Déclaration de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur la situation internationale marquée notamment par la mondialisation, la politique étrangère et l'amélioration des moyens et de la gestion du ministère des affaires étrangères, Paris le 29 août 2000.

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Circonstance : Ouverture de la 8ème conférence des ambassadeurs à Paris le 29 août 2000

Texte intégral

Messieurs les Sénateurs,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Chers amis,
Nous voilà réunis à l'occasion de cette huitième Conférence des Ambassadeurs, pour la quatrième fois en ce qui concerne Pierre Moscovici et moi-même, et je voulais dire également Charles Josselin, mais il n'est pas parmi nous ce matin, car il se trouve à Tripoli, pour accueillir nos trois compatriotes qui étaient retenus en otages à Jolo et qui ont été libérés dimanche.
Je voudrais à cette occasion, avant d'aller plus loin dans mon propos, rendre hommage à tous les agents du ministère, en particulier à tous les agents de la DFAE, qui ont été mobilisés depuis le premier jour de cette prise d'otages, et des autres d'ailleurs, qui l'ont fait tout de suite, même spontanément, avant toute instruction ou toute incitation de la presse à le faire, bien sûr, qui l'ont fait parce que c'est leur travail, et qui le font très bien, avec dévouement, abnégation, je pense notamment au contact quotidien avec les familles. Ils font un beau travail dont nous pouvons tous être fiers.
Cette conférence est devenue le rendez-vous clé de la diplomatie française. C'est l'occasion de préciser nos diagnostics sur les rapports de force mondiaux, de nous interroger sur la pertinence de nos analyses et d'évaluer lucidement les progrès réalisés et les difficultés rencontrées dans l'accomplissement de nos objectifs.
Hier le président de la République vous a présenté les grandes orientations internationales et de nombreuses propositions de la France. Jeudi, le Premier ministre vous recevra à l'Hôtel Matignon et s'adressera à vous. Dans l'intervalle, vous aurez rencontré, à l'occasion de tables rondes ou de déjeuners de travail, plusieurs ministres et de nombreux invités extérieurs, toujours heureux d'être associés à nos travaux.
Ce matin, pour ouvrir nos travaux, je vais aborder devant vous deux grands sujets :
1 - D'abord, la situation internationale et notre politique étrangère ;
2 - L'état de l'outil diplomatique, et la poursuite de l'indispensable action de modernisation du ministère, donc les thèmes que j'ai abordés au cours des occasions précédentes.
I - Je commence par la situation internationale et notre politique étrangère et je partirai des données de base du monde actuel.
La globalisation se poursuit sous l'effet des progrès techniques, notamment des nouvelles technologies de communication ; de la circulation de plus en plus libre des capitaux et des investissements ; de la diffusion instantanée des informations et de la liberté de manoeuvre des médias ; plus généralement de l'extension - à la fois géographique et à de nouveaux domaines - de l'économie libérale et concurrentielle de marché, qui entraîne un accroissement exponentiel de la compétition et des luttes d'influences.
La globalisation comporte beaucoup d'aspects positifs notamment économiques, c'est évident. Mais il y a le revers de la médaille : face à ce phénomène, on le sait, les Etats sont affaiblis, souvent sur la défensive, même quand ils coopèrent entre eux.
Toutes sortes de forces contribuent à cet affaiblissement et en profitent. Je relève d'ailleurs que les forces économiques tendent à la globalisation et au gigantisme tandis que les forces politiques vont vers la fragmentation voire l'atomisation. Mais ce n'est pas le lieu de développer cette idée, il faudrait un séminaire. Ces forces ont en commun de contourner les Etats, ou de vouloir leur échapper et de réduire leur emprise même quand il s'agit d'Etats de droit démocratiques. Elles se fondent sur l'individu consommateur plutôt que sur le citoyen. Ce phénomène est plus net en Europe qu'ailleurs. La "société civile internationale" renforce cette tendance au contournement des Etats. Et cela appelle des réponses intelligentes et appropriées.
- Les grandes entreprises mondiales et les principaux fonds de pension, les uns et les autres avant tout américains, modèlent et façonnent, chaque jour, sans état d'âme le monde, la société, le mode de vie qui sont les nôtres. Ils estiment même disposer d'une légitimité égale à celle des gouvernements. On le voit dès qu'on prête attention à ce qu'ils déclarent et à la façon dont ils commentent leurs résultats.
- Du fait de tous ces facteurs, les régulations multilatérales et intergouvernementales type ONU et Bretton-Woods, élaborées dans un autre contexte, piétinent. Pourtant, elles sont plus nécessaires que jamais en raison des problèmes globaux et du pullulement des acteurs de la vie internationale, acteurs publics ou privés, légaux ou illégaux.
C'est pourquoi je ne conclus pas à l'inanité ni à l'impuissance des politiques publiques, ni des politiques étrangères. Bien au contraire. Seule la politique assure légitimement la prise en compte du long terme dans la vie de nos sociétés et l'arbitrage entre les intérêts, ce que ne peuvent faire ni les marchés ni les individus.
D'autant que plus la globalisation progresse, plus les aspirations à la régulation se font fortes : en Europe une grande partie de l'opinion, presque tous les partis politiques demandent plus de régulation, presque tous les gouvernements y travaillent, comme le font partout dans le monde les ONG responsables. La plupart des pays en développement la réclament. La Russie veut participer pleinement au G 8, la Chine veut adhérer à l'OMC, l'Inde veut être un pôle d'un monde multipolaire. Des références communes se répandent. Les Etats-Unis, pour leur part, maintiennent une certaine ambivalence sur cette question qui ne peut nous étonner.
