Conférence de presse de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, et entretiens avec des radios françaises et espagnoles, sur les débats en cours concernant la future Constitution européenne, Bruxelles le 18 mai 2004.

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Circonstance : Réunion du Conseil affaires générales et relations extérieures, à Bruxelles les 17 et 18 mai 2004

Média : Radios espagnoles - Radios françaises

Texte intégral

(Conférence de presse de Michel Barnier lors du Conseil affaires générales et relations extérieures, à Bruxelles le 18 mai 2004) :
Mesdames, Messieurs, bonjour. Je suis content de vous retrouver et, comme la discussion n'est pas terminée, et que le déjeuner suit immédiatement, je vais devoir vous quitter rapidement. Donc je veux simplement vous donner à ce stade mes impressions sur la discussion d'hier et de ce matin.
D'abord sur la méthode, je veux redire que la Présidence irlandaise est à la fois intelligente et volontariste. Je crois cependant que nous avons procédé ce matin, et c'est encore en cours, à ce que je crois être ou devoir être le dernier tour de table avant la conclusion au Conseil européen du mois de juin. Mon sentiment c'est qu'on a atteint la limite de l'exercice consistant pour chacun à répéter, pour certains ses lignes rouges, pour d'autres ses réserves, ses réflexes nationaux. Je crois que l'on a atteint les limites de cet exercice. Il fallait aller au bout de cette logique de discussion. Ce qui veut dire, de mon point de vue, mais je fais confiance à la Présidence irlandaise pour prendre ses responsabilités, qu'il est maintenant possible et souhaitable que la Présidence irlandaise mette sur la table dans quelques jours, dans quelques semaines, un projet d'accord issu de toutes ces discussions. Je ne crois pas que l'on pourra aller beaucoup plus loin en étant autour d'une table à répéter, ce à quoi chacun tient. Le centre de gravité de l'accord, je crois que la Présidence irlandaise doit pouvoir le déterminer maintenant. Voilà pour ce qui concerne la méthode si nous voulons, comme je le pense nécessaire et possible, aboutir le 18 juin. En d'autres termes, cela ne paraît plus être utile que nous soyons tous là à répéter, ce à quoi, chacun, nous tenons.
Sur le fond, je pense que, sur un point, le centre de gravité en matière de coopération judiciaire, c'est la majorité qualifiée. La France y tient. Je pense qu'on ne reviendra pas en arrière. Il y a une majorité de pays qui se sont exprimés sur un sujet qui intéresse réellement les citoyens, où il y a des enjeux liés à la sécurité, de plus en plus d'enjeux. Je pense que le centre de gravité a pour but que l'Union ait les moyens, c'est-à-dire la capacité de décider à la majorité qualifiée sur ce sujet. Autre sujet où j'ai moins d'optimisme, c'est le moins que je puisse dire, c'est la question fiscale. Et d'autres vous le diront sûrement, enfin vous diront pourquoi et pour quelle raison ils ne veulent pas avancer. Je n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi nous ne pouvons pas gérer à la majorité qualifiée des sujets qui touchent au bon fonctionnement du marché intérieur et rien qu'à cela - nous ne parlons pas de fiscalité sur les citoyens et de l'impôt sur le revenu, nous parlons de quelques modestes sujets liés à la fiscalité des entreprises dans le cadre du marché intérieur et de son bon fonctionnement. Nous devons prendre acte qu'il y a sur ce point un blocage. J'ai un peu plus d'espérance sur la dimension sociale. Nous avons fait à nouveau des propositions. Là encore elles ne sont pas révolutionnaires. Je pense que le sommet tripartite, la clause sociale, transversale, pourraient finalement être soutenus. J'ai avancé aussi une demande raisonnable qui touche à la protection sociale des travailleurs migrants et également au sujet de la résiliation des contrats de travail. Nous pourrions là de manière pragmatique pouvoir décider à la majorité qualifiée. Sur ces sujets, je n'ai pas senti de contradiction ou d'opposition aussi forte que sur les questions de fiscalité.
