Interviews de M. Jean-François Mattéi, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, dans "Libération" du 3 mars 2003 et à France 2 le 4 mars, sur la loi sur le droit des malades.

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Média : Emission Forum RMC Libération - France 2 - Libération - Télévision

Texte intégral

F. Laborde-. Nous allons parler des droits des malades, puisque la loi qui permet à chacun d'accéder au dossier médical a été votée il y a maintenant un an par le ministre de l'époque, B. Kouchner. Cette loi permet notamment la transmission du dossier médical, ce qui est plutôt une bonne chose, mais elle a eu aussi des effets pervers. C'est notamment grâce à cette loi que M. Papon a pu retrouver sa liberté. Il y a eu aussi des conséquences en termes de prix pour les médecins en termes d'assurance.
- "Cette loi est une bonne loi, elle est pleine de bonnes intentions. Certaines dispositions sont déjà dans la réalité - vous venez de parler du dossier des malades -, et je crois qu'effectivement, c'est un progrès. Ce n'est pas facile à mettre en oeuvre et les médecins sont encore un peu maladroits, malhabiles, hésitants. Ils hésitent à tout écrire dans le dossier. Mais c'est un progrès qui va progressivement encore s'améliorer. Il y a eu des effets pervers qui n'étaient pas prévus. C'est vrai que la loi n'a pas été faite pour permettre la libération de M. Papon. On voit donc bien que, dans l'application, il va falloir nuancer les choses. Elle a eu un autre effet qui a été le premier que j'ai dû tenter de régler : la loi rend l'assurance obligatoire pour les médecins et pour les établissements hospitaliers, mais rend aussi l'assurance obligatoire par les assureurs. Et les assureurs, sur un marché qui est un peu difficile, avec une dérive judiciaire, des condamnations de plus en plus fréquentes, ont décidé de déserter. Il a fallu régler, dans l'urgence, le fait que nous ne pouvions pas laisser les médecins, les cliniques, les hôpitaux sans assureurs. Nous avons donc pris des dispositions d'urgence. Elles sont provisoires pour cette année, il va falloir encore organiser les choses. Ce n'était pas du tout simple."
Je vous interromps une seconde. Est-ce qu'au-delà du problème d'assurance, cela n'a pas changé un peu les rapports entre médecins et patients ? On entend beaucoup de médecins qui disent aujourd'hui qu'à chaque fois qu'ils reçoivent un patient, il faut qu'ils passent un peu de temps pour expliquer ce que sont aléas thérapeutiques, ils doivent les mettre en garde Et du coup, les patients eux-mêmes sont perdus, ils se demandent ce qui arrive à leur médecin, pourquoi fait-il la liste de l'ensemble des bêtises qu'il pourrait faire.
- "C'est vrai. Mais si vous me permettez de le dire, ce n'est pas par la faute de la loi, c'est par la faute de l'évolution de notre société. Les patients, et on peut le comprendre, veulent tout savoir, ils veulent connaître les risques. Et dès que quelque chose leur arrive, ils s'interrogent pour savoir si, oui ou non, ils ont été bien traités et souvent, en tout cas trop souvent, ils se dirigent vers les tribunaux. Autrement dit, cette loi du droit des malades leur indique très clairement que le médecin doit les informer de tout. Je ne suis pas sûr que là non plus il n'y ait pas d'effets pervers parce que lorsque vous avez quelqu'un qui est dans la difficulté et qu'avant de l'opérer vous êtes obligé de lui annoncer la liste de tous les incidents ou accidents possibles de l'anesthésie etc., ce n'est pas forcément pour lui redonner le moral ! Il faut donc bien comprendre que nous sommes dans une phase d'apprivoisement respectif par les patients et par les professionnels de santé de nouvelles dispositions qui, de toute façon, s'imposent. J'ajoute que vous savez très bien qu'en France, on suit souvent ce que font les Américains avec quelques années de retard, et que les Américains ont aujourd'hui une médecine qui est très judiciarisée. Et donc, je le regrette par certains côtés."
Faut-il tout dire dans le dossier médical ? Faut-il le dire directement aux malades ou éventuellement passer par la famille, l'entourage ? Est-ce que le malade doit avoir accès à tout et découvrir parfois, brutalement, une pathologie lourde ?
- "C'est un autre problème. Je crois qu'il faut effectivement tout dire. On le voit bien, je prends mon exemple : il y a 30 ans, quand quelqu'un avait un cancer, on s'évertuait à le lui cacher. Aujourd'hui, on le dit, on sait qu'il faut le dire. Mais il faut le dire avec ménagement, il ne faut pas le dire brutalement, il faut savoir comment s'y prendre. Ce qui, d'ailleurs, prend un peu de court des médecins qui sont désormais confrontés à des données psychologiques, des données sociologiques, alors qu'ils étaient devenus trop souvent des techniciens, avec une médecine qui est une médecine de machines, du chiffre, une médecine de méthode. Donc, là, je ne suis pas du tout mécontent que les médecins redécouvrent cet humanisme nécessaire."
