Texte intégral
J.-P. Raffarin : Bonjour.
S. Paoli : Vous venez - c'était il y a quelques jours - de passer le cap des 1.000 jours à Matignon. Est-ce que 1.000 jours à Matignon, c'est une sorte de "Cap Horn politique" ?
J.-P. Raffarin : C'est un premier bail. Je dirais que c'est un bail important. J'ai entendu tout à l'heure que je serais détaché, que je serais tranquille. Je peux vous dire que la vie à Matignon n'est pas tranquille et que je suis profondément engagé. Donc il y a beaucoup de travail, j'ai un programme de législature qui est un programme pour cinq ans. C'est ce sur quoi les députés ont été élus, et donc je suis engagé dans cette action avec détermination, mais aussi avec écoute et certainement pas avec mépris. J'ai entendu un leader syndical parler de mépris ce matin : le mépris n'est pas dans ma nature ; je ne méprise personne, surtout pas ceux qui ont des responsabilités et d'abord des responsabilités sociales, mais je demande aussi qu'on ne méprise pas, dans la démocratie, le Parlement.
S. Paoli : Un premier bail, P. Le Marc, c'est une indication politique déjà...
P. Le Marc : Oui, tout à fait, mais en l'état, jamais vous n'avez porté de responsabilité aussi forte avec le référendum qui approche. Est-ce que vous en avez vraiment conscience ? Est-ce que vous avez aussi conscience que la demande sociale, si elle n'est pas satisfaite, peut nourrir la cause du "non" ?
J.-P. Raffarin : Je vous rassure, j'ai conscience, et tous les matins, j'ai conscience. Et d'ailleurs, si je n'avais pas conscience à vous écouter, j'aurais conscience, ou à lire les journaux. Donc je suis ouvert. J'écoute et donc je mesure combien les responsabilités en ce moment sont importantes. Je vais vous dire, sur le référendum, mais peut-être que nous y reviendrons : sur le référendum, je pense que ce sera un débat essentiel pour l'avenir du pays, que ce sera un vote d'histoire et pas un vote d'humeur. Et je pense vraiment qu'il faut que le "non" existe pour que le "oui" l'emporte. Il faut répondre aux questions du "non". Il y a derrière la grogne sociale que j'entends, il y a des inquiétudes importantes sur l'emploi, sur la mondialisation, sur l'identité nationale. Et je crois qu'il faut que ces expressions d'inquiétude puissent être débattues dans le pays. J'ai demandé hier soir - j'avais une réunion de ministres - à mes ministres de participer sur le terrain à des débats avec les tenants du "non". Il faut répondre aux inquiétudes. Je crois que l'Europe nous protège en ce qui concerne l'emploi. Prenez l'exemple du dollar : le dollar, aujourd'hui, s'effondre, nous fait une concurrence que nous pouvons juger sur certains points, déloyale. L'euro nous protège puisque les deux tiers de nos échanges internationaux se font dans la zone euro. L'euro est une protection. Bien sûr, il nous expose mais il nous protège en même temps. Je pense que le traité constitutionnel reprend les valeurs fondamentales de la France. Le modèle social français, le modèle culturel français, ce n'est pas le modèle anglo-saxon. Je pense que l'Europe peut nous protéger pour notre modèle culturel. Et je pense, enfin, que l'Europe peut apporter face au déséquilibre du monde. J'ai entendu les informations du monde ce matin, elles ne sont pas bonnes. Les risques de guerre sont partout, le déséquilibre, le grand chambardement est toujours possible. Nous avons besoin de la paix, nous avons besoin d'une force d'équilibre. Nos pères ont fait l'Europe pour la paix à l'intérieur de nos frontières. Nous, il faut faire l'Europe pour la paix dans le monde. Donc il y a là des vraies réponses à des vraies questions. Donc que la grogne, que les inquiétudes, tout cela doit exister et être entendu, mais l'Europe est la bonne réponse.
S. Paoli : Nous reviendrons dans la deuxième partie de cet entretien, si vous le voulez bien monsieur le Premier ministre, sur les enjeux européens, et ils sont en effet d'une très grande importance. Mais tout de même, ce qui vient de se passer et notamment ce qui vient de se passer dans la rue, pas simplement samedi mais aussi les semaines précédentes... "Mobilisation sans surprise", disait le porte-parole du Gouvernement, monsieur Copé. Sans surprise, mais tout de même, quel enseignement en tirez-vous ? Il y avait beaucoup de monde dans la rue...
J.-P. Raffarin : Il y avait du monde, mais c'est vrai que les chiffres qui avaient été annoncés à l'avance, la mobilisation qui avait été programmée, est celle qui a existé. Donc les prévisions ont été confirmées. Et je tiens à le dire : dans notre histoire sociale, les manifestations font partie du dialogue social, de la démocratie sociale, et donc tout ceci est en effet important, et nous devons écouter les messages qui sont exprimés. Je regrette simplement, et j'ai encore entendu tout à l'heure François Hollande, que le Parti socialiste ait quelque peu coupé la parole des syndicats en prenant la tête des manifestations, partout en France. Ce qui a pour effet que les messages partisans ont eu plus de force que les messages sociaux. Mais il est important d'écouter ces messages sociaux, et donc j'ai entendu beaucoup de choses, notamment par les représentants des partis politiques, et je dois rétablir des vérités. La durée légale du travail n'est pas remise en cause, elle reste à 35 heures. Nous voulons donner des libertés supplémentaires avec un double accord : accord de l'entreprise, accord du salarié. J'entends quelquefois, on dit [que] le salarié va se trouver seul face au patron, il devra subir la loi du patron. Non, il faudra un accord d'entreprise et il faudra l'accord du salarié. Donc il y a une vraie protection pour le salarié. Et puis nous allons faire en sorte qu'avec les heures supplémentaires, avec l'augmentation à 25 % du paiement de l'heure supplémentaire, plus il y a d'heures supplémentaires, plus il y a une augmentation du pouvoir d'achat. Je dois quand même rappeler ici que ce sont les socialistes qui ont bloqué les salaires en installant les 35 heures. Car contre les 35 heures, il y avait le blocage des salaires. Alors je tiens à dire que je prends en compte ce que disent les partenaires sociaux. J'écoute, j'écouterai les partenaires sociaux pour l'ensemble des réformes. Je les écoutais avant de faire ces propositions pour le temps choisi. Je les ai tous reçus. Donc j'ai entendu ce qu'ils m'ont dit. C'est pour cela que j'ai proposé par exemple un moratoire de 3 ans pour les entreprises de moins de 20 salariés. Et au bout de ces 3 ans, nous rapprocherons toutes les entreprises avec un même taux de rémunération des premières heures supplémentaires, soit 25 %. C'est une réponse, les syndicats y tenaient. Et j'ai apporté déjà cette réponse. Nous renforcerons également par notre texte, le dialogue social dans les petites entreprises. C'est aussi très important. J'entends souvent les syndicats se plaindre qu'il n'y a pas de dialogue social dans les petites entreprises. Avec notre accord, nous renforcerons le dialogue social dans les petites entreprises, c'est un progrès pour la démocratie sociale. Certaines branches ont ouvert la voie avec le mandatement syndical. Il y a là un certain nombre d'éléments qui font partie du dialogue social et qui montrent que le Gouvernement, que je suis attentif aux messages sociaux.
S. Paoli : Vous avez entendu, dites-vous, monsieur le Premier ministre, mais à vous écouter apparemment, vous ne changez rien. Vous ne craignez pas que ce discours ou que cette posture politique là, encourage à nouveau la mobilisation syndicale, comme elle s'annonce déjà ?
