Texte intégral
Point de presse :
Q - Quelles sont les priorités de la prochaine présidence française ?
R - Quand un pays européen prend la présidence il trouve les problèmes dans un certain état selon ce qu'a fait la présidence précédente. Les Portugais ont fait un très bon travail et nous avons à prendre le relais notamment, sur la question de la réforme des institutions. Vous savez que les Quinze ont décidé de réformer parce que, aujourd'hui, ça marche de plus en plus mal et que lorsqu'on va s'élargir à 20, 25, 30, tout cela risque de se paralyser. Cette conférence sur la réforme des institutions est donc essentielle. Toute l'Europe espère et attend que nous puissions conclure sur ces problèmes avant la fin de notre présidence, c'est à dire avant le Conseil européen de Nice. Les problèmes à l'ordre du jour sont sérieux et difficiles. D'ailleurs, il y a eu une conférence en 1996/97 qui a échoué à les réformer. Mais il y a un état d'esprit en Europe qui est différent aujourd'hui. Personne n'a envie de revivre cet échec. Alors, nous allons faire tout ce qui dépend de nous pour aboutir à une solution. Pour nous, cela signifierait une repondération substantielle, une extension de la majorité qualifiée pour faciliter les décisions, ainsi qu'un plafonnement et une hiérarchisation de la Commission et, enfin, un assouplissement sur la coopération renforcée. Si nous arrivons à tout obtenir nous aurons vraiment un paquet de réformes qui nous permettra de voir la suite avec plus de confiance. Mais tout ne sera pas réglé même si nous aboutissons. Il y a d'autres mesures nécessaires pour perfectionner le système institutionnel européen mais il y aurait vraiment, je crois, une satisfaction et un élan très forts dans toute l'Europe. Nous devons donc nous concentrer là dessus, mais il y a beaucoup d'autres sujets à l'ordre du jour de la présidence.
Q - Justement, sur les coopérations renforcées, il a été prévu, lors du Conseil Affaires générales de Luxembourg, de les inclure dans la Conférence intergouvernementale, en tous cas dans les réformes des institutions, où est-ce que cela en est ? Avez-vous bon espoir pour cela ?
R - D'abord, pour nous, cela est fondamental que quelques pays d'Europe puissent se grouper pour faire plus, pas pour faire moins. Il ne faut pas que cela affaiblisse les politiques communes, mais il faut que cela permette de faire plus sur d'autres sujets et d'aller plus loin. C'est donc fondamental que ce mécanisme existe. Beaucoup de choses ont été faites en Europe comme ça, avant même que cela soit mis dans les traités ou que cela porte un nom. C'est un peu comme cela qu'on a fait avancer Schengen, ou l'euro, ou d'autres choses de ce type. Cela a été introduit dans le Traité d'Amsterdam mais il y a tellement de conditions, tellement de clauses, que cela ne marche pas. Notre idée, maintenant, est qu'il faut assouplir le système. Il faut reprendre la rédaction du Traité d'Amsterdam sur ce point et il faut simplifier. Ce n'est pas joué parce que certains pays d'Europe sont très favorables, d'autres sont très réticents, soit parce qu'ils craignent que cela permette de défaire les politiques communes (mais cela est une crainte non fondée car ce n'est pas l'objectif de quiconque) et d'autres craignent un engrenage fédéraliste. Ils n'en veulent pas pour cette raison. C'est ainsi que le débat sur la Conférence intergouvernementale rejoint le grand débat qui se développe ces jours-ci sur l'avenir de l'Europe à plus long terme.
