Texte intégral
Vous appelez régulièrement à la baisse des prélèvements obligatoires. Le Gouvernement, en annonçant une baisse de 40 milliards de francs pendant quatre ans, répond-il à vos attentes ?
Il va dans la direction que j'ai souhaité. Je ne voudrais pas passer pour un nouveau Caton qui appliquerait à la réduction des impôts le fameux " Delenda est Carthago ". Si j'aborde ce sujet de façon répétitive, c'est parce que je le crois essentiel. Le poids excessif des prélèvements obligatoires handicape le dynamisme et la créativité. Mais les Français sont très sceptiques lorsqu'on évoque une baisse d'impôts : il faut donc agir rapidement, concrètement et marteler durablement cette exigence de baisse. La gauche a longtemps négligé ces sujets : elle doit opérer une évolution vers moins de lourdeur et plus de justice, je suis de ceux qui poussent depuis longtemps en ce sens.
Quels impôts faudrait-il réduire ?
Dès cette année, il faut baisser fortement la taxe d'habitation, impôt à la fois pénalisant et inéquitable. Nous en avons la possibilité.
Connaissez-vous le montant de la fameuse " cagnotte " ?
Il ne fait pas de doute que le surcroît de recettes fiscales en 1999 sera important, en tous cas plus que prévu. Quelques dizaines de milliards ont été retrouvés. L'addition n'est pas encore faite. A ce propos, il serait bon qu'à l'avenir on procède autrement, afin d'éliminer le doute sur les chiffres officiels. La transparence doit être la règle. Il me paraîtrait normal que la Commission des Finances, lorsqu'elle est saisie d'un projet de loi de finances ou d'un projet de loi de finances rectificative, demande un avis à la Cour des Comptes sur la sincérité des chiffres. Et que la Cour établisse chaque trimestre, un état de la situation des finances publiques. Cela existe dans plusieurs pays.
De combien pourrait-on réduire la taxe d'habitation ?
Le plus simple serait, dès cette année, d'en supprimer les parts régionale et départementale, soit environ 20 milliards de francs, en compensant ce défaut de recettes par des dotations de l'Etat aux collectivités concernées. Pour les années suivantes, il y a deux solutions Ou bien compléter cette baisse en examinant comment rendre moins lourde et plus juste la part communale ; ou bien - je n'y serais pas du tout hostile - supprimer complètement la taxe d'habitation. Les sommes en cause (70 milliards) sont importantes, mais inférieures aux 120 milliards évoqués par le Gouvernement sur la période 2001-2003. Certains objecteront que cela risque de réduire la liberté des collectivités locales. L'argument n'est pas décisif. Par exemple, les collectivités locales allemandes ont plus de liberté que les nôtres, et pourtant elles agissent sur la base d'un partage d'impôts nationaux, garanti par la Constitution. Une telle mesure de suppression, si elle était compensée pour les collectivités d'une façon judicieuse, serait à la fois significative, équitable, et elle éviterait le saupoudrage.
Et l'impôt sur le revenu ?
Nous devons aussi alléger l'impôt sur le revenu, à mon avis pour l'ensemble du barème : en bas, afin d'éviter les " trappes à inactivité " ; au milieu, pour réduire la charge des classes moyennes ; en haut, afin d'éviter la fuite ou la démotivation des contribuables aux revenus les plus élevés dont - soit dit en passant - le départ signifie à chaque fois un peu plus d'impôts pour ceux qui restent. Je veux souligner également le problème de la TVA sur certaines activités et la question importante de l'allégement des charges sociales sur le travail peu qualifié. Commençons par un bout et ne tardons pas.
Faut-il rendre la CSG progressive, comme on le réclame au PS ?
Un abattement sur les 500 ou les 1000 premiers francs de revenu est concevable. Mais on ne peut pas tout faire. Rendre la CSG complètement progressive reviendrait à pénaliser les classes moyennes, ce qui est à éviter.
Vous appelez également à réduire les dépenses publiques. Faut-il s'attaquer en priorité aux dépenses de fonctionnement ou aux dépenses de redistribution ?