J.-P. Raffarin : Je suis à l'écoute. Quand je vous parle du moratoire pour les PME, c'est un sujet très important et c'est une demande des syndicats. Quand je vous dis "au-delà du moratoire", cela veut dire clairement, pour les auditeurs qui nous écoutent : aujourd'hui, quand vous travaillez dans une entreprise de moins de 20, l'heure supplémentaire est payée 10 % de plus. Quand vous êtes dans une entreprise de plus de 20, elle est payée 25 %. Nous faisons un moratoire de 3 ans pour permettre aux petites entreprises de pouvoir rejoindre le niveau du paiement des heures supplémentaires des grandes. Il faut faire cela progressivement. C'était une demande syndicale. Nous accédons à cette demande syndicale, de même que le dialogue social dans l'entreprise. Il y a là des propositions. Je reste ouvert mais nous sommes dans une démocratie, et dans la démocratie, je ne méprise pas évidemment les manifestations. Mais je demande aux leaders syndicaux de ne pas mépriser le Parlement. Nous sommes dans une démocratie où l'Assemblée nationale, le Sénat, votent la loi. Et donc le débat est ouvert, le débat se poursuit selon le calendrier qui est prévu. C'est cela la vie démocratique.
P. Le Marc : Comment expliquez-vous le manque d'appétit, voire la réticence d'un certain nombre de chefs d'entreprise, de nombreux chefs d'entreprise à l'égard de cette réforme ? Elle ne semblait pas souhaitée. Est-ce que ce n'est pas agiter un chiffon rouge de manière inutile ?
J.-P. Raffarin : Elle est souhaitée. J'ai rencontré toutes les organisations, elle est fortement souhaitée. J'entends cette petite musique ici ou là. Des très grandes entreprises ont échangé les 35 heures contre la flexibilité et contre des blocages de salaires. Alors quelquefois, elle ne va pas revenir sur les salaires qui sont aujourd'hui trop bas. Et donc il faut bien voir que le prix des 35 heures, cela a été la flexibilité d'un côté, et des salaires trop bas de l'autre. Donc je vois quelques grandes entreprises qui sont aujourd'hui attachées au statu quo. Moi, je suis pour qu'il y ait, dans l'entreprise, plus de démocratie sociale et qu'on puisse ainsi augmenter les salaires. Donc sur ce sujet, il y a, je pense, une vraie conception qui est la nôtre qui est en décalage complètement avec celle des amis de monsieur Hollande. C'est clair que pour nous, c'est le travail qui crée le travail. C'est l'activité qui crée le travail. Si les entreprises ont des nouvelles commandes, comme elles ne trouvent pas quelquefois les salariés qu'elles voudraient pouvoir embaucher, puisqu'il y a 500.000 emplois vacants actuellement en France... Il y a 500.000 emplois pour lesquels si on avait les gens qualifiés, si on avait les gens qui acceptaient de faire ce travail, il pourrait y avoir cette augmentation de l'emploi de 500.000. C'est-à-dire que nous avons d'un côté 2 millions 400 000 chômeurs et de l'autre côté 500.000 emplois vacants. Il faut donc faire un certain nombre d'heures supplémentaires pour créer de l'activité, pour créer de l'activité chez le fournisseur en amont, pour créer de l'activité chez le client en aval. L'activité crée l'emploi. Et plus dans notre pays on travaillera, plus on aura d'emplois. Je dois dire aux Françaises et aux Français qui nous écoutent, la vérité. La vérité, c'est que le progrès social se finance par le travail. Un pays comme la France, qui a un modèle social parmi les plus avancés du monde, ne défendra son modèle social qu'en travaillant. Je ne crois pas à toute la démagogie qui laisserait penser que c'est dans la facilité qu'on pourra financer l'avenir. Pour nos enfants, la France doit aujourd'hui être en pleine activité pour leur donner l'emploi auquel ils ont droit.
S. Paoli : Vous dites "nos enfants", monsieur le Premier ministre, nous en parlerons à 8h20, mais c'est vrai que les lycéens et les étudiants sont en train de se mobiliser autour de la loi Fillon. C'est vrai que les chercheurs aussi se sont mobilisés à nouveau il y a quelques jours dans la rue. Donc un certain nombre de signaux qui vous sont adressés. Nous y reviendrons tout à l'heure. Et aussi sur les enjeux que ces signaux font peser sur le prochain référendum concernant le projet de réforme de la Constitution européenne. Rendez-vous avec vous, monsieur le Premier ministre, à 8h20, pour la deuxième partie de cet entretien.
S. Paoli : Suite de l'entretien avec le Premier ministre, J.-P. Raffarin, qui est ce matin l'invité de France Inter. Monsieur le Premier ministre, avant le journal de 8 heures, nous évoquions la mobilisation sur le thème des 35 heures, celle également sur le pouvoir d'achat, l'inquiétude des lycéens et les étudiants, la mobilisation des chercheurs qui considèrent qu'ils manquent de moyens. Vous nous disiez tout à l'heure que le Gouvernement est à l'écoute. Néanmoins, les signaux, les messages qui vous sont adressés sont nombreux, et on a l'impression que la communication ne passe pas si bien que ça entre le Gouvernement et les Français. Par exemple, sur la baisse d'impôts, la Une de L'Express cette semaine : "La grande arnaque". On a l'impression que les explications qui sont avancées par le Gouvernement, par les ministres en charge, n'arrivent pas à bien passer dans l'opinion publique. Pourquoi ?
J.-P. Raffarin : Oui mais ça, ce n'est pas l'opinion publique, Monsieur Paoli, c'est L'Express. Je l'ai sous les yeux, et on parle des impôts régionaux et de la flambée des impôts régionaux. Et donc ça, ce n'est pas le Gouvernement, c'est les leaders régionaux. Moi je dis clairement, et je le disais tout à l'heure à propos de l'Europe, je dis "oui" comme François Hollande à l'Europe, mais je dis "non" à l'impôt Royal en Poitou-Charentes par exemple. Et quand je vois cette augmentation d'impôts, je pense que là c'est une atteinte au pouvoir d'achat dans les régions. Je vois ce qu'il y a écrit clairement dans L'express, je vois des choses qui sont très importantes : d'abord, que les baisses d'impôts sont plus importantes que ce qui est défini comme des hausses. Et dans les hausses, je vois par exemple la cotisation des fonctionnaires pour leur retraite complémentaire ; c'est quand même quelque chose qui ne fait pas partie de la fiscalité ça, c'est quelque chose qui s'appelle de la prévoyance, et c'est utile aujourd'hui de prévoir les retraites. Donc, il y a aujourd'hui plus de baisses que de hausses. Et quand je parle des hausses sur la CSG, c'est fait pour quoi ? J'ai lu un journal hier, et ce n'est pas de la communication qui vient du Gouvernement, qui disait que l'argent du lundi de Pentecôte - plus de 2 milliards de francs - ne serait pas pour les personnes dépendantes, pour les personnes âgées ou pour les personnes handicapées. Eh bien, je vous le dis ici avec fermeté : ces 2 milliards seront dans une caisse spécifique, ils n'iront pas dans les caisses de l'Etat, ils iront dans une caisse pour l'autonomie des personnes dépendantes. La Cour des comptes, et je demanderai à Philippe Seguin d'être particulièrement vigilant sur ce sujet, pourra certifier qu'il n'y a pas un euro qui n'ira pas pour les personnes âgées, pour les personnes handicapées.
