Texte intégral
Monsieur le président, Mesdames et messieurs les membres de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, je suis évidemment, dès le début de mon intervention, marqué par les conclusions difficiles de votre rapport et de ce message sur la montée du racisme et de l'antisémitisme ; j'y reviendrai. Je voudrais d'abord vous remercier, les uns et les autres, du travail que vous avez effectué, en consacrant du temps bénévole, sur des activités professionnelles et des activités militantes. J'ai entendu le message. Je comprends aussi qu'il vous faut du temps pour pouvoir faire en sorte que ce métissage que vous représentez, puisse avoir la capacité de temps d'analyser le fond des dossiers. Je voudrais, à cette occasion, vous renouveler toute ma confiance pour votre commission et saluer la réforme du fonctionnement que vous avez pu engager - fonctionnement et organisation -, et je note que vous avez ainsi réussi à trouver une forme de gouvernance interne, qui vous permet d'avoir à la fois des débats élargis et en même temps une efficacité de discussion en conjuguant les consultations personnelles, les réunions de concertation et l'ensemble des différents organes dont vous vous êtes dotés. Je crois que c'est très important pour, à la fois, répondre à une exigence de profondeur et de promptitude, et en même temps, évidemment, d'efficacité pour les réflexions que vous pouvez transmettre aux pouvoirs publics. Mais au-delà des pouvoirs publics, vos avis sont publics, donc à la communauté nationale dont vous êtes une référence.
Je voudrais naturellement dire combien aujourd'hui, il me paraît important, dans l'expression de la France, de faire exister notre message de paix, de tolérance, de respect de l'autre, car nous sentons bien aujourd'hui que le débat qui s'est déroulé sur la scène internationale, cette sorte de match public entre le droit et la force, où la force s'est engagée sans le droit, nous voyons qu'il y a des conséquences importantes, évidemment, dans les horreurs d'une guerre qui se déroule sous nos yeux, dans des conditions telles qu'elles n'avaient pas été annoncées, en tout cas les opinions publiques pas préparées. Certains attendaient une guerre technologique rapide, une guerre du XXIème siècle, et ils découvrent une guerre parmi les plus affreuses, comme celles que le XXème siècle a pu fournir, et donc tout ceci, toutes ces images sont évidemment porteuses de traumatismes, dont il ne faut pas mésestimer les conséquences. Donc cette préoccupation est très vive au sein du Gouvernement, et à plusieurs reprises, sous l'impulsion du président de la République, nous avons mobilisé l'ensemble des services publics. J'ai moi-même rencontré les préfets, des initiatives ont été prises auprès des recteurs, l'ensemble des cadres de la fonction publique ont été mobilisés pour éviter qu'il puisse y avoir un transfert dans notre communauté nationale de tensions internationales, mais aussi que toutes ces crispations ne génèrent pas des comportements qui viendraient ajouter à cette terrible liste, et nous avons vu récemment, à l'occasion de manifestations, des attaques contre des jeunes Juifs qui sont jugées par le gouvernement français comme inacceptables, intolérables et contre lesquelles nous nous battrons, contre toute forme de racisme et d'antisémitisme. Nous sommes le pays des droits de l'Homme, même si nous avons toujours des progrès à faire, et nous sommes le pays du respect de la personne, nous sommes le pays de la tolérance et nous nous battons pour la paix - j'y reviendrai - parce que nous pensons que la force doit être soumise au droit, et nous pensons que dans ces circonstances, aujourd'hui tout à fait préoccupantes, [...] que ce soit le droit de l'Organisation des nations unies, que ce soit l'ensemble des procédures [...], nous pensons que le droit est la meilleure des formes d'intervention. C'est pour cela que nous avons pensé que la formule des inspections était une formule capable de répondre aux questions qui étaient posées, c'est-à-dire d'aller vérifier si oui ou non, l'Irak détenait des armements à destruction massive, et d'obtenir leur destruction. Nous pensons qu'il y a des formes de droit qui nous permettent aujourd'hui d'atteindre les objectifs qui sont les nôtres. Et nous ne souhaitons pas, évidemment, que ces tensions et la durée des conflits et des images puissent entraîner, dans notre pays, des crispations préoccupantes. Et nous voyons bien d'ailleurs que, avec le temps, les choses peuvent s'abîmer. Une première manifestation est une manifestation souvent de générosité, d'élan, et puis, plus les manifestations se multiplient, plus les effectifs baissent et restent les noyaux les plus engagés et quelquefois les plus extrémistes, avec les comportements les plus déséquilibrants pour l'équilibre des valeurs de la République.
