Déclaration de M. Michel Barnier, ministre de l'environnement, sur la gestion de l'eau par les collectivités locales, Paris le 18 novembre 1994.

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Circonstance : Journée de travail du cercle français de l'eau sur le thème : "Les élus locaux, acteurs de la politique de l'eau", Paris le 18 novembre 1994

Texte intégral

Introduction
C'est bien volontiers, qu'à la demande du Président OUDIN, j'ai accepté d'intervenir aujourd'hui au cours de votre journée de travail du Cercle Français de l'Eau.
Voilà donc la deuxième fois que je m'associe à vos travaux puisque l'année dernière, presque jour pour jour, vous m'avez demandé, Monsieur le Président, de clôturer vos travaux qui étaient axés sur "L'eau et l'aménagement du territoire".
Cette année, votre réflexion s'articule autour du thème "Les élus locaux, acteurs de la politique de l'eau".
Vous avez souhaité, à travers 5 grands axes de réflexion, dresser un état des lieux de l'eau en France, situer les enjeux et débattre des solutions les mieux appropriées aux problèmes que se posent actuellement de nombreux élus
Le prix de l'eau.
Le financement des collectivités locales.
Les normes de qualité.
Les schémas d'aménagement et de gestion des eaux.
Les phénomènes naturels exceptionnels.
Sur un certain nombre de ces sujets, l'actualité nous montre, s'il en était besoin, que ce programme correspond précisément aux interrogations légitimes d'un certain nombre d'élus, mais soyez-en aussi certains, aux préoccupations quotidiennes du ministre de l'Environnement que je suis.
Reconnaissons qu'une large part de cette actualité n'offre pas, en ce moment, une image très positive du secteur de l'eau. Je dirais, sans détour, me faisant l'écho des questions qui me sont posées, que nous avons tous ensemble à redresser une situation qui me paraît préoccupante.
Mise en uvre des Politiques d'intérêt général
Je voudrais orienter mon propos aujourd'hui sur un sujet qui me tient particulièrement à cur : celui de la mise en uvre des grandes politiques d'intérêt général dont j'ai la charge, celles de la qualité de l'eau, et de l'assainissement, mais aussi du traitement des déchets.
Ces politiques participent à l'amélioration des conditions de vie dans notre pays. Elles s'expriment notamment par l'accroissement des performances en matière de Protection de la santé publique, d'objectifs de qualité des eaux, de restauration ou de protection des milieux aquatiques et de l'environnement en général et s'inscrivent dans un contexte réglementaire de niveau communautaire.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le déclarer à plusieurs reprises, je ne laisserai pas ces grandes politiques de l'environnement compromises par un manque de rigueur, par la polémique, ou par un manque de transparence. Ce serait injuste pour l'environnement, pour les communes, et aussi injuste pour la majorité des entreprises qui ont bien leur travail.
Il faut impérativement revenir sur ces travers qui risquent de déconsidérer le "modèle français de l'eau", constitué d'une association originale entre le secteur public, le secteur privé et les usagers. Sans action significative de notre part, il risque d'être rejeté par l'opinion.
Personnellement, je tiens à sauvegarder ce modèle. Il a su, au fil des ans, concilier les exigences de service public, d'efficacité économique et de prestations de qualité, en obtenant l'adhésion collective de l'Etat, des collectivités locales et du secteur privé. C'est ce modèle que viennent examiner, et souvent copier, les spécialistes du monde entier.
Mais ce modèle n'est cependant pas parfait et ne doit pas rester figé. Il doit, chacun en convient, nécessairement aujourd'hui, s'adapter.
Des progrès sont possibles pour plus de rigueur et de transparence, dans l'intérêt bien compris de tous, et c'est dans ce sens que je travaille avec détermination.
Deux, préoccupations guident ma réflexion
La transparence du prix de l'eau : si l'eau a un prix depuis longtemps, elle est devenue pour les ménages, une charge qui, maintenant, compte de manière de plus en plus significative. Les français sont prêts à en supporter le coût si on leur explique clairement pourquoi ils paient et à quoi est destiné leur argent. Un maître-mot s'impose ici: celui de transparence.
