Déclaration de Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports, sur l'organisation et la promotion des activités physiques et sportives, à l'Assemblée Nationale le 1er février 2000.

Prononcé le 1er février 2000

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Circonstance : Présentation du projet de loi relatif à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives à l'Assemblée nationale le 1er février 2000

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le rapporteur,
Mesdames, Messieurs les députés,
Le projet de loi que je vous présente aujourd'hui constitue le quatrième volet de la démarche de rénovation législative entreprise depuis 1998.
Je veux donc brièvement rappeler les objectifs des trois premières phases de ce travail législatif.
La loi du 6 mars 1998 renforce la sécurité des installations sportives, et garantit le droit à l'information dans les manifestations sportives.
La loi du 23 mars 1999 assure une meilleure protection de la santé des sportifs, et donne des moyens exceptionnels à la lutte contre le dopage. Cette loi, vous le savez, a contribué à accélérer la mobilisation des États au niveau international.
La création de l'Agence Mondiale antidopage est un pas en avant considérable. À ce propos, je saisis l'occasion qui m'est donnée pour évoquer la candidature de la capitale autrichienne au siège de l'Agence.
Je veux le dire ici avec une certaine gravité : s'il se confirme que des représentants d'un parti extrémiste et xénophobe accèdent au gouvernement de ce pays, il est totalement exclu que la France soutienne une telle candidature. Je souhaite que cette position, qui relève aussi d'une certaine éthique, soit partagée par l'ensemble de mes collègues de l'Union Européenne.
Enfin la loi du 28 décembre 1999 concerne principalement le sport professionnel. Elle modernise le statut des sociétés sportives et définit leur relation avec les associations et les collectivités territoriales.
Elle interdit toute transaction commerciale concernant les mineurs et protége à la fois l'effort de formation entrepris par les clubs, et les jeunes qui s'engagent dans un projet d'accès à l'élite.
Ces trois réformes ont en commun une volonté de mettre les valeurs humaines au centre des évolutions du sport.
C'est le même esprit qui anime le quatrième et dernier volet de ce travail législatif.
Le projet qui vous est soumis aujourd'hui repose sur un triple objectif :
Assurer l'indépendance et valoriser l'action des associations sportives, de leurs bénévoles et éducateurs.
Encourager le développement et la démocratisation des pratiques sportives.
Organiser un véritable service public du sport, prenant en compte le rôle central du mouvement sportif ainsi que la diversité des pratiques et des partenaires.
Initiée par Edwige AVICE, la loi de 1984 constituait un point d'appui solide et cohérent pour atteindre ces objectifs. Mais il était nécessaire d'adapter ses missions aux réalités d'aujourd'hui, aux enjeux qui traversent le sport.
En premier lieu, il ne me semble pas inutile de cerner le champ de notre démarche à travers quelques données chiffrées.
La reconnaissance relativement récente du sport, en tant que fait social significatif, rend cet exercice assez délicat.
Avec l'aide de l'INSEE, nous nous employons désormais à rattraper le retard.
Je me limiterai donc à formuler quelques ordres de grandeur.
Les fondations du sport, ce sont :
13 millions de licenciés ;
170 000 associations ;
530 000 bénévoles ;
15 000 éducateurs professionnels.
La pratique d'une activité physique ne se limite pas au cadre de l'association ou du club. On estime à 26 millions le nombre de pratiquants.
Il est donc nécessaire de construire des passerelles entre les différentes formes d'activité physique et sportive. C'est l'une des innovations de ce projet.
Sur le plan économique, les évolutions liées au sport sont considérables.
Ainsi, les droits de télévision constituent aujourd'hui la première source de financement du sport professionnel. Leur montant annuel dépasse les 3 milliards de francs. Mais ces droits ne bénéficient qu'à quelques sports, et à l'intérieur même de ces disciplines, leur répartition reste très inégale.
Autre donnée significative : la dépense sportive des ménages, de l'Etat, des collectivités, des entreprises se situent aux alentours de 135 milliards de francs.
Les entreprises du sport emploient environ 85.000 personnes. Entre 1994 et 1999, les emplois de ces entreprises se sont accrus de 35%, contre 7% pour l'ensemble des autres secteurs.
Enfin, près de 40 000 " Emplois-jeunes " à dominante sportive ou d'éducation populaire ont été créés, à ce jour.
Cet effectif considérable confirme l'ampleur de la demande sociale en matière d'animation et d'encadrement sportif.
Au-delà de ces éléments statistiques, nul ne conteste l'extraordinaire évolution de la place du sport dans nos sociétés.
Simple passe temps masculin de privilégiés fortunés au début du XXè siècle, le sport devenu planétaire est reconnu aujourd'hui pour sa capacité à créer du lien social, à être une source d'épanouissement individuel et d'émotions collectives, à devenir ce nouvel alphabet de la solidarité pour des jeunes en quête de repères positifs, à jouer ainsi un rôle éducatif.
Cette évolution se poursuit.
Je pense notamment à la place nouvelle des femmes dans le sport.
Tant au niveau des pratiques que de l'exercice des responsabilités, nous n'en sommes encore qu'au tout début de ce qui s'annonce, sans doute, comme la transformation majeure du sport au cours du 21ème siècle.
La mesure nouvelle que je vous propose d'adopter en ce sens, ainsi que les amendements retenus par votre commission visent précisément à placer le sport au cur d'une évolution qui constitue, à mes yeux, un choix irréversible de civilisation.
Dans le champ nouveau des valeurs positives, je pense également à la possibilité, à travers le sport, d'exprimer son appartenance à une communauté nationale ouverte, et multiple.
Ce phénomène, révélé fortement par la dernière coupe du monde de football, se vérifie chaque fois que les équipes de France répondent présent à un rendez-vous important.
Qui aurait imaginé, il y a encore peu de temps, que l'équipe de France féminine de handball puisse enthousiasmer jusqu'à 12 millions de téléspectateurs !
Ne banalisons pas de tels moments.
Ils nous disent aussi, à leur manière, que face aux inquiétudes et aux angoisses suscitées par un certain type de mondialisation, les équipes nationales peuvent incarner une France ouverte sur le monde et solidaire.
Le renforcement de la place et du rôle des fédérations dans le dispositif que je vous propose, répond aussi à cette fonction identificatrice du sport.
Parmi les autres évolutions, je citerai enfin la démocratisation de pratiques naguères réservées à certaines catégories sociales, l'apparition de nouveaux sports ainsi que le développement des activités physiques et sportives de pleine nature, qui s'inscrivent désormais, avec le schéma collectif du sport dans une dynamique d'aménagement du territoire.
Je tiens à remercier la commission pour son travail en ce domaine.

