Texte intégral
LE FIGARO ÉCONOMIE. - Quel est l'objectif de la commission d'enquête parlementaire sur les entreprises publiques que vous présidez ?
PHILIPPE DOUSTE-BLAZY. - Au-delà du feuilleton médiatique, la situation financière des entreprises publiques a de quoi inquiéter. Alors que leur chiffre d'affaires progressait, les entreprises publiques non financières ont affiché en 2001 un déficit net de 10,4 milliards d'euros (dont 9 milliards pour France Télécom), un recul des capitaux propres de 13,8 milliards... Comment ne pas être interpellé ? Le rapport sur l'Etat actionnaire réalisé par la Direction du Trésor d'où sont tirés ces chiffres est un outil factuel et synthétique. Mais il ne donne pas suffisamment de détails sur les responsabilités du ministère de tutelle ou des dirigeants des entreprises. De même le rapport annuel de la Cour des comptes apporte-t-il un éclairage rétrospectif, mais les moyens de la haute juridiction ne lui permettent pas d'aller plus loin. Voilà pourquoi notre commission d'enquête est utile. Il ne s'agit pas d'engager une chasse aux sorcières ou de stigmatiser le secteur public. Non, notre démarche consiste à décrypter les dysfonctionnements, puis à chercher à y remédier.
A peine sa création annoncée par Francis Mer, vous avez critiqué l'Agence des participations de l'Etat (APE). Est-ce donc une mauvaise idée ?
Je ne dis pas cela. Il me paraît sain qu'une agence s'occupe de la stratégie de l'Etat actionnaire. Mais de deux choses l'une : soit cette structure est indépendante du politique et, dès lors, l'Etat perd un énorme pouvoir, ce qu'aucun actionnaire n'accepterait dans le privé ; soit elle ne l'est pas, parce que son directeur général est placé sous la responsabilité du ministre de l'Economie, et l'Agence n'est rien d'autre que l'actuel service des participations du Trésor. Je crois que notre commission parlementaire a une place pour définir une nouvelle gouvernance. Au-delà de la nouvelle "APE", il faut s'interroger sur les pouvoirs des conseils d'administration, sur le rôle qu'y occupent les personnalités qualifiées...
Pour éviter ces dysfonctionnements dus aux différentes fonctions de l'Etat, ne vaut-il mieux pas privatiser davantage ?
Si on se demande où est passée une partie de la croissance des dernières années, on peut répondre : dans les déficits des entreprises publiques ! Mon objectif n'est cependant pas de les déstabiliser, mais au contraire de les défendre. Permettez-moi par exemple de souligner l'excellent travail de Thierry Breton à la tête de France Télécom. Cela dit, ne pas remettre en cause le secteur public, ce n'est pas lui donner quitus sur n'importe quelle stratégie. Au nom du service rendu, il ne doit pas faire tout et n'importe quoi dans le dos de l'Etat et du contribuable.
Le premier ministre vient de corriger de 2,5 % à 1,3 % sa prévision de croissance pour 2003. Quel doit être le pilotage du gouvernement ?
L'emploi est redevenu la préoccupation principale des Français. Le négliger serait catastrophique ! La remontée du chômage qui a commencé un an avant l'installation du gouvernement Raffarin nourrit un sentiment d'insécurité. Arrêtons de dire que notre économie subit les règles imposées par la mondialisation. Notre impératif catégorique doit être le refus du fatalisme. Parlons aux consommateurs et aux entrepreneurs. A l'adresse des premiers, il faut garder le cap, modifier le rythme et définir les cibles. Grâce à la réduction de l'impôt sur le revenu, à la hausse du SMIC ou à la réduction fiscale pour emploi à domicile, la consommation s'est tenue. A l'inverse, augmenter les prélèvements obligatoires entraînerait à coup sûr la France dans la récession. Quant aux entreprises, il est capital de leur envoyer des signaux forts comme nous l'avons déjà fait : baisse des charges sur les bas salaires, suppression totale de la part salaire de la taxe professionnelle, loi sur l'initiative économique. C'est vrai, les marges de manoeuvre limitées rendent la voie difficile, mais n'oublions jamais que la gestion socialiste a été une catastrophe.