- Une deuxième exigence s'impose aux yeux du public. Il est impératif que , selon la formule connue, l'argent de l'eau aille à l'eau. et j'ajouterai : qu'elle y reste...
Il faut absolument améliorer les conditions dans lesquelles sont passés les marchés publics et les délégations de service public. Ce système doit répondre aux attentes des élus et des consommateurs, et je sais que la profession est également très attentive à ce que l'exemplarité de ce système soit un facteur de promotion pour la compétitivité internationale. Je vous indiquerai tout à l'heure les améliorations auxquelles je suis en train de réfléchir:
Premier point ; le prix de l'eau
Dès le début de cette année, j'ai été saisi par un certain nombre de parlementaires de la question de l'évolution du prix de l'eau, qui a connu globalement de sensibles augmentations mais qui, dans un certain nombre de cas subissait des évolutions qui pouvaient paraître inexplicables, ou da moins, incompréhensibles.
J'ai fait analyser le problème au fond, car j'étais moi-même perplexe devant certaines situations qu'on me présentait.
Nous nous sommes trouvés à la conjonction de trois phénomènes que vous avez analysés au cours de vos travaux, mais qu'il me paraît utile de rappeler brièvement
- Le premier élément est, bien entendu, l'effet de l'accélération des programmes d'assainissement et d'alimentation en eau des communes qui transcrivent les exigences de santé publique, et de qualité de rejet prescrites au niveau national et européen.
Les travaux correspondants inscrits dans le VIème programme des agences de l'eau qui a doublé par rapport au programme précédent, sont estimés à environ 50 milliards de francs sur la période 1992-1996. Cet effort devra être poursuivi au cours du VlIème programme sur la période 1997 2008.
L'augmentation des coûts des services d'eau et d'assainissement traduit donc l'effort nécessaire au niveau national d'une politique soutenue dans le domaine de l'eau pour une eau de qualité à la disposition de chacun.
Une analyse économique a montré que le doublement des programmes des agences, entre les périodes 1987-1991 et 1988-1992, devait induire une augmentation moyenne du prix de l'eau d'environ 40 % sur la période 1992-1996.
Je tiens à apporter une précision. Ce prix est composé pour 80 % des dépenses d'investissement et de fonctionnement des services d'eau et d'assainissement (50 % pour l'eau et 30 % pour l'assainissement).
La part relative aux redevances des agences de l'eau ne représente qu'environ 13 %, le reste correspondant à la TVA et au Fond National des Adductions d'Eau.
Le second élément qui explique certaines augmentations consiste en la traduction comptable de ce coût à travers les prescriptions issues de l'instruction comptable M.49.
Une circulaire d'application du 15 mars 1994 a apporté des aménagements pour sa mise en uvre, notamment pour les petites communes de moins de 2.000 habitants qui peuvent bénéficier de dérogations pour son application, échelonnés selon la taille sur les périodes 1994 à 1996, et a rappelé qu'au delà de la nécessaire autonomie comptable des services d'eau et d'assainissement, le code des communes laisse ouvert la possibilité, dans le cas d'investissements importants, d'une prise en charge partielle des dépenses de ces services par une subvention du budget général de la commune.
L'application de cette circulaire devrait donc éviter des évolutions erratiques du prix de l'eau dues à (application de la M 49.
Le troisième élément concerne le nouveau mode de tarification découlant de (article 13 de la loi sur l'eau du 3 janvier 1992. L'objectif recherché est de lutter contre le gaspillage par la suppression de systèmes forfaitaires et (introduction d'un tertre proportionnel au volume d'eau effectivement consommé.
Ce dispositif peut conduite à des augmentations importantes du prix de l'eau dans certains cas si l'application est trop rigide. 'Mais les dispositions de la loi sur l'eau et de son décret d'application, permettent de les éviter si for en fait une application réfléchie et intelligente.
Le 27 juillet 1994, j'ai écrit à (ensemble des parlementaires pour leur décrire (analyse que je viens de rappeler, et j'ai eu l'occasion au mois de mai de m'engager devant l'Assemblée Nationale, à faire examiner personnellement les situations particulières les plus anormales ou inexplicables.