Q - Mais justement, en 1992 on parlait de la possibilité de mentionner le fédéralisme dans le préambule du Traité de Maastricht. Vous étiez à l'Elysée à l'époque et on parlait d'une Europe fédérale, de la vocation fédérale de l'Europe
R - Ce qui s'est passé depuis quelques dizaines d'années en Europe n'a de comparaison nulle part. Nous sommes dans un système original avec des éléments de fédéralisme (Euro, la Cour de Justice des communautés européennes) et des coopérations intergouvernementales. La question se pose pour l'avenir. On voit bien que l'Europe à 30 avec les mécanismes actuels sera vraisemblablement paralysée, donc on cherche un moteur, un système plus efficace. Et des idées sont mises en avant, récemment, notamment par Jacques Delors, par Joschka Fischer, par beaucoup d'autres responsables européens. Est-ce qu'on peut plaquer sur l'Europe avec ses vieux Etats et ses vieilles nations, un schéma fédéraliste classique ? Je ne crois pas. Si on cherche à le faire sous cette forme, cela va se bloquer et ne correspond pas aux réalités. D'ailleurs Joschka Fischer lui-même ne s'est pas mis sur cette ligne, il n'a d'ailleurs pas choisi une ligne précise puisqu'il a présenté beaucoup d'options à chaque étape. Alors on parle d'un autre concept qui serait une fédération d'Etats Nations. L'idée est séduisante, intéressante, cela combine deux choses apparemment contraires. Est-ce que c'est une chimère séduisante mais qui ne résiste pas à l'examen ou est-ce, au contraire, une vraie piste d'avenir qui nous fournira la solution ? C'est ce qu'il faut maintenant approfondir. C'est pour cela que récemment, intervenant dans ce débat, j'ai posé un certain nombre de questions pour que tous ceux qui s'intéressent à cela, en Europe, et ce ne sont pas que les experts, que les journalistes ou que les ministres, pour que tout le monde puisse dire son mot, pour qu'on aille plus loin et qu'on essaie de creuser ce concept, pour voir ce qu'il vaut exactement.
Q - Sur ce concept, à mon sens j'ai l'impression qu'on a vraiment caricaturé les positions de Joschka Fischer en disant qu'il y a plusieurs étapes, plusieurs niveaux ? Sur un des aspects qui a été peu évoqué, sur la Charte des Droits fondamentaux, qui est en discussion actuellement, où en est-on aujourd'hui ?
R - Sur votre premier point, il faut distinguer le court et le long terme sur l'avenir de l'Europe et ses différentes solutions pragmatiques, fédéralistes. Encore une fois, ce débat doit être approfondi et on ne peut pas s'en tenir à des slogans, il faut donc essayer de répondre aux questions que j'ai posées récemment, quant à la négociation de la Charte c'est une question pour maintenant. Certains Etats membres sont très peu convaincus de l'utilité de ce document parce qu'ils font remarquer que tous les droits sont déjà garantis de toutes les façons possibles et imaginables en Europe et d'autres mettent en avant la portée symbolique de les rappeler dans un texte commun. Certains, dont la France, veulent en profiter pour préciser les droits économiques et sociaux qui sont les plus faiblement exprimés, les moins anciens et parfois encore les plus précaires et d'autres pays sont radicalement contre. Il y a un désaccord entre Européens sur le fait de savoir si cela doit être au bout du compte un texte politique ou une déclaration ou si cela doit avoir une portée juridique permettant à des citoyens d'intenter des recours. Là, il y a débats entre juristes, certains disant cela serait une amélioration, d'autres disant cela serait un embrouillamini car il y a déjà deux systèmes au niveau de la Cour de justice avec tous les recours possibles. Cela en ferait trois et ça ne serait pas un progrès mais une régression. C'est un débat compliqué. Alors nous allons voir, quand le texte aura été mis au point par la Commission qui prépare cette Charte et qui est animée par l'ancien président allemand, M. Herzog, et nous le recevrons vraisemblablement au Conseil européen de Biarritz en octobre et nous déciderons entre Biarritz en octobre et Nice en décembre finalement quelle portée lui donner.
Q - (Sur un projet de constitution européenne)
R - L'idée de constitution est assez à la bonne en ce moment parce que beaucoup de gens pensent que c'est la façon facile de répartir les compétences. C'est très facile à rédiger quand on s'est déjà mis d'accord sur ce qu'on veut mettre dedans. Si on n'est pas d'accord entre ce qui va être réparti, entre le niveau régional, national, sans parler des éventuels niveaux fédéraux, vous ne pouvez pas rédiger votre constitution. Vous pouvez créer un comité constitutionnel, vous pouvez lancer l'idée mais il y aura exactement les mêmes difficultés en plus intense que celles que rencontre la Conférence intergouvernementale pour trancher des problèmes apparemment plus simples. Donc ce n'est pas une solution de facilité. C'est une ambition, le fait qu'on veuille arriver au bout du compte à un texte clair sur la répartition des choses est un très bon objectif politique, en ce qui concerne la visibilité, la compréhension par les citoyens, c'est en même temps un bon objectif démocratique, mais encore une fois, il va falloir trancher dans ce que l'on nous demande. L'exercice formel d'écriture ne peut pas se substituer aux travaux politiques de clarification
Q - Alors quelle portée donner aux déclarations qu'avait fait M. Jospin concernant la présidence française où il parlait d'une présidence modeste ?