Invoquer l'héritage maintenant, ce n'est pas un peu facile ?
Je ne vois pas pourquoi je me priverais de dire que les socialistes ont appauvri la France. La croissance a apporté une cagnotte de plus de 10 milliards d'euros affectés à une hausse surréaliste des dépenses publiques. Les 35 heures ont créé 300 000 emplois pour un coût de 60 à 100 milliards d'euros. Entre 1997 et 2002, le gouvernement Jospin a instauré 19 impôts et taxes nouveaux. Quant au taux de prélèvements obligatoires, il a atteint le taux record de 45,5 % du PIB. Voilà la vérité sur la gestion socialiste !
Que proposez-vous pour réduire les dépenses publiques ?
C'est un devoir et un impératif. La décentralisation, étape décisive de la réforme de l'Etat, est un rendez-vous à ne pas manquer. Cette fois, le transfert de compétences se doublera d'un transfert de personnel. En clair, cette réorganisation permettra d'éliminer les doublons et de lutter contre les empilements de structures. A plus court terme et au vu du contexte économique difficile, chaque ministre doit avoir à coeur de ne pas consommer un euro de crédits budgétaires en plus que l'an dernier.
Seriez-vous partisan d'annuler tout de suite l'intégralité des 4 milliards d'euros mis en réserve ?
Non, mieux vaut se poser la question de l'annulation de ces crédits gelés par étape. En revanche, je crois que les Français sont prêts à comprendre que chaque nouvelle dépense doit désormais être gagée sur une économie. Je préfère demander des sacrifices aux ministères et alléger les charges sociales sur les 8 millions de salariés qui gagnent entre 1 et 1,7 SMIC. Et, pourquoi pas, abaisser la TVA sur la restauration en salle si la mesure est autofinancée par ailleurs.
Ces économies budgétaires passent-elles par une réduction des effectifs de la fonction publique ?
La réduction du nombre de fonctionnaires ne doit pas être un objectif, mais une conséquence des gains de productivité de l'Etat. Il faut analyser les pratiques de nos voisins et s'inspirer des meilleurs exemples. La France a, par exemple, beaucoup à apprendre de la réforme initiée par D'Amato en Italie. Il a notamment mis en place des commissions tripartites, composées de représentants de l'administration centrale, de syndicalistes et d'auditeurs venus du privé pour moderniser et rendre plus efficace la fonction publique. C'est un excellent vecteur pour lancer une réflexion d'envergure. Sortons d'un conflit simpliste où on se dit pour ou contre le service public. Nous avons besoin d'un service public efficace.
Le chantier sur les retraites entre dans une phase difficile, notamment avec la CFDT qui exige le départ dès les 40 annuités de cotisation réunies.
Un compromis sera trouvé, compromis qui devrait prendre en compte plusieurs critères, dont celui de la pénibilité. Mais on ne peut pas penser un seul instant, alors que le système de retraite est face à des besoins de financement colossaux, que l'on commence par ouvrir largement la retraite avant 60 ans : cela coûterait 13 milliards d'euros. A l'inverse, il est important de faire un effort pour les très petites pensions. Et puis les Français doivent avoir accès à un compte épargne-retraite personnalisé et défiscalisé. Tous les économistes disent que les Français épargnent beaucoup. Mais c'est parce qu'ils sont inquiets pour leur avenir ! Dans la même logique, le gouvernement devrait favoriser l'accession sociale à la propriété. Avec Pierre Méhaignerie, le président de la commission des finances à l'Assemblée nationale, nous allons proposer la transformation de 10 000 prêts locatifs en 40 000 "accessions très sociales". Le prêt logement moyen de 90 000 euros deviendrait quatre prêts fonciers de 23 000 euros. Le portage de ces prêts pourrait être effectué par une banque, par la Caisse des dépôts ou par les collectivités locales. Le patrimoine de chacun fait aussi partie de la réflexion sur les retraites.