Des cas concrets m'ont déjà été soumis, pour lesquels j'ai fait diligenter une enquête par le préfet. J'en attends les résultats.
Mes services ont également réalisé une plaquette sous la forme "questions -réponses" qui a aussi été diffusée à (ensemble des parlementaires, plaquette qui est, bien entendu, â votre disposition dans le hall.
Le sondage que vous avez fait réaliser par la SOFRES et qui vient d'être présenté, reflète bien la situation de malaise dans laquelle se trouvent les élus locaux : si 78 % des maires considèrent que les systèmes de financement répondent bien aux besoins des communes pour l'eau et l'assainissement, 41 % d'entre eux déclarent avoir des problèmes pour l'avenir, principalement pour faire accepter par les habitants, l'augmentation du pria de l'eau.
Tous ces éléments confirment l'impérieuse nécessité d'une explication envers le citoyen-contribuable-consommateur du prix de l'eau et des causes réelles de son évolution, c'est à dire, de fournir à tous une eau de qualité.
Je rejoins dans mon analyse les conclusions de votre groupe de travail "L'eau est-elle au juste pria ?", notamment dans la proposition d'une recherche d'une meilleure lisibilité de la facture d'eau. Le Syndicat Professionnel des Distributeurs d'Eau m'a confirmé qu'il était prêt, pour ce qui le concerne, à oeuvrer dans ce sens. Beaucoup, par ailleurs, a déjà été fait
Je pense pour ma part qu'il faut aller plus loin et envisager la création d'un observatoire national du prix de l'eau qui pourrait être une instance nationale regroupant l'ensemble des partenaires conte.
D'ores et déjà, en liaison avec le ministre de L'Economie, suivant en cela un souhait du président, Jean-Paul DEI EVOYE, nous avons mis en place un suivi statistique renforcé du aria de l'eau et de ses diverses composantes.
L'ensemble des résultats des années 1991 à 1994, sera disponible au début de l'année 1995. Lues agences de l'eau contribueront â alimenter cet observatoire.
J'ai reçu en août dernier les six présidents de comités de bassin, et nous avons naturellement évoqué ces différents sujets. Le président Henri TORRE a pu à cette occasion nous exposer l'action
exemplaire engagée par l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse auprès de chaque usager. Je souhaite que cette action soit généralisée au niveau national.
Les travaux de la commission d'information de l'Assemblée Nationale sur la politique de l'eau, présidée par Monsieur Ambroise GUELLEC, qui devraient être disponibles en début d'année prochaine, me seront également très précieux.
Deuxième point : l'argent de l'eau doit aller à l'eau
L'eau n'est pas un produit comme les autres, en ce sens qu'il n'y a pas d'autre alternative, pour le consommateur, que d'utiliser l'eau qu'on lui fournit. Il n'a donc pas le choix. C'est une raison importante à mes yeux pour que les prestataires de service, qu'ils soient publics ou privés, se comportent vis à vis de lui dans la plus grande transparence.
D apparaît clairement à tous, et à la profession elles 1a. nécessité d'établir de nouvelles règles dans ses rapport avec %s élus locaux.
J'ai reçu très récemment le Syndicat Professionnel des Entreprises de service d'eau et d'assainissement qui m'a confirmé le désir de la profession de progresser sur ce dossier. Les industriels soulignent que les lois de 1992 et 1993 ont profondément modifié le cadre d'exercice des services publics d'eau et de déchets, et que leurs entreprises ont pris les dispositions pour respecter ces textes qui apportent une amélioration en terme de clarté des responsabilités.
II est vrai Que le domaine n'est uns vierge et que la loi du 29 janvier 1993 (loi SAPIN) a apporté de nettes améliorations en obligeant notamment la publicité et la mise en concurrence des marchés de délégation de services publics et des conditions relatives à leur prolongation.
Ils m'ont confirmé que la profession, sensible à (attente des collectivités et des consommateurs, était prête à prendre un certain nombre de mesures destinées à faciliter (application de ces lois et à en étendre la portée
Pour ma part, et dans le cadre des objectifs que je vous ai clairement exprimés, tout en me réjouissant de cette prise de position de la profession, je pense qu'à faut aller plus loin.