R - C'est un mot qui a été interprété à tort, c'était dans le ton. On veut dire par là qu'une présidence ne doit pas être arrogante. Une présidence doit tenir compte de la sensibilité de l'ensemble des pays. Il y a beaucoup de choses qui se décident à l'unanimité, à commencer par la réforme des institutions. Donc, il ne faut pas que l'on voit un président débarquer comme en terrain conquis et imposer sa conception aux autres. Cela ne marchera pas. Il faut toujours négocier, écouter, tenir compte de cette obligation juridique de consensus mais il faut être animé par cet esprit d'ambition et d'ailleurs tout ce que nous disons sur la présidence française et tous nos objectifs le démontrent.
Merci
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 juin 2000)
Entretien avec Arte :
Q - Quelles sont les priorités de la Présidence française ?
R - La présidence portugaise a fait un très bon travail et nous la soutiendrons jusqu'au dernier jour de son activité avant de prendre le relais. Ensuite nous allons prendre la responsabilité des dossiers européens et chacun les connaît puisqu'ils sont à l'ordre du jour de façon très publique. La première chose, bien sûr, c'est la question de la Conférence intergouvernementale parce que cette question du fonctionnement de l'Europe commande tout. Si nous n'arrivons pas à améliorer le fonctionnement et la décision c'est un peu vain de parler de tous les autres sujets économiques, sociaux. Nous ferons tout ce qui dépend de nous, en tant que président, pour aboutir à Nice. Je crois que l'état d'esprit en Europe, à l'heure actuelle, est bien différent de celui qui existait lors de la précédente Conférence intergouvernementale et que l'impérieuse nécessité d'aboutir est présente dans tous les esprits. Naturellement, cela n'épuise pas les sujets puisque nous allons aussi poursuivre activement les négociations d'élargissement en demandant même que l'on entre, peut-être plus que ce n'est le cas en ce moment, dans le coeur du problème. Nous allons poursuivre l'élaboration de la politique de défense et de sécurité européenne. Nous avons aussi plusieurs objectifs concernant l'Europe proche du citoyen et dans des domaines concrets que nous allons faire avancer les uns après les autres. Je ne les énumérerai pas maintenant mais ils sont nombreux et ont déjà été présentés à l'Assemblée nationale française par le Premier ministre.
Q - Concernant la réforme des institutions, est-ce que la France va mener à bien cette réforme et surtout est-ce qu'elle va réussir dans les temps, à boucler avant décembre 2002 ?
R - C'est une question qu'il faut poser à tout le monde. La présidence ne peut pas se substituer à tous les pays participants. La présidence joue son rôle de présidence et elle peut finaliser, stimuler, proposer, essayer de favoriser des " accouchements par voies difficiles " mais elle ne peut pas se mettre à la place de chacun des autres. En tant que président, je suis conscient de la nécessité absolue de cette réforme des institutions à la fois pour que l'Europe actuelle marche mieux et pour préparer l'avenir. Nous ferons, bien évidemment, tout ce qui dépend de nous. Et sur les trois sujets d'Amsterdam, les reliquats, qui sont un mauvais terme puisque ce sont des questions très importantes, ainsi que sur les coopérations renforcées que nous allons introduire dans l'ordre du jour de la Conférence intergouvernementale à partir de la présidence française, nous ferons tout ce qui dépend de nous et nous avons déjà travaillé avec nos amis allemands pour rapprocher nos positions mais ce n'est pas exclusif du travail que nous faisons également avec chacun des autres Etats membres.
Q - Si toutes les positions ne sont pas rapprochées d'ici Nice, que va-t-il se passer exactement ? Va-t-on réformer a minima les Institutions ?
R - Ne spéculons pas. Nous n'avons même pas commencé la présidence française et nous avons des mois de négociation devant nous. Nous sommes pleins d'ardeur et nous avons bien l'intention et l'espérance d'aboutir. Simplement on ne peut pas aboutir à n'importe quel accord. Et la France, en tant que pays président et même en tant que pays hôte à Nice et même si " Traité de Nice " cela sonne bien dans toutes les langues, et bien si l'accord n'est pas satisfaisant nous ne l'accepterons pas, pas à n'importe quel prix.