Enfin, je pense avoir été assez véhément pour le dire et soutenu qu'on ne peut pas à la fois bloquer la progression de la majorité qualifiée et vouloir restreindre la possibilité de coopérations renforcées. Donc je pense que le texte de la Convention sur les coopérations renforcées devrait être préservé. La philosophie des coopérations renforcées, voire des coopérations structurées en matière de défense, je le répète, c'est que nous sommes tous sur la même route, tous ensemble et non pas sur des routes différentes, et que sur cette route, dans certaines conditions, un groupe de pays, nouveaux ou anciens, petits ou grands, qui ont envie d'aller un peu plus loin, partent en éclaireur. Si cette possibilité n'existait pas dans le Traité, je me permets de redire que ces pays auront la tentation de partir en dehors du Traité sur une autre route, de voir se multiplier les "Schengen" politiques, militaires ou autres. Tout l'effort que nous avons fait, que la France soutient, c'est que, pour des raisons de philosophie, de morale de l'Union, tout cela se passe dans le cadre du Traité, en bonne intelligence avec tout le monde. Donc, les coopérations renforcées en général, les coopérations structurées en matière de défense, sont conformes à cette philosophie de l'action commune et en même temps permettent aux pays qui veulent partir en éclaireurs sur la route commune de le faire. Je crois que cette idée là aussi a beaucoup progressé.
Voilà pour ce qui concerne les sujets liés aux questions non institutionnelles. Nous avons évoqué, la discussion n'est pas terminée donc je vais y retourner, la question de la Commission. Il a été rappelé d'ailleurs quelque chose que je vous redis à mon tour. C'est que l'idée d'une Commission qui comporterait moins de commissaires que d'Etats membres, cette idée a déjà été acceptée par tout le monde. Par les Quinze et, dans les Traités d'adhésion des nouveaux pays membres, par les nouveaux pays membres. C'est le Traité de Nice qui, précisément, dispose que lorsque l'Union compte vingt-sept pays ou 25+2, il y aura moins de commissaires que d'Etats membres à partir de ce moment-là. Cette idée a été acceptée. Ce qui n'a pas été prévu dans le Traité de Nice, c'est le mode d'emploi. Donc nous le cherchons. J'ai redit une conviction qui est très ancienne et qui a été pour moi confortée par les cinq années que je viens de vivre comme Commissaire, que c'est la collégialité qui est la clé de l'intérêt général, l'alchimie collégiale, - le fait qu'un certain nombre de personnalités de différentes sensibilités, de différents pays, de différentes cultures soient obligés de se mettre d'accord pour rechercher l'intérêt général - cette collégialité-là, de mon point de vue, n'est plus possible si on est trop nombreux. En même temps, il y a un souci légitime qu'ont tous les Etats, c'est celui de l'égalité de traitement. Comment concilier cela ? En prévoyant le plus tôt possible, moi je pense en 2009, ce serait mieux, après un temps où il y aura vingt-cinq commissaires, de revenir à une Commission restreinte à quinze ou au maximum dix-huit membres avec ce principe de l'égalité. Et en fait, j'ai répété à mes collègues ce que vous m'avez entendu dire plusieurs fois : chaque pays a un commissaire, si je puis dire, jusqu'en 2009, tous en même temps.
A partir de 2009, pas tous en même temps. Mais chaque pays garde un commissaire. C'est cela qu'il faut expliquer parce que c'est la vérité. Il y a égalité de traitement. Chaque commissaire a un statut égal aux autres, un droit de vote comme les autres, qu'il soit d'un grand pays ou d'un plus petit pays, simplement, pendant une période, un certain nombre de pays n'ont pas de ressortissants dans la Commission.
