Texte intégral
Egalité : que de tyrannies en ton nom !
L'adage est connu : qui veut noyer son chien l'accuse de la rage. En politique, la rage, c'est l'inégalité : il suffit d'invoquer l'égalité pour justifier les pires conservatismes. Aujourd'hui, les dévots de l'égalité s'en prennent à la décentralisation. Pourtant l'inégalité est la situation actuelle ! Et elle a été organisée par l'Etat central lui-même.
Pour aller en train de Bordeaux à Marseille, le plus simple est encore de passer par Paris. Toutes les autoroutes, toutes les lignes aériennes, tous les TGV convergent vers la capitale. Cette organisation des infrastructures, unique en Europe, laisse des territoires entièrement enclavés, privés des moyens élémentaires de leur développement.
A partir de la création par Vichy en 1943 de la direction de l'urbanisme et de l'habitat, le développement urbain a été retiré aux communes et totalement centralisé jusqu'à 1983 : c'est ainsi qu'ont été édifiés les grands ensembles devenus des " cités ", objets désormais de la politique de la ville.
Le résultat est malheureusement connu : concentration des handicaps sociaux et embolie des transports. Nous en payons aujourd'hui le prix fort : 200 000 logements sont à détruire. Aucun conseil municipal n'a jamais commis une catastrophe d'une telle ampleur.
En région parisienne, l'Ouest fut longtemps favorisé tandis qu'ailleurs l'installation d'activités était découragée, voire interdite. Puis, tardivement, on s'est avisé de déséquilibres qu'il allait falloir compenser ! En province, l'Etat central a choisi arbitrairement huit villes, qualifiées de " métropoles d'équilibre " : soutenues un temps, puis délaissées.
Toutes ces politiques à prétention stratégique ne durent souvent que le temps d'une mode ou d'une majorité.
Qui oserait dire qu'aucune autoroute n'a vu sa programmation déterminée par l'influence d'une personnalité nationale aux attaches locales ? Lorsque quelques rares délocalisations ont lieu, il faut reconnaître qu'elles sont généralement dirigées vers des implantations commandées aussi par les intérêts électoraux du pouvoir central. C'est une dégénérescence de la République, mais c'est un argument électoral admis, qu'une collectivité locale a intérêt, pour son développement, à avoir un ministre parmi ses élus.
L'égalité de nos territoires n'est pas garantie par l'Etat, notre histoire le montre. Il n'est pas vrai, non plus, que le meilleur service public soit nécessairement rendu par les collectivités les plus riches. Un examen attentif montre que les investissements des collectivités territoriales sont presque indépendants de leurs ressources.
Pour l'enseignement primaire, les communes bénéficient depuis Jules Ferry d'une décentralisation (bâtiments et personnels équivalents des TOSS). Il est donc facile de vérifier si les inégalités de ressources fiscales, qui sont parfois fortes, conduisent à des inégalités de traitement des enfants. En fait, il n'y a pas de corrélation réelle entre la richesse fiscale d'une commune et ses dépenses d'enseignement. Ainsi, Mazamet dépense 4 691 par élève pour une richesse fiscale qui n'est que de 462 par habitant, tandis que Berre-l'Etang ne dépense que 912 par élève pour une richesse fiscale qui est pourtant de 2 603 .
Dans le secteur social, il a souvent été affirmé que la décentralisation conduisait au repli sur les égoïsmes locaux et était dangereuse pour la cohésion sociale. Or l'Observatoire décentralisé de l'action sociale a montré que, de 1984 à 2001, les dépenses d'action sociale des départements avaient progressé de 120 %, tandis que le coût de la vie n'augmentait que de 50 %. La progression la plus importante a concerné l'insertion des personnes en difficulté et le traitement des handicapés. La comparaison des dépenses sociales avec le niveau de ressource des départements démontre une absence de corrélation. Plus que tout autre facteur, c'est la situation sociale de la population qui commande la dépense. Et, de manière générale, le niveau d'investissement dépend moins de la ressource que de la volonté politique des élus et de la demande des électeurs.