Cela étant, les vingt années qui viennent de s'écouler se caractérisent essentiellement par l'influence croissante des acteurs économiques dans le monde du sport.
Cette inscription d'une partie importante des activités sportives dans la sphère économique ne doit pas être diabolisée en elle-même.
Dans une certaine mesure, elle contribue en effet à conforter la reconnaissance sociale du fait sportif. C'est d'ailleurs dans cette perspective que j'organise, le 6 avril, une rencontre avec les grands dirigeants d'entreprises sur le rapport de celles-ci au sport.
Pour autant, chacun, chacune, s'accorde désormais à souligner, y compris parmi les acteurs économiques, les risques résultant d'une utilisation du sport pour des intérêts financiers, au détriment de son éthique, de son unité, de ses règles, et, en définitive, des sportifs, et sportives eux-mêmes.
Les illustrations de ces dérives inquiétantes ne manquent pas. Il s'agit, par exemple, des initiatives, heureusement contenues pour l'instant, de création des championnats privés.
Il s'agit aussi du rythme infernal des compétitions nationales et internationales qui ne peut que favoriser le recours au dopage.
Il s'agit encore des errements inadmissibles de certains intermédiaires qui font de l'argent sur la précarité de jeunes étrangers.
Aujourd'hui, plus encore que par le passé, seule une volonté politique déterminée et partagée par l'ensemble des acteurs concernés (Etat, collectivités territoriales, entreprises, le mouvement associatif sportif, et bien sûr les sportifs et sportives eux-mêmes) pourra préserver et promouvoir les valeurs que l'on prête au sport en terme d'éducation, de culture, d'éthique, de respect de soi et d'autrui, et de solidarité.
Cette exigence est d'autant plus forte, que la société n'a jamais autant sollicité les valeurs humanistes et citoyennes du sport.
Cette ambition est parfaitement réalisable, en rejetant les inévitables dérives de la déréglementation ou de l'étatisation, et en s'inscrivant dans une voie originale, si chère au regretté Nelson PAILLOU : celle d'une étroite coopération entre les pouvoirs publics, le mouvement sportif et, désormais, les acteurs économiques.
C'est le sens du présent projet qui a fait l'objet d'une très large concertation avec le mouvement sportif et tous les acteurs et actrices du sport. C'est également le sens de sa cohérence avec les lois votées en 1998 et 1999.