Certains ont souhaité que ce soit pour deux mandats sur trois que l'on soit "représenté" dans la Commission. Cela peut être raisonnable. En tout cas, j'ai mis en garde, avec le recul, et l'expérience que j'ai pu obtenir, sur le fait que la Commission serait affaiblie en étant trop nombreuse. Personne n'a intérêt à ce que la Commission soit faible : elle est au coeur du modèle communautaire et les choses vont être plus compliquées pour son fonctionnement, en général, et probablement l'intérêt général plus difficile à trouver parce qu'on est un plus grand nombre de pays. Donc il faut à tout prix que la Commission soit préservée. J'ai le sentiment, dans la discussion qui n'est pas terminée, que cette idée-là progresse. Et j'ai entendu plusieurs représentants de pays plus petits exprimer ce point de vue. Voilà ce que je peux dire des deux grands chapitres que nous avons examinés hier et aujourd'hui.
Q - Le ministre polonais des Affaires étrangères a dit qu'il ne parierait pas un Zloty sur l'adoption de la Constitution en juin. Combien d'euros parieriez-vous ?
R - C'est difficile d'évaluer les monnaies.
Q - Et l'attitude des Britanniques ?
R - Sans trahir les délibérations, je suis certain que vous aurez d'autres échos, Jack Straw, qui a toujours beaucoup d'humour, a évoqué les moustiques, en disant : "j'ai l'impression que vous m'en voulez tous, que je suis entouré de gens qui sont comme des moustiques". Alors je lui ai expliqué que les moustiques étaient gênants mais qu'il y avait aussi la mouche Tsé-tsé. N'est-ce pas ? Et j'ai répondu qu'il fallait se méfier des moustiques qui pouvaient endormir tout le monde. Moi je ne souhaite pas que l'Europe s'endorme. Je souhaite que l'Europe ait la capacité de fonctionner. Donc je peux comprendre un certain nombre de réserves. Je comprends mal qu'on revienne en arrière sur le texte adopté à Naples sur lequel il y avait un consensus assez large, y compris britannique et d'autres pays. On n'est pas dans un état d'esprit de montrer du doigt tel ou tel pays. Je suis dans l'état d'esprit de travailler, de favoriser un accord qui ne revienne pas en arrière sur le consensus que j'avais observé, en tant que commissaire, à Naples.
Q - Pensez-vous aboutir en juin ?
R - Ecoutez, franchement, je ne m'imagine pas, au point où nous sommes de la négociation, vraiment les derniers mètres de la dernière ligne droite, dans le climat actuel du monde, avec l'inquiétude qui existe à propos de la sécurité, du terrorisme, inquiétude sociale et économique, je n'imagine pas que les chefs d'Etat et de gouvernement n'aboutissent pas au mois de juin. Voilà. Donc je préfère me situer dans la perspective d'un accord. Ne vous laissez pas impressionner par l'ambiance de ces discussions. Comme ça, je pense que l'exercice auquel a voulu procéder la Présidence irlandaise était un peu obligatoire mais qu'il a atteint ses limites, qu'on répète tous la même chose. Maintenant, pour provoquer l'accord, il faut que la Présidence prenne la responsabilité, prenne le risque nécessaire de mettre sur la table un projet d'accord sous sa responsabilité et nous soutiendrons cette démarche.
Q - Le projet d'accord doit-il être global ? Il doit comprendre la double majorité ?
R - Il faut mettre un paquet global. Je pense que les éléments enregistrés par la Présidence irlandaise, ces éléments du paquet global, existent maintenant. Encore une fois, franchement, je ne vous le dirais pas si je ne le pensais pas, mais la Présidence irlandaise a fait du bon travail. Le Premier ministre irlandais aussi.
Q - Vous semblez tout de même excessivement optimiste...
R - Je ne suis ni optimiste ni pessimiste, je suis déterminé. C'est une phrase de Jean Monnet. Vous voyez que j'ai de bonnes références.
Q - De Jacques Chirac ?
R - Non. Jean Monnet.
Q - Je ne connais pas.
