Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur un état des lieux de la réforme de l'Etat, en matière de décentralisation, réforme de l'administration territoriale, simplification, administration électronique, gestion des ressources humaines, mise en oeuvre de la LOLF et des stratégies ministérielles de réforme, Paris le 11 octobre 2004.

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Circonstance : Réunion des directeurs des administrations centrales à Paris le 11 octobre 2004

Texte intégral

Monsieur le Vice-Président,
Monsieur le Premier président,
Mesdames et Messieurs les secrétaires généraux et directeurs,
Je suis très heureux de vous réunir aujourd'hui tous ensemble, avec Renaud Dutreil, Dominique Bussereau et Eric Woerth, pour vous parler de l'Etat et des réformes que nous devons mener pour nos compatriotes.
J'ai un souvenir précis de notre rencontre du 11 avril 2003, où je vous avais dit mon souhait que nous fassions le point, une fois par an, sur nos chantiers de réforme. Le contexte économique était plus morose. Nous avions devant nous plusieurs réformes difficiles, les retraites, l'assurance-maladie, la décentralisation ; le Gouvernement a fait la preuve qu'il était capable de les mener à bien. Bien sûr, depuis 30 mois, mon regard sur l'Etat a évolué. Je connaissais la valeur et le dévouement des agents de l'Etat, mais je suis heureux de pouvoir vous dire que l'expérience a été au-delà de mes espérances.
N'y voyez pas une flatterie de tribune. L'Etat a de la chance : il peut encore recruter parmi les meilleurs, qui croient à ce qu'ils font.
Croyez moi. J'ai en mémoire les moments de crise, petites et grandes, que j'ai vécues dans mes fonctions, les accidents, les catastrophes... Et tout autour, la précision des gestes des policiers, des militaires, des préfets, des agents de l'équipement, tout ce qui fait que l'Etat tient debout et aide notre Nation à se tenir debout. De tout cela, et du reste, parce que l'Etat n'est pas grand que dans les crises, soyez remerciés et remerciez ceux qui servent sous votre autorité.
Pour autant, je reste convaincu que l'Etat a un urgent besoin de se réformer. Trop d'agents s'épuisent dans les méandres d'un système trop cloisonné.
Je ne me satisfais pas de ce que nous avons fait en la matière, mais j'ai une fierté que je vous dois, et dont je veux vous remercier, c'est d'avoir remis l'Etat en mouvement. C'est Francis Mer qui avait trouvé ce slogan pour Bercy et qui avait ainsi redonné son ambition à ce grand ministère. L'Etat en mouvement, je vous le disais l'an dernier, ce n'est pas le grand soir, c'est accepter, encourager, stimuler, mille et une réformes dans l'Etat, petites et grandes.
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J'avais demandé l'an dernier que ces réformes se déploient selon 5 axes pour la durée de la législature, 4 axes interministériels, et un axe ministériel :
1. La décentralisation et la réforme de l'administration territoriale 2. La simplification, l'administration électronique et plus généralement, tout ce qui améliore la qualité de service 3. La gestion des ressources humaines, avec la rémunération au mérite, la déconcentration et la gestion prévisionnelle des effectifs. 4. La mise en uvre de la LOLF 5. Et les stratégies ministérielles de réforme.
Si l'on regarde ce qui a été fait sur ces chantiers depuis 2 ans, on constate que l'administration n'est pas restée immobile :
La décentralisation est faite, et c'est une vraie réforme, sans doute une des plus importantes réformes de notre administration depuis 20 ans. Mais elle doit s'accompagner d'une réforme ambitieuse de notre administration départementale.
Le plan ADELE pour l'administration électronique, le service téléphonique du 3939, le bon accueil fait aux chartes Marianne de qualité de service dans les services déconcentrés, changent le regard que l'usager porte sur l'administration. Les projets de loi de simplification sont de formidables outils pour simplifier notre stock de législation. J'observe d'ailleurs que les administrations se sont très rapidement appropriées ce vecteur, ce qui ne m'étonne pas... Mais convenons que notre machine à produire de la complexité continue à marcher à plein régime.
Sur la gestion des ressources humaines, qui est un sujet difficile, beaucoup de choses ont été faites également. Le non-paiement des jours de grève a responsabilisé les agents ; la rémunération au mérite se développe ; certains ministères ont une politique ambitieuse de fusion de corps et de requalification interne, je pense en particulier à l'Equipement et à l'Intérieur. Mais la gestion prévisionnelle des emplois reste balbutiante, et les baisses d'effectifs restent subies, rarement anticipées.
La mise en uvre de la LOLF progresse. La maquette du nouveau budget a été arrêtée. Les objectifs et les indicateurs sont en cours de finalisation. Beaucoup reste à faire, D. Bussereau vous en parlera, mais le calendrier est pour le moment respecté.
