Texte intégral
Le point de départ de mon propos - ce sera aussi ma conclusion - est simple : n'ayons pas peur de l'élargissement auquel l'Union européenne a décidé de procéder lors du Conseil européen de Copenhague en décembre 2002. Soyons au contraire conscients que cet élargissement est une chance pour nous et une chance historique : non seulement il va représenter un plus en termes de sécurité et de stabilité sur notre continent, mais il offre aussi des perspectives économiques particulièrement prometteuses pour nos entreprises. Il devrait enfin et surtout permettre l'émergence d'une Europe plus forte sur la scène internationale. C'est tout l'enjeu de la PESC et de la PESD, encore naissantes, mais dont le renforcement est l'un des principaux points à l'ordre du jour de la future Europe.
Il faut garder à l'esprit que cet élargissement à 10 nouveaux pays membres s'inscrit dans un processus historique d'unification du continent européen. Ce n'est pas le premier élargissement. L'Union européenne est déjà passée par étapes successives de 6 à 15 membres. Et ce ne sera pas le dernier élargissement, puisque la Bulgarie et la Roumanie devraient entrer dans l'Union en 2007 et que d'autres pays frappent déjà à sa porte. Dans le passé, l'Union a toujours su accueillir sans difficultés majeures de nouveaux Etats membres. Il n'y a aucune raison de penser qu'il en ira autrement cette fois-ci. Certes, il s'agit en 2004 de faire entrer 10 pays à la fois. Mais il faut avoir à l'esprit que l'impact économique et démographique de l'adhésion de ces pays est limité : 75 millions d'habitants, 5 % du PIB, soit le PIB des Pays-Bas. Aujourd'hui comme hier, nous n'avons aucune raison objective de craindre l'arrivée de nouveaux membres.
Je souhaiterais développer devant vous trois points principaux :
- L'élargissement est une chance, d'abord parce qu'il nous permet de repenser l'Europe comme un projet politique.
- L'élargissement est déjà bénéfique au plan économique
- L'Europe élargie sera à la fois plus stable, plus sure et plus forte.
Premièrement, l'élargissement est une chance, d'abord parce qu'il nous permet de repenser la construction européenne comme un projet politique.
Vers l'unification du continent :
Par son impact économique et démographique, je vous l'ai dit, cet élargissement ne sera pas d'une très grande ampleur. En revanche, la portée historique, symbolique et politique de cet acte est considérable. C'est en cela que cet élargissement se distingue des précédents. Chypre et Malte mis à part, nous allons faire entrer dans l'Europe huit pays d'Europe centrale et orientale qui ont été séparés de nous pendant trop longtemps par un rideau de fer et qui ont été pendant des décennies placés sous le joug du communisme. Nous sommes donc en train de réaliser l'unité du continent européen. Jamais dans l'histoire, cette unité de l'Europe n'aura été aussi indispensable à l'heure de la mondialisation. Au regard du passé si complexe et si troublé, fait de divisions, de conflits et de rivalités fratricides entre les peuples européens, l'intégration dans un ensemble unique de la plus grande partie des Etats européens, qui organisent entre eux des politiques communes et des coopérations diversifiées, est en soi une réussite remarquable. L'élargissement qui sera effectif le 1er mai 2004, c'est donc d'abord ce projet politique unificateur de l'ensemble du continent.
Mais ce projet politique formidable pose également à l'Europe un défi institutionnel majeur qu'il lui faut relever rapidement :
L'Union européenne ne peut pas fonctionner à 25 ou à 30 comme elle fonctionnait à 15 ; il faut rénover nos institutions. Le Traité de Nice, qui a marqué l'aboutissement de la Présidence française de l'Union européenne au deuxième semestre 2000, a déjà permis d'adapter le système institutionnel de l'Union. Mais une refonte plus complète des mécanismes de décision et des institutions européennes étaient impérativement nécessaire. L'élargissement nous oblige à réinventer l'Europe.
L'Union européenne a transformé ce défi en opportunité : une Constitution pour l'Europe.
