Déclaration de Mme Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, défendant la motion de censure sur la politique sociale du gouvernement, à Paris, Assemblée nationale, le 2 mars 2004.

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Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Premier ministre,
Mes chers collègues,
Dans quelques jours, le 15 mars, nous allons célébrer le 60ème anniversaire du programme du Conseil National de la Résistance.
Dois-je rappeler dans cet hémicycle la force qu'il a représenté pour sortir notre peuple de ces années de ténèbres ? Dois-je rappeler le rassemblement qu'il a su opérer? Dois-je rappeler que c'est celui-ci qui fonde depuis la Libération le pacte social et démocratique dans notre pays ? Dois-je rappeler que c'est dans une France sinistrée que ces choix courageux ont permis à notre peuple d'envisager une vie digne, fraternelle et solidaire ? Dois-je rappeler enfin que durant des décennies jamais l'attachement de notre peuple à ces fondements de notre vie sociale ne se sont démentis ?
A l'évidence, oui. Car votre politique, monsieur le Premier ministre, attaque un à un tous les piliers du programme du Conseil National de la Résistance. Oui, vous allez jusqu'à remettre en cause ces acquis-là qui mériteraient pourtant d'être étendus et rénovés dans le sens du progrès social. Services et entreprises publiques, Sécurité sociale. Tout cela à l'ordre du jour à la Libération, serait aujourd'hui dépassé sous les ordres du Medef.
Cela nous en dit long sur l'offensive brutale que vous menez pour conformer notre pays aux exigences du capitalisme mondialisé. Tout cela nous en dit long sur l'objectif qui est le vôtre de remodeler de fond en comble la société française.
Evoquons pour commencer votre politique de l'emploi ou plus exactement de casse du code du travail et des acquis sociaux. Méticuleusement, c'est un démantèlement profond de notre législation du travail que vous opérez. Remise en cause du processus historique de réduction du temps de travail, suppression des emplois-jeunes, d'articles de la loi de modernisation sociale permettant de recourir contre les licenciements boursiers, réforme du dialogue social à la main du patronat. Chacune de vos décisions porte atteinte au monde du travail.
Vous avez, depuis juin 2002, savamment combiné apathie face à la dégradation du marché de l'emploi, et choix délibéré de régression sociale. Les CDD et contrats en intérim représentent désormais près de 10% de l'emploi total, mais n'est-il pas dans vos projets d'accentuer les contrats précaires et de programmer la fin du contrat à durée indéterminée avec le contrat de mission, y compris dans la fonction publique ? Le chômage, qui ne baisse que parce que vous éliminez des chômeurs du système d'indemnisation, ne cesse de s'inscrire dans une courbe ascendante : soit environ 140.000 personnes de plus que fin 2002 et une population totale se situant aux alentours des 2,5 millions de personnes. Vous osez vous féliciter des chiffres de ce début d'année alors que vous avez supprimé brutalement les allocations à des milliers d'hommes et de femmes. Ils sont plongés aujourd'hui dans la détresse, dans l'attente d'un éventuel RMI. Les associations de chômeurs, les syndicats, vous ont demandé de surseoir à cette décision. Vous n'avez rien voulu entendre.
Vos choix réduisent les moyens de la politique de l'emploi ainsi que des dispositifs d'insertion des publics les plus en difficulté. Faussement motivés par une politique vertueuse de redressement des finances publiques, ils ont été dramatiquement confirmés par les lois de finances pour 2003 et 2004.
Et dans le même temps, les queues s'allongent aux Restos du Cur, aux portes du Secours populaire, du Secours catholique. On recense plus d'un million d'enfants pauvres dans notre pays !
