Déclaration de M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication, sur le projet de loi portant réforme de l'archéologie préventive, au Sénat le 17 juin 2003.

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Circonstance : Discussion du projet de loi protant réforme de l'archéologie préventive au Sénat le 17 juin 2003

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui vise à réformer la loi du 17 janvier 2001 relative à l'archéologie préventive.
Depuis une trentaine d'années, la croissance urbaine, économique, sociale de notre pays, l'essor des transports et des infrastructures ont entraîné le développement de l'archéologie préventive. Ce développement à la fois scientifique et technique a permis de nombreuses découvertes, si bien que l'archéologie préventive produit aujourd'hui environ 80 % des connaissances archéologiques françaises.
La loi du 17 janvier 2001, a tenté de donner un cadre juridique à cette discipline et créé l'Institut national de recherche et d'archéologie préventive (INRAP), établissement public à qui elle a confié le monopole des opérations. Sa mise en oeuvre, amorcée en 2002, a immédiatement suscité de nombreux conflits entre les aménageurs, au premier rang desquels les collectivités locales, et l'INRAP, je le déplore. Elle a par ailleurs conduit, en très peu de temps, cet établissement au bord de la faillite financière.
Pourquoi ce naufrage, que je regrette profondément, s'est-il produit si vite ?
Si la loi du 17 janvier 2001 a eu le mérite de consolider le service public de la recherche archéologique, elle portait néanmoins en elle les germes de nombreux dysfonctionnements.
Le contrôle systématique des aménagements est nécessaire, chacun en convient, pour éviter que soient détruits, sans étude préalable, des vestiges enfouis. Mais l'absence totale de régulation, conjuguée au monopole de l'INRAP sur la réalisation des opérations, ont fait exploser le nombre des opérations archéologiques prescrites, qui est passé de 2000 prescriptions en 2001 à 4000 en 2002, et avec elles les effectifs de l'INRAP et les délais d'exécution.
Le second dysfonctionnement tient dans les mécanismes de financement de l'INRAP qui ont très vite révélé leur inadaptation. Complexes, opaques, inéquitables, ils ont exposé les aménageurs, notamment les communes rurales, à des coûts importants, sans permettre pour autant à l'INRAP de bénéficier de ressources nécessaires. En moins d'un an, le déficit de l'INRAP s'est rapidement creusé. Il atteint 45 millions d'euros en cumulé 2002 et 2003. Il est vrai que l'amendement adopté à la fin de l'année par le Parlement visant à réduire de 25% la redevance pour les opérations prescrites en 2003 n'a pas amélioré une situation qui était cependant déjà considérablement dégradée.
J'observe enfin que l'absence de dialogue entre le prescripteur, c'est-à-dire l'Etat, l'aménageur et l'opérateur qu'est l'INRAP a donné à de nombreux élus le sentiment d'un arbitraire insupportable, tout en précipitant l'archéologie préventive dans une situation de blocage.
Dans ces conditions, ce que je vous propose aujourd'hui, c'est bien de sauver l'archéologie préventive nationale, de lui donner l'organisation publique et l'ambition scientifique qu'elle mérite.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a décidé de présenter en urgence ce projet de loi au Parlement. Il vise à donner un cadre juridique et financier durable à l'archéologie préventive nationale, à renforcer sa dimension scientifique, et à mieux l'intégrer aux réalités du développement économique de notre pays et de nos régions. Il repose sur un juste équilibre entre le rôle de l'Etat, rôle nécessaire, et celui des collectivités locales, rôle dont chacun peut ici reconnaître la légitimité.
Cette réforme a été élaborée après un intense travail interministériel, a été conduit avec le ministère de la Recherche, cotuteur de l'archéologie préventive, ainsi qu'avec les ministères de l'Equipement et des Finances, après également une large concertation avec les acteurs de l'archéologie préventive et naturellement les parlementaires.
Cette réforme est, par ailleurs, faut-il le préciser, parfaitement conforme à la Convention de Malte, ratifiée par la France en 1992.
Quelles en sont les principales dispositions ?
1. Premièrement, consolider le financement de l'archéologie préventive
Dans la loi du 17 janvier 2001 l'ensemble des opérations archéologiques est financé par une ressource fiscale, la redevance, que l'Etat lève en fonction de son intention de réaliser des diagnostics ou des fouilles.