L'Union a décidé de se doter d'une véritable Constitution, la première de notre histoire. Vous le savez, les Etats membres ont décidé de confier à une Convention comprenant des représentants des gouvernements, des parlements nationaux, du parlement européen et de la Commission européenne, sous la présidence de M. Valéry Giscard d'Estaing, la tâche d'écrire un projet de Traité constitutionnel pour l'Union européenne. Cet exercice, auquel ont participé en tant qu'observateurs actifs les représentants de tous les pays candidats, s'est achevé en juillet dernier. La France y a pris toute sa part. Elle a apporté, seule ou avec d'autres de ses partenaires, de multiples contributions. Nous avons maintenant sur la table un projet unique de texte, qui sera soumis à la discussion des Etats membres et des Etats adhérents au sein d'une Conférence intergouvernementale qui s'ouvrira le 4 octobre prochain à Rome. La France souhaite que cette CIG aboutisse rapidement à l'adoption d'un texte qui dessine un projet ambitieux pour l'Europe : une Europe des Etats et des Nations, une Europe dotée d'une capacité de décision renforcée, une Europe forte et cohérente, capable d'affirmer son identité sur la scène mondiale.
Deuxièmement, les conséquences de l'élargissement pour la France et pour ses partenaires actuels ont été maîtrisées et notre pays bénéficie déjà du processus d'adhésion qui est en cours :
L'élargissement de 2004 ne constituera pas un choc. Il s'inscrit dans un continuum.
Nous avons en effet veillé au cours de la négociation d'adhésion à ce que cet élargissement soit bien préparé. Je prendrai plusieurs exemples :
Tout d'abord, l'impact budgétaire de l'élargissement a été contenu. Son coût net reste encadré et modéré : pour la période 2004-2006, il est estimé à 14 milliards d'euros, dont 2.6 milliards pour la France, ce qui, rapporté au nombre d'habitants, correspond à 20 euros par an et par habitant. Ces crédits ont été prévus dès 1999 dans le cadre de l'Agenda 2000 et les actuels Etats membres n'auront donc pas de versements supplémentaires à effectuer.
D'autre part, les négociations d'adhésion se sont déroulées et se sont achevées sur la base de la reprise de l'acquis communautaire. Des garanties ont été prises pour que les pays adhérents se mettent aux mêmes normes que nous afin d'éviter les concurrences déloyales. Certes, les 15 ont été amenés, comme lors des précédents élargissements, à consentir aux pays candidats des périodes transitoires, de manière à leur donner, lorsque c'était nécessaire, suffisamment de temps pour adapter leur réglementation et la rendre conforme à l'acquis communautaire. Mais l'Union européenne, d'ailleurs sous présidence française en 2000, a posé des conditions qui encadrent strictement l'octroi de ces délais supplémentaires. Les périodes transitoires ne porteront donc pas atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur : elles sont limitées dans le temps, dans leur objet et dans leur portée. Elles sont de plus assorties d'un calendrier précis et d'un plan de financement crédible et " soutenable ". C'est dans cette logique qu'une période transitoire a par exemple été accordée à la Pologne jusqu'à la fin de 2010 et sous certaines conditions pour s'aligner sur une directive européenne fixant les dimensions et poids maximaux autorisés pour certains véhicules routiers circulant dans l'Union européenne. Autre exemple : tous les pays adhérents, sauf l'Estonie, ont obtenu jusqu'à la fin de 2009 pour respecter totalement la réglementation européenne sur les emballages et les déchets d'emballage.
Autre illustration des précautions prises : le respect de l'acquis, cela veut dire aussi que les politiques communes, notamment celles auxquelles la France est attachée, ne sont pas remises en cause du fait de l'élargissement. Grâce à l'accord conclu entre la France et l'Allemagne en octobre 2002, qui a été repris par les 15 à Copenhague quelques semaines plus tard, les négociations d'adhésion avec les 10 nouveaux entrants ont pu s'achever sans modification de la PAC. Les aides accordées aux 15 dans le cadre de cette politique commune ne sont pas substantiellement modifiées. Même la révision de la PAC, qui a été adoptée indépendamment de l'élargissement, le 26 juin dernier, préserve les principes essentiels de cette politique. D'autre part, bien que la politique régionale soit sans doute à l'avenir principalement dirigée vers les régions en retard de développement des nouveaux pays membres, ce qui conformément au principe de solidarité européenne est bien naturel, les régions françaises restent éligibles aux aides régionales européennes. Dans le débat qui s'engagera prochainement sur l'avenir de cette politique de " cohésion ", la France est déterminée à préserver sur tout le territoire européen le bénéfice des aides en fonction de priorités : restructuration urbaine et industrielle, recherche et développement technologique, diversification rurale, coopération transfrontalière et insularité.