Vous aviez dit que vous étiez contre la démocratie sanitaire. Pourquoi ?
- "Parce que je ne sais pas ce que cela veut dire. Ce n'est pas que je suis contre, je ne sais pas ce que cela veut dire ! S'il s'agit de faire en sorte que tout le monde soit traité de la même façon - c'est un peu ce que veut dire "démocratie" -, alors on a inventé un grand mot pour dire ce qui est déjà dans la Constitution, c'est-à-dire le droit absolu de chacun à accéder à des soins d'égale qualité. Ce n'est pas la peine d'inventer une expression qui est un peu compliquée. Si c'est pour régler le rapport entre le médecin et le patient, je ne suis pas sûr que la démocratie duale veuille dire quelque chose. Autrement dit, je mets cette expression de côté parce que c'est quelque chose qui va peut-être dans le sens de la mode... En revanche, c'est vrai qu'il faut probablement sortir de ce rapport où le médecin savait tout et disait : "ne vous inquiétez pas, je fais tout pour vous, et puis ça ira bien"."
Cherchez pas à comprendre...
- "Je pense que cette ère est terminée et tant mieux. Il faut considérer le patient comme un interlocuteur et il faut désormais considérer que la maladie va être prise en charge non pas par le médecin lui-même mais par le couple malade-médecin. Et que ce sont tous les deux qui vont s'attaquer à la maladie."
L'accès aux soins pour tous c'est un principe que la France garde, au-delà de tout ? Je pense notamment au système des urgences, qui fait qu'on accepte tout le monde, que l'on soit ou pas affilié à la Sécurité sociale...
- "Absolument."
...On ne vous demande ni quel est l'état de votre compte en banque, ni si vous avez une carte de Sécu. Cela ne bougera pas ?
- "C'est la fierté de la France. Tout être en difficulté, malade, doit être immédiatement soigné, quel qu'il soit, quels que soient ses niveaux de revenus, quelles que soient ses origines. C'est pour cela qu'on est fiers d'être médecins aussi."
Vous avez proposé que l'on crée une Union nationale des associations, et pour cela, vous avez créé une mission confiée à M. Séréti. En quoi consiste cette mission ? Toutes les associations de malades doivent être regroupées, échangées des informations, même quand ce sont des pathologies totalement différentes ?
- "C'est un point de la loi sur le droit des malades qu'il est très difficile de traduire dans la réalité, parce qu'il y a plus de 6 000 associations d'usagers de santé. Et que je ne vois pas comment on pourrait prendre le temps d'agréer chacun d'entre elles et de vérifier absolument les intentions de chacun d'entre elles. On peut le faire, mais cela va demander des mois et des mois. D'autre part, sur les critères d'une association s'intéressant à la santé, ayant une activité réelle là-dedans, je ne vois pas comment ne pas prendre, ne pas agréer des associations parfois à caractère sectaire ou des associations..."
Est-ce que cela vous préoccupe les sectes ? Il paraît qu'il y en a de plus en plus qui essaient de rentrer dans...
- "Dans le domaine de la santé. Il y a aussi des associations qui veulent s'opposer aux vaccinations, il y a des associations qui veulent s'opposer à la transfusion sanguine. Et moi, je me vois mal, [en tant que] ministre de la Santé qui mène des actions de santé publique, devoir agréer officiellement, moi, Etat, de telles associations. Nous avons en France un certain nombre d'organisations qui fonctionnent bien. Les associations de parents d'enfants handicapés, l'UNAPEI, nous avons l'Union nationale des associations familiales ; ça fonctionne bien. Donc, ce que je voudrais, c'est que les associations de malades s'organisent par fédération régionale, où là, entre elles, elle s'organisent et il y a une légitimité. Et ensuite, au niveau national, elles se regroupent et j'ai un interlocuteur représentatif."
Il y a eu quelques soucis avec France Alzheimer, hier, dans la presse. Vous avez le sentiment que cela ne se passe pas bien ?
- "Je pense que beaucoup de ces associations sont montées par des bénévoles, des gens qui veulent relever un combat, qui n'ont pas nécessairement des compétences de gestionnaires. Il faut donc tenter de les accompagner. Ce sera d'autant plus facile qu'elles seront encadrées dans une organisation nationale."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 mars 2003)