R - Si vous pensez que Jacques Chirac, le président de la République, dit la même chose que Jean Monnet c'est quand même un progrès. Pas pour lui mais pour vous. Jean Monnet a dit : "je ne suis pas optimiste, je suis déterminé". Donc je ne suis ni optimiste, ni pessimiste, je suis déterminé. Et même véhément, parce qu'il faut maintenant un peu de véhémence, j'en ai fait la preuve ce matin en expliquant ce que je pense, encore une fois, à propos de la Commission. Ce sont les grands pays qui, quand même, qui ont deux commissaires actuellement sur vingt, et cela a été assez bien compris par beaucoup d'autres pays, font l'effort qu'ils doivent faire pour que la Commission fonctionne. Donc oui, le moment est d'être à une certaine véhémence, une certaine détermination.
Q - Si la Présidence ne prend pas le risque de présenter un texte dans les prochains jours ?
R - Si la Présidence irlandaise ne le fait pas, la discussion peut continuer ou peut être suspendue. Mais, encore une fois, je pense que le moment est venu de mettre la maison en marche et en ordre. La maison européenne doit être en ordre pour le moyen et le long termes. Le moyen et le long termes exigent l'outil que représente cette Constitution. Je ne peux pas dire autre chose.
Q - Admettons que nous ayons un accord, il y aura un problème de ratification.
R - Ça c'est une bonne information !
Q - Je ne vous étonne pas mais il y a tout de même un risque. Qu'est-ce qu'on va faire au cas où il y aurait plusieurs référendums qui répondent "Non". Finalement on pourrait peut-être se contenter du Traité de Nice ?
R - Je suis désolé de devoir vous fixer des rendez-vous tous les jours mais j'ai répondu précisément à cette question hier. Vos collègues vont vous donner un compte-rendu. J'ai évoqué les quatre hypothèses mais je l'ai fait de manière extrêmement factuelle. Moi je souhaite que l'on obtienne une ratification partout et j'ai évoqué hier les quatre hypothèses juridiquement possibles.
Q - Il faut quand même aller de l'avant par rapport à Nice.
R - Oui. C'est une des hypothèses.
Q - Vous en pensez quoi ?
R - Je pense que le Traité de Nice est un Traité utile dans le court terme. Le court terme, nous y sommes. Sérieusement, nous avons besoin, pour faire fonctionner cette Europe élargie avec vingt-cinq ou trente pays, d'un certain nombre d'outils, au-delà d'un texte lisible, clair. N'oubliez pas tout le travail de la Convention. Le danger des commentaires que nous faisons maintenant sur ces quelques points de mécanique est que l'on oublie de parler de tout ce qui est acquis et qui est considérable et qu'a préparé, qu'a proposé la Convention. Je n'ai pas de conseil à vous donner sur la manière de rendre compte de ce travail, mais je ne voudrais pas que ces quelques points de discussion ou de débat, qui sont des points de pouvoirs, en réalité, vous conduisent à oublier dans vos explications vis-à-vis de vos lecteurs, de vos auditeurs, tout ce qui est acquis dans la Convention et qui est considérable, et qui est un vrai nouveau Traité du point de vue des politiques, des droits des citoyens, des institutions elles-mêmes et des objectifs de l'Union. Mais il y a de nouveaux outils dans cette Constitution dont nous avons besoin en matière de politique étrangère, de défense ou de majorité qualifiée et avec les coopérations structurées. Nous avons besoin de tous ces outils pour que l'Union puisse continuer et aller plus loin.
Q - Je voudrais revenir sur la JAI. Est-ce que le procureur européen va être supprimé ou bien aménagé ?
R - Je pense que la clause correspondante va être aménagée.
Q - La question devait être traitée aujourd'hui pour savoir s'il y aura ou non un paquet global ?
R - Je pense qu'il faut que la Présidence irlandaise, que je vais rejoindre, fasse une évaluation de la discussion d'aujourd'hui. Ils auront un sentiment un peu comparable à celui que j'exprime, que l'exercice a atteint sa limite, maintenant. Je pense que les éléments existent pour prendre ce risque nécessaire et utile de proposer un accord global. Voilà.