Il est vrai que d'autres crédits ont en revanche augmenté : ce sont plusieurs milliards d'euros supplémentaires qui seront, par le biais d'exonérations, versés chaque année aux multinationales afin " d'alléger le coût du travail ", comme vous dites, sans que la moindre contrepartie en termes de création, de stabilité de l'emploi, ou en termes de salaires ne soit exigée. Sans le moindre contrôle également puisque le gouvernement s'est empressé de supprimer la commission nationale de contrôle des aides publiques. Moins de solidarité nationale mais plus de solidarité patronale ! Voilà votre politique.
Quand vous prétendez réformer les retraites c'est pour mieux fragiliser notre système par répartition, et porter atteinte au montant des pensions tout en faisant payer plus cher les salariés.
Quand vous prétendez sauvegarder les services publics c'est pour mieux les soumettre à une privatisation rampante. Vous vous comportez en Etat boursicoteur en bradant la SNECMA avant d'autres.
Quand vous prétendez rénover le dialogue social et renforcer le droit du travail, c'est pour instaurer le droit à la précarité pour tous, et supprimer toutes les garanties collectives protectrices avec la généralisation des accords dérogatoires.
Et ce, dans l'attente prochaine de la suppression d'un jour férié, ou encore de la remise en cause du droit de grève !
Je n'oublie pas non plus les choix amputant la solidarité nationale :
- la décision de durcir les conditions de l'indemnisation du chômage
- la décision de réduire la durée de versement de l'allocation de solidarité spécifique.
- la mise en place du revenu minimum d'activité, revenant pour l'entreprise à moins de 40 % du coût ordinaire du travail et n'ouvrant droit au salarié qu'à une protection sociale de seconde zone. Ce n'est rien moins qu'un nouveau servage.
Vous réservez, enfin, un triste sort à la Sécurité sociale. Si rien n'est encore joué, car je vous souhaite sur le sujet bien du fil à retordre, vous entendez parachever une réforme que vous avez déjà bien engagée : déremboursements en masse, augmentation du forfait hospitalier, étranglement des budgets des hôpitaux. Vous laissez filer le déficit démographique de professionnels de santé. Non seulement vous vous apprêtez à légiférer craintivement en catimini au mois de juillet prochain, mais en plus par ordonnances ! Je vous demande solennellement au nom des salariés de ce pays un vrai débat public et un vrai débat parlementaire sur cette question, hors des périodes de vacances ! Ayez au moins ce courage !
Votre politique budgétaire injuste et inefficace mérite également sanction. Les baisses d'impôts ont exclusivement ciblé les deux seuls impôts progressifs de notre législation fiscale. Pour ce qui est de l'impôt sur le revenu, c'est avec dogmatisme et pugnacité, que son caractère progressif a été largement atténué. Ce sont 10 % des Français, ceux qui déclarent les plus hauts revenus imposables, qui captent les 3/4 des diminutions consenties.
Dans ces conditions, comment s'étonner qu'un record du déficit public soit battu au terme de l'exercice 2003. Rien de surprenant, dans ce contexte, à ce que l'ensemble des budgets sociaux soit gravement amputé. Dans le projet de loi de finances rectificative pour 2003, ont été rayés d'un trait de plume plus de 290 millions d'euros d'autorisations de programme en matière de construction et de réhabilitation de logements sociaux, 57 millions d'euros d'aides au développement des transports urbains, près de 55 millions d'euros dans les crédits du ministère de la ville.
De ces coupes budgétaires les chercheurs en souffrent tout autant. Plus d'un chercheur sur deux a signé la pétition lancée par le collectif " Sauvons la recherche ", certains menacent même de démissionner.
Les associations s'inquiètent, on ne compte pas le nombre d'entre elles qui mettent la clef sous la porte. Les associations humanitaires elles-mêmes sont durement touchées, y compris sur le plan international puisque le quai d'Orsay à choisi d'économiser fortement dans ce domaine. Tout cela pour baisser sans cesse l'impôt sur la fortune !