Si l'on veut rendre durablement crédible notre engagement de baisser les impôts, il faut effectivement s'occuper aussi des dépenses. Probablement plus, d'ailleurs, les dépenses de fonctionnement que les seules dépenses de redistribution. Cela veut dire réformer l'Etat, le moderniser, évaluer ses résultats, ses dépenses et contrôler vraiment celles-ci. Le Parlement a son rôle à jouer. La réforme de l'Etat est indispensable, surtout si on croit comme moi à la nécessité non pas d'un Etat omniprésent et tentaculaire mais d'un Etat efficace et respecté. La passion antiétatique est dangereuse. Cela implique que l'Etat exerce mieux ses fonctions régaliennes et qu'il assume son nouveau rôle de régulateur, de stratège, d'évaluateur. Qu'il apprenne à déléguer, par exemple en engageant un véritable acte II de la décentralisation ou en confiant aux partenaires sociaux de vraies responsabilités dans la gestion de la Sécurité sociale, à condition pour ceux-ci d'en rendre compte.
Dans le cadre du débat sur les retraites, vous avez préconisé l'instauration de fonds partenariaux. La réflexion du gouvernement et celle du PS semblent aller dans une autre direction. Qu'en pensez-vous ?
La réforme du financement des retraites est incontournable, ne serait-ce qu'en raison des évolutions démographiques. Elle implique d'éviter aussi bien le catastrophisme que la politique de l'autruche. D'abord, nous devons réaffirmer que le principe de financement des retraites doit demeurer la répartition : c'est un bon système, il serait absurde de l'abandonner. Ensuite, dotons pluriannuellement le fonds de financement des retraites existant, et de plusieurs centaines de milliards, grâce notamment au produit des privatisations, à l'amélioration de la situation budgétaire et au redressement des comptes sociaux. Développons au maximum le taux d'emploi, en ayant conscience que c'est dans notre pays que l'âge moyen d'entrée dans la vie active et le taux de cotisation sont les plus élevés ; tandis que la proportion des plus de 55 ans en activité y est la plus faible. Enfin, complétons le système existant par ce que j'ai appelé les fonds partenariaux de retraite, gérés paritairement et obligatoires, qui, entre autres conséquences, devraient permettre à terme que les grandes entreprises dépendent un peu moins de Fonds essentiellement étrangers. Si nous ne résolvons pas la question des retraites, il faudra à terme alourdir à nouveau les prélèvements obligatoires : nos enfants et petits enfants subiraient alors les conséquences de notre égoïsme.
Le Président de la République a suggéré d'inscrire le paritarisme, la démocratie sociale, dans la Constitution. Le Premier Ministre n'y est pas favorable. Et vous ?
L'expérience récente montre que les réformes constitutionnelles ne sont pas si faciles. Le paritarisme tel qu'il est pratiqué aujourd'hui en France, et plus largement les relations sociales, posent des problèmes. Ce n'est pas une raison pour tout casser. Je souhaite que les partenaires sociaux puissent en commun définir des propositions permettant d'assurer la pérennité et l'efficacité des régimes de protection sociale. Donc, je ne suis pas du tout heurté par le fait que le patronat et les syndicats se rencontrent à ce sujet. Pour autant, ils ne détiennent pas le monopole de la décision : c'est le Parlement qui, chaque année, vote la loi de financement de la Sécurité sociale, c'est lui qui demeure compétent pour décider des évolutions concernant l'organisation de la Sécurité sociale ; de nombreux financements d'Etat interviennent. Ne nous trompons pas sur qui, démocratiquement, doit décider de quoi dans notre régime pluriel. Autre remarque sur laquelle je partage l'opinion de Lionel Jospin : oui à des contrats entre syndicats et chefs d'entreprise, mais ces contrats, qui relèvent du domaine privé, n'ont pas à recevoir une sanction plus grande que la loi elle-même.
Enfin, la rénovation du paritarisme pose la délicate question de la légitimité des acteurs : du côté syndical mais aussi du côté patronal, en particulier s'agissant de la capacité d'une seule organisation à négocier au nom de toutes les entreprises y compris les plus petites. Sur ce sujet, vous le savez, les avis sont très partagés. Pour moi, le paritarisme rénové à un avenir, l'essentiel est de bâtir une véritable " société partenaire " où chacun apporte sa pierre à l'édifice commun.
(Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 24 février 2000)
Il va dans la direction que j'ai souhaité. Je ne voudrais pas passer pour un nouveau Caton qui appliquerait à la réduction des impôts le fameux " Delenda est Carthago ". Si j'aborde ce sujet de façon répétitive, c'est parce que je le crois essentiel. Le poids excessif des prélèvements obligatoires handicape le dynamisme et la créativité. Mais les Français sont très sceptiques lorsqu'on évoque une baisse d'impôts : il faut donc agir rapidement, concrètement et marteler durablement cette exigence de baisse. La gauche a longtemps négligé ces sujets : elle doit opérer une évolution vers moins de lourdeur et plus de justice, je suis de ceux qui poussent depuis longtemps en ce sens.
Quels impôts faudrait-il réduire ?
Dès cette année, il faut baisser fortement la taxe d'habitation, impôt à la fois pénalisant et inéquitable. Nous en avons la possibilité.
Connaissez-vous le montant de la fameuse " cagnotte " ?
Il ne fait pas de doute que le surcroît de recettes fiscales en 1999 sera important, en tous cas plus que prévu. Quelques dizaines de milliards ont été retrouvés. L'addition n'est pas encore faite. A ce propos, il serait bon qu'à l'avenir on procède autrement, afin d'éliminer le doute sur les chiffres officiels. La transparence doit être la règle. Il me paraîtrait normal que la Commission des Finances, lorsqu'elle est saisie d'un projet de loi de finances ou d'un projet de loi de finances rectificative, demande un avis à la Cour des Comptes sur la sincérité des chiffres. Et que la Cour établisse chaque trimestre, un état de la situation des finances publiques. Cela existe dans plusieurs pays.
De combien pourrait-on réduire la taxe d'habitation ?
Le plus simple serait, dès cette année, d'en supprimer les parts régionale et départementale, soit environ 20 milliards de francs, en compensant ce défaut de recettes par des dotations de l'Etat aux collectivités concernées. Pour les années suivantes, il y a deux solutions Ou bien compléter cette baisse en examinant comment rendre moins lourde et plus juste la part communale ; ou bien - je n'y serais pas du tout hostile - supprimer complètement la taxe d'habitation. Les sommes en cause (70 milliards) sont importantes, mais inférieures aux 120 milliards évoqués par le Gouvernement sur la période 2001-2003. Certains objecteront que cela risque de réduire la liberté des collectivités locales. L'argument n'est pas décisif. Par exemple, les collectivités locales allemandes ont plus de liberté que les nôtres, et pourtant elles agissent sur la base d'un partage d'impôts nationaux, garanti par la Constitution. Une telle mesure de suppression, si elle était compensée pour les collectivités d'une façon judicieuse, serait à la fois significative, équitable, et elle éviterait le saupoudrage.
Et l'impôt sur le revenu ?
Nous devons aussi alléger l'impôt sur le revenu, à mon avis pour l'ensemble du barème : en bas, afin d'éviter les " trappes à inactivité " ; au milieu, pour réduire la charge des classes moyennes ; en haut, afin d'éviter la fuite ou la démotivation des contribuables aux revenus les plus élevés dont - soit dit en passant - le départ signifie à chaque fois un peu plus d'impôts pour ceux qui restent. Je veux souligner également le problème de la TVA sur certaines activités et la question importante de l'allégement des charges sociales sur le travail peu qualifié. Commençons par un bout et ne tardons pas.
Faut-il rendre la CSG progressive, comme on le réclame au PS ?
Un abattement sur les 500 ou les 1000 premiers francs de revenu est concevable. Mais on ne peut pas tout faire. Rendre la CSG complètement progressive reviendrait à pénaliser les classes moyennes, ce qui est à éviter.
Vous appelez également à réduire les dépenses publiques. Faut-il s'attaquer en priorité aux dépenses de fonctionnement ou aux dépenses de redistribution ?