La réforme que je vous propose modifie ce système peu équitable, puisqu'il fait porter l'ensemble du coût de l'archéologie préventive sur un petit nombre d'aménageurs.
En premier lieu, les opérations de fouilles ne seront plus financées par une redevance, mais sur la base d'un prix, celui convenu entre l'aménageur et l'opérateur. Ces opérations pourront être réalisées, selon le choix de l'aménageur et sous réserve de l'accord de l'Etat, soit par l'INRAP, soit par les services archéologiques des collectivités locales ou par des opérateurs scientifiques publics ou privés, qui auront été agréés par l'Etat.
Deuxièmement, les opérations de diagnostic en amont, l'exploitation et la diffusion des recherches en aval seront financées par une redevance générale d'archéologie perçue sur tous les dossiers d'aménagement au-delà d'un certain seuil. Je précise que les diagnostics seront pour leur part réalisés, soit par l'INRAP, soit par les services archéologiques des collectivités territoriales. Le maintien du monopole du service public sur ces opérations est en effet nécessaire afin d'en garantir l'objectivité.
Cette redevance, dont l'assiette sera élargie, permettra de mieux répartir la charge de l'archéologie préventive entre les différents aménageurs.
Elle viendra en effet abonder un fonds de péréquation qui permettra aux aménageurs les plus impécunieux de bénéficier de subventions pour les aider, le cas échéant, à supporter le coût des fouilles. Ces subventions assureront ainsi, dans tous les cas, les moyens nécessaires aux objectifs scientifiques des opérations. Elles seront accordées par l'Etat aux aménageurs en fonction de critères objectifs qui seront déterminés par une commission. Je souligne qu'une telle subvention était impossible dans le système précédent, puisque l'intégralité des opérations étaient financées par une ressource fiscale. Or, comme vous le savez, aucun contribuable ne peut bénéficier d'une subvention pour alléger le coût de son propre impôt... J'observe que ces subventions bénéficiant au premier chef aux communes rurales, elles contribueront à rétablir un meilleur équilibre dans le traitement des zones rurales par rapport aux zones urbaines.
Nombre d'entre vous ont, à ce sujet, exprimé leur avis au sujet du bon seuil de perception de la redevance, prévu par le projet de loi à 5000 mètres carrés, estimant qu'il ne permettrait pas de rétablir l'équilibre entre les zones rurales et les zones urbaines par rapport à la situation actuelle. Je sais, Monsieur le Rapporteur, que vos travaux vous ont conduit à présenter un amendement visant à abaisser le niveau de ce seuil. Je sais également qu'au nom de votre commission vous proposerez d'amender le texte pour ce qui concerne les modalités de perception de la redevance. Nous en débattrons au cours de la discussion. Je tiens cependant dès à présent à saluer la qualité de votre travail.
2) Le deuxième objectif de la réforme est l'intégration des collectivités territoriales dans le service public national de l'archéologie préventive.
Le système actuel, en ne permettant l'intervention des organismes scientifiques existant sur le terrain qu'en tant que sous-traitants de l'INRAP, a écrasé les dynamiques territoriales et les a empêché de se développer. En outre, il n'a pas permis une véritable adéquation entre les pratiques opérationnelles et le contexte archéologique spécifique à chaque région. Le développement de l'archéologie préventive doit aujourd'hui mieux prendre en compte les réalités régionales et la capacité des collectivités locales à s'y engager.
Les services archéologiques agréés des collectivités territoriales, trop souvent considérés par le passé comme de simples supplétifs du ministère de la culture, se verront désormais confier, s'ils le souhaitent, la pleine responsabilité de l'exécution des diagnostics et des fouilles. Leur développement est l'une des clés de la réforme.
Les collectivités territoriales partageront, je vous l'ai dit, le monopole de la réalisation des diagnostics avec l'INRAP. Elles pourront décider soit de réaliser ponctuellement un diagnostic, soit d'assurer la maîtrise d'ouvrage de l'ensemble des opérations de diagnostic prescrites sur leur territoire pendant une durée d'au moins trois ans. D'un point de vue opérationnel, la collectivité qui aura fait ce choix recevra l'ensemble des redevances dues sur son territoire en application de la présente loi.