Q - Avant les élections européennes ou après ?
R - Je ne peux pas vous le dire. J'aimerais bien, pour être très franc, qu'il y ait un signal avant.
Q - Avec un nouveau texte ?
R - Il était prévu, éventuellement, une réunion la semaine prochaine. Je ne suis pas sûr que la Présidence tienne cette réunion. Si c'est une réunion consistant à faire un nouveau tour de table, je ne crois pas que ce soit utile. Je ne peux, franchement, que laisser le ministre irlandais répondre à cette question de savoir s'ils veulent proposer un projet d'accord. Je les encouragerais à le faire, et à prendre ce risque, je le répète, qui est un risque nécessaire et utile. Nous soutiendrons cette démarche, après quoi faut-il une nouvelle réunion ou alors mettre ce projet d'accord sur la table des chefs d'Etat ? C'est peut-être probablement ce qui serait le plus efficace. Voilà ce que je pense.
Q - Est-ce que vous pouvez faire un panorama à l'issue de cinq ou dix ans à propos de ce que seraient ces coopérations renforcées pour la France ?
R - Non. Je n'ai pas de certitude sur le sujet. Mais probablement dans un domaine comme celui que M. Bolkestein a évoqué, à propos de la fiscalité sur les sociétés, peut-être dans certains domaines ou certains champs de la coopération judiciaire, probablement.
Il y a pour un certain nombre de pays grands et plus petits, nouveaux et anciens, des sujets de coopérations renforcées qui permettraient justement d'éclairer le chemin des autres. Encore une fois, pour moi, ma philosophie c'est de préférer que les "Schengen" éventuels puissent se faire dans le cadre du Traité et en bonne intelligence avec tout le monde plutôt que de se faire en dehors.
Q - N'y a-t-il pas le risque qu'un éventuel "paquet" soit rejeté ?
R - Je pense qu'il y a moins de risque. La discussion devait se poursuivre parce que la situation n'était pas mûre à Bruxelles en décembre. On est allé au bout de la discussion, voilà ce que je pense. Franchement. Et maintenant il va falloir un moment de vérité. C'est un moment de vérité qui doit être organisé. Chacun prendra ses responsabilités et puis chacun tirera les conséquences de ce qui se passe.
Q - Quel bilan tirez-vous du Conseil avec les pays du Golfe qui s'est tenu hier soir ?
R - Ecoutez, j'ai éprouvé le sentiment, pour la première fois que je participais à ce Conseil avec tous les ministres des Etats du Golfe, que l'on a beaucoup de choses à faire pour mieux se connaître et mieux se comprendre, pas seulement sur le plan du libre-échange, sur lequel travaille Pascal Lamy, pas seulement sur le plan de l'économie mais aussi sur des sujets qui intéressent davantage les citoyens : l'assistance technique, les coopérations entre les universités et puis naturellement le dialogue politique. Nous avons senti, chez nos collègues des pays du Golfe, une très très grande préoccupation, qui est la nôtre et une analyse assez proche sur le dossier irakien et le conflit israélo-palestinien.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mai 2004)
(Entretien de Michel Barnier avec des radios françaises, à Bruxelles le 18 mai 2004) :
Q - Sur le projet de Constitution, qu'est-ce qui coince ? Est-ce qu'on peut faire le détail des sujets d'achoppement ? Y a-t-il des thèmes, qui sont pour vous des thèmes où l'on peut avancer encore ?