Les stratégies ministérielles de réforme, enfin. Les SMR 2003 étaient, pour certains ministères, insuffisantes. Les SMR 2004 sont un meilleur cru. L'implication d'un cabinet de conseil externe, une plus grande anticipation également, l'énergie de R. Dutreil et d'E. Woerth, ont conduit les ministères à une plus grande ambition. La mécanique est en train de prendre, ont jugé les personnalités chargées d'auditer les SMR. Pour autant, ont-ils dit, il reste, dans beaucoup de ministères, un effort important à mener, en ce qui concerne l'ambition des réformes, ou en ce qui concerne la façon dont elles sont menées.
En bref, l'administration bouge dans le bon sens. Après des décennies d'augmentation de ses personnels et de ses crédits, elle est parvenue, non sans mal, à se gérer à moyens constants. C'est un premier résultat dont nous devons tous nous féliciter.
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Pour autant, j'ai la conviction que nous devons accélérer ce mouvement en 2005, ce pour au moins trois raisons. Premièrement, nous voulons à la fois baisser les impôts et réduire les déficits. C'est simple, cela veut dire, et nous nous y sommes engagés au plus haut niveau de l'Etat, que les dépenses n'augmenteront pas plus vite que l'inflation dans les prochaines années. Nous ne gaspillerons pas la croissance dans l'appareil d'Etat. Or, vous connaissez la rigidité des dépenses de l'Etat. Une stabilisation en volume, signifie en fait, à structure et effectifs inchangés, et à supposer que le Gouvernement n'ait aucune priorité à financer environ 2 Mds d'Euros d'économies à trouver par an. Si le taux d'intérêt moyen de notre dette augmentait d'un point, il faudrait dégager près de 10 Mds supplémentaires.
Faites en sorte, mesdames et messieurs les directeurs, que vos successeurs n'aient pas à vous haïr. Préparez les réformes nécessaires, faute de quoi elles s'imposeront à vous.
" Cela ne peut plus durer "... C'était le titre du premier chapitre de " La Réforme de l'Etat " écrit par André TARDIEU en ...1934. Aujourd'hui, je vous le dis ce qui était un pronostic devient une urgence.
Deuxièmement, l'Etat s'appauvrit quand il ne se réforme pas. Je n'ignore pas la situation déjà ancienne d'une certaine paupérisation de l'Etat, les administrations qui ne peuvent plus payer leurs factures. Je sais aussi que les gels sont le pire moyen de gestion qui soit. On m'a rapporté récemment le mot d'un directeur financier qui se plaignait " qu'on n'ait jamais autant parlé de stratégie et de programmation à long terme et qu'on n'ait pourtant jamais autant géré le budget à court terme ". C'est vrai ! Mais il est vrai aussi que si l'on avait additionné les demandes spontanées des ministères au 1er juin de cette année, un mois avant les arbitrages, il aurait fallu soit creuser le déficit de près d'un point de PIB, soit augmenter les impôts de plus de 11 milliards d'euros. Croyez vous que ce soit bon pour la France ? Donnez au Premier ministre les moyens de procéder autrement, et vous verrez les choses changer. Proposez des contrats de modernisation. Anticipez les réformes et vos agents en toucherons les bénéfices.
Enfin, dernier facteur qui rend la réforme inéluctable : j'ai la conviction que notre majorité parlementaire va se faire, et à juste titre, plus pressante. C'est pour cela que j'ai souhaité que chaque ministre défende, devant le Parlement, sa stratégie de réforme. Le Parlement sera pour vous un aiguillon. Il sera également une aide, pour convaincre vos partenaires de la légitimité de vos propositions.
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Il nous faut donc faire de l'année 2005 une année d'accélération des projets.
Je commence par la LOLF, même si je laisse à Dominique Bussereau le soin de vous en parler plus longuement. 2005, c'est la répétition générale. La maquette du budget est connue. Vous devez maintenant mobiliser vos services sur des objectifs stimulants. Le Parlement sera associé à cet exercice, comme il a été associé à la construction de la maquette. Les expérimentations menées en 2005 doivent aussi être ambitieuses pour que vous soyez prêts en 2006.
Certains d'entre vous seront responsables de programmes. Cela vous donnera une responsabilité particulière. La LOLF ne changera pas tout par elle même. Mais elle doit vous donner l'occasion de poser les bonnes questions d'organisation, de simplifier les chaînes hiérarchiques, de responsabiliser votre encadrement intermédiaire en lui donnant de larges libertés de gestion.
C'est pour cela que nous avons voulu compléter la LOLF avec les stratégies ministérielles de réforme. Ce sont deux démarches complémentaires. La LOLF est un outil, un cadre. La SMR est un projet.