Votre politique en matière de sécurité est particulièrement marquée par l'exclusion sociale. En effet, la loi de sécurité intérieure porte la stigmatisation de populations ciblées, pauvres et souvent victimes elles-mêmes de marchands de vies humaines. Vous stigmatisez les jeunes, vous stigmatisez la banlieue. Vous attisez les peurs. Votre course au rendement produit des effets désastreux.
En ce qui concerne la justice, comme vous l'ont fort justement signalé magistrats et avocats, nos libertés sont en danger avec le véritable bouleversement de la procédure que vous imposez par la force. Alors que les pouvoirs de la police et du Parquet, soumis hiérarchiquement à la Chancellerie et plus généralement au pouvoir exécutif, sont considérablement accrus, une justice à deux vitesses va inévitablement s'instaurer, arrangeante pour les plus puissants, qui pourront marchander leur peine dans le bureau d'un procureur, mais intransigeante avec les plus faibles, qui n'auront pas les moyens de se défendre convenablement. La présomption d'innocence y fait également l'objet d'une sévère entorse.
De nombreux intellectuels, juristes, chercheurs ou artistes se sont élevés récemment contre la guerre à l'intelligence que vous menez. Hier encore, ils dénonçaient le K.O. social en déployant toute la puissance de leur capacité créative. Ils l'ont fait avec force, parce que l'exaspération que produit votre politique se fait sentir partout. Vous n'avez de cesse que de mettre en place tous les ingrédients du chacun pour soi, de la désespérance, du renoncement, des inégalités, de la mal-vie, de l'exploitation capitaliste. Nombreux sont ceux et celles qui ne veulent pas de votre société : elle leur fait mal, elle leur fait peur.
Les intermittents du spectacle ont déposé un contre projet pour leur assurance-chômage : votre devoir est d'ouvrir les négociations. Par le sabordage auquel vous avez participé, c'est la démocratie culturelle française qui est ainsi insidieusement sabotée. D'ailleurs, de nombreux députés de l'opposition et même récemment quelques membres de l'UMP vous ont écrit, Monsieur le Premier Ministre, afin de vous faire part de leur vive inquiétude.
Les enseignants organisent une journée de grève nationale unitaire le 12 mars pour défendre le service public d'éducation contre la suppression des postes et la faiblesse des recrutements.
Les associations familiales ont dû protester contre l'atteinte portée à l'Allocation de Parent Isolé (API). Dois-je préciser que cela s'ajoute à un ensemble de dispositions régressives pour le droit des femmes, au-delà des péripéties détestables de l'amendement Garraud ? Après avoir rogné sur le droit au départ anticipé à la retraite des femmes, après avoir amputé les indemnisations chômage des intermittentes du spectacle, le gouvernement prend pour cible les mères de familles les plus précaires.
Les femmes, Monsieur le Premier ministre, seront en manifestation pour leurs droits le 6 mars, elles retrouveront les manifestations des chômeurs contraints de saisir la justice pour faire valoir leur droit devant un gouvernement qui reste sourd à leur appel.
Les agriculteurs réunis aujourd'hui en salon n'ont pas la tête à fêter la région Poitou-Charentes. Tandis que vous accompagnez les politiques européennes aggravantes, l'agriculture connaît une crise profonde qui menace des dizaines de milliers d'emplois dans notre pays. Pour vivre de leur travail, pour des prix rémunérateurs, les agriculteurs vous demandent de prendre vos responsabilités ! A quand un Grenelle des prix agricoles ?
Enfin, dans de nombreux secteurs, les salariés sont mobilisés face à votre politique, dans l'énergie, dans les transports, dans la santé
Autant d'éléments qui confortent les parlementaires communistes pour résister aux côtés du monde du travail qui veut se faire respecter de ce gouvernement ! Aux côtés des " sans ", les sans logements, les sans papiers, les sans emplois, les sans ressources
C'est pourquoi, nous avons toute cette semaine à l'occasion de nos niches parlementaire, voulu faire entendre cette voix au travers de nos deux propositions de loi l'une contre les délocalisations, l'autre contre la précarité de l'emploi. Cette voix, c'est la voix de ceux qui veulent que ça change ! De ceux qui n'en peuvent plus de ne pas savoir comment ils vont payer les études de leurs enfants, comment ils vont payer leur loyer, avec combien ils vont finir le mois !