- Dans ce contexte de mondialisation et de négociations multiples et ininterrompues, je crois que les politiques étrangères, et donc l'outil diplomatique, sont plus nécessaires que jamais - ce qui va sans dire, mais va encore mieux en le disant - car je ne vois pas qui, ONG, médias, entreprises ou juges, pourrait se substituer aux diplomates dans leur travail de synthèse, de prospective, de fixation des priorités de négociations, d'élaboration des compromis, et de mise en oeuvre opérationnelle. Nous devons tenir compte de tous ces phénomènes, mais affirmer notre rôle sans état d'âme.
Je combats aussi l'idée erronée, je l'ai fait dans mon livre récent, que la perspective de la PESC nous conduirait inéluctablement à nous fondre dans une politique étrangère européenne unique - ce que personne n'a décidé - réduite à des déclarations et commentaires divers de la présidence en exercice de l'Union européenne. Notre objectif est de bâtir, nous nous y employons chaque jour, une vraie politique commune. Mais, je l'ai écrit : personne ne gagnerait rien à une harmonisation par le bas, et il n'y aura pas d'actions communes extérieures efficaces de l'Union européenne sans politique étrangère française forte. C'est une valeur ajoutée pour l'Europe.
- Tout cela nous ramène à la nécessité d'une vraie politique étrangère française et donc d'un outil diplomatique performant. Bien sur, tout est dans la justesse de l'analyse et des objectifs, dans l'adéquation des moyens, et dans la manière.
Voyons maintenant où nous en sommes par rapport à l'an dernier sur quelques-uns uns de ces points.
Commençons par l'Europe.
Pierre Moscovici développera tout à l'heure, sur tous les aspects et sur tous les plans, la façon dont nous menons notre présidence.
Je me concentrerai sur la réforme des institutions. Au moment où nous nous réunissons, il reste un mois et demi avant le Conseil européen de Biarritz, un peu plus de trois mois avant celui de Nice. Nous nous y sommes préparés de longue date, d'autant que nous étions bien conscients des attentes à la fois très fortes et contradictoires qui étaient exprimées auprès de notre pays à cette occasion. C'est d'ailleurs pour cela que Pierre Moscovici et moi-même avions mis en garde contre l'illusion que la Présidence française pourrait tout résoudre et nous avions rappelé la différence entre magie et politique. Nous avons nos projets et nos priorités préférentielles : la croissance, l'emploi, la modernisation, l'Europe des citoyens, les valeurs européennes. Mais la question obsédante de la réforme des institutions s'impose à nous sur fond paradoxal de confiance générale nourrie par la croissance, de malaise sur le système communautaire, de propositions et d'interrogations sur l'avenir de l'Europe.
Je me bornerai à quelques remarques sur ce dernier point :
Au sein de la CIG, la véritable négociation n'a pas commencé. Les délégations en restent encore à l'exposé des positions nationales. Nous allons tout faire, Pierre Moscovici et moi, pour les faire entrer sans attendre dans le vif des négociations. Nous verrons juste avant le Conseil européen extraordinaire de Biarritz les 13 et 14 octobre où nous en sommes. Puis la période entre Biarritz et Nice sera décisive.
Je rappelle qu'un bon accord à Nice est celui qui permet aux institutions européennes de fonctionner à quinze, et même après l'élargissement, et d'éviter la paralysie. Nous l'avons dit, cela a été redit par le président de la République et le Premier ministre : mieux vaudrait un constat d'échec qu'un accord au rabais.
La toile de fond de cette négociation c'est l'avenir à long terme de l'Europe qui a fait l'objet ces derniers mois de diverses propositions. Chacun de vous a bien sur à l'esprit le discours que le président de la République a prononcé devant le Bundestag sur les possibles étapes futures de la construction européenne, et dont il vous a rappelé hier après-midi l'essentiel.
Ce débat a été dopé depuis la prise de conscience, fin 1999, de la proximité d'un nouvel et grand élargissement. L'évidence s'est imposée que l'Union, qui a déjà du mal à fonctionner à quinze, ne le pourrait plus à 20 ou à 25 et a fortiori à 30 ou plus. Ce débat a suscité beaucoup d'interventions en France où on a le goût des spéculations et une certaine idée de nos responsabilités européennes, et en Allemagne, a provoqué, en particulier, le discours de Joschka Fischer. Dans les autres pays on est resté vigilant et circonspect. Je vais essayer de résumer les termes de ce débat.
Certains proposent d'abord de réformer plus hardiment les institutions de l'ensemble de l'Union. C'est la démarche de la CIG, poussée plus loin. D'autres pensent en revanche que c'est peine perdue, ou que cela ne suffira pas. Parmi ceux qui continuent à croire à la réforme des institutions de l'ensemble de l'Union, certains voudraient préserver l'équilibre actuel voire revenir à un système plus intergouvernemental, d'autres préconisent au contraire un bond en avant dans le fédéralisme, en fait un changement de nature de l'Union.