Enfin, l'Union européenne elle-même s'est prémunie contre des risques spécifiques liés à l'entrée des nouveaux membres. Elle a par exemple imposé aux 8 PECO entrants une période transitoire de 7 ans, qui se décompose en trois phases de 2, 3 et 2 ans après l'adhésion, en matière de libre circulation des travailleurs. La crainte, sans doute plus supposée que fondée, est celle d'un afflux massif chez les 15 de salariés en provenance de l'Est. De surcroît, les nouveaux membres devront encore patienter quelques années avant de voir supprimés les contrôles à leurs frontières dans le cadre de Schengen. Enfin, nous veillons scrupuleusement à ce qu'ils soient prêts à surveiller efficacement leurs frontières en tant que futures frontières extérieures de l'Union vers la Russie, l'Ukraine, etc
L'économie française bénéficie déjà du processus de rapprochement de l'Union européenne des pays candidats.
La croissance est à l'Est : les 10 entrants connaissent depuis plusieurs années déjà un développement rapide. Leur croissance, supérieure à la nôtre, elle représente environ 3% en moyenne en 2002, a un impact positif sur nos exportations et attire les investisseurs directs étrangers.
Ce sont de nouveaux marchés d'exportation : les entreprises françaises ont déjà largement bénéficié de l'ouverture de ces économies et de leur croissance. La France se situe ainsi au troisième rang des exportateurs vers cette zone. Entre 1992 et 2002, elle a plus que quadruplé ses exportations à destination des pays candidats.
De nouvelles possibilités de partenariats industriels et d'investissements directs existent dans ces pays. La France occupe également le troisième rang des investisseurs étrangers dans cette zone. En outre, la part que nos entreprises occupent dans les flux d'investissements directs étrangers dans les PECO augmentent régulièrement, passant de moins de 5 % en 1998 à plus de 20 % aujourd'hui. Le positionnement des entreprises françaises est très bon en Pologne et en Roumanie, où elles sont au premier rang des investisseurs, mais également en Hongrie - 3ème rang -, en Slovénie - 4ème rang - et en République tchèque - 4ème rang. Les secteurs les plus concernés sont le BTP, l'environnement, les services bancaires, la grande distribution, l'agroalimentaire, l'automobile et les télécommunications. Ces opérations ne se substituent en général pas, comme je l'entends parfois, à des investissements en France pour des raisons de coût du travail. Ces investissements nouveaux dans les PECO sont souvent réalisés dans le but de répondre à une demande locale nouvelle. Pour beaucoup entreprises, le choix n'est pas entre le maintien d'une activité en France et la délocalisation vers un pays candidat, mais plutôt entre une délocalisation vers un futur membre - qui permet souvent de maintenir une activité à haute valeur ajoutée en France - et une délocalisation complète et sans retour dans un pays émergent lointain comme la Chine et l'Inde.
L'Europe élargie sera à la fois plus stable, plus sûre et plus forte.
Une Europe plus stable : l'élargissement, c'est la paix.
L'élargissement constitue un investissement à long terme pour la démocratie, la paix et la stabilité. En s'élargissant, l'Union européenne contribue à accroître la stabilité dans son voisinage immédiat. Les 10 pays qui vont nous rejoindre se sont donnés des règles et des institutions qui les obligent à respecter la démocratie, le règlement pacifique des différends et les relations de bon voisinage entre Etats membres. Les PECO ont conclu notamment une série d'accords qui règlent leurs litiges et leurs différents bilatéraux hérités du passé.
Pour la France, l'entrée dans l'Union européenne de ces dix nouveaux membres constitue donc une garantie de paix et de stabilité pour tous. Si, comme il est probable, le processus d'élargissement de l'Union européenne se poursuit au-delà des 10 nouveaux membres - c'est certain pour la Bulgarie et la Roumanie -, alors l'Union continuera d'exporter cette stabilité et de conforter la pacification du continent. Nous considérons déjà les pays des Balkans occidentaux - Croatie, Serbie et Monténégro, Macédoine, Bosnie-Herzégovine et Albanie - comme des candidats potentiels à l'adhésion. Certains d'entre vous pourront dire, peut-être à juste titre, que pour ces pays la route est encore longue. Il reste que le simple fait de leur offrir une perspective d'adhésion contribue à apaiser les tensions qu'ils connaissent dans cette région en incitant les dirigeants et les peuples des Balkans à réapprendre à vivre ensemble et à tisser entre eux des liens nouveaux de coopération. Pacifier les Balkans, c'est sans doute encore une tâche difficile. Mais c'est à notre portée et c'est évidemment dans l'intérêt de tous, y compris du nôtre. Nous connaissons trop bien le prix de la guerre dans cette région de l'Europe. De même sera-t-il plus facile d'établir avec ceux que l'on appelle aujourd'hui les nouveaux voisins des relations de partenariat qui contribueront à accroître la stabilité de l'ensemble du continent comme avec la Russie.