Si l'on veut rendre durablement crédible notre engagement de baisser les impôts, il faut effectivement s'occuper aussi des dépenses. Probablement plus, d'ailleurs, les dépenses de fonctionnement que les seules dépenses de redistribution. Cela veut dire réformer l'Etat, le moderniser, évaluer ses résultats, ses dépenses et contrôler vraiment celles-ci. Le Parlement a son rôle à jouer. La réforme de l'Etat est indispensable, surtout si on croit comme moi à la nécessité non pas d'un Etat omniprésent et tentaculaire mais d'un Etat efficace et respecté. La passion antiétatique est dangereuse. Cela implique que l'Etat exerce mieux ses fonctions régaliennes et qu'il assume son nouveau rôle de régulateur, de stratège, d'évaluateur. Qu'il apprenne à déléguer, par exemple en engageant un véritable acte II de la décentralisation ou en confiant aux partenaires sociaux de vraies responsabilités dans la gestion de la Sécurité sociale, à condition pour ceux-ci d'en rendre compte.
Dans le cadre du débat sur les retraites, vous avez préconisé l'instauration de fonds partenariaux. La réflexion du gouvernement et celle du PS semblent aller dans une autre direction. Qu'en pensez-vous ?
La réforme du financement des retraites est incontournable, ne serait-ce qu'en raison des évolutions démographiques. Elle implique d'éviter aussi bien le catastrophisme que la politique de l'autruche. D'abord, nous devons réaffirmer que le principe de financement des retraites doit demeurer la répartition : c'est un bon système, il serait absurde de l'abandonner. Ensuite, dotons pluriannuellement le fonds de financement des retraites existant, et de plusieurs centaines de milliards, grâce notamment au produit des privatisations, à l'amélioration de la situation budgétaire et au redressement des comptes sociaux. Développons au maximum le taux d'emploi, en ayant conscience que c'est dans notre pays que l'âge moyen d'entrée dans la vie active et le taux de cotisation sont les plus élevés ; tandis que la proportion des plus de 55 ans en activité y est la plus faible. Enfin, complétons le système existant par ce que j'ai appelé les fonds partenariaux de retraite, gérés paritairement et obligatoires, qui, entre autres conséquences, devraient permettre à terme que les grandes entreprises dépendent un peu moins de Fonds essentiellement étrangers. Si nous ne résolvons pas la question des retraites, il faudra à terme alourdir à nouveau les prélèvements obligatoires : nos enfants et petits enfants subiraient alors les conséquences de notre égoïsme.
Le Président de la République a suggéré d'inscrire le paritarisme, la démocratie sociale, dans la Constitution. Le Premier Ministre n'y est pas favorable. Et vous ?
L'expérience récente montre que les réformes constitutionnelles ne sont pas si faciles. Le paritarisme tel qu'il est pratiqué aujourd'hui en France, et plus largement les relations sociales, posent des problèmes. Ce n'est pas une raison pour tout casser. Je souhaite que les partenaires sociaux puissent en commun définir des propositions permettant d'assurer la pérennité et l'efficacité des régimes de protection sociale. Donc, je ne suis pas du tout heurté par le fait que le patronat et les syndicats se rencontrent à ce sujet. Pour autant, ils ne détiennent pas le monopole de la décision : c'est le Parlement qui, chaque année, vote la loi de financement de la Sécurité sociale, c'est lui qui demeure compétent pour décider des évolutions concernant l'organisation de la Sécurité sociale ; de nombreux financements d'Etat interviennent. Ne nous trompons pas sur qui, démocratiquement, doit décider de quoi dans notre régime pluriel. Autre remarque sur laquelle je partage l'opinion de Lionel Jospin : oui à des contrats entre syndicats et chefs d'entreprise, mais ces contrats, qui relèvent du domaine privé, n'ont pas à recevoir une sanction plus grande que la loi elle-même.
Enfin, la rénovation du paritarisme pose la délicate question de la légitimité des acteurs : du côté syndical mais aussi du côté patronal, en particulier s'agissant de la capacité d'une seule organisation à négocier au nom de toutes les entreprises y compris les plus petites. Sur ce sujet, vous le savez, les avis sont très partagés. Pour moi, le paritarisme rénové à un avenir, l'essentiel est de bâtir une véritable " société partenaire " où chacun apporte sa pierre à l'édifice commun.
(Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 24 février 2000)