Mais beaucoup de voix s'élèvent pour prévoir, ou affirmer que la "méthode communautaire" - cette approche progressive pour l'ensemble de l'Union - a atteint ses limites ou qu'elle les atteindra avec les conclusions de l'actuelle CIG. Ils en tirent la conclusion qu'il faudra inévitablement qu'une avant-garde se dégage, faute de quoi ce sera l'enlisement. Lamers et Schauble avaient choqué il y a quelques années en proposant un "noyau dur", d'abord parce que toute formule d'Europe à deux vitesses entraînait des réactions de principe très vives, mais en plus parce que ce noyau aurait été arbitrairement composé et fermé sur lui-même. Cette erreur tactique n'a été commise par aucun de ceux qui se sont prononcés ensuite dans le même sens, quelle que soit l'appellation utilisée par l'avant-garde. Certes, il y a toujours autant de pays qui refuseraient, et prétendraient même empêcher, que se constitue un quelconque groupe central sans eux, c'est pour cela que je parlais tout à l'heure de leur vigilance, mais ils ont été durant ce débat du printemps d'une remarquable discrétion. Tout au plus peut-on noter la réponse du berger britannique à la bergère franco-allemande : Londres a repris ses appels à l'élargissement présenté à nouveau comme la priorité absolue. Ce n'est pas innocent.
Donc, premier terme de ce débat : parle-t-on de l'ensemble ou d'une avant-garde ? Je rappelle à ce sujet que dans l'espoir d'éviter des controverses inutiles, j'avais fait remarquer que des coopérations renforcées (dès lors qu'elles seraient suffisamment assouplies pour être rendues utilisables) auraient un double usage : permettre classiquement des coopérations pragmatiques, projet par projet, à ceux qui le voudraient mais aussi permettre à ceux qui le décideraient d'avancer vers le fédéralisme.
Autre grand terme du débat : reste-t-on à la combinaison actuelle de fédéralisme et d'intergouvernementalité ou passe-t-on carrément au fédéralisme ? C'est à cet égard Joschka Fischer qui a été le plus loin avec sa comparaison avec les Etats-Unis d'Amérique et son président fédéral, élu au suffrage universel, chargé de la politique étrangère et de la défense.
Là-dessus se greffe le débat sur une éventuelle constitution européenne. A proprement parler, il ne peut y avoir de "constitution ?" qu'au nom d'un peuple souverain et que pour organiser un Etat. En l'occurrence il s'agirait donc plutôt d'un nouveau traité entre Etats membres définissant des arrangements constitutionnels. Mais le mot, tout en ayant l'avantage de plaire aux pro- et aux anti-européens, a acquis une force propre qui répond à un besoin de clarté et de lisibilité. Cependant, dans un stade ultérieur de ce débat la question ne sera plus seulement : "faut-il une constitution" mais "quelle constitution ?". C'est-à-dire : quelle répartition des pouvoirs entre l'Union, l'éventuelle fédération des Etats-nations, l'Etat-nation, les régions ? La question "qui fait quoi ?" que rappelait hier le président de la République. Et ensuite : quel contrôle et quel arbitre de cette répartition des pouvoirs, dès lors qu'on ne voudrait pas aller jusqu'au gouvernement des juges. On mesure la gravité des enjeux qui sont devant nous. Et dès les conclusions de Nice, ou juste après, nous aurons à nous déterminer sur la façon d'aborder certains de ces points. Je suis convaincu en tout cas que le système fédéral classique ne peut être "plaqué" sur les Etats-nations européens, et même sur l'Union européenne, et qu'il faudra encore inventer. J'ai la conviction également que nous y parviendrons, mais dans l'immédiat, et au préalable, si l'on ne veut pas que tout cela soit des spéculations vaines, il faut réussir Nice.
J'en viens maintenant à l'état du reste du monde. Où y a-t-il des éléments nouveaux, des modifications des rapports de force, des inflexions probables qui pourraient nous amener à corriger notre politique.
Et d'abord, disons un mot des Etats-Unis
Les résultats des élections présidentielles et législatives américaines peuvent-ils modifier en profondeur le cours de la politique étrangère des Etats-Unis ? Je ne le pense pas. Il y a un consensus très fort aux Etats-Unis sur le rôle de leader qui doit être le leur dans le monde, même s'ils débattent parfois marginalement des modalités. Les deux grands partis participent à ce consensus. Il y a bien sûr des différences de style, d'homme, de tactique. A un moment donné et sur un point précis -le Proche-Orient par exemple, le NMD...- ce n'est pas sans importance bien sûr, il peut y avoir des différences, mais pas globalement, ni sur le long terme.
Mon hypothèse est la poursuite, ou le renforcement du pouvoir des Etats-Unis, fondé sur leur capacité d'attraction et leur capacité à s'identifier aux formes actuelles de la mondialisation, à les exporter, à en bénéficier.
Il faut être cependant attentif, pour en voir les développements possibles, à la montée d'une sorte de néo-unilatéralisme (qui est le contraire de l'isolationnisme), conception qui résulte mécaniquement de la situation d'hyperpuissance. Elle remet en question l'idée même que les Etats-Unis doivent négocier avec les autres, adversaires ou alliées. Pour un pays dans cette position, c'est la notion de partenariat qui est la plus difficile à admettre et à pratiquer. Je vous conseille à cet égard la lecture édifiante d'un article récent de Zbigniew Bzrezinski ("Vivre avec la nouvelle Europe", dans la revue "The national interests").
Dans tous les cas nous aurons intérêt à maintenir notre attitude, celle que j'avais formulée en 1997 et constamment depuis. Nous devons savoir dire oui ou non, coopérer ou résister selon les cas, sans cesser de dialoguer. Oui, lorsque les Etats Unis s'engagent dans la solution véritable des crises. Non, lorsque l'unilatéralisme inspire des décisions qui ne sont pas conformes à nos intérêts économiques ou stratégiques, ni favorables à nos ambitions politiques pour l'Europe, ni propices à une approche multilatérale des défis globaux.