S. Paoli : Mais reste tout de même posée la question : comment allez-vous baisser les impôts, c'est-à-dire réduire les déficits, maîtriser les dépenses, sachant qu'aujourd'hui, franchement, il est très difficile de faire la moindre hypothèse sur la croissance ? Comment ferez-vous ?
J.-P. Raffarin : Qu'on arrête cette campagne sur le pessimisme, sur la croissance incertaine. Prenons les chiffres : la consommation en 2004, elle a augmenté de plus de 4 % : 4,4 %. Les créations d'entreprises... Vous disiez tout à l'heure "1.000 jours à Matignon". Eh bien, 1.000 jours à Matignon, c'est quand même 600.000 entreprises créées, on a créé 224.000 nouvelles entreprises en 2004, on a battu le record des créations d'entreprises. Quand je regarde les mises en chantier, nous avons, depuis 2002, fait près d'un million de mises en chantier de nouveaux logements, nous avons 363.000 logements en chantier en 2004, l'immatriculation des voitures au mois de janvier : + 5,8 %. Donc il y a un climat politique qui est un climat qui, parfois, est tendu, mais globalement, quand vous regardez les indicateurs, la consommation de voitures, c'est un indicateur. Les mises en chantier de logements, c'est un indicateur. On ne crée pas une entreprise, quand on n'a pas confiance dans l'avenir, donc regardons aussi les choses qui marchent ; la bouteille, elle est en partie pleine, elle n'est pas seulement en partie vide.
P. Le Marc : En matière de pouvoir d'achat, il y a une conjonction de la demande des salariés et des économistes, qui suggèrent une augmentation du pouvoir d'achat pour relancer la croissance. Alors quelle sera la politique ? Est-ce que le Gouvernement a une politique globale d'augmentation du pouvoir d'achat ?
J.-P. Raffarin : Oui, le Gouvernement a une politique...
P. Le Marc : Quelle est-elle ?
J.-P. Raffarin : D'abord, le Gouvernement est sorti du blocage des salaires des 35 heures, nous avons augmenté le Smic. Vous voulez des chiffres très précis. Un salarié au Smic qui travaille 39 heures, verra son revenu annuel augmenter de près de 600 euros en 2005 par rapport à 2004. Depuis 2002, la hausse de son revenu cumulé aura été de plus de 1.700 euros. L'augmentation du Smic que nous poursuivrons, en 3 ans, nous avons créé un 13ème mois pour le Smic - c'est une augmentation du pouvoir d'achat. Nous avons augmenté la PPE, et j'engage pour l'année 2005, une réforme très importante pour la participation, parce que je veux que la croissance que nous voyons aujourd'hui dans un grand nombre d'entreprises, qui bénéficie à un grand nombre d'entreprises, puisse être partagée avec les salariés. Par la participation, nous allons également augmenter le pouvoir d'achat. Donc c'est vraiment un élément stratégique de la politique économique, que développera d'ailleurs demain Hervé Gaymard à l'occasion d'une conférence de presse.
S. Paoli : Et les chercheurs Monsieur Raffarin ? Les chercheurs à nouveau dans la rue... Ce sont des gens sérieux, les chercheurs, qui ne vont pas trouver des arguments faciles ici ou là, ils sont à nouveau dans la rue en disant : "On ne tient pas les engagements qu'on nous avait promis"...
J.-P. Raffarin : D'abord, à propos de chercheurs, permettez-moi de rendre hommage à Hubert Curien. J'avais beaucoup de considération, d'estime, pour ce grand esprit scientifique et cette personnalité particulièrement humaniste. Nous tenons nos engagements et les chercheurs le reconnaissent d'ailleurs. Aujourd'hui, il ne s'agit pas de moyens financiers puisque les moyens financiers sont mis sur la table. Nous avons mis les moyens financiers dans le budget 2005, tel que nous nous y étions engagés. Nous discutons sur plusieurs sujets aujourd'hui : sur la place de la recherche des grands organismes et des universités ; les universités voudraient faire plus de recherche, les grands organismes voudraient, eux, rester maîtres de la recherche fondamentale. Nous avons là un débat, nous préparons un Haut conseil scientifique qui va nous permettre de placer la science à un très haut niveau dans la République, pour définir ce que sont nos priorités en matière de recherche fondamentale. Je crois vraiment pouvoir vous dire aujourd'hui que les éléments sont réunis pour qu'il y ait, à l'issue du débat qui va se développer tout le mois de février, un accord avec les chercheurs pour que la recherche fondamentale soit une priorité de l'avenir de notre pays. Je crois vraiment que l'avenir de la France passe par le choix de l'intelligence, par le choix de la création, et la création, ça passe par la recherche fondamentale. Nous avons besoin certes de recherche appliquée, nous avons besoin d'innovation, nous avons besoin de technologie, mais il nous faut une recherche fondamentale puissante. Je m'y engage, je ne suis pas du tout inquiet sur ce dossier. Nous avons les moyens de répondre à l'attente des chercheurs, et aujourd'hui, par exemple, nous allons développer un certain nombre de décisions pour l'attractivité de nos centres de recherche, pour pouvoir faire en sorte que nos centres de recherche soient attractifs pour les chercheurs français. Mais aussi, pour ceux qui ont quitté la France pour aller étudier ailleurs, nous allons organiser une aide au retour. Et nous allons accueillir des chercheurs étrangers. La recherche est une priorité nationale. Sur ce sujet, je ne suis pas pessimiste.
P. Le Marc : Le 15 février, François Fillon défendra son projet de loi sur l'école à l'Assemblée nationale. Compte tenu de la longue préparation de cette réforme, comment expliquez-vous d'abord la contestation de sa rédaction au sein même de la majorité, et surtout la déception, l'hostilité des enseignants à l'égard de ce texte ? J.-P. Raffarin : Monsieur Le Marc, vous avez déjà vu une réforme de l'Education qui avait été acceptée par les enseignants ?
P. Le Marc : Là, elle est quand même fortement contestée
J.-P. Raffarin : Ecoutez, c'est normal que dans un débat démocratique, les uns et les autres défendent leur position. Il est clair aujourd'hui que nous sommes face à un problème majeur dans l'Education nationale : près de 150.000 jeunes sortent de l'école sans aucune qualification, sans aucune certification. Tout le monde est satisfait en France sur ce statu quo ? Il faut rester dans cette situation ?
P. Le Marc : Visiblement, le projet n'apporte pas de réponse à cette question, selon les enseignants...
J.-P. Raffarin : Mais pourquoi cela ? Parce que les syndicats dont on parle aujourd'hui, ils sont d'accord pour l'union du "non", mais ils ne sont pas d'accord pour une union du "oui". Ils ont une "négative attitude", ils n'ont pas une positive proposition. Je ne vois pas aujourd'hui des propositions unitaires pour résoudre les problèmes. Quand vous voyez qu'on laisse sortir des jeunes, sans qu'ils aient une qualification pour entrer dans la vie professionnelle, sortir du système éducatif sans qu'on soit allé chercher leur talent. Moi j'ai une conviction profonde. Je suis père de famille, je connais les jeunes, je les vois. Je les vois dans mon environnement proche, il n'y a pas d'enfants sans talent. Il faut que l'Education nationale aille chercher au fond des enfants leur talent, avec un parcours qui soit plus personnalisé. Il faut que la Nation toute entière considère que l'école, c'est une priorité. Je souhaite qu'on sorte du système éducatif avec son talent identifié. Comment voulez-vous avoir de l'espoir dans la vie ? Comment pouvez-vous avoir confiance en vous-même si on ne vous a pas dit quels étaient vos talents, si on n'a pas permis à vos talents de s'exprimer, et sans qu'on ne vous ait donné une qualification avec une certification ? Il faut discuter encore, il faut discuter évidemment sur tous ces sujets. Mais il faut aussi que la France au XXIème siècle ait l'école de la République qui permette la réussite.