Une Europe plus sûre et plus prospère : vers un "coup de fouet" économique.
L'élargissement améliorera notre sécurité. La sécurité est un point fort de l'acquis communautaire. Tant en matière d'environnement qu'en matière d'alimentation, de transport, notamment maritime, de santé, d'énergie nucléaire, de lutte contre les trafics et de lutte contre l'immigration clandestine, les dix pays adhérents adopteront les mêmes règles et les mêmes normes que nous. L'élargissement de l'Union européenne de 15 à 25 membres permettra à lui seul d'étendre cet espace de sécurité et de justice à la quasi-totalité du continent européen. Il permettra ainsi de renforcer la coopération entre Européens pour lutter contre les menaces telles que le terrorisme et le crime organisé.
La reprise complète de l'acquis communautaire devrait aussi sécuriser les acteurs économiques en fixant les mêmes règles pour tous. Les phénomènes liés au processus de pré-adhésion qui génèrent déjà de la croissance et des investissements pourraient donc s'amplifier. Je n'hésite pas à le dire : l'élargissement provoquera au sein de l'Union européenne un "coup de fouet" économique. D'une part, l'environnement économique pour nos entreprises dans les 10 nouveaux adhérents devrait être plus familier par rapport aux entreprises non-européennes. D'autre part, l'élargissement entraînera l'abolition des barrières non tarifaires auxquelles seront toujours confrontés les opérateurs américains ou japonais. En outre, les entreprises européennes bénéficieront des opportunités apportées par le supplément de croissance dans les PECO, évalué à 1 ou 2 % par an. Enfin, l'accès au marché unique, l'amélioration du climat des affaires et de la sécurité juridique impliqués par l'élargissement devraient favoriser les investissements directs de nos entreprises dans les PECO. Au total, le PIB de l'Union européenne devrait, d'après les estimations actuelles, s'améliorer de 0,7 % dans un horizon de 5 ans et le rattrapage économique des futurs membres devrait constituer l'un des principaux moteurs de la croissance économique en Europe au cours de la prochaine décennie.
J'ajoute qu'en profitant des spécificités de chacun des nouveaux membres, les entreprises françaises pourront devenir plus fortes sur d'autres marchés. Nos entreprises commencent ainsi à se rendre compte qu'en établissant des partenariats avec des sociétés de certains des nouveaux membres, elles peuvent plus facilement pénétrer les marchés des pays qui sont encore plus à l'est. La Slovénie, par exemple, peut constituer pour nos industriels une tête de pont exceptionnelle pour des opérations nouvelles dans les pays des Balkans occidentaux.
Une Europe plus forte :
Je dirais que, loin d'y porter atteinte, l'élargissement devrait au contraire servir la vision française d'une Europe puissance.
L'élargissement renforcera évidemment le poids économique de l'Europe dans le monde. Il donnera naissance à une Union de près de 460 millions de personnes, qui formera le troisième ensemble de la planète et le quart de la richesse mondiale. La force qui en résulte sera évidente dans les grandes négociations économiques internationales qui engagent l'avenir de la planète et pour lesquelles l'Europe parle d'une seule voix. Une Union à 25 pèsera encore davantage qu'une UE à 15, ce qui lui permettra de mieux faire valoir ses intérêts collectifs, au sein de l'OMC par exemple ou encore dans le cadre du processus de Kyoto. Ne nous arrêtons pas à l'épisode Cancun. Négocier en formant un front uni est un avantage considérable pour l'Europe.
Ce poids sera de plus en plus fort au fur et à mesure que l'Europe saura, comme le souhaite la France, développer une action extérieure, une diplomatie et une défense communes. L'Europe peut et doit contribuer à l'émergence d'un système international plus équilibré en développant une politique étrangère forte et indépendante. Qu'on ne s'y trompe pas : l'élargissement n'affaiblit pas cette vision ambitieuse que la France a de l'Europe. La crise irakienne récente a pu laisser penser que les PECO étaient tiraillés entre une sensibilité transatlantique et leur aspiration à l'Europe. Il s'agit là d'un faux dilemme. Les PECO savent très bien qu'ils appartiennent à l'Europe, ce qui n'est pas exclusif du lien transatlantique. Leurs responsables nous disent - c'était le cas encore la semaine dernière du Premier ministre roumain en visite en France - qu'ils sont désireux d'une politique étrangère européenne forte, parce qu'ils savent que cette politique servira la sécurité dans le monde.