La France n'a pas à renoncer à avoir sa vision propre de l'organisation du monde, que cela plaise ou non, mais quels que soient les sujets, tout ceci doit s'accompagner d'un dialogue constant avec les responsables américains.
J'ai du ainsi, lors de la Conférence de Varsovie, refuser de souscrire à une tentative d'instrumentalisation des aspirations mondiales à la démocratisation qui visait à créer une sorte de nouveau "caucus" au sein de l'ONU, qui aurait reçu ses instructions du Département d'Etat, dès lors qu'on lisait attentivement les textes qui étaient préparés. J'ai regretté de ternir ainsi cette conférence polonaise car j'ai de l'amitié pour Bronislav Geremek, mais les Polonais n'auraient pas dû se prêter à cette opération douteuse ou inutile. En revanche la discussion sur la démocratisation dans le monde, ce qui la favorise ou non est indispensable.
Parlons maintenant de la Russie. Les événements récents ne doivent pas nous faire oublier les éléments structurants. Il sera long et ardu et en fait sans précédent de bâtir une Russie moderne à partir des ruines de l'URSS et de l'héritage de siècles de despotisme. C'est cette mutation que notre politique vise à accompagner, mais parce que notre intérêt est d'avoir un voisin prospère et stable, réglant pacifiquement ses problèmes de voisinage ou de minorités. Aider la Russie était justifié. L'aider les yeux fermés était une erreur. L'inciter à déréguler sans frein son économie, sans qu'un Etat moderne soit prêt à assumer, son rôle témoignait d'un aveuglement idéologique ou d'un calcul détestable. Ce n'est pas la France qui a défendu cette ligne, mais c'est celle qui a été défendue globalement par les Occidentaux. On voit le résultat. Je souscris sans réserve à la nécessité d'une vigilance accrue quant à l'utilisation de l'aide. Mais j'ai aussi proposé avec Laurent Fabius à nos collègues occidentaux de réfléchir à mieux adapter notre aide aux besoins de la Russie. Ce qui implique :
1) un peu d'autocritique ;
2) d'accepter qu'il se crée un Etat russe efficace.
L'accueil réservé à mes propositions a été positif auprès des ministres des Affaires étrangères et des Chefs d'Etat et de gouvernement, mitigé auprès des ministres des Finances, et des institutions financières internationales. L'Union européenne a repris en gros nos thèses, mais les Etats-Unis disent craindre que toute référence à l'Etat ne soit utilisable, ou utilisée, par le président Poutine pour justifier une reprise en mains autoritaire, que ne rejetterait pas d'ailleurs, jusqu'à un certain point, une partie du peuple russe. En fait la crainte américaine est idéologique, et paradoxale : les sociétés et les économies libérales ont toutes des vrais Etats et des institutions fortes et respectées. Je suis convaincu pour ma part que l'on peut aisément faire la part entre Etat autoritaire et Etat démocratique, moderne, efficace, celui-là même dont la Russie a besoin.
D'ailleurs, le choc de la tragédie du Koursk devrait conduire le président Poutine à ne pas s'en tenir à une approche moderniste trop vague et à une posture de redressement patriotico-nationaliste, mais à rechercher les moyens d'une vraie modernisation, urgente.
Donc, notre politique combine :
1) dialogue franc ;
2) aide ;
3) vigilance sur l'usage de l'aide ;
4) réorientation de l'offre d'aide ;
5) maintien de la pression pour une solution politique en Tchétchénie. Tout cela n'a pas pu être traité au G 8. Nous travaillons à le faire lors de la rencontre Union europénne-Russie du 30 octobre. J'irai à Moscou le 29 septembre pour la préparer.
Entre les Russes et nous se trouvent les pays baltes, l'Europe centrale et orientale, les Balkans et Chypre. Les choses sont claires avec les douze nouveaux pays dont nous négocions actuellement l'adhésion. La question des frontières de l'Europe se pose sans doute à propos de la Turquie, de l'Ukraine, de la Moldavie, de la Biélorussie, mais pas à propos des Balkans. A leur sujet, les vraies incertitudes concernent la Bosnie, l'Albanie, la Macédoine, la Serbie et donc le Monténégro et le Kosovo. C'est à la fois peu et beaucoup. Le maintien de Milosevic est une illustration presque caricaturale de ma thèse sur la contre-productivité, sauf exception, des sanctions. Les Européens sont de plus en plus nombreux à en être convaincus. Nos propositions alternatives se heurtent encore aux manoeuvres de retardement des Britanniques et des Néerlandais, inspirées par les réticences américaines. Je vais remettre le sujet sur la table au prochain Gymnich. Dans la situation où nous sommes, je pense qu'il vaut mieux malgré tout que l'opposition participe activement aux élections du 24 septembre. A défaut de candidat commun, au moins peut-on attendre des opposants, un programme commun simple à formuler : 1) la démocratie ; 2) le rapprochement avec l'Europe. L'opposition peut faire un bon score et la population exprimer son aspiration au changement. Tous les problèmes ne disparaîtraient pas avec Milosevic, mais au moins ils changeraient radicalement de nature.
Au Kosovo, les élections du 28 octobre sont une épreuve de vérité. Qu'elles soient bien préparées et qu'elles se déroulent correctement et c'est le premier fondement du Kosovo démocratique qui aura été posé, quel que soit le statut futur.
L'heure est à la persévérance. Personne ici, je suppose, ne pouvait imaginer que notre engagement pour l'européanisation des Balkans serait une brève partie de campagne. Le sommet Union européenne/Balkans occidentaux dont vous a parlé hier le président de la République devrait envoyer le 24 novembre depuis Zagreb un message très clair sur la démocratie, sur l'Europe, à l'opinion serbe.