Le renforcement du service public du sport constitue notre premier objectif.
Dans ce domaine, ce qu'on appelle le modèle français est fondé sur une étroite complémentarité, un partenariat entre l'Etat, les collectivités territoriales et le mouvement sportif.
Entièrement reformulé, l'article 1er affirme la fonction éducative, sociale et culturelle du sport et organise les responsabilités dévolues aux différents acteurs concernés pour sa promotion et son développement.
Une attention toute particulière est portée à la vie démocratique et à l'égal accès des hommes et des femmes aux responsabilités et aux pratiques dans les clubs et dans les fédérations.
Les textes d'application de ces articles reprendront naturellement les préconisations issues de la mission confiée par le Premier ministre à Monsieur le Député François ASENSI.
Notre deuxième objectif porte sur le renforcement de l'unité et de l'indépendance du mouvement sportif.
Regroupées au sein du Comité National Olympique et Sportif Français dont les prérogatives sont renforcées par l'article 12, les fédérations sportives disposent désormais de moyens appropriés pour réguler les aspects économiques des pratiques organisées dans leur cadre.
L'article relatif aux intermédiaires du sport, encadre précisément l'exercice de cette activité. Je sais combien cet article constituera un point d'appui solide pour les fédérations qui veulent moraliser cette profession.
C'est le même objectif de cohésion que poursuit l'article 19. Il instaure une mutualisation d'une partie des ressources des droits de télévision en faveur du sport amateur, principalement pour aider au fonctionnement des clubs et à la formation des éducateurs. Il concrétise la nécessaire solidarité entre le sport professionnel et les autres formes de pratiques.
Vous le savez, cette disposition est approuvée par une très large majorité de l'opinion. Elle est soutenue par celles et ceux qui, dans les associations sportives, admettent de moins en moins qu'une partie du sport draine des sommes considérables et parfois indécentes, pendant que l'autre partie doit souvent se débattre avec les moyens du bord.
Elle est reconnue légitime, sur le fond, par un avis récent du Conseil Constitutionnel. Elle figure, dans son principe, parmi les recommandations du Président de la Commission de l'Union Européenne, pour sauvegarder les fonctions sociales du sport.
En Europe, elle a été adoptée par le gouvernement britannique, et elle vient d'être soutenue publiquement par ma collègue italienne. Lors de la prochaine présidence française de l'Union Européenne, je proposerai la généralisation de cette mesure.
Notre troisième objectif est de reconnaître la diversité des pratiques sportives, et de les valoriser.
Tout en soulignant le rôle majeur et irremplaçable du mouvement sportif dans cette dynamique de développement, il importe également de reconnaître la diversité des modes d'expression sportive et de soutenir les autres acteurs qui les promeuvent et les organisent.
Tel est l'objet de l'article 8 qui reconnaît l'apport des associations de jeunesse et d'éducation populaire.
En ce qui concerne les sports de pleine nature, plusieurs amendements visent à répondre à un besoin de liberté et de sécurité. Je m'en félicite.
Je peux d'ailleurs vous annoncer, à ce sujet, que j'organiserai en avril prochain une journée de travail regroupant tous les partenaires concernés.
Afin d'associer l'ensemble des acteurs du sport, le Conseil National des Activités Physiques et Sportifs (le CNAPS) devra pleinement remplir sa fonction de rencontres, d'échanges, d'analyses critiques et de propositions.
L'article 25 lui attribue explicitement cette mission et lui confie également deux nouvelles fonctions importantes :
Le pilotage de la politique de recherche dans le domaine du sport.
L'examen des normes d'équipements sportifs établies par les fédérations.
Des amendements visent encore à élargir ces missions notamment sur la place des femmes.
J'attache une très grande importance à ce que les textes d'application nécessaires au bon fonctionnement de cette instance paraissent très rapidement après la promulgation de la loi.
Je peux d'ores et déjà vous informer que j'envisage une composition du CNAPS qui pourrait s'articuler autour de sept collèges regroupant des représentants du CNOSF, des ministères concernés, des élus, des entreprises, des confédérations syndicales et patronales, des éducateurs sportifs ainsi que des experts et des personnalités qualifiées.
La consolidation du sport de haut niveau constitue notre quatrième objectif.
L'article 21 renforce le rôle majeur de la Commission Nationale du Sport de Haut Niveau.
L'article 22 donne une base législative solide à la reconnaissance des droits et des obligations des sportifs de haut niveau.
Les articles 23 et 24 améliorent notablement les possibilités d'insertion professionnelle et d'emploi des sportifs de haut niveau dans la fonction publique et dans les entreprises publiques et privées. Je note à travers vos amendements que vous souhaitez élargir l'accès au sport de haut niveau.