Donc nous sommes très mobilisés, c'est pour cela que - vous le savez - nous avons engagé un certain nombre d'initiatives pour réaffirmer l'autorité républicaine dans le pays, nous avons pris des initiatives - vous en avez eu connaissance - [...] en matière d'éducation et d'autres seront prises pour faire en sorte que l'on puisse faire partager ces valeurs républicaines et bien montrer ce qu'est le sens du pacte républicain - j'y reviendrai tout à l'heure. Mais il faut expliquer ce qu'est la laïcité dans nos écoles, il faut expliquer et on ne va pas attendre le centenaire de 1905 pour pouvoir le faire, parce que c'est maintenant qu'il faut qu'on puisse mesurer que, aujourd'hui, chacun a le droit de croire, chacun a sa liberté de croyance et qu'une République, comme la République française, n'a pas peur des religions, mais que dans l'exercice de notre vivre ensemble", tout ceci passe par le filtre de la laïcité. La laïcité, c'est une liberté, mais c'est aussi un respect, c'est aussi une capacité pour faire en sorte qu'on puisse, dans notre République, veiller à ce qu'il n'y ait pas de confusion des convictions et de notre pratique républicaine. Et je pense qu'il est très important aujourd'hui de nous battre sur ce terrain des valeurs de la République au sens le plus large et notamment, pour prendre des initiatives contre le racisme, contre l'antisémitisme ou la xénophobie. C'est pour cela que nous avons soutenu l'initiative qu'a prise Pierre Lellouche, qui allait dans cette direction et qui, je crois, est importante et qui peut permettre, en punissant les infractions à caractère raciste de manière formelle, de pouvoir porter cette détermination-là, et du Parlement et du gouvernement, c'est-à-dire des autorités de la République. Vous savez aussi que nous avons, avec le projet de loi de grande criminalité, dont vous avez étudié en partie un certain nombre de dispositions... Si j'ai bien compris, vous avez des remarques à faire sur ce texte, je serais surpris qu'il en fût autrement, puisque je me nourris de vos remarques et donc je souhaite que nous puissions les analyser. Mais je crois qu'il y a un certain nombre d'élément importants sur les peines encourues qui sont aggravées pour le délit de discrimination. C'est pour cela que je pense qu'il y a un certain nombre d'initiatives que nous voulons pouvoir renforcer pour qu'il puisse y avoir des moyens juridiques plus fermes pour pouvoir s'attaquer à ces discriminations.
De même, nous avons engagé un certain nombre d'initiatives sur les formes nouvelles d'antisémitisme et de racisme, notamment l'usage d'Internet. Et nous voyons bien - nous avons engagé un certain nombre de démarches juridiques sur ce sujet -, mais il y a là la forme la plus sournoise de l'antisémitisme et du racisme, c'est-à-dire la banalisation. Et je dirais : cette banalisation moderne et technologique qui donnerait presque à une des idées les plus sombres et les plus anciennes, le ton et la couleur de la modernité. Et ce sont des choses vraiment qui sont inacceptables, et c'est pour cela qu'il faut les combattre avec d'autant plus de vigueur qu'elles sont aujourd'hui dans une allure, je dirais, d'idées à la mode, sous prétexte que le média est moderne. Ce sont les plus vieilles idées les plus sombres, et ce n'est pas parce qu'elles sont sur Internet, qu'elles sont respectables. Donc nous voulons vraiment là être tout à fait déterminés dans ce combat, et nous doter, nous-mêmes, avec les difficultés que cela représente, parce que naturellement aujourd'hui, les frontières sont difficiles à protéger. Mais on a vu que par un certain nombre d'actions de la justice française, on pouvait engager un certain nombre de démarches qui nous paraissent tout à fait importantes.