Enfin une remarque : s'il doit y avoir dans les années à venir entre Européens et Américains des divergences sur la place de l'Europe dans le monde et sur les vocations respectives de l'Union européenne et de l'OTAN, c'est dans cette zone là, qui va de Tallin à Nicosie qu'elles se manifesteront. Il faut en être conscient pour les prévenir par le dialogue et les positions appropriées.
Au Proche-Orient, je n'hésite pas là à dire qu'il y a eu de vrais changements, et qu'il peut y en avoir de plus grands encore. Si un processus de paix a pu naître, il y a huit ans, c'est bien parce que des forces sont à l'oeuvre dans les deux camps pour trouver une issue malgré les dogmes sous l'effet de la lassitude, du réalisme et peut-être même de l'évolution des mentalités. Je veux dire tout simplement l'aspiration à la paix de la part des populations israélienne, palestinienne et arabes. Il y a ensuite des hauts et des bas. Mais, récemment à Camp David, le président Clinton et Madeleine Albright ont fait sauter des verrous et des tabous sur les réfugiés et sur Jérusalem, grâce à l'attitude qu'ont finalement adoptée Barak et Arafat. Bravo. Mais tout cela n'a de sens que s'il y a un second temps, et une conclusion. Ce n'est pas impossible, car chaque protagoniste a à redouter l'échec et surtout pourquoi avoir été aussi loin pour en rester là ? J'estime que tous les pays qui ont de l'influence, à commencer par nous, doivent tout faire pour que cela réussisse. C'est ce que nous faisons ces jours-ci mêmes, en travaillant avec les uns et les autres sur les questions les plus difficiles, Jérusalem et les réfugiés. J'ajoute que cela va faire un an que nous réfléchissons à la problématique nouvelle du Proche-Orient en paix et du rôle nécessairement plus fort qui sera celui de l'Europe.
J'irai plus vite sur les autres sujets car je ne veux pas tout énumérer mais seulement souligner les tendances et les changements principaux.
Notre politique dans le monde arabe se poursuit activement sur les bases que vous connaissez bien.
A propos de l'Irak, nous continuons à préconiser une politique de sécurité qui puisse se passer des cruautés et des absurdités de l'embargo. Mais il faudrait un minimum de coopération de la part des Irakiens !
En Afrique, il y a toujours des éléments contradictoires. Sont encourageants, la résolution, par les Africains eux-mêmes, de quatre crises, le dynamisme régional, une évolution politique dans l'ensemble favorable en Afrique francophone, les positions communes que les Africains ont réussi à adopter sur l'OMC, la dette, et les liens culturels. De l'autre côté, les conflits de la Sierra Leone, et des Grands Lacs et surtout les difficultés persistantes, troublantes à la longue, de ces Etats à réaliser un développement et une démocratisation durables. Notre politique n'est plus celle de l'intervention, elle est celle de l'engagement actif et solidaire, et nous nous efforçons de coller au mieux aux intérêts et aux besoins réels des Africains, de tous les Africains, ce qui suppose de notre part aussi certaines remises en cause.
Ce matin, Charles Josselin, s'il avait été là, aurait du développer l'ensemble de notre politique de coopération, pas uniquement sur l'Afrique.
Concernant la Méditerranée, nous ne pouvons pas aborder la réunion de Barcelone IV à Marseille en novembre comme s'il s'agissait uniquement de poursuivre la même politique que depuis Barcelone et d'adopter enfin la charte de sécurité. Les pays du Sud sont trop mécontents de Meda pour que nous puissions ignorer leur état d'esprit ! Il va falloir donc au préalable une évaluation sans complaisance de Meda, et prendre les mesures nécessaires pour repartir d'un bon pied.
A propos de l'Asie, je ne vais pas évoquer en détail les nombreuses rencontres et visites et des sommets prévus au titre de la présidence française. Je dirai seulement que dans cette immense zone, comme sur d'autres continents où nous ne sommes pas le principal partenaire, interlocuteur ou protagoniste, nous faisons, le président de la République, le Premier ministre, Charles Josselin et moi, le Secrétaire général et nombre d'entre vous, ajouterai-je, par nos contacts et nos voyages, un travail persévérant pour tisser des liens, créer des habitudes de consultation qui n'existaient pas auparavant, mieux analyser chaque situation à l'intérieur de l'Asie, mieux faire connaître nos positions, tout cela en jouant autant sur les cordes économique et culturelle que politique et diplomatique. Et, lentement mais sûrement, je constate que cela donne des résultats.
C'est vrai en Asie, c'est vrai en Amérique latine où on peut ressentir une demande, voire un désir de France.
Il me reste à me demander, faisant écho à mon introduction, si nous progressons ou non vers une meilleure régulation de la mondialisation en cours.
La réforme du Conseil de sécurité n'avance pas et les Etats-Unis sont constamment tentés de le contourner par le G 8, par des initiatives ad hoc type Varsovie, ou encore des actions unilatérales. Les propositions de Dominique Strauss-Kahn sur les institutions financières internationales se sont heurtées à l'hostilité américaine, qui ne veut pas élargir les responsabilités du FMI.