Les défis à relever sont donc nombreux et l'élargissement y apporte une éminente contribution. Les avantages ne sont pas seulement évidents pour nos entreprises et du point de vue de l'emploi. Pour les jeunes générations que vous représentez, l'Europe est un espace qui élargit votre rayon d'action et donc l'exercice de vos libertés. L'Europe élargie que nous construisons représente donc une immense chance pour vous. Je n'ai pas de doute sur votre capacité à la saisir
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 septembre 2003)
Il faut garder à l'esprit que cet élargissement à 10 nouveaux pays membres s'inscrit dans un processus historique d'unification du continent européen. Ce n'est pas le premier élargissement. L'Union européenne est déjà passée par étapes successives de 6 à 15 membres. Et ce ne sera pas le dernier élargissement, puisque la Bulgarie et la Roumanie devraient entrer dans l'Union en 2007 et que d'autres pays frappent déjà à sa porte. Dans le passé, l'Union a toujours su accueillir sans difficultés majeures de nouveaux Etats membres. Il n'y a aucune raison de penser qu'il en ira autrement cette fois-ci. Certes, il s'agit en 2004 de faire entrer 10 pays à la fois. Mais il faut avoir à l'esprit que l'impact économique et démographique de l'adhésion de ces pays est limité : 75 millions d'habitants, 5 % du PIB, soit le PIB des Pays-Bas. Aujourd'hui comme hier, nous n'avons aucune raison objective de craindre l'arrivée de nouveaux membres.
Je souhaiterais développer devant vous trois points principaux :
- L'élargissement est une chance, d'abord parce qu'il nous permet de repenser l'Europe comme un projet politique.
- L'élargissement est déjà bénéfique au plan économique
- L'Europe élargie sera à la fois plus stable, plus sure et plus forte.
Premièrement, l'élargissement est une chance, d'abord parce qu'il nous permet de repenser la construction européenne comme un projet politique.
Vers l'unification du continent :
Par son impact économique et démographique, je vous l'ai dit, cet élargissement ne sera pas d'une très grande ampleur. En revanche, la portée historique, symbolique et politique de cet acte est considérable. C'est en cela que cet élargissement se distingue des précédents. Chypre et Malte mis à part, nous allons faire entrer dans l'Europe huit pays d'Europe centrale et orientale qui ont été séparés de nous pendant trop longtemps par un rideau de fer et qui ont été pendant des décennies placés sous le joug du communisme. Nous sommes donc en train de réaliser l'unité du continent européen. Jamais dans l'histoire, cette unité de l'Europe n'aura été aussi indispensable à l'heure de la mondialisation. Au regard du passé si complexe et si troublé, fait de divisions, de conflits et de rivalités fratricides entre les peuples européens, l'intégration dans un ensemble unique de la plus grande partie des Etats européens, qui organisent entre eux des politiques communes et des coopérations diversifiées, est en soi une réussite remarquable. L'élargissement qui sera effectif le 1er mai 2004, c'est donc d'abord ce projet politique unificateur de l'ensemble du continent.
Mais ce projet politique formidable pose également à l'Europe un défi institutionnel majeur qu'il lui faut relever rapidement :
L'Union européenne ne peut pas fonctionner à 25 ou à 30 comme elle fonctionnait à 15 ; il faut rénover nos institutions. Le Traité de Nice, qui a marqué l'aboutissement de la Présidence française de l'Union européenne au deuxième semestre 2000, a déjà permis d'adapter le système institutionnel de l'Union. Mais une refonte plus complète des mécanismes de décision et des institutions européennes étaient impérativement nécessaire. L'élargissement nous oblige à réinventer l'Europe.
L'Union européenne a transformé ce défi en opportunité : une Constitution pour l'Europe.
L'Union a décidé de se doter d'une véritable Constitution, la première de notre histoire. Vous le savez, les Etats membres ont décidé de confier à une Convention comprenant des représentants des gouvernements, des parlements nationaux, du parlement européen et de la Commission européenne, sous la présidence de M. Valéry Giscard d'Estaing, la tâche d'écrire un projet de Traité constitutionnel pour l'Union européenne. Cet exercice, auquel ont participé en tant qu'observateurs actifs les représentants de tous les pays candidats, s'est achevé en juillet dernier. La France y a pris toute sa part. Elle a apporté, seule ou avec d'autres de ses partenaires, de multiples contributions. Nous avons maintenant sur la table un projet unique de texte, qui sera soumis à la discussion des Etats membres et des Etats adhérents au sein d'une Conférence intergouvernementale qui s'ouvrira le 4 octobre prochain à Rome. La France souhaite que cette CIG aboutisse rapidement à l'adoption d'un texte qui dessine un projet ambitieux pour l'Europe : une Europe des Etats et des Nations, une Europe dotée d'une capacité de décision renforcée, une Europe forte et cohérente, capable d'affirmer son identité sur la scène mondiale.