Nous pensons que la société française doit être particulièrement vigilante sur ces sujets. Vous avez donné des chiffres, Monsieur le président, qui sont importants. Je souhaite qu'on puisse avoir dans le temps... Nous avons eu ce pic du mois d'avril dont nous mesurons bien les conséquences de ce printemps de mai. Nous avons probablement, avec la situation internationale actuelle, aussi des circonstances qui seront à évaluer. Je pense qu'il nous faut avoir un baromètre très précis, durablement, pluriannuel, pour qu'on puisse mesurer ces situations, et qu'on puisse nous y attaquer avec détermination. Je note et je vais regarder cela dans le détail, mais ce qui me paraît le plus grave d'une certaine manière, c'est ce début de banalisation qui apparaît dans les chiffres que vous développiez tout à l'heure dans les sondages. Et donc, là, je pense qu'il faut que nous nous sentions responsables. Un Etat n'est pas innocent d'une telle banalisation. Nous ne pouvons pas considérer la société française comme innocente face à une banalisation du racisme ou de l'antisémitisme. Je pense, tout comme le président de la République, que l'Etat français n'était pas innocent d'un certain nombre de comportements dans les heures sombres, tout comme nous ne pouvons pas nous considérer comme innocents d'une banalisation. Je crois que nous avons une pédagogie, une capacité à exprimer un certain nombre de choses et à éviter que l'injure, parce qu'elle devient banale, finisse, à un moment ou à un autre, par être tolérée, acceptée, et finalement ne plus apparaître pour ce qu'elle est, c'est-à-dire une destruction de la personne humaine. Et donc là, je pense vraiment que nous sommes sur ces sujets, face à des comportements pour lesquels il est évident que le Gouvernement doit se mobiliser, notamment autour des dispositifs d'intégration. Je pense qu'il y a, derrière tous ces chiffres, d'une certaine façon - et ce n'est pas de ma part une critique sur le passé - la nécessité d'avoir une grande politique publique de l'intégration. Parce que finalement, c'est quand la religion n'est pas vécue comme une religion, qui pourrait entrer dans la République en passant par le filtre de la laïcité, c'est quand la religion abandonne sa bataille spirituelle et devient un élément identitaire de repli sur soi, elle revient même souvent à un communautarisme, c'est-à-dire une sorte de dérive qui en fait est une forme de résistance à l'intégration ou de constat de la non-intégration. Et donc, nous voyons bien la nécessité, aujourd'hui, de la liberté de pensée, de la laïcité et de l'intégration, les trois sujets étant liés. Et donc, sans l'intégration, nous n'aurons pas la capacité, aujourd'hui, à avoir une vie spirituelle apaisée. Et sans la laïcité au milieu, nous n'avons pas les valeurs de la République protégées. Donc nous sentons bien là que les efforts, qui nous sont à faire probablement, sont en matière de religion, d'éviter de bien identifier tout ce qui peut représenter des dérives du communautarisme et du repli sur soi et de la recherche identitaire, c'est-à-dire, quelque part, la non-intégration à la République et donc des efforts nécessaires pour notre politique d'intégration. Là, je pense que nous serons en mesure, le 10 avril, avec un comité interministériel d'envergure, de pouvoir proposer un certain nombre d'initiatives, notamment en ce qui concerne les primo-arrivants, avec le contrat d'intégration républicaine, avec cet ensemble de droits et de devoirs pour entrer dans la République, et de faire en sorte que l'on puisse disposer d'un dispositif d'accueil digne de ce nom, d'un contrat d'intégration et d'une promotion sociale et professionnelle ensemble, de manière à ce que nous puissions avoir un dispositif qui soit un dispositif important pour l'ensemble de ces publics. Et je pense qu'il est nécessaire de pouvoir bien identifier une action spécifique dans la politique d'intégration pour les primo-arrivants. Nous voyons bien qu'il y a beaucoup d'autres initiatives à prendre en matière d'intégration. Je crois que chaque public doit bien trouver les réponses à sa propre question, parce que nous voyons bien qu'il y a aujourd'hui, en matière d'intégration, un certain nombre de citoyens français qui sont en appel de la République et qui n'ont pas tout à fait les mêmes natures d'appel. On voit bien qu'il y a une forme aujourd'hui de classe moyenne qui demande une intégration dans la hiérarchie sociale, et c'est à nous aussi de faire en sorte que dans nos nominations publiques, on puisse présenter les visages de l'intégration et que notre société puisse être à l'image de ceux qui la composent. On voit bien que c'est une forme d'intégration. Et puis on voit bien aussi qu'il y a dans l'école et dans un certain nombre d'autres espaces de notre action publique, des exigences d'action publique pour une politique de l'intégration. Je pense, comme Régis Debray d'ailleurs l'avait dit, je partage tout à fait cette idée que dans le cadre d'une politique d'intégration, l'école, par exemple, doit pouvoir apprendre l'Histoire des religions et qu'on puisse avoir une histoire qui puisse, et sur la littérature et sur la peinture, les arts plastiques et sur toutes les formes d'expression des différents patrimoines, faire en sorte qu'il puisse y avoir dans la formation une éducation historique, artistique, de manière à ce que ce ne soit pas la méconnaissance qui génère la tension, mais au contraire la curiosité, le goût de l'autre, le goût de la recherche, le goût de l'intelligence, le goût du savoir qui nous conduisent à aller vers l'autre. Il y a là des éléments de notre politique que nous voulons renforcer. Je pense qu'il y a beaucoup d'initiatives qui sont à prendre.