Faute de préparation adéquate, l'accord n'a pu se faire à Seattle sur le lancement à l'OMC d'un nouveau cycle de négociations ouvert aussi à l'environnement, au principe de précaution, à la sécurité alimentaire. Du coup, la victoire que les manifestants croient avoir remportée est à la Pyrrhus car nous sommes tenus de négocier sur la base plus étroite de Marrakech. D'ailleurs, les contestataires s'en prennent curieusement plus aux lieux ou aux mécanismes de régulation (fut-elle imparfaite) qu'à la globalisation par nature insaisissable. Essayons de faire sortir un progrès de cette confusion qui traduit une vraie prise de conscience sans prendre, pour autant, pour des lanternes, les nombreuses vessies de la société civile internationale. Concernant les nouvelles normes, le combat doit être mené au sein de l'OMC mais pas contre elle, et dans toutes les enceintes internationales ou des règles adoptées peuvent être élaborées. En veillant à la cohérence de l'ensemble.
Parmi les progrès à citer, je relève quand même un certain nombre de choses qui doivent nous encourager : l'établissement, en juin dernier, par le GAFI, pour lutter contre le blanchiment, d'une liste de pays défaillants ; la Conférence de Paris de mai 2000 contre la cyber-criminalité ; la convention de Montréal en mai 2000 réglementant les échanges internationaux sur les OGM ; les progrès des discussions au CODEX Alimentarius sur la définition du principe de précaution indispensable pour en éviter les utilisations rétrogrades. Le lancement des travaux au sein de l'OMI pour renforcer la sécurité des transports maritimes. Vous connaissez la détermination et la ténacité du Premier ministre en matière de régulation et elle inspirera le gouvernement dans toutes les négociations à venir en matière d'environnement en particulier et dans toutes les négociations ayant une dimension de régulation en général.
En matière de justice internationale 14 pays ont ratifié le statut de la CPI - je rappelle qu'il en faut encore 46 pour que le statut entre en vigueur -. La levée de l'immunité du Général Pinochet donne raison à ceux qui pensaient qu'il fallait faire confiance à la démocratie et à la justice chilienne.
En matière de développement, il ne faut pas se contenter du thème-alibi de la lutte contre la pauvreté lancé par les institutions financières internationales pour amortir le choc des conséquences de leurs politiques d'ajustements structurels. Certes l'aide demeure indispensable mais le problème n'est pas purement quantitatif. Par exemple, 9 milliards d'euro des 6e, 7e et 8e F.E.D. n'ont pu être décaissés et cela n'est pas du uniquement à la bureaucratie communautaire. J'entends bien les experts qui demandent une aide massive et concentrée pour les pays fragiles, et là-dessus, il y a peut-être à revoir les méthodes. Mais il est peut-être temps d'oser se demander pourquoi certains pays très aidés ne se développent pas et pourquoi d'autres qui l'ont peu été se sont développés et en tirer des conclusions pratiques. L'objectif pour l'aide au développement devrait être qu'elle devienne un jour superflue.
La question est de savoir comment enclencher une dynamique de développement durable, sans doute avec une aide massive au départ, mais qui ne peut être une fin en soi, et d'insertion dans les échanges mondiaux.
De même une réflexion non convenue doit être poursuivie sur la démocratisation. Qu'est ce qui la favorise vraiment ? Est-elle réductible à l'occidentalisation ? J'ai abordé ce thème sensible plusieurs fois cette année à l'IFRI, à l'IRIS, à Varsovie... J'ai reçu de très nombreux témoignages d'intérêt, une ou deux protestations, quelques signes de perplexité, peu de réponses argumentées, sauf de certains étrangers. Je voudrais que ce débat soit poursuivi et vraiment nourri.
Deux notations pour clore cette partie. Notre discours sur la multipolarité plaît, selon les moments, aux Chinois, aux Russes, ou aux Indiens, et je crois que nous avons fondamentalement raison. Mais la réalité en reste loin, ce qui ne veut pas dire qu'il faille accepter l'unipolarité. Avec la diversité culturelle nous avons trouvé une formule bien plus attractive parce qu'elle répond à une vraie attente que celle antérieure "d'exception culturelle". Sur ce terrain, TV 5 a doublé son audience, l'AFAA est plus dynamique que jamais. Ce sont des signes encourageants qui démontrent notre combativité, mais les forces de nivellement sont quand même à l'oeuvre, ne l'oublions pas.
Je vous parle comme toujours sans détour, nous ne pouvons admettre que la globalisation galope et que la régulation, à quelques avancées près, piétine. Vous savez que le président, le Premier ministre, tout le gouvernement, Pierre Moscovici, Charles Josselin et moi-même, sommes déterminés à nous battre, avec vous sur tous ces fronts stratégiques.
J'aborde, pour terminer, la modernisation
Je disais : nous battre. Mais avec quelles armes, quel outil diplomatique ? Vous savez que dans ce contexte qui lui est peu favorable, l'Etat a le plus grand mal à se réformer, mais que c'est pourtant indispensable s'il ne veut pas se scléroser et si l'on veut qu'il retrouve efficacité et légitimité. C'est ce que je m'emploie à faire au ministère des Affaires étrangères, selon les orientations de la réforme de l'Etat voulue par le Premier ministre, et avec le concours des principaux responsables du ministère : le Secrétaire général, l'Inspecteur général et le directeur général de l'Administration, le directeur général de la DGCID et tous les autres.
1 - Ce qui a été réalisé et ce qui est en cours.
Les réformes et modernisation réalisées depuis trois ans forment maintenant un ensemble plus important que tout ce qui avait été fait auparavant. Mais cela ne suffit pas. J'avais souligné l'an dernier les premières réalisations dans le cadre des réformes engagées et les avancées de la modernisation. Dans ces domaines, qui concernent essentiellement les structures et la gestion, de nouveaux progrès ont été réalisés :
Les trois comités de direction (le comité stratégique, le comité de politique immobilière et le comité de management) ont démontré leur utilité pour la détermination des objectifs par les principaux responsables, la cohérence des démarches et l'indispensable mobilisation des services. J'ai réuni les deux premiers une fois par trimestre, et le troisième environ une fois par mois.