Q - Est-ce qu'on parle justement d'une deuxième Conférence intergouvernementale après celle-ci ?
R - Personne ne parle d'une deuxième Conférence intergouvernementale. Il y a à la fois une concentration des efforts et une priorité sur les questions institutionnelles qui sont à l'ordre du jour de la Conférence intergouvernementale, que chacun connaît et en même temps il y a un débat plus large sur l'avenir de l'Europe à plus long terme.
Q - Concernant la proposition fédéraliste de Joschka Fischer, certains députés européens ont proposé que l'on mette tout de suite dans le débat l'idée d'aller rapidement vers une fédération unitaire de l'Europe. Quelle est votre position ?
R - C'est un débat très ancien qui est aussi vieux que la construction européenne. Il y a toujours eu des propositions de nature plus ou moins fédéralistes et cela reprend une somme d'idées qui avait été relancées par M. Delors. Il est vrai que la question de l'avenir institutionnel de l'Europe se pose à partir du moment ou le grand élargissement est en marche. Maintenant je note que dans l'intéressant discours prononcé par M. Fischer, il y a toute sorte d'hypothèses variées, parce qu'il n'y a pas " un plan fédéral Fischer ". A chaque étape il dit qu'on peut faire ceci ou cela il y a deux, trois options. Donc, il faut que ce débat soit approfondi, il n'y a rien qui puisse être mis en application. Quant à mettre cela à l'ordre du jour, je note que les Allemands ne le demandent pas. Ils voient bien l'importance de se concentrer sur la Conférence intergouvernementale et si on n'est pas capable de réussir les points mis à l'ordre du jour de la Conférence intergouvernementale il est inutile de spéculer sur l'Europe à plus long terme
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 juin 2000)
Entretien avec France 3 :
Q - Est-ce que vous considérez comme un geste hostile à l'égard de la France le vote qui est intervenu hier sur la durée des sessions qui se tiennent à Strasbourg ?
R - Non, cela n'a certainement pas été fait par hostilité à l'égard de la France mais c'est un vote tout à fait regrettable malgré tout car c'est un vote qui peut avoir de mauvaises conséquences pour Strasbourg. Or, le rôle de Strasbourg en tant que siège du Parlement européen est inscrit dans les traités depuis la décision des chefs d'Etat et de gouvernement à Edimbourg 1992. Cela n'est donc pas une bonne décision et nous ne pouvons que la déplorer. De plus, on ne peut que s'étonner parce que la charge de travail du Parlement est de plus en plus considérable et on a du mal à comprendre, que dans ce contexte, on puisse prendre une décision de raccourcissement des sessions. Par conséquent, d'un côté comme de l'autre, c'est une décision fâcheuse et nous avons l'intention de réagir de différentes façons.
Q - C'est à dire ?
R - D'abord Pierre Moscovici va écrire à Nicole Fontaine vous lui redire notre déception et notre argumentation par rapport à cela. Et nous allons encore une fois reprendre la question de Strasbourg. Sur le fond, et j'ai fait savoir ce matin aux parlementaires que j'ai rencontrés, à quel point nous étions étonnés.
Q - Reprendre la question de Strasbourg : qu'est ce que cela veut dire ?
R - Cela veut dire réfléchir à la pérennisation de Strasbourg en pratique. Et quant au sens politique concernant le siège et cette très grande ville européenne, voir comment tout ceci pourrait être renforcé, y compris dans la perspective d'une Europe élargie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 juin 2000)
Entretien avec EBS :
Q - Quelles sont les initiatives que vous avez prises vis à vis du Parlement européen pour votre Présidence ?
R - Il y a eu dans le passé un certain nombre de problèmes. Il est vrai que les agendas sont très très chargés tant du côté du Parlement européen que du Conseil. C'est très difficile de trouver des dates et parfois c'était mal coordonné. Alors nous nous sommes arrangés pour que les réunions du Conseil Affaires générales, qui est le Conseil qui coordonne l'ensemble des autres, composé et présidé par le ministre des Affaires étrangères du pays président, pour que ce Conseil n'ait pas lieu en même temps que les sessions plénières, et deuxièmement, nous avons prévu qu'on pourra rendre compte, soit Pierre Moscovici, soit moi-même, tous les mardi après-midi aux Commissions des Affaires étrangères et des Affaires institutionnelles. Et d'après ce que j'ai constaté, ces idées sont très bien accueillies ici.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 juin 2000)
Q - Quelles sont les priorités de la prochaine présidence française ?