(source http://home.u-m-p.org, le 24 mars 2003)
PHILIPPE DOUSTE-BLAZY. - Au-delà du feuilleton médiatique, la situation financière des entreprises publiques a de quoi inquiéter. Alors que leur chiffre d'affaires progressait, les entreprises publiques non financières ont affiché en 2001 un déficit net de 10,4 milliards d'euros (dont 9 milliards pour France Télécom), un recul des capitaux propres de 13,8 milliards... Comment ne pas être interpellé ? Le rapport sur l'Etat actionnaire réalisé par la Direction du Trésor d'où sont tirés ces chiffres est un outil factuel et synthétique. Mais il ne donne pas suffisamment de détails sur les responsabilités du ministère de tutelle ou des dirigeants des entreprises. De même le rapport annuel de la Cour des comptes apporte-t-il un éclairage rétrospectif, mais les moyens de la haute juridiction ne lui permettent pas d'aller plus loin. Voilà pourquoi notre commission d'enquête est utile. Il ne s'agit pas d'engager une chasse aux sorcières ou de stigmatiser le secteur public. Non, notre démarche consiste à décrypter les dysfonctionnements, puis à chercher à y remédier.
A peine sa création annoncée par Francis Mer, vous avez critiqué l'Agence des participations de l'Etat (APE). Est-ce donc une mauvaise idée ?
Je ne dis pas cela. Il me paraît sain qu'une agence s'occupe de la stratégie de l'Etat actionnaire. Mais de deux choses l'une : soit cette structure est indépendante du politique et, dès lors, l'Etat perd un énorme pouvoir, ce qu'aucun actionnaire n'accepterait dans le privé ; soit elle ne l'est pas, parce que son directeur général est placé sous la responsabilité du ministre de l'Economie, et l'Agence n'est rien d'autre que l'actuel service des participations du Trésor. Je crois que notre commission parlementaire a une place pour définir une nouvelle gouvernance. Au-delà de la nouvelle "APE", il faut s'interroger sur les pouvoirs des conseils d'administration, sur le rôle qu'y occupent les personnalités qualifiées...
Pour éviter ces dysfonctionnements dus aux différentes fonctions de l'Etat, ne vaut-il mieux pas privatiser davantage ?
Si on se demande où est passée une partie de la croissance des dernières années, on peut répondre : dans les déficits des entreprises publiques ! Mon objectif n'est cependant pas de les déstabiliser, mais au contraire de les défendre. Permettez-moi par exemple de souligner l'excellent travail de Thierry Breton à la tête de France Télécom. Cela dit, ne pas remettre en cause le secteur public, ce n'est pas lui donner quitus sur n'importe quelle stratégie. Au nom du service rendu, il ne doit pas faire tout et n'importe quoi dans le dos de l'Etat et du contribuable.
Le premier ministre vient de corriger de 2,5 % à 1,3 % sa prévision de croissance pour 2003. Quel doit être le pilotage du gouvernement ?
L'emploi est redevenu la préoccupation principale des Français. Le négliger serait catastrophique ! La remontée du chômage qui a commencé un an avant l'installation du gouvernement Raffarin nourrit un sentiment d'insécurité. Arrêtons de dire que notre économie subit les règles imposées par la mondialisation. Notre impératif catégorique doit être le refus du fatalisme. Parlons aux consommateurs et aux entrepreneurs. A l'adresse des premiers, il faut garder le cap, modifier le rythme et définir les cibles. Grâce à la réduction de l'impôt sur le revenu, à la hausse du SMIC ou à la réduction fiscale pour emploi à domicile, la consommation s'est tenue. A l'inverse, augmenter les prélèvements obligatoires entraînerait à coup sûr la France dans la récession. Quant aux entreprises, il est capital de leur envoyer des signaux forts comme nous l'avons déjà fait : baisse des charges sur les bas salaires, suppression totale de la part salaire de la taxe professionnelle, loi sur l'initiative économique. C'est vrai, les marges de manoeuvre limitées rendent la voie difficile, mais n'oublions jamais que la gestion socialiste a été une catastrophe.