La réforme de la coopération est achevée. Elle avait été décidée par le Premier ministre. Mesurons le chemin parcouru en peu de temps : les réseaux sont fusionnés, nous avons un budget unique. Peu à peu une culture commune voit le jour. C'est un succès pour lequel je rends hommage à François Nicoullaud.
Après ces fondations, il nous faut maintenant passer à une deuxième phase, et c'est Bruno Delaye qui est chargé de la conduire. Pour cela, l'organigramme de la DGCID a été ajusté, en tenant compte d'ailleurs des réflexions du directeur général sortant : un directeur général adjoint est nommé, le poste de directeur de la stratégie a été supprimé et trois pôles de compétence seront rattachés au directeur général et à son adjoint : un pôle stratégique, un pôle d'orientation géographique et un pôle financier. Les objectifs sont une meilleure insertion dans l'ensemble du ministère, je dis cela dans les deux sens, un fonctionnement plus fluide et plus réactif, et une programmation financière claire, fondée sur des arbitrages précis et rigoureux. L'objectif qui les résume, c'est une DGCID influente, efficace et, osons le mot, rayonnante, dans tous les sens du terme.
Les réformes de gestion progressent.
La déconcentration se poursuit, les ambassadeurs y gagnent davantage de marge de manoeuvre et de responsabilité : la réforme comptable concerne déjà 30 pays, elle sera étendue à 15 autres en 2001 : elle donne aux ambassadeurs une vision de l'ensemble des crédits mis en oeuvre dans leur circonscription, et elle leur permet de mettre en oeuvre directement ceux dépendant du ministère. Le corollaire est que je prendrai des dispositions pour que les ambassadeurs suivent effectivement une formation dans ce domaine et pour que leur capacité soit évaluée.
La réforme des frais de déplacement a permis de réaliser d'importantes économies : les billets d'avion sont désormais acquis par les postes, au meilleur prix.
Depuis cette année, pour des raisons d'équité, il n'y a plus de discrimination en fonction des catégories d'agents, les majorations familiales sont maintenant accordées sur la base d'un taux unique.
Enfin, après un audit réalisé conjointement avec le ministère des finances, nous avons engagé la réforme de nos marchés publics, avec entre autres, la mise en oeuvre d'une véritable fonction de conseil au sein de la direction des affaires financières. La gestion du ministère devrait y gagner en régularité, en transparence et, je l'espère, en efficacité.
Le ministère remplit mieux aussi ses missions de service public : le site conseils aux voyageurs, constamment remis à jour par la DFAE, connaît un succès croissant (40 000 consultations par mois), les sites Internet des consulats et l'introduction expérimentale du règlement par carte bancaire rapprochent les services des usagers, l'informatisation du service central d'état civil permet de rendre un service sensiblement accéléré (3 millions et demi d'actes ont été numérisés, ce qui a permis de réduire à quelques jours le délai de délivrance des actes d'état civil, qui pouvait atteindre plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Il faut maintenant améliorer l'accueil du public, en particulier au téléphone.
En matière de communication, nous utilisons de mieux en mieux les outils modernes de communication comme Internet : nous avons atteint, avant l'été, une fréquentation de 1 million de visites par mois sur notre site ; et nous avons renforcé notre dispositif en direction des journalistes avec l'ouverture du Centre d'accueil de la presse étrangère créé à l'occasion de la Présidence française de l'Union européenne.
Le service de l'équipement et les procédures immobilières ont été réformées en profondeur, avec une amélioration radicale de la programmation et du suivi. Nous disposons maintenant d'une meilleure vision de notre patrimoine, et nous utilisons mieux nos crédits, ce qui a entraîné une quasi-disparition des reports. C'est la première fois que l'on sait combien de travaux nous sommes en train de faire, une année donnée, sur combien de sites, combien il vont coûter, combien de temps ils vont durer. C'est la toute première fois. C'était impossible de répondre, jusqu'ici, à cette question apparemment simple. Mais la qualité architecturale de nos réalisations peut être améliorée. Dans ce domaine, comme dans celui de la décoration, l'action du ministère doit être exemplaire, et illustrer au mieux l'image de notre pays, de sa qualité, de sa diversité. Nous seront amenés à vous rappeler quelques règles essentielles.
Dans le domaine de l'informatique, nous avons conduit un effort considérable de modernisation des instruments de travail des agents à l'échelle mondiale. Actuellement, 4000 agents à l'étranger sont reliés au réseau Intranet sur leur poste de travail. Le réseau mondial de communication intégrera tous les systèmes dans chaque poste de travail, ce qui entraînera une véritable réforme des méthodes de travail. 79 postes seront équipés à la fin de cette année, l'ensemble des postes devant l'être en 2002.
Enfin, nous faisons nos premiers pas dans le domaine de l'évaluation : j'ai mis en place, sous la direction de l'inspecteur général, un groupe qui a lancé un premier programme d'audit de structures et d'actions dont les conclusions devraient permettre de mieux orienter vos décisions et celles des responsables du ministère. C'est une culture différente qui est appelée à se diffuser dans toute la vie du ministère. Sur tous ces sujets, je voudrais remercier spécialement le Secrétaire général.