R - Quand un pays européen prend la présidence il trouve les problèmes dans un certain état selon ce qu'a fait la présidence précédente. Les Portugais ont fait un très bon travail et nous avons à prendre le relais notamment, sur la question de la réforme des institutions. Vous savez que les Quinze ont décidé de réformer parce que, aujourd'hui, ça marche de plus en plus mal et que lorsqu'on va s'élargir à 20, 25, 30, tout cela risque de se paralyser. Cette conférence sur la réforme des institutions est donc essentielle. Toute l'Europe espère et attend que nous puissions conclure sur ces problèmes avant la fin de notre présidence, c'est à dire avant le Conseil européen de Nice. Les problèmes à l'ordre du jour sont sérieux et difficiles. D'ailleurs, il y a eu une conférence en 1996/97 qui a échoué à les réformer. Mais il y a un état d'esprit en Europe qui est différent aujourd'hui. Personne n'a envie de revivre cet échec. Alors, nous allons faire tout ce qui dépend de nous pour aboutir à une solution. Pour nous, cela signifierait une repondération substantielle, une extension de la majorité qualifiée pour faciliter les décisions, ainsi qu'un plafonnement et une hiérarchisation de la Commission et, enfin, un assouplissement sur la coopération renforcée. Si nous arrivons à tout obtenir nous aurons vraiment un paquet de réformes qui nous permettra de voir la suite avec plus de confiance. Mais tout ne sera pas réglé même si nous aboutissons. Il y a d'autres mesures nécessaires pour perfectionner le système institutionnel européen mais il y aurait vraiment, je crois, une satisfaction et un élan très forts dans toute l'Europe. Nous devons donc nous concentrer là dessus, mais il y a beaucoup d'autres sujets à l'ordre du jour de la présidence.
Q - Justement, sur les coopérations renforcées, il a été prévu, lors du Conseil Affaires générales de Luxembourg, de les inclure dans la Conférence intergouvernementale, en tous cas dans les réformes des institutions, où est-ce que cela en est ? Avez-vous bon espoir pour cela ?
R - D'abord, pour nous, cela est fondamental que quelques pays d'Europe puissent se grouper pour faire plus, pas pour faire moins. Il ne faut pas que cela affaiblisse les politiques communes, mais il faut que cela permette de faire plus sur d'autres sujets et d'aller plus loin. C'est donc fondamental que ce mécanisme existe. Beaucoup de choses ont été faites en Europe comme ça, avant même que cela soit mis dans les traités ou que cela porte un nom. C'est un peu comme cela qu'on a fait avancer Schengen, ou l'euro, ou d'autres choses de ce type. Cela a été introduit dans le Traité d'Amsterdam mais il y a tellement de conditions, tellement de clauses, que cela ne marche pas. Notre idée, maintenant, est qu'il faut assouplir le système. Il faut reprendre la rédaction du Traité d'Amsterdam sur ce point et il faut simplifier. Ce n'est pas joué parce que certains pays d'Europe sont très favorables, d'autres sont très réticents, soit parce qu'ils craignent que cela permette de défaire les politiques communes (mais cela est une crainte non fondée car ce n'est pas l'objectif de quiconque) et d'autres craignent un engrenage fédéraliste. Ils n'en veulent pas pour cette raison. C'est ainsi que le débat sur la Conférence intergouvernementale rejoint le grand débat qui se développe ces jours-ci sur l'avenir de l'Europe à plus long terme.
