
Cet objectif de développement, - et ce sera ma troisième et dernière série d'observations -, est primordial et vital car à l'heure de la mondialisation, - phénomène inéluctable et irréversible -, toute tentation de repli sur soi, au nom d'une conception frileuse de la préservation de son identité, serait délétère et mortifère. Le particulier doit conduire à l'universel. Agir local, penser global.
Seul un développement économique durable et équilibré, davantage fondé sur des emplois marchands, permettra de générer un mieux être des corses et d'affirmer l'identité corse dans toutes ses dimensions.
La Corse ne manque pas d'atouts, loin s'en faut, et notamment ceux réunis de la montagne et de la Méditerranée.
La Corse souffre aussi de handicaps qui, paradoxalement, sont l'envers de ses atouts puisqu'il s'agit, avant tout, de son relief et de son insularité.
Cette situation contrastée rend nécessaire la poursuite et le renforcement d'une politique ambitieuse de rattrapage économique et de correction des handicaps, tant au niveau national qu'à l'échelon européen.
Au niveau national, cette démarche est bien engagée avec la prorogation de la zone franche, le maintien de son cumul avec le crédit d'impôt pour investissement et le doublement du taux de ce crédit.
Il me plait à souligner que ces résultats positifs ont été obtenus grâce à l'union dont vous avez su faire preuve autour du Ministre de l'Intérieur, lors de votre rencontre avec le Président de la Commission européenne, en janvier dernier.
Autre instrument de rattrapage et de solidarité, le programme exceptionnel d'investissement, doté de près de 2 milliards d'euros sur 15 ans, regroupés dans un fonds budgétaire unique pour la Corse qui est rattaché au Ministère de l'Intérieur.
La République, c'est donner les mêmes chances à tous les territoires, en partant de leurs différences.
Au niveau européen, il me semble que nous devrions mettre à profit le débat en cours, avec la convention pour l'avenir de l'Europe, et la succession d'une présidence grecque puis d'une présidence italienne, pour donner une consistance au concept d'insularité et aboutir à l'élaboration d'une politique européenne des îles.
Mesdames, Messieurs,
Il n'y a pas de malédiction corse. Il n'y a pas de fatalité corse. Je sais que les corses auront à cur, plus que jamais, de prendre en main leur destin pour bâtir une dynamique du progrès, le progrès qui, comme le disait Victor Hugo est " le propre de l'homme ".
Cette dynamique pourrait se fonder, mais c'est à vous d'en décider, sur un tourisme maîtrisé, une agriculture de qualité, une pêche modernisée et des services axés sur les nouvelles technologies de l'information et de la communication.
Mesdames, Messieurs,
La Corse se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins.
Deux voies s'ouvrent à elle. La première, sans issue, c'est celle de l'immobilisme, du statu quo et de la résignation, qui sont autant de sources de frustration et de violence.
La seconde, riche de perspectives, c'est celle de la réforme, c'est celle de la confiance dans l'avenir de la Corse.
C'est cette voie bénéfique que je vous demande d'emprunter.
Je le fais sans hésitation et cette attitude devrait être de nature à rassurer certains d'entre vous.
Car croyez-vous un seul instant que le Président de l'assemblée des sages pourrait cautionner une démarche susceptible de comporter un risque de dérive séparatiste.
Dépassant les murs de cette enceinte, je voudrais dire à mes compatriotes corses de Corse : le 6 juillet prochain, votez OUI, sans crainte et sans arrière pensées.
Car en disant OUI, un OUI franc et massif, au nouveau statut, vous direz NON, un NON clair et définitif, à la violence.
Vive la Corse,
Vive la Corse dans la République,
Vive la République,
Vive la France.
(Source http://www.senat.fr, le 15 mai 2003)