Je sens bien aujourd'hui que, dans notre société, l'intégration est finalement... Et vous avez vous-même souhaité, pour un certain nombre de sujets, notamment le sujet central de vos préoccupations, les droits de l'Homme, qu'on puisse globaliser un certain nombre d'initiatives. A la fois, il faut globaliser, mais en même temps, il faut que chacun ait sa part d'initiatives. Tout comme les droits de l'Homme sont dans chaque ministère, il faut avoir une vision interministérielle des droits de l'Homme ; tout comme l'intégration est dans chaque ministère, il faut avoir une vision interministérielle de l'intégration. C'est un des éléments difficiles un peu de notre gouvernance aujourd'hui, où il faut être en vertical, en horizontal en permanence. L'intégration doit concerner tous les ministères y compris aujourd'hui. Les milieux ruraux par exemple, il y a cinq ans, on n'aurait pas pensé que c'était un sujet pour le ministère de l'Agriculture ; cela devient un sujet pour le ministère de l'Agriculture aujourd'hui. On voit bien que tous les ministères sont concernés par un certain nombre de sujets de cette nature et cela nous impose donc un travail qui est un travail interministériel de stratégie, de pensée, de cohérence, et en l'occurrence, de fermeté républicaine, mais en même temps une déclinaison d'initiatives dans chacun des départements ministériels et dans chacun des services publics.
Je voudrais dire, en ce qui concerne notamment tout ce qui est la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, notamment dans la période qui est celle que nous connaissons, c'est toute la place qu'il faut donner aux associations, à toutes les structures intermédiaires de médiation. Je crois qu'il est très important que dans notre société, nous puissions bien mesurer au fond que l'intérêt général n'est pas le monopole de l'Etat, ni de la politique, et qu'il y a un certain nombre de structures qui sont porteuses d'intérêt général. Et une association qui fait de l'intégration, une association qui fait de l'éducation citoyenne, une association qui fait en sorte que l'on puisse, dans un milieu ou un autre, avoir une relation avec les autres, je crois que c'est très important de faire en sorte que nous ayons ce maillage territorial. Car la société française, notamment dans une situation économique difficile et présentant des incertitudes internationales, donc des inquiétudes et donc des tensions sociales sur lesquelles il nous faut être particulièrement vigilants, nous voyons bien qu'il y a là nécessité à veiller à ce qu'on crée des liens, à ce que la cohésion sociale, la cohésion territoriale, fassent partie de cette lutte contre toutes les formes de désespoir qui peuvent nourrir des intégrismes ou des fondamentalismes.
C'est pour cela que je pense vraiment que le message de la France doit être - et je termine par là -, au fond, aujourd'hui, malgré toutes les difficultés que nous avons à affronter, un message d'espoir, parce que c'est ce message d'une France qui croit en ses valeurs, qui croit aujourd'hui dans le droit. On ne fait pas partie des peuples pacifiques historiquement et même par nos choix politiques. Nous avons fait une loi de programmation militaire. Mais nous pensons que la force doit être soumise au droit. Et nous nous battons pour qu'aujourd'hui s'installe, dans la vision mondiale de notre avenir, vraiment une gouvernance mondiale. Je crois que c'est cela aujourd'hui le message de la France. C'est le message de la paix à l'ONU, ONU source du droit mais c'est aussi le message du développement à l'OMC. Quand nous révisons la Politique agricole commune de l'Union européenne, nous pensons à des échanges mieux équilibrés entre le Nord et le Sud avec une Organisation mondiale du commerce qui doit veiller à ne pas être simplement une organisation des pays riches, mais de veiller que dans le monde, aujourd'hui, les concepts de développement mieux équilibrés puissent exister, parce que ce sont ces mouvements et ce sont ces déséquilibres qui créent le terrorisme, qui créent les fondamentalismes, et qui sont les sources des problèmes que nous avons à affronter. De même, nous pensons que sur le développement durable, que sur un certain nombre de grandes questions comme l'avenir de notre planète, la couche d'ozone et le protocole de Kyoto, que tous ces sujets-là mériteraient une Organisation mondiale de l'Environnement. Et c'est pour cela que la France, quand elle va présider le G8, notamment à Evian, fera en sorte que non seulement, les pays qui dirigent le G8 soient là présents naturellement, mais aussi que les pays émergents puissent être là aussi pour qu'on puisse éviter cette fracture du monde qui génère la fracture entre les hommes. Et si nous nous battons pour le principe d'humanité qui est au fond dans le message de la France, dans l'Histoire de la France, et qui est aujourd'hui le message derrière lequel de très nombreux peuples du monde se sont rassemblés, c'est ce message d'humanité. Mais il ne se divise pas, il s'applique au collectif comme au particulier, et donc, il a comme adversaire tout ce qui peut toucher au racisme et à l'antisémitisme.