Le cinquième objectif est de moderniser l'organisation de l'encadrement des activités physiques et sportives.
Le développement de l'emploi et l'amélioration qualitative des pratiques nécessitent une profonde rénovation de l'organisation des métiers et des qualifications autour d'objectifs majeurs définis à l'article 32 :
L'intégration de l'ensemble du dispositif dans les règles communes du droit du travail et de la formation professionnelle est nécessaire. Cela permettra une meilleure protection des salariés, une reconnaissance du paritarisme social et une validation des expériences acquises, qu'elles soient professionnelles ou bénévoles.

Mesdames et Messieurs les Députés,
Si le sport est désormais reconnu à sa juste place, il ne peut évidemment pas s'affranchir des règles communes de la vie sociale et économique.
Il ne saurait être asservi à des logiques qui lui sont étrangères et, encore moins, être soumis aux seules lois du marché et des intérêts financiers.
Il lui appartient donc d'affirmer sa spécificité en tirant le meilleur profit de son positionnement au carrefour des fonctions éducatives, culturelles et sociales.
Le présent projet de loi a pour ambition de contribuer à cet objectif.
Ce projet, votre commission a souhaité l'amender, parfois sensiblement, sur une série de points.
Je note avec satisfaction que loin de remettre en cause les fondements même du texte initial, nombre de ces amendements renforcent la démarche du gouvernement dans ce domaine.
Je veux en particulier souligner combien j'apprécie vos propositions en faveur des bénévoles : congés de formation, validation des acquis, dégrèvements fiscaux.
Si votre assemblée adopte ces propositions, tous les bénévoles y verront un signe clair et concret d'une reconnaissance de leur rôle irremplaçable.
Elles constitueront une avancée considérable.
Mesdames et Messieurs les Députés, le débat que nous allons engager à présent, et les mesures précises qui en sortiront sont très attendues.
Je sais qu'au-delà des différentes sensibilités politiques, il existe, dans cette assemblée, un attachement et une attention à la place du sport dans notre société.
Je sais que nous sommes nombreuses, nombreux, à inscrire cet attachement dans le champ de la libération humaine.
Je vous remercie.

(source http://www.jeunesse.gouv.fr, le 2 février 2000)