Interview de M. Dominique Perben, ministre de la justice, à RTL le 28 octobre 2003, sur la question de l'euthanasie, sur la situation dans les prisons françaises et sur le règlement du litige avec l'Etat de Californie à propos de l'achat d'Executive Life par le Crédit Lyonnais.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie- Vincent Humbert, jeune tétraplégique de 23 ans, décédé le 26 septembre dernier, a relancé le débat sur l'euthanasie en France. Il avait réclamé, dans une lettre ouverte au président de la République, le droit de mourir. Hier, le procureur de la République de Boulogne-sur-Mer a décidé d'ouvrir deux informations judiciaires, visant Marie Humbert et Frédéric Chaussoy, la mère et le médecin de V. Humbert. Tous les deux sont soupçonnés - mais ils le reconnaissent publiquement - d'avoir aidé V. Humbert à mourir. Pourquoi, après un mois de réflexion, la Justice a t-elle décidé de poursuivre ces deux personnes ?
- "Le procureur applique la loi avec modération, et avec sens de l'humanité, puisqu'il n'est pas inutile de noter que, s'agissant de la mère dont on a tous constaté la souffrance, il l'a poursuit pour un simple délit. S'agissant du médecin qui a revendiqué l'acte qui a entraîné la mort, il y a effectivement poursuites pour "empoisonnement ayant entraîné cette mort"."
Le médecin risque la perpétuité ?
- "On en est à la transmission du dossier, avec ouverture d'informations, transmission du dossier à un juge d'instruction. Le Parquet, exceptionnellement, a mis un mois pour réfléchir, pour analyser les choses avant de transmettre ce dossier, avec beaucoup de modération, compte tenu de ce qu'est la loi. Le procureur de la République ne peut pas ne pas appliquer la loi, bien entendu, mais il le fait avec beaucoup d'humanité. Il appartiendra maintenant au juge d'instruction d'instruire, c'est-à-dire de réfléchir. Et je rappelle que la Justice, c'est toujours au profit du magistrat la possibilité d'apprécier à la fois, les circonstances, et les personnalités qui sont en cause. Et donc je suis convaincu que la Justice fera preuve, là encore, de beaucoup d'humanité."
Modération, humanité, mais vous dites aussi : application de la loi. Donc il y aura un procès, s'il faut appliquer la loi ?
- "Il y aura sans doute un procès, bien sûr, sauf si le juge d'instruction décidait de classer... Cela ne nous exonère pas d'un débat. Et, pour ma part, j'ai ouvert ce débat, y compris sur le site Internet du ministère, pour qu'après l'émotion qu'on a tous partagée il y a un mois, il puisse y avoir un moment d'intense réflexion. Ce qui ne veut pas dire qu'il faille changer complètement la loi. Mais en tous les cas, il faut nous poser toutes les questions qui concernent la fin de vie, qu'il s'agisse d'une fin de vie à la suite d'un accident, qu'il s'agisse de la fin de vie des personnes âgées qui aujourd'hui, du fait des évolutions technologiques, vont de plus en plus loin je dirais dans la survie, avec les conséquences parfois que cela entraîne. Il ne faut pas oublier non plus que les médecins font en moyenne dix ans d'études pour sauver les gens. Donc on ne peut pas non plus demander aux médecins d'assumer, seuls, une tâche qui n'est pas la leur, qui serait de donner la mort. Donc il y a là des questions qui se posent à notre société, auxquelles nous devons répondre. J'ai ouvert ce site : 7.000 personnes, tous les jours, viennent sur ce site. Et par ailleurs, j'ai lancé toute une série de consultations auprès des personnalités philosophiques, religieuses, de la société française, pour réfléchir avec elles."
Mais on sent bien la gêne du Garde des Sceaux que vous êtes : appliquer la loi avec modération, avec humanité... Cela veut dire qu'il faut changer la loi ?
- "Ce n'est pas de la "gêne". La justice ne peut être qu'être appliquée avec humanité, avec modération. Et lorsque nous sommes dans un moment où la société change, parce que les technologies ont changé, il faut avoir le courage de regarder les choses en face, d'en débattre, mais pas en un quart d'heure en disant, sans avoir réfléchi : "on va changer la loi pour faire moderne". Il ne s'agit pas de ça ! Il s'agit de la vie, de la mort. Il s'agit de quelque chose qui nous concerne tous. Donc nous devons, certes, réfléchir sérieusement, mais il faut prendre le temps de le faire."