Merci, Monsieur le Président, de votre travail. Merci de pouvoir faire en sorte qu'on puisse avoir, avec de tels outils, un suivi durable, pluriannuel, de ces sujets-là parce que la bataille est difficile, elle est contre un adversaire coriace. Et c'est pour cela qu'il nous faut beaucoup de détermination dont je vous remercie.
(source Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 avril 2003)
Je voudrais naturellement dire combien aujourd'hui, il me paraît important, dans l'expression de la France, de faire exister notre message de paix, de tolérance, de respect de l'autre, car nous sentons bien aujourd'hui que le débat qui s'est déroulé sur la scène internationale, cette sorte de match public entre le droit et la force, où la force s'est engagée sans le droit, nous voyons qu'il y a des conséquences importantes, évidemment, dans les horreurs d'une guerre qui se déroule sous nos yeux, dans des conditions telles qu'elles n'avaient pas été annoncées, en tout cas les opinions publiques pas préparées. Certains attendaient une guerre technologique rapide, une guerre du XXIème siècle, et ils découvrent une guerre parmi les plus affreuses, comme celles que le XXème siècle a pu fournir, et donc tout ceci, toutes ces images sont évidemment porteuses de traumatismes, dont il ne faut pas mésestimer les conséquences. Donc cette préoccupation est très vive au sein du Gouvernement, et à plusieurs reprises, sous l'impulsion du président de la République, nous avons mobilisé l'ensemble des services publics. J'ai moi-même rencontré les préfets, des initiatives ont été prises auprès des recteurs, l'ensemble des cadres de la fonction publique ont été mobilisés pour éviter qu'il puisse y avoir un transfert dans notre communauté nationale de tensions internationales, mais aussi que toutes ces crispations ne génèrent pas des comportements qui viendraient ajouter à cette terrible liste, et nous avons vu récemment, à l'occasion de manifestations, des attaques contre des jeunes Juifs qui sont jugées par le gouvernement français comme inacceptables, intolérables et contre lesquelles nous nous battrons, contre toute forme de racisme et d'antisémitisme. Nous sommes le pays des droits de l'Homme, même si nous avons toujours des progrès à faire, et nous sommes le pays du respect de la personne, nous sommes le pays de la tolérance et nous nous battons pour la paix - j'y reviendrai - parce que nous pensons que la force doit être soumise au droit, et nous pensons que dans ces circonstances, aujourd'hui tout à fait préoccupantes, [...] que ce soit le droit de l'Organisation des nations unies, que ce soit l'ensemble des procédures [...], nous pensons que le droit est la meilleure des formes d'intervention. C'est pour cela que nous avons pensé que la formule des inspections était une formule capable de répondre aux questions qui étaient posées, c'est-à-dire d'aller vérifier si oui ou non, l'Irak détenait des armements à destruction massive, et d'obtenir leur destruction. Nous pensons qu'il y a des formes de droit qui nous permettent aujourd'hui d'atteindre les objectifs qui sont les nôtres. Et nous ne souhaitons pas, évidemment, que ces tensions et la durée des conflits et des images puissent entraîner, dans notre pays, des crispations préoccupantes. Et nous voyons bien d'ailleurs que, avec le temps, les choses peuvent s'abîmer. Une première manifestation est une manifestation souvent de générosité, d'élan, et puis, plus les manifestations se multiplient, plus les effectifs baissent et restent les noyaux les plus engagés et quelquefois les plus extrémistes, avec les comportements les plus déséquilibrants pour l'équilibre des valeurs de la République.
