Interview de M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux PME, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation, à "France 2" le 22 juillet 2003, sur la baisse du taux du livret A, le projet de baisse de la TVA dans la restauration, la préparation de la réforme de l'apprentissage et les mesures de la loi initiative économique visant à aider les entreprises.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. Laborde-. Nous allons parler activités économiques, avec un projet de loi que vous avez beaucoup soutenu, qui est un peu le vôtre d'ailleurs, sur la loi d'initiative économique... Mais avant, une question sur la baisse du taux du Livret A. C'est le livret à placements favoris des Français, ils y sont très attachés, c'est une rémunération relativement attractive, avec 3 %. En regardant les titres, on a le sentiment que c'est un peu la France d'en bas qui est pénalisée...
- "Alors, pourquoi baisse-t-on ce taux ? D'abord parce que tous les taux sont en train de baisser partout dans le monde. Et cette baisse des taux d'intérêts doit se répercute à l'ensemble de l'économie, notamment au secteur du logement social et aux entreprises qui, elles, empruntent de l'argent."
Oui, il faut rappeler que le produit du Livret A va effectivement au financement du logement social...
- "Il va au logement social et il va aux PME. Et il est tout à fait naturel que lorsque les taux d'intérêts baissent, les taux réglementés baissent aussi. C'est la raison pour laquelle nous diminuons de 0,75 % la rémunération du Livret A, qui reste un outil tout à fait attractif d'épargne. Mais au-delà, il faut aussi parler de croissance et d'emploi. Derrière cette décision, il y a la volonté de réinjecter de l'argent dans l'économie, de créer des emplois, de permettre aux entreprises d'investir... C'est toute la croissance qui dépend aussi de mesures de ce type."
Cette baisse du taux du Livret A va-t-elle permettre par exemple de financer la baisse de la TVA que vous avez obtenue pour la restauration ?
- "Ce sont deux choses bien différentes. Dans ce secteur de la restauration, où l'on manque de main d'uvre, et qui est un secteur populaire - nous sommes un pays de traditions culinaires, on aime la bonne bouffe, on aime bien aller au restaurant en France -, il faut baisser la TVA à 5,5. Mais pour cela, il faut l'autorisation des Etats européens. Nous nous battons donc pour cela. Je suis allé à Bruxelles rencontrer le commissaire Bolkestein, on l'a convaincu ; on a convaincu la Commission ; maintenant, il faut convaincre les autres Etats membres et notamment l'Allemagne. J'irai en Allemagne à la fin du mois d'août, avec des députés très motivés sur cette baisse de TVA. Et j'espère que lorsque nous aurons le feu vert de l'Europe, nous pourrons baisser la TVA en France en 2004."
Mais en contrepartie, les restaurateurs vont-ils dire que puisque vous leur faites ce "cadeau", cet "avantage", ils vont s'engager à faire telle et telle chose ?
- "Oui, il faut éviter ce qui pourrait être un cadeau fiscal à une catégorie sociale, surtout pas ça. En revanche, il faut essayer de créer des emplois et que les professionnels s'engagent. M. Daguin s'engage sur 40.000 emplois..."
A. Daguin, célèbre chef gersois d'ailleurs...
- "C'est un grand chef et, en même temps c'est le représentant d'une grande partie de la profession. Lui s'engage donc à créer 40.000 emplois en 18 mois, ce qui me paraît tout à fait réaliste, c'est faisable. Encore faut-il que l'ensemble des restaurateurs, lorsque cette mesure sera mise en uvre, puissent embaucher. Et pour embaucher, il faut former. Et c'est la raison pour laquelle nous sommes aussi très sensibles à la réforme de l'apprentissage."
Justement, c'est un des dossiers que vous allez suivre aussi et qui sera un de vos grands dossiers de la rentrée : la réforme de l'apprentissage. On est un pays où, finalement, cela se pratique assez peu, si on compare par rapport à l'Allemagne où, effectivement, beaucoup de jeunes entrent dans la vie active par l'apprentissage. Comment cela va-t-il se passer en France ? A quel âge peut-on commencer l'apprentissage, avec la nouvelle formule ?
- "On peut commencer à 16 ans. C'est vrai que c'est un paradoxe en France : d'un côté il y a des jeunes sans métier, 150.000 jeunes sortent du système scolaire sans qualification ; et de l'autre il y a des métiers sans jeunes. Métiers sans jeunes, jeunes sans métier, il faut essayer de résoudre cette équation impossible. Et la voie de la formation en alternance et de l'apprentissage est une très bonne voie. Elle permet d'avoir un métier, d'avoir un emploi facilement, et de devenir chef d'entreprise à moins de 30 ans, parce que beaucoup de ceux qui suivent cette voie là, réussissent professionnellement, socialement, très jeunes."
C'est l'artisanat, le commerce...
- "C'est le commerce, c'est l'artisanat, mais c'est aussi parfois l'industrie, c'est beaucoup de secteurs des services. C'est une très bonne voie pour se former rapidement à un métier. Et on peut aller jusqu'à des niveaux d'ingénieurs via l'apprentissage."
A quel âge peut-on commencer cette formation en alternance ?