La décentralisation rend aux élus la capacité de faire des choix d'investissements qui correspondent aux besoins exprimés par leurs concitoyens. Grâce à cette proximité, loin de creuser les inégalités, elle favorise le rattrapage. L'expérience le démontre.
En effet, le rattrapage s'est fait à un double titre : d'une part, les collectivités locales ont dépensé plus et mieux que l'Etat, d'autre part les prestations fournies sur les différents points du territoire tendent à une plus grande homogénéité.
En 1983, le gouvernement Mauroy a décentralisé la construction des lycées et des collèges. Depuis lors, les départements ont construit 200 collèges et en ont reconstruit 350. Les régions, quant à elles ont ouvert 300 lycées.
Là où l'Etat avait peu investi, les collectivités locales ont opéré un rattrapage : en 1998, Paris a investi 1,68 par habitant pour ses collèges, parce que la capitale était bien équipée, mais le Var, nettement moins riche, a investi 74 , affichant ainsi comme politique la remise à niveau de ses collèges.
De 1984 à 1995, l'écart des budgets départementaux consacrés au soutien des personnes handicapées s'est réduit de 25 % et les départements en retard ont investi plus que les autres. Partout et dans tous les domaines, on observe que les écarts tendent à se réduire naturellement, par la confrontation et la comparaison des différentes politiques locales. Les élus s'observent entre eux, les électeurs comparent les situations. Le nivellement se fait alors par le haut.
La décentralisation favorise ainsi l'égalité. Pour renforcer et garantir cette tendance, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a inscrit dans la Constitution le principe de péréquation. Jusqu'alors, la compensation des inégalités par l'Etat était un thème de discours très prisé à gauche. La droite en fait une obligation constitutionnelle à laquelle l'Etat ne pourra plus déroger.
L'Etat distribue aux collectivités locales 58 milliards, environ le cinquième de son budget. On pourrait croire qu'il s'emploie à compenser les fortes inégalités de ressources fiscales : il n'en est rien. La complexité du financement de la vie locale par l'Etat favorise les inégalités les plus criantes et entretient une opacité qui ne permet pas de contrôle démocratique. Il n'y a en France pas plus de vingt personnes capables de comprendre les mécanismes de financement. Quant aux élus locaux, ils sont dans l'incapacité de vérifier la conformité à la loi des dotations qui leur sont attribuées. Sur les 58 milliards distribués par l'Etat, 2,7 milliards sont affectés à la compensation des inégalités territoriales. Cette somme modeste est distribuée de manière erratique et diluée. Chacun demande à être compensé de quelque chose : 75 % des communes de plus de 10 000 habitants bénéficient de la solidarité urbaine ou rurale, 50 % sont destinataires du Fonds national de péréquation de la taxe professionnelle !
Douai et Bobigny ont le même nombre d'habitants et touchent la même dotation de solidarité. Mais l'une n'a que 8 % de sa population vivant en zone urbaine sensible, tandis que l'autre en a 41 %.
Désormais, l'Etat doit organiser des compensations significatives au profit des territoires qui ont des difficultés et, en conséquence, réformer les finances locales.
La décentralisation est le droit, pour chaque collectivité, de gérer ses propres affaires : elle est la liberté même, et il faut apprendre à en user dans les petites choses pour en être capable dans les grandes. Il faut aimer l'égalité pour ne pas se laisser dominer, mais il faut aimer la liberté pour pouvoir s'en donner les moyens. Dans le jeu de la démocratie, entre liberté et égalité, c'est la liberté qui permet l'égalité et l'égalité qui garantit la liberté. Chaque fois que l'un des fondements de la République est affaibli, l'autre l'est à son tour. L'équilibre ne se trouve que par leur mouvement.
Par la décentralisation, les politiques qui réussissent en stimulent d'autres, par le centralisme, les politiques médiocres se généralisent. C'est par la décentralisation que toutes les forces de nos territoires pourront concourir au renouveau de la France.