Invoquer l'héritage maintenant, ce n'est pas un peu facile ?
Je ne vois pas pourquoi je me priverais de dire que les socialistes ont appauvri la France. La croissance a apporté une cagnotte de plus de 10 milliards d'euros affectés à une hausse surréaliste des dépenses publiques. Les 35 heures ont créé 300 000 emplois pour un coût de 60 à 100 milliards d'euros. Entre 1997 et 2002, le gouvernement Jospin a instauré 19 impôts et taxes nouveaux. Quant au taux de prélèvements obligatoires, il a atteint le taux record de 45,5 % du PIB. Voilà la vérité sur la gestion socialiste !
Que proposez-vous pour réduire les dépenses publiques ?
C'est un devoir et un impératif. La décentralisation, étape décisive de la réforme de l'Etat, est un rendez-vous à ne pas manquer. Cette fois, le transfert de compétences se doublera d'un transfert de personnel. En clair, cette réorganisation permettra d'éliminer les doublons et de lutter contre les empilements de structures. A plus court terme et au vu du contexte économique difficile, chaque ministre doit avoir à coeur de ne pas consommer un euro de crédits budgétaires en plus que l'an dernier.
Seriez-vous partisan d'annuler tout de suite l'intégralité des 4 milliards d'euros mis en réserve ?
Non, mieux vaut se poser la question de l'annulation de ces crédits gelés par étape. En revanche, je crois que les Français sont prêts à comprendre que chaque nouvelle dépense doit désormais être gagée sur une économie. Je préfère demander des sacrifices aux ministères et alléger les charges sociales sur les 8 millions de salariés qui gagnent entre 1 et 1,7 SMIC. Et, pourquoi pas, abaisser la TVA sur la restauration en salle si la mesure est autofinancée par ailleurs.
Ces économies budgétaires passent-elles par une réduction des effectifs de la fonction publique ?
La réduction du nombre de fonctionnaires ne doit pas être un objectif, mais une conséquence des gains de productivité de l'Etat. Il faut analyser les pratiques de nos voisins et s'inspirer des meilleurs exemples. La France a, par exemple, beaucoup à apprendre de la réforme initiée par D'Amato en Italie. Il a notamment mis en place des commissions tripartites, composées de représentants de l'administration centrale, de syndicalistes et d'auditeurs venus du privé pour moderniser et rendre plus efficace la fonction publique. C'est un excellent vecteur pour lancer une réflexion d'envergure. Sortons d'un conflit simpliste où on se dit pour ou contre le service public. Nous avons besoin d'un service public efficace.
Le chantier sur les retraites entre dans une phase difficile, notamment avec la CFDT qui exige le départ dès les 40 annuités de cotisation réunies.
Un compromis sera trouvé, compromis qui devrait prendre en compte plusieurs critères, dont celui de la pénibilité. Mais on ne peut pas penser un seul instant, alors que le système de retraite est face à des besoins de financement colossaux, que l'on commence par ouvrir largement la retraite avant 60 ans : cela coûterait 13 milliards d'euros. A l'inverse, il est important de faire un effort pour les très petites pensions. Et puis les Français doivent avoir accès à un compte épargne-retraite personnalisé et défiscalisé. Tous les économistes disent que les Français épargnent beaucoup. Mais c'est parce qu'ils sont inquiets pour leur avenir ! Dans la même logique, le gouvernement devrait favoriser l'accession sociale à la propriété. Avec Pierre Méhaignerie, le président de la commission des finances à l'Assemblée nationale, nous allons proposer la transformation de 10 000 prêts locatifs en 40 000 "accessions très sociales". Le prêt logement moyen de 90 000 euros deviendrait quatre prêts fonciers de 23 000 euros. Le portage de ces prêts pourrait être effectué par une banque, par la Caisse des dépôts ou par les collectivités locales. Le patrimoine de chacun fait aussi partie de la réflexion sur les retraites.
(source http://home.u-m-p.org, le 24 mars 2003)