S. Paoli : Il faut discuter, monsieur le Premier ministre, mais ça fait quand même beaucoup de choses qui risquent de se retrouver dans le prochain référendum sur la Constitution européenne...
J.-P. Raffarin : Ecoutez, c'est normal qu'il y ait un débat pour le référendum et donc il est normal qu'il y ait un certain nombre d'inquiétudes. Moi, je vous l'ai dit tout à l'heure, je pense qu'il faut aller au débat dans ce sujet, sur tous ces sujets. Et quand on parle de l'emploi, il est normal qu'on s'inquiète aujourd'hui de la mondialisation et qu'on s'inquiète d'un certain nombre de délocalisations. Quand on voit la croissance de la Chine, quand on voit, il y a quelques années, il y avait des entreprises textiles en France qui partaient en Tunisie. Aujourd'hui - je rentre de Tunisie -, je vois les Tunisiens très inquiets parce que leurs entreprises partent en Chine. Il y a un taux de croissance là bas à 9 %, et donc il y a un développement considérable. Il est important qu'on puisse répondre à ces questions. Moi je dis aux Français : sur l'emploi, regardez Renault. Renault a créé des emplois en créant des usines dans l'Est de l'Europe. Mais Renault crée des emplois en France. Il faut que nous fassions du marché européen, un marché sur lequel nous pouvons vendre, créer des emplois, atteindre un seuil critique qui nous permet d'exister dans le monde. Si l'Europe n'est pas un pôle d'équilibre dans le monde, comme l'est la Chine, comme l'est l'Inde, comme l'est l'Amérique, nous ne serons pas assez forts pour défendre nos emplois. Donc je crois vraiment qu'il faut qu'il y ait ce débat, c'est important qu'il y ait des discussions. Je comprends l'inquiétude des uns et des autres. Répondons de manière très républicaine. Le "non" est estimable, le "non" n'est pas un vote ou une perspective de vote que nous devons mépriser, au contraire. Il faut y être attentif, et je demande qu'on réponde aux inquiétudes du "non". C'est comme ça qu'on fera un vote d'histoire.
P. Le Marc : Les 3 motivations du "non" sont d'une part l'emprise du libéralisme sur la construction européenne et sa consolidation par la Constitution, la peur d'une Europe sans frontière mais aussi le sentiment que la constitution éloigne l'Europe d'une Europe puissance, du modèle de l'Europe puissance. Quelles sont vos réponses sur ces points ?
J.-P. Raffarin : Je pense que d'abord le "oui", c'est un "oui" à l'Europe sociale, à une Europe à la française. Pour la première fois, dans un texte européen, il y a 10 articles sur l'Europe sociale : le dialogue social, la reconnaissance des syndicats, la reconnaissance du droit de grève. Le sommet tripartite avec les syndicats dans les décisions européennes, c'est aujourd'hui dans la Constitution. C'est pour la première fois dans la Constitution. Les droits de l'homme, l'égalité homme/femme, tout ce qui est notre modèle français est inscrit dans la Constitution. Valéry Giscard d'Estaing, qui a animé les travaux de la Constitution, a veillé avec l'ensemble des conventionnels, à ce que nos valeurs soient présentes. Je le dis clairement : il y a une compétition aujourd'hui dans me monde entre le modèle anglo-saxon et le modèle européen. Le modèle européen, c'est un modèle qui s'inspire de l'humanisme français. Je crois qu'il nous protège. Pour l'emploi, l'Europe est une protection. Pour l'ensemble des valeurs qui sont les nôtres, c'est une protection. La diversité culturelle, nous devons nous battre pour cela ; autrement, nous n'aurons que le système anglo-saxon dans la culture, dans l'ensemble des systèmes économiques et sociaux. Ce sont les idées anglo-saxonnes qui domineraient. Donc il nous faut cette Europe. Mais je dois dire aussi que j'entends quelquefois, les gens laisser penser que le "non" serait sans conséquence. Le premier des pays qui dira "non" prendra une responsabilité historique. Vous savez, l'Europe s'est construite sur 60 ans, petits pas par petits pas. C'est une architecture complexe. Si un des murs porteurs, si un des piliers fondateurs s'écroule, c'est toute l'architecture qui est menacée. Vous savez, on ne peut pas dire aujourd'hui...
S. Paoli : Votre analyse, monsieur Raffarin : si la France disait "non" ?
J.-P. Raffarin : Je pense que ce serait une secousse terrible dans l'Union européenne. Je pense que ce serait une remise en cause d'un processus de construction européenne qui a commencé au lendemain de la guerre avec le "plus jamais ça". Je pense que ce serait quelque chose de très grave. Je ne crois pas qu'on puisse dire : eh bien, on revient à l'étape d'après. C'est un peu comme dans le Tour de France : si vous abandonné une étape, vous abandonnez la course. Pourquoi ? Parce que la Chine, parce que l'Inde n'attendent pas l'Europe, parce que la compétition internationale est accélérée. On ne nous attend pas. Et je vous assure, ma conviction est sincère, l'Europe n'attendra pas ses retardataires. Il faut donc, avec l'Europe, aller vite, et c'est pour cela que je crois que l'intérêt de la France, c'est de créer cet espace européen, pôle de développement économique, mais aussi pôle d'équilibre dans le monde. Quand vous voyez l'Irak, quand vous voyez le Proche-Orient, quand vous voyez tous les déséquilibres du monde, vous vous dites aujourd'hui que la voie de l'Europe est une voie de paix, parce que c'est une voie d'équilibre.
S. Paoli : C'était la revue de presse d'Yves Decaens. Peut-être juste un commentaire, Monsieur le Premier ministre, sur ce que nous venons d'entendre, je veux dire la Clio des classes moyennes, l'emprunt que le banquier ne consent plus maintenant aux professeurs en début de carrière, le loyer impossible à payer à Paris... C'est une réalité malheureusement qui montre que les classes moyennes aujourd'hui se trouvent dans une situation financière qui n'est plus ce qu'elle était il y a quelques années. Comment répondez-vous à cela ?
J.-P. Raffarin : Je suis à la tête du seul gouvernement qui a augmenté le Smic comme nous l'avons fait. Le smicard dont on parle aujourd'hui, qui a augmenté, est-ce que c'est Monsieur Jospin ? Non, Monsieur Jospin a bloqué les salaires. Moi, j'augmente en donnant un 13ème mois aux smicards, de 11,4 % ; les réalités sont là. Qu'est-ce que j'ai trouvé moi en 2002 ? Un déficit de plus de 44 milliards d'euros. Aujourd'hui, la France a moins de déficits que ce que j'ai trouvé en 2002. Il y a un déficit de la France des finances publiques, de la richesse nationale de 43,9, alors qu'il était de 44,6. J'ai réduit le déficit de la France, j'ai fait en sorte que le Smic puisse augmenter, j'ai fait en sorte que nous puissions avoir une réalité économique qui protège l'avenir de la France. Alors c'est vrai qu'il y a des difficultés, mais c'est vrai aussi qu'il faut dire la vérité. Monsieur Jospin, il avait augmenté de 12 milliards d'euros les impôts et L'Express devrait faire ces références là aussi pour avoir une étude complète : 12 milliards d'un seul coup dès 1997 d'augmentation des impôts de Monsieur Jospin. Et avec les 35 heures, on s'est trouvé dans cette situation où la croissance s'est effondrée. Qu'on le dise, que la croissance s'est effondrée. Monsieur Jospin, il avait 4 %...