(source http://www.interieur.gouv.fr, le 19 août 2003)
L'adage est connu : qui veut noyer son chien l'accuse de la rage. En politique, la rage, c'est l'inégalité : il suffit d'invoquer l'égalité pour justifier les pires conservatismes. Aujourd'hui, les dévots de l'égalité s'en prennent à la décentralisation. Pourtant l'inégalité est la situation actuelle ! Et elle a été organisée par l'Etat central lui-même.
Pour aller en train de Bordeaux à Marseille, le plus simple est encore de passer par Paris. Toutes les autoroutes, toutes les lignes aériennes, tous les TGV convergent vers la capitale. Cette organisation des infrastructures, unique en Europe, laisse des territoires entièrement enclavés, privés des moyens élémentaires de leur développement.
A partir de la création par Vichy en 1943 de la direction de l'urbanisme et de l'habitat, le développement urbain a été retiré aux communes et totalement centralisé jusqu'à 1983 : c'est ainsi qu'ont été édifiés les grands ensembles devenus des " cités ", objets désormais de la politique de la ville.
Le résultat est malheureusement connu : concentration des handicaps sociaux et embolie des transports. Nous en payons aujourd'hui le prix fort : 200 000 logements sont à détruire. Aucun conseil municipal n'a jamais commis une catastrophe d'une telle ampleur.
En région parisienne, l'Ouest fut longtemps favorisé tandis qu'ailleurs l'installation d'activités était découragée, voire interdite. Puis, tardivement, on s'est avisé de déséquilibres qu'il allait falloir compenser ! En province, l'Etat central a choisi arbitrairement huit villes, qualifiées de " métropoles d'équilibre " : soutenues un temps, puis délaissées.
Toutes ces politiques à prétention stratégique ne durent souvent que le temps d'une mode ou d'une majorité.
Qui oserait dire qu'aucune autoroute n'a vu sa programmation déterminée par l'influence d'une personnalité nationale aux attaches locales ? Lorsque quelques rares délocalisations ont lieu, il faut reconnaître qu'elles sont généralement dirigées vers des implantations commandées aussi par les intérêts électoraux du pouvoir central. C'est une dégénérescence de la République, mais c'est un argument électoral admis, qu'une collectivité locale a intérêt, pour son développement, à avoir un ministre parmi ses élus.
L'égalité de nos territoires n'est pas garantie par l'Etat, notre histoire le montre. Il n'est pas vrai, non plus, que le meilleur service public soit nécessairement rendu par les collectivités les plus riches. Un examen attentif montre que les investissements des collectivités territoriales sont presque indépendants de leurs ressources.
Pour l'enseignement primaire, les communes bénéficient depuis Jules Ferry d'une décentralisation (bâtiments et personnels équivalents des TOSS). Il est donc facile de vérifier si les inégalités de ressources fiscales, qui sont parfois fortes, conduisent à des inégalités de traitement des enfants. En fait, il n'y a pas de corrélation réelle entre la richesse fiscale d'une commune et ses dépenses d'enseignement. Ainsi, Mazamet dépense 4 691 par élève pour une richesse fiscale qui n'est que de 462 par habitant, tandis que Berre-l'Etang ne dépense que 912 par élève pour une richesse fiscale qui est pourtant de 2 603 .
Dans le secteur social, il a souvent été affirmé que la décentralisation conduisait au repli sur les égoïsmes locaux et était dangereuse pour la cohésion sociale. Or l'Observatoire décentralisé de l'action sociale a montré que, de 1984 à 2001, les dépenses d'action sociale des départements avaient progressé de 120 %, tandis que le coût de la vie n'augmentait que de 50 %. La progression la plus importante a concerné l'insertion des personnes en difficulté et le traitement des handicapés. La comparaison des dépenses sociales avec le niveau de ressource des départements démontre une absence de corrélation. Plus que tout autre facteur, c'est la situation sociale de la population qui commande la dépense. Et, de manière générale, le niveau d'investissement dépend moins de la ressource que de la volonté politique des élus et de la demande des électeurs.