Ces deux propositions ont été nourries de la réflexion des salariés, de leurs représentants, pour dégager des solutions face à la déferlante de plans sociaux, de gâchis économique et pour répondre au silence coupable du gouvernement devant cet indécent sabordage des outils de travail et de notre industrie qui jette des hommes et des femmes à la rue. Nous ne nous contentons pas vous censurer, nous avons des propositions ! Je ne doute pas qu'elles sauront rassembler largement à gauche, et j'ose espérer au-delà, tous ceux qui ne veulent ni de la précarité du travail, ni des délocalisations.
Alors, nous voici dans cet hémicycle pour cet exercice un peu convenu, en cette période électorale. On ne m'empêchera pas de penser que la meilleure des motions de censure viendra des luttes, des prises de paroles des salariés. Elle viendra des urnes lors du prochain scrutin des élections cantonales et régionales !
Nous sommes conscients que la condamnation de votre politique, unanime de notre côté de l'hémicycle, ne suffit pas. Nous pensons que la meilleure façon de vous censurer, c'est de proposer une alternative de transformation sociale à votre politique réactionnaire. Les députés communistes et républicains sont déterminés à hausser le niveau de la riposte, pour freiner vos ardeurs ultra-libérales. Cela nécessite de faire sauter le verrou libéral qui pèse sur les politiques à tous les niveaux et que votre gouvernement accentue. Cela nécessite de porter l'audace de propositions réellement progressistes et anticapitalistes qui aillent chercher l'argent directement dans les poches de ceux à qui il est inutile ! Face à la précarisation de la société, nous proposons la sécurité d'emploi, de formation et e revenu. Pour la Sécurité sociale, nous voulons une taxe additionnelle sur les produits financiers. Face à votre casse des missions de l'Etat, nous proposons un grand service public de l'habitat. C'est ainsi que pourra se reconstruire une perspective. Une dynamique est à l'uvre dans les batailles électorales actuelles, avec les acteurs et actrices du mouvement social. De cette dynamique, ce gouvernement a tout à craindre. Avec ces hommes et ces femmes, avec cette immense majorité, il devient possible de bâtir ensemble l'avenir, de bâtir un large rassemblement pour le changement. C'est d'autant plus urgent que la politique que notre peuple subit durement, porte des atteintes graves aux fondements-mêmes de notre pacte social et démocratique.
Mes chers collègues,
Monsieur le Premier ministre,
Les salariés vous censurent, les intermittents vous censurent, les retraités vous censurent, les chômeurs vous censurent, les juristes vous censurent, les hospitaliers vous censurent !
Et ce n'est pas votre maladresse que l'on vous reproche, mais le caractère profondément réactionnaire de votre politique.
Depuis plus de 19 mois, vous avez mené un combat à la solde d'une minorité de privilégiés et vous êtes restés sourds aux attentes du plus grand nombre. Votre politique fait de vous les légataires universels des intérêts du MEDEF. Avec lui, vous voulez anéantir ce que les luttes populaires ont façonné avec passion et justesse : une société dotée d'un système de protection sociale, de grands services publics, de droits sociaux et démocratiques réels. Mais dans ce pays, la Constitution établit encore des droits inaliénables. Notre République arbore encore la fière devise " Liberté, égalité, fraternité ". Plutôt que le recul de civilisation que vous mettez en oeuvre, c'est cela qui doit demeurer à l'ordre du jour.
Résolument décidés à faire barrage à cette politique pour construire un autre projet de société, au nom de tous ceux et celles que votre politique humilie, les députés du groupe communiste et républicain voteront cette motion de censure.
(Source http://www.pcf.fr, le 4 mars 2004)