Deuxièmement, les conséquences de l'élargissement pour la France et pour ses partenaires actuels ont été maîtrisées et notre pays bénéficie déjà du processus d'adhésion qui est en cours :
L'élargissement de 2004 ne constituera pas un choc. Il s'inscrit dans un continuum.
Nous avons en effet veillé au cours de la négociation d'adhésion à ce que cet élargissement soit bien préparé. Je prendrai plusieurs exemples :
Tout d'abord, l'impact budgétaire de l'élargissement a été contenu. Son coût net reste encadré et modéré : pour la période 2004-2006, il est estimé à 14 milliards d'euros, dont 2.6 milliards pour la France, ce qui, rapporté au nombre d'habitants, correspond à 20 euros par an et par habitant. Ces crédits ont été prévus dès 1999 dans le cadre de l'Agenda 2000 et les actuels Etats membres n'auront donc pas de versements supplémentaires à effectuer.
D'autre part, les négociations d'adhésion se sont déroulées et se sont achevées sur la base de la reprise de l'acquis communautaire. Des garanties ont été prises pour que les pays adhérents se mettent aux mêmes normes que nous afin d'éviter les concurrences déloyales. Certes, les 15 ont été amenés, comme lors des précédents élargissements, à consentir aux pays candidats des périodes transitoires, de manière à leur donner, lorsque c'était nécessaire, suffisamment de temps pour adapter leur réglementation et la rendre conforme à l'acquis communautaire. Mais l'Union européenne, d'ailleurs sous présidence française en 2000, a posé des conditions qui encadrent strictement l'octroi de ces délais supplémentaires. Les périodes transitoires ne porteront donc pas atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur : elles sont limitées dans le temps, dans leur objet et dans leur portée. Elles sont de plus assorties d'un calendrier précis et d'un plan de financement crédible et " soutenable ". C'est dans cette logique qu'une période transitoire a par exemple été accordée à la Pologne jusqu'à la fin de 2010 et sous certaines conditions pour s'aligner sur une directive européenne fixant les dimensions et poids maximaux autorisés pour certains véhicules routiers circulant dans l'Union européenne. Autre exemple : tous les pays adhérents, sauf l'Estonie, ont obtenu jusqu'à la fin de 2009 pour respecter totalement la réglementation européenne sur les emballages et les déchets d'emballage.
Autre illustration des précautions prises : le respect de l'acquis, cela veut dire aussi que les politiques communes, notamment celles auxquelles la France est attachée, ne sont pas remises en cause du fait de l'élargissement. Grâce à l'accord conclu entre la France et l'Allemagne en octobre 2002, qui a été repris par les 15 à Copenhague quelques semaines plus tard, les négociations d'adhésion avec les 10 nouveaux entrants ont pu s'achever sans modification de la PAC. Les aides accordées aux 15 dans le cadre de cette politique commune ne sont pas substantiellement modifiées. Même la révision de la PAC, qui a été adoptée indépendamment de l'élargissement, le 26 juin dernier, préserve les principes essentiels de cette politique. D'autre part, bien que la politique régionale soit sans doute à l'avenir principalement dirigée vers les régions en retard de développement des nouveaux pays membres, ce qui conformément au principe de solidarité européenne est bien naturel, les régions françaises restent éligibles aux aides régionales européennes. Dans le débat qui s'engagera prochainement sur l'avenir de cette politique de " cohésion ", la France est déterminée à préserver sur tout le territoire européen le bénéfice des aides en fonction de priorités : restructuration urbaine et industrielle, recherche et développement technologique, diversification rurale, coopération transfrontalière et insularité.
Enfin, l'Union européenne elle-même s'est prémunie contre des risques spécifiques liés à l'entrée des nouveaux membres. Elle a par exemple imposé aux 8 PECO entrants une période transitoire de 7 ans, qui se décompose en trois phases de 2, 3 et 2 ans après l'adhésion, en matière de libre circulation des travailleurs. La crainte, sans doute plus supposée que fondée, est celle d'un afflux massif chez les 15 de salariés en provenance de l'Est. De surcroît, les nouveaux membres devront encore patienter quelques années avant de voir supprimés les contrôles à leurs frontières dans le cadre de Schengen. Enfin, nous veillons scrupuleusement à ce qu'ils soient prêts à surveiller efficacement leurs frontières en tant que futures frontières extérieures de l'Union vers la Russie, l'Ukraine, etc
L'économie française bénéficie déjà du processus de rapprochement de l'Union européenne des pays candidats.