Les SMR 2004, dans beaucoup de ministères, ont été un grand progrès. Il y a eu une implication du management, des objectifs hiérarchisés et chiffrés. N'ayez jamais peur d'afficher vos objectifs. On ne mobilise pas les hommes et les femmes si on ne leur dit pas quel est le projet.
Veillez maintenant à ce que les engagements pris soient exécutés dans les délais. L'administration se décrédibilise quand elle ne gère que des effets d'annonce. Le ministère de l'éducation nationale a affiché son ambition d'améliorer le taux d'emploi de ses professeurs remplaçants ; le ministre de l'agriculture veut fusionner ses offices : j'espère que tous les matins, les directeurs responsables se demandent comment tenir leurs objectifs...
Le comité d'examen des SMR sera pérennisé, de même que le recours à un consultant extérieur, afin que je puisse juger de l'état d'avancement de ces chantiers. Le Parlement, également, aura à cur de vérifier que les engagements sont tenus.
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LOLF, SMR, de ces deux exercices complémentaires, je tire quatre orientations.
D'abord, je vous demande plus d'ambition. 0.5% de gain de productivité par an, ce n'est pas à la mesure des enjeux. Le secteur privé fait couramment 4 à 6 fois plus, sur des fonctions tertiaires similaires. Pourquoi ferions nous moins bien ?
Pour atteindre cet objectif, il vous a été recommandé de réexaminer plus systématiquement vos missions. De fait, hormis quelques exemples, les projets d'externalisation, et plus encore de remise en cause de missions, sont rares. Je vous invite, sur ce sujet, à proposer à vos ministres des solutions innovantes : est-ce qu'il ne serait pas plus efficace de sous-traiter la surveillance et l'accueil au sein des musées ? Est-ce que tous les contrôles administratifs des hôpitaux et des caisses que pratiquent encore les DDASS doivent être exercés par l'Etat ? Comment la fonction de conseil peut-elle l'emporter sur celle de la contrainte trop souvent perçue par les acteurs locaux ? Il faut se poser ces questions.
Deuxième orientation, sortir des " jeux de rôle ".
J'évoquais tout à l'heure les demandes des ministères dans la préparation du budget 2005. Il est normal que chacun soit ambitieux mais Il faut éviter qu'elle ne transforme les débats en procédures stériles. C'est le troisième budget que j'arbitre. La procédure budgétaire actuelle qui se résume à une brève et vive confrontation est à bout de souffle. Il faut travailler beaucoup plus en amont avec le ministère des Finances.
A nouveau cadre budgétaire, nouvelle procédure pour le PLF 2006. Les discussions mesure par mesure, chapitre par chapitre, n'ont plus de sens. Il faut des choix plus globaux mais également plus structurants. Nous allons modifier la procédure budgétaire pour répondre à ce besoin.
En janvier prochain, des réunions structurelles auront lieu et seront l'occasion d'un travail conjoint approfondi sur les missions. Au-delà, c'est sur un calendrier différent, où les grandes enveloppes par secteurs pourront être arbitrées et connues dès le printemps, qu'il faut s'appuyer. L'enjeu est simple : mieux anticiper et laisser aux responsables de programme le temps de construire leurs projets et leurs objectifs.
Sortir des " jeux de rôle ", c'est aussi contractualiser sur des objectifs pluriannuels. C'est garantir aux administrations qui se réforment un taux de retour sur les économies réalisées, On peut tout contractualiser, même les modalités éventuelles de régulation. La démarche a prouvé son efficacité dans les grandes directions de Bercy. Elle sera étendue à d'autres ministères.
Troisième orientation, élargir les SMR à un certain nombre de problématiques interministérielles.
C'est ce que les ministères du budget et de la réforme de l'Etat font, à ma demande, sur trois sujets transversaux : les achats, l'immobilier, le parc automobile. Il y a des marges importantes sur ces différents postes. Sachons les mobiliser au service des Français et du bien être des agents.
Et puis, il y a un sujet transversal qui me tient à cur, c'est la réforme de l'administration départementale de l'Etat. Si l'on regarde l'histoire de notre administration, on constate qu'alors que les années 60-70 avaient permis une vraie restructuration des services de l'Etat, avec la fusion des services de l'équipement, celle des services de l'industrie, on a l'impression que l'organisation s'est sédimentée et compliquée depuis. Chaque ministère, chaque direction parfois, veut avoir son réseau déconcentré, à l'identique dans chaque département. Le résultat, c'est que la sédimentation de services qui sont parfois passés en dessous de la taille critique a fini par nuire à la cohérence et à l'efficacité de l'action de l'Etat.