Donc nous sommes très mobilisés, c'est pour cela que - vous le savez - nous avons engagé un certain nombre d'initiatives pour réaffirmer l'autorité républicaine dans le pays, nous avons pris des initiatives - vous en avez eu connaissance - [...] en matière d'éducation et d'autres seront prises pour faire en sorte que l'on puisse faire partager ces valeurs républicaines et bien montrer ce qu'est le sens du pacte républicain - j'y reviendrai tout à l'heure. Mais il faut expliquer ce qu'est la laïcité dans nos écoles, il faut expliquer et on ne va pas attendre le centenaire de 1905 pour pouvoir le faire, parce que c'est maintenant qu'il faut qu'on puisse mesurer que, aujourd'hui, chacun a le droit de croire, chacun a sa liberté de croyance et qu'une République, comme la République française, n'a pas peur des religions, mais que dans l'exercice de notre vivre ensemble", tout ceci passe par le filtre de la laïcité. La laïcité, c'est une liberté, mais c'est aussi un respect, c'est aussi une capacité pour faire en sorte qu'on puisse, dans notre République, veiller à ce qu'il n'y ait pas de confusion des convictions et de notre pratique républicaine. Et je pense qu'il est très important aujourd'hui de nous battre sur ce terrain des valeurs de la République au sens le plus large et notamment, pour prendre des initiatives contre le racisme, contre l'antisémitisme ou la xénophobie. C'est pour cela que nous avons soutenu l'initiative qu'a prise Pierre Lellouche, qui allait dans cette direction et qui, je crois, est importante et qui peut permettre, en punissant les infractions à caractère raciste de manière formelle, de pouvoir porter cette détermination-là, et du Parlement et du gouvernement, c'est-à-dire des autorités de la République. Vous savez aussi que nous avons, avec le projet de loi de grande criminalité, dont vous avez étudié en partie un certain nombre de dispositions... Si j'ai bien compris, vous avez des remarques à faire sur ce texte, je serais surpris qu'il en fût autrement, puisque je me nourris de vos remarques et donc je souhaite que nous puissions les analyser. Mais je crois qu'il y a un certain nombre d'élément importants sur les peines encourues qui sont aggravées pour le délit de discrimination. C'est pour cela que je pense qu'il y a un certain nombre d'initiatives que nous voulons pouvoir renforcer pour qu'il puisse y avoir des moyens juridiques plus fermes pour pouvoir s'attaquer à ces discriminations.
De même, nous avons engagé un certain nombre d'initiatives sur les formes nouvelles d'antisémitisme et de racisme, notamment l'usage d'Internet. Et nous voyons bien - nous avons engagé un certain nombre de démarches juridiques sur ce sujet -, mais il y a là la forme la plus sournoise de l'antisémitisme et du racisme, c'est-à-dire la banalisation. Et je dirais : cette banalisation moderne et technologique qui donnerait presque à une des idées les plus sombres et les plus anciennes, le ton et la couleur de la modernité. Et ce sont des choses vraiment qui sont inacceptables, et c'est pour cela qu'il faut les combattre avec d'autant plus de vigueur qu'elles sont aujourd'hui dans une allure, je dirais, d'idées à la mode, sous prétexte que le média est moderne. Ce sont les plus vieilles idées les plus sombres, et ce n'est pas parce qu'elles sont sur Internet, qu'elles sont respectables. Donc nous voulons vraiment là être tout à fait déterminés dans ce combat, et nous doter, nous-mêmes, avec les difficultés que cela représente, parce que naturellement aujourd'hui, les frontières sont difficiles à protéger. Mais on a vu que par un certain nombre d'actions de la justice française, on pouvait engager un certain nombre de démarches qui nous paraissent tout à fait importantes.
Nous pensons que la société française doit être particulièrement vigilante sur ces sujets. Vous avez donné des chiffres, Monsieur le président, qui sont importants. Je souhaite qu'on puisse avoir dans le temps... Nous avons eu ce pic du mois d'avril dont nous mesurons bien les conséquences de ce printemps de mai. Nous avons probablement, avec la situation internationale actuelle, aussi des circonstances qui seront à évaluer. Je pense qu'il nous faut avoir un baromètre très précis, durablement, pluriannuel, pour qu'on puisse mesurer ces situations, et qu'on puisse nous y attaquer avec détermination. Je note et je vais regarder cela dans le détail, mais ce qui me paraît le plus grave d'une certaine manière, c'est ce début de banalisation qui apparaît dans les chiffres que vous développiez tout à l'heure dans les sondages. Et donc, là, je pense qu'il faut que nous nous sentions responsables. Un Etat n'est pas innocent d'une telle banalisation. Nous ne pouvons pas considérer la