S. Paoli : Les 35 heures ont fait s'effondrer la croissance ?
J.-P. Raffarin : L'ensemble des dispositions. Quand vous aviez 4 % en l'an 2000, comment se fait-il qu'on ne se soit retrouvé qu'à 2 % en 2001 et à 1 % en 2002 ? La croissance a été divisée par 2 entre 2000 et 2001, a encore été divisée par 2 en 2001 par rapport à 2002, et donc je me suis trouvé, moi, avec une rupture de croissance. J'ai même eu une croissance négative au premier semestre de 2003. Et donc la France a connu un choc économique majeur après le gouvernement Jospin, et ce choc-là, il a fallu y répondre comment ? Par une vraie discipline budgétaire pour faire baisser les déficits, par une politique de réformes courageuse qui n'avait pas été engagée jusqu'à ce jour. Il faut le dire aussi, parce que la réforme des retraites, si nous ne l'avions pas faite, nous allions dans le mur, dans l'impasse, elle n'était pas financée. Et la réforme de l'Assurance maladie, elle sera assurée, et elle est aujourd'hui en train d'être un succès, puisque les Français choisissent massivement leur médecin référent. Et puis l'ensemble des décisions que nous avons prises sont des mesures qui redonnent la capacité de croissance à notre pays, nous avons une croissance supérieure à 2 % en 2004. J'ai trouvé une croissance négative, je suis aujourd'hui à une croissance de plus de 2 %. Vous savez que un point de croissance, c'est 150.000 emplois. Nous sommes dans une bonne direction, il faut dire la vérité aux Français. La situation est très difficile et on ne peut pas distribuer ce qu'on n'a pas. C'est pour ça qu'aujourd'hui, j'ai mis les priorités sur les plus fragiles. C'est pour ça qu'on s'est occupé des personnes handicapées, c'est pour ça qu'on va mettre plus de 2 milliards pour les personnes âgées et les personnes dépendantes, c'est pour ça qu'on fait des efforts pour le Smic, parce que dans une société qui a peu de moyens, il faut donner la priorité à ceux qui ont le plus de difficultés.
S. Paoli : Jean-Pierre Raffarin, le Premier ministre, est donc ce matin l'invité de la rédaction de France Inter, et répond à vos questions dans Radio Com maintenant. Bonjour Jean-Claude, bienvenu à vous, vous êtes le premier en ligne ce matin, et vous nous appelez de Seine-Maritime.
Jean-Claude : Bonjour Monsieur le Premier ministre.
J.-P. Raffarin : Bonjour.
Jean-Claude : Je vais être un peu polémique. Déjà, début 2003...
J.-P. Raffarin : J'y suis habitué, ce n'est pas grave...
Jean-Claude : A l'Assemblée générale du Medef, vous aviez dit que la France aurait un taux de croissance de 2,5 pour 2003 ; cela s'est avéré inexact. Maintenant, je vais poser ma question. En 2003, le ministère de l'Economie et des Finances éditait une brochure intitulée "Les impôts baissent pour favoriser l'activité et l'emploi, soutenir les familles, protéger l'environnement et garantir le développement durable". Nous en sommes en 2005, pourquoi les résultats ne sont pas là malgré les promesses ?
J.-P. Raffarin : Je réponds, sur les baisses d'impôts. Jean-Claude, moins 5 milliards pour l'impôt sur le revenu, moins 900 millions sur l'impôt sur les mesures ciblées pour inciter les Français à aller vers l'emploi et inciter les entreprises à investir pour l'emploi. On a augmenté la prime pour l'emploi, pour aider ceux qui sont les plus fragiles, nous avons fait un total de baisse de près de 7 milliards, c'est un élément très important. C'est vrai qu'on a augmenté la fiscalité sur le tabac, mais je crois que c'était important pour la santé publique. Donc globalement, nous avons fait plus de baisses que de hausses, c'est pour cela que le retour de la croissance aujourd'hui en France, est supérieur à ce qu'il est dans beaucoup de pays de la zone euro. Les résultats, ils sont là, puisque nous sommes dans une croissance positive, nous avons recommencé à créer des emplois pour la première fois au deuxième semestre de 2004. Ce n'est pas assez, + 28.000 emplois nets par rapport à ce qui a pu disparaître comme emplois et par rapport à ce qui a été créé ; un différentiel de + 28.000 emplois, ce n'est pas suffisant, mais nous sommes redevenus un pays créateur d'emplois, voilà les résultats. Je me bats pour l'emploi et je vous confirme, ici, ce matin sur France Inter, qu'en 2005, nous connaîtrons une baisse significative et durable du chômage. L'ensemble des éléments du plan de cohésion sociale, que nous avons voté au Parlement, et le retour de la croissance, nous permettent d'affirmer cette baisse du chômage. Alors bien sûr, je ne prétends pas que tout va bien, et j'entends ceux qui souffrent et j'entends ceux qui connaissent des difficultés, mais je dis que la situation s'est nettement améliorée, et que nous sommes dans une bonne direction pour l'emploi et pour la croissance.
S. Paoli : Bonjour Hervé, bienvenu à vous, vous êtes en ligne en Haute-Savoie.
Hervé : Oui, bonjour. Moi, je travaille dans une entreprise privée, et mon employeur n'augmente les salaires que lorsque l'Etat augmente ses propres fonctionnaires. Est-ce que mon pouvoir d'achat est maintenu ? Merci.
J.-P. Raffarin : Eh bien, dites à votre employeur, Hervé, que la moyenne des salaires de la Fonction publique va augmenter en 2005 de 3,1 %. Dites-lui cela, parce qu'aujourd'hui, dans le secteur privé, il n'y a pas cette moyenne de 3,1 % comme il y a dans la Fonction publique. Dans la Fonction publique, le salaire moyen va augmenter de 3,1 %. En plus, vous pourrez dire à votre employeur que l'Etat va faire deux efforts : un effort pour les bas salaires et un effort, toujours dans la Fonction publique, pour ceux qui sont au stade le plus élevé de leur carrière et qui stagnent dans leurs indices. Et donc il y a là un effort très important. C'est pour moi l'occasion de dire que le secteur public est un secteur très important pour l'équilibre de notre société, les fonctionnaires jouent un rôle majeur dans notre société, l'Etat y est très attentif. Et je demande à tous mes ministres d'être particulièrement attentifs à leurs fonctionnaires, aux fonctionnaires de leurs administrations, parce que la qualité du service public dépend, en grande mesure, de cette capacité que nous avons à avoir un dialogue social approfondi avec la Fonction publique. Il faut là aussi respecter l'attente des fonctionnaires. Nous avons aujourd'hui des difficultés budgétaires, c'est pour ça que nous ne pouvons faire une augmentation moyenne que de 3,1 %, mais je sais que dans bien nombre d'entreprises, ces 3,1 % seraient un progrès pour un grand nombre de salariés.
S. Paoli : Bonjour Thierry, bienvenu à vous, vous êtes en ligne à Rouen.
Thierry : Bonjour Monsieur le Premier ministre.
J.-P. Raffarin : Bonjour.
Thierry : J'aurais souhaité savoir comment vous alliez garantir le choix pour le salarié concernant les 35 heures, sachant qu'à chaque fois qu'il y a un rapport de force, c'est toujours au profit, soit de l'entreprise qui reste sourde aux salariés... Comme vous, vous restez sourd à ce qui se passe dans la rue actuellement. Merci de votre réponse.