- "On peut commencer à 16 ans. C'est un contrat de travail, on est donc rémunéré, et il y a des périodes de formation qui alternent avec des périodes de présence dans l'entreprise, pendant une durée qui est variable. Et puis, au bout du compte, on a des diplômes et on peut accumuler des diplômes par cette voie."
Pendant longtemps, en France, le corps enseignant s'est montré un peu réticent à l'égard de l'apprentissage en disant qu'il fallait que ces jeunes restent dans le cadre de l'école, qu'il ne fallait pas les confier à des patrons qui auront peut-être tendance à les faire trop travailler, on avait l'image de l'apprenti qui était dans l'arrière boutique...
- "Oui, hélas il y a une sorte de snobisme qui consiste à envoyer tout le monde en licence de psychosociologie. Non ! La meilleure façon d'être heureux dans sa vie professionnelle, c'est d'avoir un bon métier. Et aujourd'hui, dans des secteurs comme le secteur de l'artisanat, du commerce, de l'industrie, des services aux entreprises, il y a de très belles carrières à faire. Mais pour cela, il faut acquérir un savoir, que l'apprentissage offre aujourd'hui dans de très bonnes conditions."
Et dès 14 ans, on pourra découvrir... ?
- "Non, entre 14 et 16 ans, ce que nous voulons faire avec L. Ferry, dans le cadre de classes en alternance, c'est faire découvrir aux jeunes les métiers. Parce qu'un jeune connaît trois métiers : celui de son père, celui de sa mère, joueur de football... Mais très peu de métiers..."
Vous avez vu les derniers sondages ? Ils adorent la communication, la chanson..
- "Ils veulent tous faire comme vous, ils veulent être journalistes !"
Non, ils veulent faire "Star Academy", ils ne veulent pas faire comme moi ! Donc, l'idée est de leur faire apprendre les métiers ?
- "Oui, au moins qu'au moment où ils font leur choix essentiel de vie, leur orientation professionnelle, ils sachent de quoi il retourne."
Revenons à cette loi initiative économique, qui va servir à doper les PME-PMI. On a beaucoup parlé dans ce projet de la société à capital social libre, de l'entreprise avec un euro de capital social... Vous dites que ce n'est pas le plus important dans la loi, que dans la loi il y a des choses qui sont moins spectaculaires mais plus importantes ?
- "Oui, le plus important c'est de trouver des billes, trouver de l'argent pour démarrer son entreprise. Nous mettons donc en oeuvre des mesures très incitatives sur le plan fiscal. On pourra investir jusqu'à 40.000 euros dans une entreprise et bénéficier d'un apport de l'Etat égal au quart de cet investissement, sous forme de réduction de l'impôt sur le revenu. On va créer également des fonds d'investissements de proximité pour que les Alsaciens financent les PME alsaciennes, pour que les Bretons financent les PME bretonnes, que chaque territoire ait son fonds d'investissements ou ses fonds d'investissements. On va également sécuriser les entrepreneurs, pour qu'ils soient protégés en cas d'échec économique. Un entrepreneur individuel pourra aller chez le notaire et dire "ma maison pas touche, on y touche pas, elle est protégée même si je me casse la figure". Eh bien, elle ne pourra pas être saisie par les créanciers. C'est très important, parce qu'entreprendre, c'est formidable, c'est aimer le risque, mais jusqu'à une certaine mesure. Donc, nous voulons sécuriser. Et puis, dernier exemple de ces différentes mesures, aujourd'hui, quand vous créez une entreprise, vous recevez une lettre de l'URSSAF vous disant "Monsieur, vous venez de créer votre boîte"..."
Avant même de commencer...
- "Et vous devez payer votre premier appel de cotisations sociales. Terminé ! Pendant douze mois, il n'y aura pas d'appel de cotisations, les charges seront dues, mais étalées sur les années suivantes."
Au cours de la discussion à l'Assemblée, les députés de gauche se sont beaucoup émus d'une disposition qui vise l'allégement de l'impôt sur la fortune, voire l'exonération dans certains cas. Effectivement, c'est une disposition qui, au début, n'apparaissait pas dans le projet de loi, qui est venue un petit peu au fur et à mesure ?
- "C'est un amendement parlementaire avec le même objectif : drainer l'argent de ceux qui en ont vers l'emploi, créer des emplois. Et nous, nous préférons que ceux qui ont de l'argent en France le mettent dans les PME françaises pour créer des emplois en France, plutôt que dans les banques du Luxembourg ou de Londres, comme c'est le cas aujourd'hui, parce que beaucoup de contribuables ont quitté la France à cause de cet impôt. Donc si on veut drainer l'argent vers ce qui permet aux Français d'avoir un boulot, c'est simple : il faut éviter que cet impôt soit une incitation à sortir de France."
Mais vous avez un élément statistique qui vous ferez dire que, par exemple, ceux qui paient l'ISF vont mettre tant d'argent dans les PME ?
- "Oui, les incitations fiscales que nous avons mises en oeuvre ne s'appliquent que si l'argent va dans les PME. Donc, c'est une mesure qui ne concerne que les entreprises."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 juillet 2003)