Des rapprochements au niveau départemental sont possibles, dans certains départements et par certains services. Des services peuvent aussi rejoindre la préfecture, qui doit être la maison de l'Etat tout entier, et pas seulement celle du ministère de l'Intérieur. Des regroupements au niveau de la région sont également souhaitables, par exemple pour la santé, ou pour les services de la concurrence. Les solutions devront être diverses, selon les régions, et selon les services.
Je veux avancer sur ce sujet avant la fin de l'année, en m'appuyant sur le terrain. Concrètement, vous serez invités à valider un certain nombre d'options possibles, pour chaque service ou groupe de service. Ensuite, nous demanderons aux préfets de département de bâtir avec les chefs de services les propositions de réorganisation. Ces propositions, coordonnées par les préfets de région, seront validées au niveau central par les secrétaires généraux des ministères, collégialement. Elles pourront être très diverses. Je vous demande en tout cas de sortir, pour cette occasion, des égoïsmes ministériels.
Quatrième recommandation : être plus que jamais au service de l'usager.
Eric Woerth et Renaud Dutreil développeront ce thème. Il est essentiel. Pour une majorité de français, la réforme de l'Etat se joue là : disponibilité, rapidité, amabilité, adaptation des services aux rythmes de vie de plus en plus hachés des usagers, développement des nouvelles technologies...
J'ai placé le " contrat 2005 " que je propose au pays sous le signe de la proximité et d'une amélioration tangible du quotidien des Français. A ce titre je vous demande de persévérer dans la lutte contre les tracasseries, les délais, les formulaires incompréhensibles ... Réduire cet " impôt formulaires " est aussi un des moyens d'améliorer le quotidien de nos concitoyens, notamment les plus modestes, et de lutter contre le sentiment d'une société complexe et déshumanisée. * Mesdames et messieurs les directeurs, nous attendons beaucoup de vous. Les choix ultimes incombent à vos ministres, mais c'est à vous qu'il revient de proposer, d'innover, de faire adhérer, de mettre en uvre. C'est une responsabilité éminente. Pour les agents qui sont sous vos ordres et pour les Français que vous servez. Ne reculez pas devant l'ambition. Acceptez le risque. L'administration se fragilise à force de prudence.
L'énergie ne manque pas dans l'Etat, pas plus que l'intelligence. Je pense même qu'il y en a là plus qu'ailleurs. Je crois aussi qu'il y a, dans l'Etat plus qu'ailleurs, une quête de sens, un esprit qui souffle, et qui motive.
Mais je regrette que dès que l'on en vient à parler de réforme interne, le scepticisme guette. Je sais bien que nous en sommes pour une part responsables, nous autres politiques, mais le doute est notre plus grand ennemi. Ne vous laissez pas gagner par ce sentiment, sinon, c'est votre motivation même à servir l'Etat qui sera dévorée. Retrouvez le goût des grands projets qui donne la fierté collective.
Vous allez avoir, avec la LOLF, des libertés budgétaires supérieures, dans des enveloppes contraintes, certes, mais à l'intérieur desquelles vous serez les vrais patrons. Le contrôle financier va être fortement allégé et les contrôles limités aux seuls aspects budgétaires, sur un nombre d'actes très réduit. Vous serez responsables de la régularité et de l'opportunité de vos décisions, avec un interlocuteur financier unique puisque le comptable quittera la paierie générale pour rejoindre le cur même de vos ministères et que comptable et contrôleur financier seront regroupés sous une autorité unique.
Un décret vient de sortir pour vous permettre d'organiser vos directions et services par simple arrêté, sans passer par la procédure lourde du décret. Un autre décret allège les procédures de recrutement. Un troisième va sortir pour vous permettre de choisir vos collaborateurs comme vous l'entendez, sans être enfermés dans des logiques de quota. Tout ce que nous pourrons faire pour vous donner des libertés de gestion, nous le ferons. Renaud Dutreil et Eric Woerth vous parleront dans un moment des projets du Gouvernement en ce qui concerne la simplification des procédures et la gestion des ressources humaines. Toutes vos idées sont bienvenues en la matière.
Nous développons la rémunération au mérite. Elle concerne déjà 50 d'entre vous, à titre expérimental, qui pourront gagner 20% de plus s'ils atteignent les objectifs très précis qui leur ont été fixés. Elle sera étendue à une deuxième vague de directeurs, en commençant par ceux qui sont dans cette salle, d'ici à la fin de l'année prochaine. Des secrétaires généraux vont être nommés dans chaque ministère, pour coordonner les réformes et permettre aux cabinets de se concentrer sur leur travail, c'est-à-dire être le relais du politique, mais sans créer de barrière entre vous et les ministres.
Je veux des directeurs fiers de l'Etat qu'ils servent. Et des Français fiers des services de l'Etat.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 18 octobre 2004)