société française comme innocente face à une banalisation du racisme ou de l'antisémitisme. Je pense, tout comme le président de la République, que l'Etat français n'était pas innocent d'un certain nombre de comportements dans les heures sombres, tout comme nous ne pouvons pas nous considérer comme innocents d'une banalisation. Je crois que nous avons une pédagogie, une capacité à exprimer un certain nombre de choses et à éviter que l'injure, parce qu'elle devient banale, finisse, à un moment ou à un autre, par être tolérée, acceptée, et finalement ne plus apparaître pour ce qu'elle est, c'est-à-dire une destruction de la personne humaine. Et donc là, je pense vraiment que nous sommes sur ces sujets, face à des comportements pour lesquels il est évident que le Gouvernement doit se mobiliser, notamment autour des dispositifs d'intégration. Je pense qu'il y a, derrière tous ces chiffres, d'une certaine façon - et ce n'est pas de ma part une critique sur le passé - la nécessité d'avoir une grande politique publique de l'intégration. Parce que finalement, c'est quand la religion n'est pas vécue comme une religion, qui pourrait entrer dans la République en passant par le filtre de la laïcité, c'est quand la religion abandonne sa bataille spirituelle et devient un élément identitaire de repli sur soi, elle revient même souvent à un communautarisme, c'est-à-dire une sorte de dérive qui en fait est une forme de résistance à l'intégration ou de constat de la non-intégration. Et donc, nous voyons bien la nécessité, aujourd'hui, de la liberté de pensée, de la laïcité et de l'intégration, les trois sujets étant liés. Et donc, sans l'intégration, nous n'aurons pas la capacité, aujourd'hui, à avoir une vie spirituelle apaisée. Et sans la laïcité au milieu, nous n'avons pas les valeurs de la République protégées. Donc nous sentons bien là que les efforts, qui nous sont à faire probablement, sont en matière de religion, d'éviter de bien identifier tout ce qui peut représenter des dérives du communautarisme et du repli sur soi et de la recherche identitaire, c'est-à-dire, quelque part, la non-intégration à la République et donc des efforts nécessaires pour notre politique d'intégration. Là, je pense que nous serons en mesure, le 10 avril, avec un comité interministériel d'envergure, de pouvoir proposer un certain nombre d'initiatives, notamment en ce qui concerne les primo-arrivants, avec le contrat d'intégration républicaine, avec cet ensemble de droits et de devoirs pour entrer dans la République, et de faire en sorte que l'on puisse disposer d'un dispositif d'accueil digne de ce nom, d'un contrat d'intégration et d'une promotion sociale et professionnelle ensemble, de manière à ce que nous puissions avoir un dispositif qui soit un dispositif important pour l'ensemble de ces publics. Et je pense qu'il est nécessaire de pouvoir bien identifier une action spécifique dans la politique d'intégration pour les primo-arrivants. Nous voyons bien qu'il y a beaucoup d'autres initiatives à prendre en matière d'intégration. Je crois que chaque public doit bien trouver les réponses à sa propre question, parce que nous voyons bien qu'il y a aujourd'hui, en matière d'intégration, un certain nombre de citoyens français qui sont en appel de la République et qui n'ont pas tout à fait les mêmes natures d'appel. On voit bien qu'il y a une forme aujourd'hui de classe moyenne qui demande une intégration dans la hiérarchie sociale, et c'est à nous aussi de faire en sorte que dans nos nominations publiques, on puisse présenter les visages de l'intégration et que notre société puisse être à l'image de ceux qui la composent. On voit bien que c'est une forme d'intégration. Et puis on voit bien aussi qu'il y a dans l'école et dans un certain nombre d'autres espaces de notre action publique, des exigences d'action publique pour une politique de l'intégration. Je pense, comme Régis Debray d'ailleurs l'avait dit, je partage tout à fait cette idée que dans le cadre d'une politique d'intégration, l'école, par exemple, doit pouvoir apprendre l'Histoire des religions et qu'on puisse avoir une histoire qui puisse, et sur la littérature et sur la peinture, les arts plastiques et sur toutes les formes d'expression des différents patrimoines, faire en sorte qu'il puisse y avoir dans la formation une éducation historique, artistique, de manière à ce que ce ne soit pas la méconnaissance qui génère la tension, mais au contraire la curiosité, le goût de l'autre, le goût de la recherche, le goût de l'intelligence, le goût du savoir qui nous conduisent à aller vers l'autre. Il y a là des éléments de notre politique que nous voulons renforcer. Je pense qu'il y a beaucoup d'initiatives qui sont à prendre.