La décentralisation rend aux élus la capacité de faire des choix d'investissements qui correspondent aux besoins exprimés par leurs concitoyens. Grâce à cette proximité, loin de creuser les inégalités, elle favorise le rattrapage. L'expérience le démontre.
En effet, le rattrapage s'est fait à un double titre : d'une part, les collectivités locales ont dépensé plus et mieux que l'Etat, d'autre part les prestations fournies sur les différents points du territoire tendent à une plus grande homogénéité.
En 1983, le gouvernement Mauroy a décentralisé la construction des lycées et des collèges. Depuis lors, les départements ont construit 200 collèges et en ont reconstruit 350. Les régions, quant à elles ont ouvert 300 lycées.
Là où l'Etat avait peu investi, les collectivités locales ont opéré un rattrapage : en 1998, Paris a investi 1,68 par habitant pour ses collèges, parce que la capitale était bien équipée, mais le Var, nettement moins riche, a investi 74 , affichant ainsi comme politique la remise à niveau de ses collèges.
De 1984 à 1995, l'écart des budgets départementaux consacrés au soutien des personnes handicapées s'est réduit de 25 % et les départements en retard ont investi plus que les autres. Partout et dans tous les domaines, on observe que les écarts tendent à se réduire naturellement, par la confrontation et la comparaison des différentes politiques locales. Les élus s'observent entre eux, les électeurs comparent les situations. Le nivellement se fait alors par le haut.
La décentralisation favorise ainsi l'égalité. Pour renforcer et garantir cette tendance, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a inscrit dans la Constitution le principe de péréquation. Jusqu'alors, la compensation des inégalités par l'Etat était un thème de discours très prisé à gauche. La droite en fait une obligation constitutionnelle à laquelle l'Etat ne pourra plus déroger.
L'Etat distribue aux collectivités locales 58 milliards, environ le cinquième de son budget. On pourrait croire qu'il s'emploie à compenser les fortes inégalités de ressources fiscales : il n'en est rien. La complexité du financement de la vie locale par l'Etat favorise les inégalités les plus criantes et entretient une opacité qui ne permet pas de contrôle démocratique. Il n'y a en France pas plus de vingt personnes capables de comprendre les mécanismes de financement. Quant aux élus locaux, ils sont dans l'incapacité de vérifier la conformité à la loi des dotations qui leur sont attribuées. Sur les 58 milliards distribués par l'Etat, 2,7 milliards sont affectés à la compensation des inégalités territoriales. Cette somme modeste est distribuée de manière erratique et diluée. Chacun demande à être compensé de quelque chose : 75 % des communes de plus de 10 000 habitants bénéficient de la solidarité urbaine ou rurale, 50 % sont destinataires du Fonds national de péréquation de la taxe professionnelle !
Douai et Bobigny ont le même nombre d'habitants et touchent la même dotation de solidarité. Mais l'une n'a que 8 % de sa population vivant en zone urbaine sensible, tandis que l'autre en a 41 %.
Désormais, l'Etat doit organiser des compensations significatives au profit des territoires qui ont des difficultés et, en conséquence, réformer les finances locales.
La décentralisation est le droit, pour chaque collectivité, de gérer ses propres affaires : elle est la liberté même, et il faut apprendre à en user dans les petites choses pour en être capable dans les grandes. Il faut aimer l'égalité pour ne pas se laisser dominer, mais il faut aimer la liberté pour pouvoir s'en donner les moyens. Dans le jeu de la démocratie, entre liberté et égalité, c'est la liberté qui permet l'égalité et l'égalité qui garantit la liberté. Chaque fois que l'un des fondements de la République est affaibli, l'autre l'est à son tour. L'équilibre ne se trouve que par leur mouvement.
Par la décentralisation, les politiques qui réussissent en stimulent d'autres, par le centralisme, les politiques médiocres se généralisent. C'est par la décentralisation que toutes les forces de nos territoires pourront concourir au renouveau de la France.
(source http://www.interieur.gouv.fr, le 19 août 2003)