2 - Les obstacles et les chantiers difficiles
Ce sont précisément ceux qui touchent à la gestion des ressources humaines et aux méthodes de travail. C'est le domaine le plus difficile à réformer où les résistances ou les blocages sont les plus forts, mais c'est aussi l'un des plus important : l'évolution de nos tâches et de ce que l'on attend de nous implique une adaptation et une modernisation constante des méthodes, des formations, des modes d'affectation. La motivation des agents, leur capacité à utiliser pleinement les ressources du ministère en dépend. Cela exige également davantage d'ouverture aux compétences extérieures
La mobilité externe reste insuffisante, alors que c'est la meilleure façon pour les agents de diversifier leur formation et pour la diplomatie de faire tomber, à l'extérieur, les préjugés. 117 seulement de nos agents sont en fonction à l'extérieur, et nous accueillons environ 160 agents d'autres administrations au ministère. C'est mieux que rien, mais cela n'atteint pas la masse critique. Le rôle interministériel que nous revendiquons (le ministère des Affaires étrangères est la tour de contrôle de l'action extérieure de l'Etat) implique que les agents aient une connaissance pratique d'autres administrations, d'autres milieux professionnels, et que nos interlocuteurs nous connaissent mieux. La DRH a passé des accords d'échanges avec la DREE, l'AFD, le ministère de la Défense. Mais en l'absence d'obligation statutaire et de garanties sur les conditions de retour les agents hésitent ; il nous faut parvenir à vaincre ces réticences en incitant davantage, en particulier en tenant compte de l'expérience acquise par les agents de l'extérieur dans notre politique d'affectation et au moment des promotions. C'est également un point qu'il faudra valoriser lors des bilans professionnels qui se mettent en place.
La formation dans le domaine consulaire est maintenant bien rodée avec l'IFAC (Institut de formation à l'administration consulaire) qui, depuis 7 ans, a formé 650 agents à l'administration consulaire et accueille 250 à 300 agents par an pour des formations spécifiques. Elle est en progrès notable dans le domaine linguistique, mais il nous faut être plus ambitieux, avec notamment les séjours "en immersion". Ce n'est pas encore suffisant. Je pense à la création d'un institut, regroupant des moyens existants déjà au sein du Département, et destiné dans un premier temps à la formation initiale et permanente de nos propres agents qui doit changer d'échelle. Cet institut anticiperait l'éventuelle création d'un institut des hautes études internationales, qui fait actuellement l'objet de réflexions interministérielles et de travaux animés par les collaborateurs du Premier ministre. Cet institut pourrait constituer le moment venu un élément de cette solution.
Pour ce qui est de la bonne affectation des effectifs, l'audit d'une des directions géographiques, la direction des Amériques et des Caraïbes, pour ne prendre que cet exemple, a confirmé le déséquilibre abusif qui existe entre les postes et l'administration centrale, et la nécessité de renforcer cette dernière en particulier les directions et services politiques. Le moment est venu d'effectuer le rééquilibrage dont on parle depuis longtemps. Il passera en particulier par le développement des postes à gestion simplifiée, qui permettent d'assurer notre présence tout en réduisant les effectifs nécessaires, comme le font déjà avec de bons résultats d'autres grands pays comparables.
Nous avons achevé la fusion des corps de catégorie A, mais nous rencontrons un blocage pour celle des B, en raison de réticences internes, mais surtout parce que nous n'avons pas encore obtenu de la fonction publique les accompagnements indispensables. Il nous faut poursuivre l'effort dans cette direction par le dialogue, en ayant à l'esprit la spécificité des missions qui incombent aux personnels de chancellerie. Le premier annuaire des agents de catégorie C va sortir dans les tout prochains jours. Il ne sera pas seulement un instrument de gestion utile, c'est aussi et surtout une reconnaissance de la place qui revient à ces agents dans le ministère.
Il nous faut enfin systématiser l'effort en direction des conjoints, comme le font le ministère de la Défense et bien des ministères des Affaires étrangères des pays les plus développés. Je suis invité à la conférence des ambassadeurs en Allemagne. J'ai vu dans le programme que les conjoints étaient associés à tout, y compris aux discours comme la séance de ce matin. Leur existence et leur rôle sont encore insuffisamment pris en compte et soutenus. J'ai l'intention d'amplifier l'effort de formation qui vient d'être engagé : 40 personnes concernées lors des trois premières sessions, ce n'est pas négligeable, mais ce n'est qu'un début.
Toutes ces ambitions représentent, j'en suis conscient, un grand défi pour la DRH et pour le directeur général aussi.
3 - Les moyens, pour terminer
Le projet de budget pour 2001 nous donne les moyens de progresser.
L'augmentation nominale de 5,3 % est largement due à la prise en compte d'un accroissement très important des contributions obligatoires aux organisations internationales.
En termes réels - malgré, comme chaque année, des demandes de réduction radicale de la part de la direction du budget - nous avons obtenu une reconduction de nos moyens (+ 40 MF), y compris de nos effectifs.
Pour conclure, je le redis : la modernisation est une nécessité permanente. Je me permettrai à ce stade une libre réflexion sur l'avenir. Un jour, le ministère des Affaires étrangères devra disposer de locaux regroupés, radicalement neufs, permettant à tous de travailler, de recevoir, de se réunir et d'exercer leur fonction dans des conditions et avec des moyens parfaitement adaptés à notre époque et aux tout derniers développements des technologies. La démarche fonctionnelle et architecturale qui avait été accomplie en 1853 devra être reprise. On peut déjà y rêver. D'ici là gardons le rythme./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 août 2000)