J.-P. Raffarin : Je ne suis pas sourd à ce qui se passe dans la rue. Je vous demande de me croire : je suis attentif, j'ai écouté, je lis, je rencontre les syndicats, j'ai eu des contacts avec les organisations syndicales très régulièrement, donc je ne suis pas sourd. Mais on n'est pas nécessairement d'accord sur tous les points, et ce n'est pas parce qu'on écoute qu'on doit s'aligner. On doit discuter ; le dialogue, c'est le respect des deux parties. J'écoute et je respecte les forces syndicales et ce qu'elles expriment, mais je demande aux forces syndicales d'écouter et de respecter le Parlement, la représentation nationale, qui est la légitimité pour faire la loi et pour construire l'avenir des relations du travail dans notre pays. Donc, je ne suis pas sourd, et je voudrais vous dire que ce qui est prévu dans le texte, c'est la règle du double accord, donc il faudra l'accord de l'entreprise et l'accord du salarié, donc il y a protection. C'est inexact de dire que le salarié sera en situation de faiblesse, puisque nous voulons favoriser le dialogue social. Et je crois pouvoir dire que le dialogue social est très souvent peu présent dans les petites entreprises, et là, avec ce texte, le dialogue social va être renforcé dans les petites entreprises. Et les salariés trouveront plus de force dans ce dialogue social. Donc il y a un véritable progrès, par cette règle du "temps choisi". Il ne s'agit pas du temps imposé, comme l'a fait Madame Aubry, il s'agit du temps choisi, pour permettre de travailler plus quand on veut gagner plus. La liberté qui est dans notre République ; la liberté, c'est aussi la liberté de travailler et de gagner plus. Ne pensons pas qu'à la fraternité et à l'égalité ; il y a la liberté, et la liberté de travailler pour gagner plus, elle doit aussi être respectée. C'est pour ça qu'on a le double accord, de l'entreprise et du salarié.
S. Paoli : Bonjour Kaï, bienvenu à vous, vous êtes en ligne en Franche-Comté...
Kaï : Oui, bonjour Monsieur Paoli. Monsieur le Premier ministre bonjour. J'ai une question concrète par rapport à votre intervention de ce matin, où vous mettiez en opposition les 2,4 millions de chômeurs et les 500.000 places vacantes d'emplois. Donc ma question est la suivante : comment comptez-vous faire comprendre au patronat qu'il faille embaucher du personnel, ou non qualifié ou alors sans expérience professionnelle, puisque - c'est une de leur revendication première - ils cherchent du personnel compétent, ayant de l'expérience ? Vu qu'on n'embauche pas les jeunes gens, comment voulez-vous qu'ils obtiennent de l'expérience ? C'est un fait d'exclusion notoire, que j'ai remarqué plusieurs fois...
J.-P. Raffarin : Je vous remercie beaucoup parce que cette question est très importante. Pour ce qui est des jeunes, nous avons deux mesures essentielles pour les aider à avoir une première expérience. D'abord, nous allons faire un effort considérable pour l'apprentissage, nous allons pratiquement doubler le nombre d'apprentis, c'est un contrat de travail. Avec l'apprentissage, le jeune fait connaissance avec le travail, fait connaissance avec l'entreprise, l'entreprise fait connaissance avec le jeune. Et là, nous allons faire un effort considérable, nous avons mis en place un crédit d'impôts très important ; les entreprises qui vont pouvoir engager des jeunes, pour le contrat d'apprentissage, vont bénéficier d'un crédit d'impôts important de 1.600 euros, et de 2.200 euros pour les jeunes qui sont en difficulté. Donc premier élément important. Pour les autres jeunes, nous avons la possibilité du contrat sans charges, c'est-à-dire que nous facilitons l'accès à l'emploi. Mais cela veut dire aussi qu'il faut faire des efforts pour la formation, parce qu'il y a l'embauche des jeunes, mais il y a aussi, dans ces 500.000 emplois vacants, un certain nombre de gens qui ont besoin de formation. Donc là, nous allons accompagner, grâce au plan de cohésion sociale qu'a mis en place Jean-Louis Borloo, avec le contrat d'avenir, avec tout ce qu'est la réactivation des dépenses pour les demandeurs d'emploi, nous allons les aider par un parcours personnalisé à pouvoir répondre à ces emplois vacants. Et nous nous sommes fixé des objectifs quantifiés avec l'ANPE, avec l'ensemble des partenaires pour pouvoir répondre, par des actions de formation, à ces emplois vacants. Donc je pense que nous allons réduire sensiblement, au cours de l'année 2005, ces emplois vacants. Il faut aider les jeunes, il faut aider naturellement, par la formation, l'ensemble des salariés, et puis j'ai demandé aux partenaires sociaux d'engager une négociation syndicale, sociale, par le dialogue social donc, une négociation pour les seniors, pour aider à ce qu'on puisse embaucher les seniors qui peuvent, par leur expérience, apporter beaucoup à l'entreprise, donc à l'emploi.
S. Paoli : Pierre Le Marc, une dernière question au Premier ministre... P. Le Marc : Oui, un mot sur la majorité, Monsieur le Premier ministre. On sent monter de manière inéluctable en son sein, le choc, la confrontation de deux logiques, celle du Président qui entend conserver jusqu'en 2006 le contrôle total de l'échéance présidentielle et de sa préparation pour éventuellement être candidat, et celle du président de l'UMP qui entend prendre le contrôle de la préparation de cette échéance à son profit. Il disait hier sur France 3 : "pas de mandat de droit", sous entendu au sein de la majorité. Et il disait aussi : "Il peut y avoir plusieurs candidats possibles au sein de la majorité". Votre réaction ?
J.-P. Raffarin : Ma réaction, c'est que nous verrons, le moment venu, quel sera le choix du chef de l'Etat. Donc le chef de l'Etat dira, le moment venu, quand il l'estimera, quelle est la perspective qu'il entrevoit pour la France. Donc, tant qu'il ne s'est pas exprimé, je recommande aux uns et aux autres la prudence. Il est clair que dans la Vème République, il n'y a pas d'espace, dans le camp du Président, contre le Président. Très souvent, beaucoup de gens s'y sont essayés, mais ça n'a jamais marché. Et donc, il faut veiller à ce que nous gardions cette unité autour du Président, autour du groupe parlementaire, des groupes parlementaires à l'Assemblée et au Sénat, du Gouvernement évidement et aussi du parti. Je dois vous dire que je constate que depuis quelques semaines, les choses vont mieux. Depuis que Nicolas Sarkozy a pris la tête de l'UMP, nous avons le parti majoritaire qui est en état de marche. Et quand je vois la campagne qui est faite d'explications sur les impôts régionaux, il y a quelques semaines, on entendait que les socialistes expliquaient qu'ils n'étaient pas responsables de l'augmentation des impôts, ils essayaient de jouer au "mistigri" en essayant de faire reporter...
P. Le Marc : C'est une "positive attitude" de votre part...
J.-P. Raffarin : Ils étaient dans une situation où ils se défaussaient. Grâce à l'action pédagogique de l'UMP, aujourd'hui il apparaît clairement que l'augmentation des impôts régionaux est de la responsabilité des socialistes.
S. Paoli : Merci Monsieur le Premier ministre d'avoir accepté ce matin l'invitation de France Inter.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 9 février 2005)
S. Paoli : Vous venez - c'était il y a quelques jours - de passer le cap des 1.000 jours à Matignon. Est-ce que 1.000 jours à Matignon, c'est une sorte de "Cap Horn politique" ?