Q - Mais justement, en 1992 on parlait de la possibilité de mentionner le fédéralisme dans le préambule du Traité de Maastricht. Vous étiez à l'Elysée à l'époque et on parlait d'une Europe fédérale, de la vocation fédérale de l'Europe
R - Ce qui s'est passé depuis quelques dizaines d'années en Europe n'a de comparaison nulle part. Nous sommes dans un système original avec des éléments de fédéralisme (Euro, la Cour de Justice des communautés européennes) et des coopérations intergouvernementales. La question se pose pour l'avenir. On voit bien que l'Europe à 30 avec les mécanismes actuels sera vraisemblablement paralysée, donc on cherche un moteur, un système plus efficace. Et des idées sont mises en avant, récemment, notamment par Jacques Delors, par Joschka Fischer, par beaucoup d'autres responsables européens. Est-ce qu'on peut plaquer sur l'Europe avec ses vieux Etats et ses vieilles nations, un schéma fédéraliste classique ? Je ne crois pas. Si on cherche à le faire sous cette forme, cela va se bloquer et ne correspond pas aux réalités. D'ailleurs Joschka Fischer lui-même ne s'est pas mis sur cette ligne, il n'a d'ailleurs pas choisi une ligne précise puisqu'il a présenté beaucoup d'options à chaque étape. Alors on parle d'un autre concept qui serait une fédération d'Etats Nations. L'idée est séduisante, intéressante, cela combine deux choses apparemment contraires. Est-ce que c'est une chimère séduisante mais qui ne résiste pas à l'examen ou est-ce, au contraire, une vraie piste d'avenir qui nous fournira la solution ? C'est ce qu'il faut maintenant approfondir. C'est pour cela que récemment, intervenant dans ce débat, j'ai posé un certain nombre de questions pour que tous ceux qui s'intéressent à cela, en Europe, et ce ne sont pas que les experts, que les journalistes ou que les ministres, pour que tout le monde puisse dire son mot, pour qu'on aille plus loin et qu'on essaie de creuser ce concept, pour voir ce qu'il vaut exactement.
Q - Sur ce concept, à mon sens j'ai l'impression qu'on a vraiment caricaturé les positions de Joschka Fischer en disant qu'il y a plusieurs étapes, plusieurs niveaux ? Sur un des aspects qui a été peu évoqué, sur la Charte des Droits fondamentaux, qui est en discussion actuellement, où en est-on aujourd'hui ?
R - Sur votre premier point, il faut distinguer le court et le long terme sur l'avenir de l'Europe et ses différentes solutions pragmatiques, fédéralistes. Encore une fois, ce débat doit être approfondi et on ne peut pas s'en tenir à des slogans, il faut donc essayer de répondre aux questions que j'ai posées récemment, quant à la négociation de la Charte c'est une question pour maintenant. Certains Etats membres sont très peu convaincus de l'utilité de ce document parce qu'ils font remarquer que tous les droits sont déjà garantis de toutes les façons possibles et imaginables en Europe et d'autres mettent en avant la portée symbolique de les rappeler dans un texte commun. Certains, dont la France, veulent en profiter pour préciser les droits économiques et sociaux qui sont les plus faiblement exprimés, les moins anciens et parfois encore les plus précaires et d'autres pays sont radicalement contre. Il y a un désaccord entre Européens sur le fait de savoir si cela doit être au bout du compte un texte politique ou une déclaration ou si cela doit avoir une portée juridique permettant à des citoyens d'intenter des recours. Là, il y a débats entre juristes, certains disant cela serait une amélioration, d'autres disant cela serait un embrouillamini car il y a déjà deux systèmes au niveau de la Cour de justice avec tous les recours possibles. Cela en ferait trois et ça ne serait pas un progrès mais une régression. C'est un débat compliqué. Alors nous allons voir, quand le texte aura été mis au point par la Commission qui prépare cette Charte et qui est animée par l'ancien président allemand, M. Herzog, et nous le recevrons vraisemblablement au Conseil européen de Biarritz en octobre et nous déciderons entre Biarritz en octobre et Nice en décembre finalement quelle portée lui donner.
Q - (Sur un projet de constitution européenne)
R - L'idée de constitution est assez à la bonne en ce moment parce que beaucoup de gens pensent que c'est la façon facile de répartir les compétences. C'est très facile à rédiger quand on s'est déjà mis d'accord sur ce qu'on veut mettre dedans. Si on n'est pas d'accord entre ce qui va être réparti, entre le niveau régional, national, sans parler des éventuels niveaux fédéraux, vous ne pouvez pas rédiger votre constitution. Vous pouvez créer un comité constitutionnel, vous pouvez lancer l'idée mais il y aura exactement les mêmes difficultés en plus intense que celles que rencontre la Conférence intergouvernementale pour trancher des problèmes apparemment plus simples. Donc ce n'est pas une solution de facilité. C'est une ambition, le fait qu'on veuille arriver au bout du compte à un texte clair sur la répartition des choses est un très bon objectif politique, en ce qui concerne la visibilité, la compréhension par les citoyens, c'est en même temps un bon objectif démocratique, mais encore une fois, il va falloir trancher dans ce que l'on nous demande. L'exercice formel d'écriture ne peut pas se substituer aux travaux politiques de clarification
Q - Alors quelle portée donner aux déclarations qu'avait fait M. Jospin concernant la présidence française où il parlait d'une présidence modeste ?