Le projet de loi préserve cependant le principe de libre administration des collectivités territoriales et les prérogatives de maîtrise d'ouvrage de l'aménageur public. Si, en effet, plusieurs collectivités sont intéressées par la même opération de diagnostic, le projet privilégie la collectivité de première proximité. De même, l'aménageur public peut s'opposer à la réalisation du diagnostic par le service archéologique territorial et préférer l'établissement public.
Une disposition du projet de loi vise par ailleurs à donner la possibilité, de façon dérogatoire, aux collectivités territoriales de recruter des agents de l'établissement public bénéficiant d'un contrat à durée indéterminée, afin qu'elles puissent s'appuyer pleinement sur les compétences formées au sein de l'établissement public.
3) Le troisième objectif de ce projet de loi est de réaffirmer le rôle de l'Etat et de ses services déconcentrés.
A ceux qui critiquent ce projet en arguant qu'il marquerait un effacement des missions régaliennes de l'Etat, je répondrai que l'Etat conserve au contraire un rôle essentiel. Nulle " privatisation ", comme j'ai pu l'entendre ou le lire, dans ce dispositif, mais une ouverture vers un ensemble d'intervenants qui seront tous agréés par l'Etat et satisferont, en conséquence, aux exigences scientifiques requises.
C'est l'Etat qui accordera son agrément aux différents opérateurs de diagnostic et de fouille. L'agrément sera délivré au niveau national, afin que les critères soient identiques sur l'ensemble du territoire. J'ajoute qu'il pourra être retiré en cas de manquement. J'attache une grande importance à l'ensemble de ce dispositif.
Ce sont par ailleurs les services de l'Etat qui autoriseront les fouilles après contrôle de l'adéquation entre le projet d'opération et le cahier des charges de la prescription. Ce sont eux qui veilleront aux règles de déontologie qui s'imposent. Ce sont eux qui désigneront le responsable de l'opération et contrôleront le déroulement des actions de terrain . Enfin, ce sont eux qui veilleront à la remise des rapports de fouilles, évalueront les résultats, et favoriseront leur publication.
J'ai par ailleurs mobilisé les services déconcentrés du Ministère de la culture, au premier rang desquels nos DRAC et en leur sein les Services régionaux d'archéologie, sur la nécessité de maîtriser, à partir de critères scientifiques, la prescription des opérations de diagnostic et de fouille.
4. Le quatrième objectif de ce projet de loi est de stabiliser la situation de l'INRAP.
L'établissement public créé par la loi du 17 janvier 2001 conservera son caractère administratif et le statut de son personnel ne sera pas modifié. Il m'a, en effet, paru légitime que la situation de crise que nous connaissons aujourd'hui ne nous fasse pas oublier la grande qualité professionnelle des agents de cet établissement, notamment nos archéologues. Ils contribuent de façon décisive à la meilleure connaissance de notre histoire, à laquelle, je le sais, nous sommes tous très attachés. L'INRAP restera donc un acteur essentiel de la recherche archéologique nationale, et cela pour l'ensemble de la chaîne scientifique : diagnostic, fouille, exploitation et valorisation des données. Il assurera bien à ce titre des missions de service public national. C'est à lui et à lui seul que reviendra par exemple l'obligation d'assurer la continuité d'une fouille que l'opérateur initial serait contraint d'abandonner, du fait par exemple d'une cessation d'activité. C'est à lui, autre exemple, que sera attribuée toute opération pour laquelle l'aménageur n'aurait trouvé aucun autre candidat à la réalisation de l'opération. Ce sont l'INRAP et les services de l'Etat qui recevront par ailleurs le rapport de fouille que tout opérateur est tenu de réaliser.
Tout cela marque bien, et de façon incontestable que l'INRAP est garant sur l'ensemble du territoire de la continuité du servie public de l'archéologie préventive nationale.
Tel est le contenu de la réforme qui vous est présentée.
C'est une réforme nécessaire, puisqu'elle donnera à l'archéologie préventive un cadre juridique et financier enfin solide, tout en permettant à toutes les compétences disponibles dans ce domaine d'être mobilisées.
C'est une réforme d'avenir, puisqu'elle garantira la pérennité de cette discipline précieuse pour notre pays, dans le respect conjugué de la recherche et de la réalité économique.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 19 juin 2003)