J.-P. Raffarin : C'est un premier bail. Je dirais que c'est un bail important. J'ai entendu tout à l'heure que je serais détaché, que je serais tranquille. Je peux vous dire que la vie à Matignon n'est pas tranquille et que je suis profondément engagé. Donc il y a beaucoup de travail, j'ai un programme de législature qui est un programme pour cinq ans. C'est ce sur quoi les députés ont été élus, et donc je suis engagé dans cette action avec détermination, mais aussi avec écoute et certainement pas avec mépris. J'ai entendu un leader syndical parler de mépris ce matin : le mépris n'est pas dans ma nature ; je ne méprise personne, surtout pas ceux qui ont des responsabilités et d'abord des responsabilités sociales, mais je demande aussi qu'on ne méprise pas, dans la démocratie, le Parlement.
S. Paoli : Un premier bail, P. Le Marc, c'est une indication politique déjà...
P. Le Marc : Oui, tout à fait, mais en l'état, jamais vous n'avez porté de responsabilité aussi forte avec le référendum qui approche. Est-ce que vous en avez vraiment conscience ? Est-ce que vous avez aussi conscience que la demande sociale, si elle n'est pas satisfaite, peut nourrir la cause du "non" ?
J.-P. Raffarin : Je vous rassure, j'ai conscience, et tous les matins, j'ai conscience. Et d'ailleurs, si je n'avais pas conscience à vous écouter, j'aurais conscience, ou à lire les journaux. Donc je suis ouvert. J'écoute et donc je mesure combien les responsabilités en ce moment sont importantes. Je vais vous dire, sur le référendum, mais peut-être que nous y reviendrons : sur le référendum, je pense que ce sera un débat essentiel pour l'avenir du pays, que ce sera un vote d'histoire et pas un vote d'humeur. Et je pense vraiment qu'il faut que le "non" existe pour que le "oui" l'emporte. Il faut répondre aux questions du "non". Il y a derrière la grogne sociale que j'entends, il y a des inquiétudes importantes sur l'emploi, sur la mondialisation, sur l'identité nationale. Et je crois qu'il faut que ces expressions d'inquiétude puissent être débattues dans le pays. J'ai demandé hier soir - j'avais une réunion de ministres - à mes ministres de participer sur le terrain à des débats avec les tenants du "non". Il faut répondre aux inquiétudes. Je crois que l'Europe nous protège en ce qui concerne l'emploi. Prenez l'exemple du dollar : le dollar, aujourd'hui, s'effondre, nous fait une concurrence que nous pouvons juger sur certains points, déloyale. L'euro nous protège puisque les deux tiers de nos échanges internationaux se font dans la zone euro. L'euro est une protection. Bien sûr, il nous expose mais il nous protège en même temps. Je pense que le traité constitutionnel reprend les valeurs fondamentales de la France. Le modèle social français, le modèle culturel français, ce n'est pas le modèle anglo-saxon. Je pense que l'Europe peut nous protéger pour notre modèle culturel. Et je pense, enfin, que l'Europe peut apporter face au déséquilibre du monde. J'ai entendu les informations du monde ce matin, elles ne sont pas bonnes. Les risques de guerre sont partout, le déséquilibre, le grand chambardement est toujours possible. Nous avons besoin de la paix, nous avons besoin d'une force d'équilibre. Nos pères ont fait l'Europe pour la paix à l'intérieur de nos frontières. Nous, il faut faire l'Europe pour la paix dans le monde. Donc il y a là des vraies réponses à des vraies questions. Donc que la grogne, que les inquiétudes, tout cela doit exister et être entendu, mais l'Europe est la bonne réponse.
S. Paoli : Nous reviendrons dans la deuxième partie de cet entretien, si vous le voulez bien monsieur le Premier ministre, sur les enjeux européens, et ils sont en effet d'une très grande importance. Mais tout de même, ce qui vient de se passer et notamment ce qui vient de se passer dans la rue, pas simplement samedi mais aussi les semaines précédentes... "Mobilisation sans surprise", disait le porte-parole du Gouvernement, monsieur Copé. Sans surprise, mais tout de même, quel enseignement en tirez-vous ? Il y avait beaucoup de monde dans la rue...
J.-P. Raffarin : Il y avait du monde, mais c'est vrai que les chiffres qui avaient été annoncés à l'avance, la mobilisation qui avait été programmée, est celle qui a existé. Donc les prévisions ont été confirmées. Et je tiens à le dire : dans notre histoire sociale, les manifestations font partie du dialogue social, de la démocratie sociale, et donc tout ceci est en effet important, et nous devons écouter les messages qui sont exprimés. Je regrette simplement, et j'ai encore entendu tout à l'heure François Hollande, que le Parti socialiste ait quelque peu coupé la parole des syndicats en prenant la tête des manifestations, partout en France. Ce qui a pour effet que les messages partisans ont eu plus de force que les messages sociaux. Mais il est important d'écouter ces messages sociaux, et donc j'ai entendu beaucoup de choses, notamment par les représentants des partis politiques, et je dois rétablir des vérités. La durée légale du travail n'est pas remise en cause, elle reste à 35 heures. Nous voulons donner des libertés supplémentaires avec un double accord : accord de l'entreprise, accord du salarié. J'entends quelquefois, on dit [que] le salarié va se trouver seul face au patron, il devra subir la loi du patron. Non, il faudra un accord d'entreprise et il faudra l'accord du salarié. Donc il y a une vraie protection pour le salarié. Et puis nous allons faire en sorte qu'avec les heures supplémentaires, avec l'augmentation à 25 % du paiement de l'heure supplémentaire, plus il y a d'heures supplémentaires, plus il y a une augmentation du pouvoir d'achat. Je dois quand même rappeler ici que ce sont les socialistes qui ont bloqué les salaires en installant les 35 heures. Car contre les 35 heures, il y avait le blocage des salaires. Alors je tiens à dire que je prends en compte ce que disent les partenaires sociaux. J'écoute, j'écouterai les partenaires sociaux pour l'ensemble des réformes. Je les écoutais avant de faire ces propositions pour le temps choisi. Je les ai tous reçus. Donc j'ai entendu ce qu'ils m'ont dit. C'est pour cela que j'ai proposé par exemple un moratoire de 3 ans pour les entreprises de moins de 20 salariés. Et au bout de ces 3 ans, nous rapprocherons toutes les entreprises avec un même taux de rémunération des premières heures supplémentaires, soit 25 %. C'est une réponse, les syndicats y tenaient. Et j'ai apporté déjà cette réponse. Nous renforcerons également par notre texte, le dialogue social dans les petites entreprises. C'est aussi très important. J'entends souvent les syndicats se plaindre qu'il n'y a pas de dialogue social dans les petites entreprises. Avec notre accord, nous renforcerons le dialogue social dans les petites entreprises, c'est un progrès pour la démocratie sociale. Certaines branches ont ouvert la voie avec le mandatement syndical. Il y a là un certain nombre d'éléments qui font partie du dialogue social et qui montrent que le Gouvernement, que je suis attentif aux messages sociaux.
S. Paoli : Vous avez entendu, dites-vous, monsieur le Premier ministre, mais à vous écouter apparemment, vous ne changez rien. Vous ne craignez pas que ce discours ou que cette posture politique là, encourage à nouveau la mobilisation syndicale, comme elle s'annonce déjà ?