R - Cette négociation se trouve dans les derniers mètres d'une dernière ligne droite. Ce qui pose encore problème, ce sont les questions les plus sensibles pour ce qui touche aux pouvoirs, aux prérogatives des Etats. Est-ce que chaque pays aura son Commissaire ? Est-ce qu'il aura le même pouvoir que les autres ? Est-ce qu'on garde un droit de veto, c'est-à-dire un droit de blocage sur telle ou telle politique, alors que tout le monde sait que dans une Union de vingt-cinq ou vingt-sept pays, le droit de veto est une source d'impuissance et de blocage assuré ? Ce sont des questions qui touchent aux prérogatives, aux pouvoirs de chacun. Il faut vraiment, dans cette dernière ligne droite, que chaque pays, et nous y sommes presque, fasse un effort par rapport à son réflexe national au profit de l'efficacité politique collective, s'agissant des sujets qui intéressent les citoyens, par exemple la coopération judiciaire qui est un grand sujet de préoccupation pour la sécurité des citoyens. C'est un domaine où nous souhaitons - et c'est un domaine où il y a un progrès possible - avoir une capacité de voter à la majorité qualifiée. Nous sommes donc dans cette dernière ligne droite. Vraiment, je souhaite que l'on ne remette pas en cause le travail considérable qui a été fait par la Convention. Cette Convention a travaillé sous l'autorité de M. Giscard d'Estaing de manière assez exemplaire, transparente. On ne fera jamais mieux que le texte de cette Convention. Et maintenant, l'Union européenne, si elle veut être autre chose qu'un supermarché, si elle veut être une communauté solidaire, si elle veut devenir un acteur global dans le monde, faire entendre la voix de l'Europe, a besoin de la Constitution. Nous sommes donc à un moment de vérité et j'espère que la présidence irlandaise qui a fait du bon travail prendra le risque nécessaire de mettre sur la table un projet d'accord pour que les chefs d'Etat et de gouvernement puissent en décider le 18 juin.
Q - Vous pensez que cet objectif reste réaliste ?
R - Je pense que tous les éléments existent pour que la présidence irlandaise prenne ce risque qui est un risque à la fois nécessaire et utile. Je pense aussi qu'il est nécessaire qu'on aboutisse au mois de juin sur cette Constitution parce qu'il faut mettre la maison européenne en ordre. Il faut que cela marche. Nous avons trop de soucis, trop d'angoisses et de préoccupations, liés à la sécurité, au terrorisme, aux problèmes industriels ou sociaux, à la défense de l'environnement. Il faut que l'Europe marche. Il faut que la maison soit en ordre.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mai 2004)
(Entretien de Michel Barnier avec des radios espagnoles, à Bruxelles le 18 mai 2004) :
Q - Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur les régions ultra-périphériques ? Quelle est la position du gouvernement français ?
R - Le gouvernement français attend la proposition de la Commission, j'espère le plus tôt possible. J'y avais personnellement beaucoup travaillé comme Commissaire européen en charge de la politique régionale. Le texte de stratégie de l'Union européenne, cette proposition de stratégie pour les régions ultra-périphériques, était presque prêt, et ce que je souhaite, pour que les choses soient clarifiées, c'est que la Commission puisse adopter cette proposition très vite, maintenant.
Q - Mais l'Espagne, et la Présidence a pris son texte, a demandé que toutes les régions ultra-périphériques, indépendamment de leur PIB, soient à la lettre A de l'article 136 pour les aides d'Etat.
R - L'objet de la discussion que j'avais eue avec M. Monti sur ce point, c'est que les régions qui restaient dans l'objectif 1 avaient le régime le plus favorable en termes d'aides d'Etat comme c'était déjà le cas, et pour les autres, j'avais plaidé pour qu'il y ait un régime le plus proche possible.
Q - Mais la France peut soutenir que les régions ultra-périphériques aient toutes le même régime ?
R - La France souhaite que le Traité de l'Union, qui prévoit de préserver la spécificité et de reconnaître les handicaps durables des régions ultra-périphériques en raison de leur éloignement, de leur très faible densité, de leur insularité, que ce traité soit respecté dans toute sa dimension et dans toute sa lettre. Je reste donc très favorable aux régions ultra-périphériques, je n'ai pas changé d'opinion.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mai 2004)