La croissance est à l'Est : les 10 entrants connaissent depuis plusieurs années déjà un développement rapide. Leur croissance, supérieure à la nôtre, elle représente environ 3% en moyenne en 2002, a un impact positif sur nos exportations et attire les investisseurs directs étrangers.
Ce sont de nouveaux marchés d'exportation : les entreprises françaises ont déjà largement bénéficié de l'ouverture de ces économies et de leur croissance. La France se situe ainsi au troisième rang des exportateurs vers cette zone. Entre 1992 et 2002, elle a plus que quadruplé ses exportations à destination des pays candidats.
De nouvelles possibilités de partenariats industriels et d'investissements directs existent dans ces pays. La France occupe également le troisième rang des investisseurs étrangers dans cette zone. En outre, la part que nos entreprises occupent dans les flux d'investissements directs étrangers dans les PECO augmentent régulièrement, passant de moins de 5 % en 1998 à plus de 20 % aujourd'hui. Le positionnement des entreprises françaises est très bon en Pologne et en Roumanie, où elles sont au premier rang des investisseurs, mais également en Hongrie - 3ème rang -, en Slovénie - 4ème rang - et en République tchèque - 4ème rang. Les secteurs les plus concernés sont le BTP, l'environnement, les services bancaires, la grande distribution, l'agroalimentaire, l'automobile et les télécommunications. Ces opérations ne se substituent en général pas, comme je l'entends parfois, à des investissements en France pour des raisons de coût du travail. Ces investissements nouveaux dans les PECO sont souvent réalisés dans le but de répondre à une demande locale nouvelle. Pour beaucoup entreprises, le choix n'est pas entre le maintien d'une activité en France et la délocalisation vers un pays candidat, mais plutôt entre une délocalisation vers un futur membre - qui permet souvent de maintenir une activité à haute valeur ajoutée en France - et une délocalisation complète et sans retour dans un pays émergent lointain comme la Chine et l'Inde.
L'Europe élargie sera à la fois plus stable, plus sûre et plus forte.
Une Europe plus stable : l'élargissement, c'est la paix.
L'élargissement constitue un investissement à long terme pour la démocratie, la paix et la stabilité. En s'élargissant, l'Union européenne contribue à accroître la stabilité dans son voisinage immédiat. Les 10 pays qui vont nous rejoindre se sont donnés des règles et des institutions qui les obligent à respecter la démocratie, le règlement pacifique des différends et les relations de bon voisinage entre Etats membres. Les PECO ont conclu notamment une série d'accords qui règlent leurs litiges et leurs différents bilatéraux hérités du passé.
Pour la France, l'entrée dans l'Union européenne de ces dix nouveaux membres constitue donc une garantie de paix et de stabilité pour tous. Si, comme il est probable, le processus d'élargissement de l'Union européenne se poursuit au-delà des 10 nouveaux membres - c'est certain pour la Bulgarie et la Roumanie -, alors l'Union continuera d'exporter cette stabilité et de conforter la pacification du continent. Nous considérons déjà les pays des Balkans occidentaux - Croatie, Serbie et Monténégro, Macédoine, Bosnie-Herzégovine et Albanie - comme des candidats potentiels à l'adhésion. Certains d'entre vous pourront dire, peut-être à juste titre, que pour ces pays la route est encore longue. Il reste que le simple fait de leur offrir une perspective d'adhésion contribue à apaiser les tensions qu'ils connaissent dans cette région en incitant les dirigeants et les peuples des Balkans à réapprendre à vivre ensemble et à tisser entre eux des liens nouveaux de coopération. Pacifier les Balkans, c'est sans doute encore une tâche difficile. Mais c'est à notre portée et c'est évidemment dans l'intérêt de tous, y compris du nôtre. Nous connaissons trop bien le prix de la guerre dans cette région de l'Europe. De même sera-t-il plus facile d'établir avec ceux que l'on appelle aujourd'hui les nouveaux voisins des relations de partenariat qui contribueront à accroître la stabilité de l'ensemble du continent comme avec la Russie.
Une Europe plus sûre et plus prospère : vers un "coup de fouet" économique.