R - C'est un mot qui a été interprété à tort, c'était dans le ton. On veut dire par là qu'une présidence ne doit pas être arrogante. Une présidence doit tenir compte de la sensibilité de l'ensemble des pays. Il y a beaucoup de choses qui se décident à l'unanimité, à commencer par la réforme des institutions. Donc, il ne faut pas que l'on voit un président débarquer comme en terrain conquis et imposer sa conception aux autres. Cela ne marchera pas. Il faut toujours négocier, écouter, tenir compte de cette obligation juridique de consensus mais il faut être animé par cet esprit d'ambition et d'ailleurs tout ce que nous disons sur la présidence française et tous nos objectifs le démontrent.
Merci
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 juin 2000)
Entretien avec Arte :
Q - Quelles sont les priorités de la Présidence française ?
R - La présidence portugaise a fait un très bon travail et nous la soutiendrons jusqu'au dernier jour de son activité avant de prendre le relais. Ensuite nous allons prendre la responsabilité des dossiers européens et chacun les connaît puisqu'ils sont à l'ordre du jour de façon très publique. La première chose, bien sûr, c'est la question de la Conférence intergouvernementale parce que cette question du fonctionnement de l'Europe commande tout. Si nous n'arrivons pas à améliorer le fonctionnement et la décision c'est un peu vain de parler de tous les autres sujets économiques, sociaux. Nous ferons tout ce qui dépend de nous, en tant que président, pour aboutir à Nice. Je crois que l'état d'esprit en Europe, à l'heure actuelle, est bien différent de celui qui existait lors de la précédente Conférence intergouvernementale et que l'impérieuse nécessité d'aboutir est présente dans tous les esprits. Naturellement, cela n'épuise pas les sujets puisque nous allons aussi poursuivre activement les négociations d'élargissement en demandant même que l'on entre, peut-être plus que ce n'est le cas en ce moment, dans le coeur du problème. Nous allons poursuivre l'élaboration de la politique de défense et de sécurité européenne. Nous avons aussi plusieurs objectifs concernant l'Europe proche du citoyen et dans des domaines concrets que nous allons faire avancer les uns après les autres. Je ne les énumérerai pas maintenant mais ils sont nombreux et ont déjà été présentés à l'Assemblée nationale française par le Premier ministre.
Q - Concernant la réforme des institutions, est-ce que la France va mener à bien cette réforme et surtout est-ce qu'elle va réussir dans les temps, à boucler avant décembre 2002 ?
R - C'est une question qu'il faut poser à tout le monde. La présidence ne peut pas se substituer à tous les pays participants. La présidence joue son rôle de présidence et elle peut finaliser, stimuler, proposer, essayer de favoriser des " accouchements par voies difficiles " mais elle ne peut pas se mettre à la place de chacun des autres. En tant que président, je suis conscient de la nécessité absolue de cette réforme des institutions à la fois pour que l'Europe actuelle marche mieux et pour préparer l'avenir. Nous ferons, bien évidemment, tout ce qui dépend de nous. Et sur les trois sujets d'Amsterdam, les reliquats, qui sont un mauvais terme puisque ce sont des questions très importantes, ainsi que sur les coopérations renforcées que nous allons introduire dans l'ordre du jour de la Conférence intergouvernementale à partir de la présidence française, nous ferons tout ce qui dépend de nous et nous avons déjà travaillé avec nos amis allemands pour rapprocher nos positions mais ce n'est pas exclusif du travail que nous faisons également avec chacun des autres Etats membres.
Q - Si toutes les positions ne sont pas rapprochées d'ici Nice, que va-t-il se passer exactement ? Va-t-on réformer a minima les Institutions ?
R - Ne spéculons pas. Nous n'avons même pas commencé la présidence française et nous avons des mois de négociation devant nous. Nous sommes pleins d'ardeur et nous avons bien l'intention et l'espérance d'aboutir. Simplement on ne peut pas aboutir à n'importe quel accord. Et la France, en tant que pays président et même en tant que pays hôte à Nice et même si " Traité de Nice " cela sonne bien dans toutes les langues, et bien si l'accord n'est pas satisfaisant nous ne l'accepterons pas, pas à n'importe quel prix.