Je poursuis actuellement plusieurs pistes de réflexion qui s'articulent autour de 2 thèmes :
- l'information et la transparence
- le renforcement de la concurrence.
L'information et la transparence
En amont du processus, je pense qu'il faudrait apporter plus de conseils aux mannes lors de la négociation et de (élaboration des contrats. La décentralisation ayant fait disparaître la notion de contrats-type, je pense qu'il faut leur trouver un substitut
Un projet de guide à l'usage du maire a été engagé par la fédération des collectivités concédantes, à l'initiative de son président, Jean Moinet, en liaison avec l'AMF et mes propres services. C'est une excellente initiative. Peut-être faudra-t-il aller plus loin et faire des "contrats modèles" à la disposition des élus intéressés.
L'instauration de l'observatoire du prix de l'eau dont j'ai déjà parlé devrait compléter l'information disponible. Mais encore faut-il que l'information soit disponible.
Actuellement en effet, les informations dont disposent les élus sur les services délégués tout au long de la réalisation des contrats, sont souvent limitées, complexes et peu utilisables.
C'est pourquoi il me semblerait très utile que chaque année un rapport contenant des indices qualitatifs, quantitatifs financiers sur l'exploitation de ces services soit adressé au Conseil Municipal. Ces indicateurs définis uniformément au niveau national permettraient de faine des comparaissons entre collectivités et d'élaborer une base d'informations nationales.
Enfin, pour aller jusqu'au bout de la logique que j'ai précédemment énoncée "l'eau doit payer l'eau .. et ries d'autre" afin d'assurer une transparence maximum an système, je pense que le système actuel (et relativement récent, une dizaine d'années) des droits d'entrée n'est pas sain et ne devrait pas perdurer. D permet en effets d'une manière assez générale, d'alléger au détriment du "budget de l'eau" les charges du budget général, et donc de faire payer aux consommateurs d'eau, les charges des contribuables. Toute la logique qui a conduit à séparer tes 2 types de budget (et qui soustend la M 49) est ainsi abandonnée compromise
Je souhaite donc la disparition de ces droits d'entrée, ou au minimum, s'ils subsistent, que cela ne puisse être que dans des conditions très strictes et sévèrement contrôlées.
Le renforcement de la concurrence ,
En matière de concurrence également des actions sont nécessaires.
Tout d'abord, je crois qu'il faut renforcer le cote de légalité et celui des chambres régionales des comptes notamment sur ces sujets afin d'équilibrer l'augmentation des pouvoirs des collectivités locales liée à la décentralisation.
Je pense ensuite qu'il faut veiller à ce que la régie ne soit pas pénaliser par rapport aux autres modes de gestion. Elle doit apparaître comme une véritable alternative. Pour cela, il faut peut-être lui donner quelques souplesses supplémentaires.
Je crois également qu'il n'est pas sain qu'un maire puisse engager sa commune pour des durées trop longues. II y a par exemple des concessions de 30 ans qui correspondent à 5 mandats municipaux La plupart des concessions ont des durées comprises entre 15 et 20 ans. Limiter la durée des concessions à 1 5 ans, ce qui correspond en général à la durée des prêts accordés par les banques, me paraîtrait raisonnable.
Enfin, lorsque les travaux des concessionnaires sont fortement aidés par des crédits publics, comme c'est le cas pour l'eau avec les aides des agences qui peuvent atteindre 40 %, on ne peut pas accepter que ces travaux, surtout s'ils portent sur des montants imports (comme une station d'épuration) ne soient pas soumis à la concurrence. Je souhaite donc dans ce cas demander aux agences de conditionner leurs aides à un d'appel à la concurrence.
CONCLUSION
voilà les thèmes sur lesquels je travaille actuellement Ils devraient permettre de restaurer la office dans un système qui a faut ses preuves.
Rappelons-nous que le prix de l'eau actuel est eu moyenne de 12 F par m3, soit environ un centime par litre. La France est loin d'être le pays où l'eau est la plus chère et sa qualité, à quelques exceptions près, est en général reconnue.
Je compte sur vous, élus responsables de cette action, pour mener à bien cette politique, certes ambitieuse, mais nécessaire au maintien de la qualité de la vie de nos concitoyens.