L'élargissement améliorera notre sécurité. La sécurité est un point fort de l'acquis communautaire. Tant en matière d'environnement qu'en matière d'alimentation, de transport, notamment maritime, de santé, d'énergie nucléaire, de lutte contre les trafics et de lutte contre l'immigration clandestine, les dix pays adhérents adopteront les mêmes règles et les mêmes normes que nous. L'élargissement de l'Union européenne de 15 à 25 membres permettra à lui seul d'étendre cet espace de sécurité et de justice à la quasi-totalité du continent européen. Il permettra ainsi de renforcer la coopération entre Européens pour lutter contre les menaces telles que le terrorisme et le crime organisé.
La reprise complète de l'acquis communautaire devrait aussi sécuriser les acteurs économiques en fixant les mêmes règles pour tous. Les phénomènes liés au processus de pré-adhésion qui génèrent déjà de la croissance et des investissements pourraient donc s'amplifier. Je n'hésite pas à le dire : l'élargissement provoquera au sein de l'Union européenne un "coup de fouet" économique. D'une part, l'environnement économique pour nos entreprises dans les 10 nouveaux adhérents devrait être plus familier par rapport aux entreprises non-européennes. D'autre part, l'élargissement entraînera l'abolition des barrières non tarifaires auxquelles seront toujours confrontés les opérateurs américains ou japonais. En outre, les entreprises européennes bénéficieront des opportunités apportées par le supplément de croissance dans les PECO, évalué à 1 ou 2 % par an. Enfin, l'accès au marché unique, l'amélioration du climat des affaires et de la sécurité juridique impliqués par l'élargissement devraient favoriser les investissements directs de nos entreprises dans les PECO. Au total, le PIB de l'Union européenne devrait, d'après les estimations actuelles, s'améliorer de 0,7 % dans un horizon de 5 ans et le rattrapage économique des futurs membres devrait constituer l'un des principaux moteurs de la croissance économique en Europe au cours de la prochaine décennie.
J'ajoute qu'en profitant des spécificités de chacun des nouveaux membres, les entreprises françaises pourront devenir plus fortes sur d'autres marchés. Nos entreprises commencent ainsi à se rendre compte qu'en établissant des partenariats avec des sociétés de certains des nouveaux membres, elles peuvent plus facilement pénétrer les marchés des pays qui sont encore plus à l'est. La Slovénie, par exemple, peut constituer pour nos industriels une tête de pont exceptionnelle pour des opérations nouvelles dans les pays des Balkans occidentaux.
Une Europe plus forte :
Je dirais que, loin d'y porter atteinte, l'élargissement devrait au contraire servir la vision française d'une Europe puissance.
L'élargissement renforcera évidemment le poids économique de l'Europe dans le monde. Il donnera naissance à une Union de près de 460 millions de personnes, qui formera le troisième ensemble de la planète et le quart de la richesse mondiale. La force qui en résulte sera évidente dans les grandes négociations économiques internationales qui engagent l'avenir de la planète et pour lesquelles l'Europe parle d'une seule voix. Une Union à 25 pèsera encore davantage qu'une UE à 15, ce qui lui permettra de mieux faire valoir ses intérêts collectifs, au sein de l'OMC par exemple ou encore dans le cadre du processus de Kyoto. Ne nous arrêtons pas à l'épisode Cancun. Négocier en formant un front uni est un avantage considérable pour l'Europe.
Ce poids sera de plus en plus fort au fur et à mesure que l'Europe saura, comme le souhaite la France, développer une action extérieure, une diplomatie et une défense communes. L'Europe peut et doit contribuer à l'émergence d'un système international plus équilibré en développant une politique étrangère forte et indépendante. Qu'on ne s'y trompe pas : l'élargissement n'affaiblit pas cette vision ambitieuse que la France a de l'Europe. La crise irakienne récente a pu laisser penser que les PECO étaient tiraillés entre une sensibilité transatlantique et leur aspiration à l'Europe. Il s'agit là d'un faux dilemme. Les PECO savent très bien qu'ils appartiennent à l'Europe, ce qui n'est pas exclusif du lien transatlantique. Leurs responsables nous disent - c'était le cas encore la semaine dernière du Premier ministre roumain en visite en France - qu'ils sont désireux d'une politique étrangère européenne forte, parce qu'ils savent que cette politique servira la sécurité dans le monde.
Les défis à relever sont donc nombreux et l'élargissement y apporte une éminente contribution. Les avantages ne sont pas seulement évidents pour nos entreprises et du point de vue de l'emploi. Pour les jeunes générations que vous représentez, l'Europe est un espace qui élargit votre rayon d'action et donc l'exercice de vos libertés. L'Europe élargie que nous construisons représente donc une immense chance pour vous. Je n'ai pas de doute sur votre capacité à la saisir
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 septembre 2003)