"Humanité", disiez-vous. C'est justement ce reproche que vous fait l'Observatoire international des prisons. Vous n'avez pas d'humanité, en France, dans les prisons. Descente aux enfers, surpopulation carcérale... Beaucoup de reproches vous sont faits dans ce rapport rendu public hier. L'OIP est une organisation indépendante, mais son diagnostic à votre égard est très dur...
- "Je récuse absolument les attaques excessives et grotesques de cette association militante, qui est contre la prison ! Qu'est-ce que cela veut dire dans une société ? Ils sont hostiles à la prison, et en même temps ils me reprochent d'en construire de nouvelles ! Alors qu'ils expliquent - à juste titre - que plus de la moitié des prisons françaises datent du XIXème siècle. C'est justement pour cela, parce que moi aussi j'ai constaté que la situation des prisons en France n'était pas bonne, que un, je construis 13.000 places de prison, que deux, je mets en place, par exemple le bracelet électronique qui, il y a un an n'existait pas dans ce pays - il y avait cinq personnes sous bracelet électronique, nous en sommes maintenant, enfin, à 350, et mon objectif c'est 2.000. C'est pour cette raison que je développe le travail d'intérêt général et que je vais aussi construire des prisons spécifiques pour les mineurs, pour que les mineurs ne soient plus mélangés - comme c'est le cas depuis le début de la République - avec des adultes. Donc tout cela, nous le faisons. Nous agissons, nous travaillons, nous améliorerons les choses. Et je trouve assez dommage finalement, que cette association de militants - qui depuis d'ailleurs des années et des années critique tout ce qui se passe dans les prisons, quels que soient les efforts faits par les différents gouvernements - s'en tienne à une analyse aussi sommaire de la réalité ; car nous devons assurer la sécurité des Français, bien entendu il est indispensable qu'il y ait des prisons. Je rappelle enfin qu'en termes de nombre de prisonniers, la France est dans la moyenne des grandes démocraties occidentales."
60.000 prisonniers. Il n'y en a jamais eu autant depuis la fin de la guerre...
- "Il n'y en a jamais eu autant, mais nous sommes entre l'Allemagne et la Grande-Bretagne, en termes de nombre de prisonniers par rapport au nombre d'habitants. Et, quoi qu'on en pense, ce n'est pas un chiffre qui peut baisser, comme ça, en claquant dans les doigts !"
Rapidement, dans un dossier extrêmement complexe : Executive Life. Les négociateurs français ont maintenant jusqu'au 24 novembre pour trouver une solution avec la justice californienne. Vous avez vu le ministre de la justice américain la semaine dernière, à Washington. Est-ce qu'on peut dire que les Français négocient en étant unis face à la justice californienne, c'est-à-dire le Gouvernement, les dirigeants du Crédit Lyonnais, F. Pinault et ses collaborateurs ? Tout le monde est-il uni maintenant dans cette négociation ? Ou y a-t-il toujours des tiraillements côté français ?
- "Je souhaite que les responsables concernés dans leur ensemble soient unis dans une négociation..."
Vous le souhaitez. Ils ne le sont pas ?
- "Je ne suis pas le dossier au jour le jour. Je ne suis pas chargé de négocier ce dossier..."
Mais vous en avez parlé avec votre homologue américain...
- "Bien entendu. Je ne suis pas chargé de négocier ce dossier qui concerne une entreprise privée qui, certes, nous concerne puisque ayant été une entreprise publique, et l'étant encore en partie, elle concerne les contribuables. Et c'est parce que je suis allé défendre les contribuables français par rapport aux Etats-Unis, à la justice américaine, que j'ai effectivement rencontré mon collègue J. Ashcroft, pour lui dire l'importance de ce dossier au vu de la France, et pour lui dire le souhait des Français : qu'un accord passé avec le procureur de Californie soit un accord global, qui ne laisse pas passer je dirais de "trous" et de possibilités maintenant une insécurité, pénale ou civile, pour les acteurs de cette affaire. Voilà quel était l'esprit."
Il vous a paru attentif ?
- "Il m'a paru attentif à la sensibilité que nous avions sur ce dossier, qui concerne encore une fois les contribuables français, et sa première réponse a été de participer à ce prolongement du délai qui, effectivement, était indispensable si on veut essayer d'arriver à un accord."
On dit que J. Chirac pourrait téléphoner à G. Bush sur ce sujet...
- "Là, je ne suis pas du tout au courant ! Je crois que c'est plus l'affaire du Gouvernement que celle du président de la République."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 octobre 2003)