Je sens bien aujourd'hui que, dans notre société, l'intégration est finalement... Et vous avez vous-même souhaité, pour un certain nombre de sujets, notamment le sujet central de vos préoccupations, les droits de l'Homme, qu'on puisse globaliser un certain nombre d'initiatives. A la fois, il faut globaliser, mais en même temps, il faut que chacun ait sa part d'initiatives. Tout comme les droits de l'Homme sont dans chaque ministère, il faut avoir une vision interministérielle des droits de l'Homme ; tout comme l'intégration est dans chaque ministère, il faut avoir une vision interministérielle de l'intégration. C'est un des éléments difficiles un peu de notre gouvernance aujourd'hui, où il faut être en vertical, en horizontal en permanence. L'intégration doit concerner tous les ministères y compris aujourd'hui. Les milieux ruraux par exemple, il y a cinq ans, on n'aurait pas pensé que c'était un sujet pour le ministère de l'Agriculture ; cela devient un sujet pour le ministère de l'Agriculture aujourd'hui. On voit bien que tous les ministères sont concernés par un certain nombre de sujets de cette nature et cela nous impose donc un travail qui est un travail interministériel de stratégie, de pensée, de cohérence, et en l'occurrence, de fermeté républicaine, mais en même temps une déclinaison d'initiatives dans chacun des départements ministériels et dans chacun des services publics.
Je voudrais dire, en ce qui concerne notamment tout ce qui est la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, notamment dans la période qui est celle que nous connaissons, c'est toute la place qu'il faut donner aux associations, à toutes les structures intermédiaires de médiation. Je crois qu'il est très important que dans notre société, nous puissions bien mesurer au fond que l'intérêt général n'est pas le monopole de l'Etat, ni de la politique, et qu'il y a un certain nombre de structures qui sont porteuses d'intérêt général. Et une association qui fait de l'intégration, une association qui fait de l'éducation citoyenne, une association qui fait en sorte que l'on puisse, dans un milieu ou un autre, avoir une relation avec les autres, je crois que c'est très important de faire en sorte que nous ayons ce maillage territorial. Car la société française, notamment dans une situation économique difficile et présentant des incertitudes internationales, donc des inquiétudes et donc des tensions sociales sur lesquelles il nous faut être particulièrement vigilants, nous voyons bien qu'il y a là nécessité à veiller à ce qu'on crée des liens, à ce que la cohésion sociale, la cohésion territoriale, fassent partie de cette lutte contre toutes les formes de désespoir qui peuvent nourrir des intégrismes ou des fondamentalismes.
C'est pour cela que je pense vraiment que le message de la France doit être - et je termine par là -, au fond, aujourd'hui, malgré toutes les difficultés que nous avons à affronter, un message d'espoir, parce que c'est ce message d'une France qui croit en ses valeurs, qui croit aujourd'hui dans le droit. On ne fait pas partie des peuples pacifiques historiquement et même par nos choix politiques. Nous avons fait une loi de programmation militaire. Mais nous pensons que la force doit être soumise au droit. Et nous nous battons pour qu'aujourd'hui s'installe, dans la vision mondiale de notre avenir, vraiment une gouvernance mondiale. Je crois que c'est cela aujourd'hui le message de la France. C'est le message de la paix à l'ONU, ONU source du droit mais c'est aussi le message du développement à l'OMC. Quand nous révisons la Politique agricole commune de l'Union européenne, nous pensons à des échanges mieux équilibrés entre le Nord et le Sud avec une Organisation mondiale du commerce qui doit veiller à ne pas être simplement une organisation des pays riches, mais de veiller que dans le monde, aujourd'hui, les concepts de développement mieux équilibrés puissent exister, parce que ce sont ces mouvements et ce sont ces déséquilibres qui créent le terrorisme, qui créent les fondamentalismes, et qui sont les sources des problèmes que nous avons à affronter. De même, nous pensons que sur le développement durable, que sur un certain nombre de grandes questions comme l'avenir de notre planète, la couche d'ozone et le protocole de Kyoto, que tous ces sujets-là mériteraient une Organisation mondiale de l'Environnement. Et c'est pour cela que la France, quand elle va présider le G8, notamment à Evian, fera en sorte que non seulement, les pays qui dirigent le G8 soient là présents naturellement, mais aussi que les pays émergents puissent être là aussi pour qu'on puisse éviter cette fracture du monde qui génère la fracture entre les hommes. Et si nous nous battons pour le principe d'humanité qui est au fond dans le message de la France, dans l'Histoire de la France, et qui est aujourd'hui le message derrière lequel de très nombreux peuples du monde se sont rassemblés, c'est ce message d'humanité. Mais il ne se divise pas, il s'applique au collectif comme au particulier, et donc, il a comme adversaire tout ce qui peut toucher au racisme et à l'antisémitisme.
Merci, Monsieur le Président, de votre travail. Merci de pouvoir faire en sorte qu'on puisse avoir, avec de tels outils, un suivi durable, pluriannuel, de ces sujets-là parce que la bataille est difficile, elle est contre un adversaire coriace. Et c'est pour cela qu'il nous faut beaucoup de détermination dont je vous remercie.
(source Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 avril 2003)