Q - Est-ce qu'on parle justement d'une deuxième Conférence intergouvernementale après celle-ci ?
R - Personne ne parle d'une deuxième Conférence intergouvernementale. Il y a à la fois une concentration des efforts et une priorité sur les questions institutionnelles qui sont à l'ordre du jour de la Conférence intergouvernementale, que chacun connaît et en même temps il y a un débat plus large sur l'avenir de l'Europe à plus long terme.
Q - Concernant la proposition fédéraliste de Joschka Fischer, certains députés européens ont proposé que l'on mette tout de suite dans le débat l'idée d'aller rapidement vers une fédération unitaire de l'Europe. Quelle est votre position ?
R - C'est un débat très ancien qui est aussi vieux que la construction européenne. Il y a toujours eu des propositions de nature plus ou moins fédéralistes et cela reprend une somme d'idées qui avait été relancées par M. Delors. Il est vrai que la question de l'avenir institutionnel de l'Europe se pose à partir du moment ou le grand élargissement est en marche. Maintenant je note que dans l'intéressant discours prononcé par M. Fischer, il y a toute sorte d'hypothèses variées, parce qu'il n'y a pas " un plan fédéral Fischer ". A chaque étape il dit qu'on peut faire ceci ou cela il y a deux, trois options. Donc, il faut que ce débat soit approfondi, il n'y a rien qui puisse être mis en application. Quant à mettre cela à l'ordre du jour, je note que les Allemands ne le demandent pas. Ils voient bien l'importance de se concentrer sur la Conférence intergouvernementale et si on n'est pas capable de réussir les points mis à l'ordre du jour de la Conférence intergouvernementale il est inutile de spéculer sur l'Europe à plus long terme
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 juin 2000)
Entretien avec France 3 :
Q - Est-ce que vous considérez comme un geste hostile à l'égard de la France le vote qui est intervenu hier sur la durée des sessions qui se tiennent à Strasbourg ?
R - Non, cela n'a certainement pas été fait par hostilité à l'égard de la France mais c'est un vote tout à fait regrettable malgré tout car c'est un vote qui peut avoir de mauvaises conséquences pour Strasbourg. Or, le rôle de Strasbourg en tant que siège du Parlement européen est inscrit dans les traités depuis la décision des chefs d'Etat et de gouvernement à Edimbourg 1992. Cela n'est donc pas une bonne décision et nous ne pouvons que la déplorer. De plus, on ne peut que s'étonner parce que la charge de travail du Parlement est de plus en plus considérable et on a du mal à comprendre, que dans ce contexte, on puisse prendre une décision de raccourcissement des sessions. Par conséquent, d'un côté comme de l'autre, c'est une décision fâcheuse et nous avons l'intention de réagir de différentes façons.
Q - C'est à dire ?
R - D'abord Pierre Moscovici va écrire à Nicole Fontaine vous lui redire notre déception et notre argumentation par rapport à cela. Et nous allons encore une fois reprendre la question de Strasbourg. Sur le fond, et j'ai fait savoir ce matin aux parlementaires que j'ai rencontrés, à quel point nous étions étonnés.
Q - Reprendre la question de Strasbourg : qu'est ce que cela veut dire ?
R - Cela veut dire réfléchir à la pérennisation de Strasbourg en pratique. Et quant au sens politique concernant le siège et cette très grande ville européenne, voir comment tout ceci pourrait être renforcé, y compris dans la perspective d'une Europe élargie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 juin 2000)
Entretien avec EBS :
Q - Quelles sont les initiatives que vous avez prises vis à vis du Parlement européen pour votre Présidence ?
R - Il y a eu dans le passé un certain nombre de problèmes. Il est vrai que les agendas sont très très chargés tant du côté du Parlement européen que du Conseil. C'est très difficile de trouver des dates et parfois c'était mal coordonné. Alors nous nous sommes arrangés pour que les réunions du Conseil Affaires générales, qui est le Conseil qui coordonne l'ensemble des autres, composé et présidé par le ministre des Affaires étrangères du pays président, pour que ce Conseil n'ait pas lieu en même temps que les sessions plénières, et deuxièmement, nous avons prévu qu'on pourra rendre compte, soit Pierre Moscovici, soit moi-même, tous les mardi après-midi aux Commissions des Affaires étrangères et des Affaires institutionnelles. Et d'après ce que j'ai constaté, ces idées sont très bien accueillies ici.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 juin 2000)