J.-P. Raffarin : Je suis à l'écoute. Quand je vous parle du moratoire pour les PME, c'est un sujet très important et c'est une demande des syndicats. Quand je vous dis "au-delà du moratoire", cela veut dire clairement, pour les auditeurs qui nous écoutent : aujourd'hui, quand vous travaillez dans une entreprise de moins de 20, l'heure supplémentaire est payée 10 % de plus. Quand vous êtes dans une entreprise de plus de 20, elle est payée 25 %. Nous faisons un moratoire de 3 ans pour permettre aux petites entreprises de pouvoir rejoindre le niveau du paiement des heures supplémentaires des grandes. Il faut faire cela progressivement. C'était une demande syndicale. Nous accédons à cette demande syndicale, de même que le dialogue social dans l'entreprise. Il y a là des propositions. Je reste ouvert mais nous sommes dans une démocratie, et dans la démocratie, je ne méprise pas évidemment les manifestations. Mais je demande aux leaders syndicaux de ne pas mépriser le Parlement. Nous sommes dans une démocratie où l'Assemblée nationale, le Sénat, votent la loi. Et donc le débat est ouvert, le débat se poursuit selon le calendrier qui est prévu. C'est cela la vie démocratique.
P. Le Marc : Comment expliquez-vous le manque d'appétit, voire la réticence d'un certain nombre de chefs d'entreprise, de nombreux chefs d'entreprise à l'égard de cette réforme ? Elle ne semblait pas souhaitée. Est-ce que ce n'est pas agiter un chiffon rouge de manière inutile ?
J.-P. Raffarin : Elle est souhaitée. J'ai rencontré toutes les organisations, elle est fortement souhaitée. J'entends cette petite musique ici ou là. Des très grandes entreprises ont échangé les 35 heures contre la flexibilité et contre des blocages de salaires. Alors quelquefois, elle ne va pas revenir sur les salaires qui sont aujourd'hui trop bas. Et donc il faut bien voir que le prix des 35 heures, cela a été la flexibilité d'un côté, et des salaires trop bas de l'autre. Donc je vois quelques grandes entreprises qui sont aujourd'hui attachées au statu quo. Moi, je suis pour qu'il y ait, dans l'entreprise, plus de démocratie sociale et qu'on puisse ainsi augmenter les salaires. Donc sur ce sujet, il y a, je pense, une vraie conception qui est la nôtre qui est en décalage complètement avec celle des amis de monsieur Hollande. C'est clair que pour nous, c'est le travail qui crée le travail. C'est l'activité qui crée le travail. Si les entreprises ont des nouvelles commandes, comme elles ne trouvent pas quelquefois les salariés qu'elles voudraient pouvoir embaucher, puisqu'il y a 500.000 emplois vacants actuellement en France... Il y a 500.000 emplois pour lesquels si on avait les gens qualifiés, si on avait les gens qui acceptaient de faire ce travail, il pourrait y avoir cette augmentation de l'emploi de 500.000. C'est-à-dire que nous avons d'un côté 2 millions 400 000 chômeurs et de l'autre côté 500.000 emplois vacants. Il faut donc faire un certain nombre d'heures supplémentaires pour créer de l'activité, pour créer de l'activité chez le fournisseur en amont, pour créer de l'activité chez le client en aval. L'activité crée l'emploi. Et plus dans notre pays on travaillera, plus on aura d'emplois. Je dois dire aux Françaises et aux Français qui nous écoutent, la vérité. La vérité, c'est que le progrès social se finance par le travail. Un pays comme la France, qui a un modèle social parmi les plus avancés du monde, ne défendra son modèle social qu'en travaillant. Je ne crois pas à toute la démagogie qui laisserait penser que c'est dans la facilité qu'on pourra financer l'avenir. Pour nos enfants, la France doit aujourd'hui être en pleine activité pour leur donner l'emploi auquel ils ont droit.
S. Paoli : Vous dites "nos enfants", monsieur le Premier ministre, nous en parlerons à 8h20, mais c'est vrai que les lycéens et les étudiants sont en train de se mobiliser autour de la loi Fillon. C'est vrai que les chercheurs aussi se sont mobilisés à nouveau il y a quelques jours dans la rue. Donc un certain nombre de signaux qui vous sont adressés. Nous y reviendrons tout à l'heure. Et aussi sur les enjeux que ces signaux font peser sur le prochain référendum concernant le projet de réforme de la Constitution européenne. Rendez-vous avec vous, monsieur le Premier ministre, à 8h20, pour la deuxième partie de cet entretien.
S. Paoli : Suite de l'entretien avec le Premier ministre, J.-P. Raffarin, qui est ce matin l'invité de France Inter. Monsieur le Premier ministre, avant le journal de 8 heures, nous évoquions la mobilisation sur le thème des 35 heures, celle également sur le pouvoir d'achat, l'inquiétude des lycéens et les étudiants, la mobilisation des chercheurs qui considèrent qu'ils manquent de moyens. Vous nous disiez tout à l'heure que le Gouvernement est à l'écoute. Néanmoins, les signaux, les messages qui vous sont adressés sont nombreux, et on a l'impression que la communication ne passe pas si bien que ça entre le Gouvernement et les Français. Par exemple, sur la baisse d'impôts, la Une de L'Express cette semaine : "La grande arnaque". On a l'impression que les explications qui sont avancées par le Gouvernement, par les ministres en charge, n'arrivent pas à bien passer dans l'opinion publique. Pourquoi ?
J.-P. Raffarin : Oui mais ça, ce n'est pas l'opinion publique, Monsieur Paoli, c'est L'Express. Je l'ai sous les yeux, et on parle des impôts régionaux et de la flambée des impôts régionaux. Et donc ça, ce n'est pas le Gouvernement, c'est les leaders régionaux. Moi je dis clairement, et je le disais tout à l'heure à propos de l'Europe, je dis "oui" comme François Hollande à l'Europe, mais je dis "non" à l'impôt Royal en Poitou-Charentes par exemple. Et quand je vois cette augmentation d'impôts, je pense que là c'est une atteinte au pouvoir d'achat dans les régions. Je vois ce qu'il y a écrit clairement dans L'express, je vois des choses qui sont très importantes : d'abord, que les baisses d'impôts sont plus importantes que ce qui est défini comme des hausses. Et dans les hausses, je vois par exemple la cotisation des fonctionnaires pour leur retraite complémentaire ; c'est quand même quelque chose qui ne fait pas partie de la fiscalité ça, c'est quelque chose qui s'appelle de la prévoyance, et c'est utile aujourd'hui de prévoir les retraites. Donc, il y a aujourd'hui plus de baisses que de hausses. Et quand je parle des hausses sur la CSG, c'est fait pour quoi ? J'ai lu un journal hier, et ce n'est pas de la communication qui vient du Gouvernement, qui disait que l'argent du lundi de Pentecôte - plus de 2 milliards de francs - ne serait pas pour les personnes dépendantes, pour les personnes âgées ou pour les personnes handicapées. Eh bien, je vous le dis ici avec fermeté : ces 2 milliards seront dans une caisse spécifique, ils n'iront pas dans les caisses de l'Etat, ils iront dans une caisse pour l'autonomie des personnes dépendantes. La Cour des comptes, et je demanderai à Philippe Seguin d'être particulièrement vigilant sur ce sujet, pourra certifier qu'il n'y a pas un euro qui n'ira pas pour les personnes âgées, pour les personnes handicapées.
S. Paoli : Mais reste tout de même posée la question : comment allez-vous baisser les impôts, c'est-à-dire réduire les déficits, maîtriser les dépenses, sachant qu'aujourd'hui, franchement, il est très difficile de faire la moindre hypothèse sur la croissance ? Comment ferez-vous ?
J.-P. Raffarin : Qu'on arrête cette campagne sur le pessimisme, sur la croissance incertaine. Prenons les chiffres : la consommation en 2004, elle a augmenté de plus de 4 % : 4,4 %. Les créations d'entreprises... Vous disiez tout à l'heure "1.000 jours à Matignon". Eh bien, 1.000 jours à Matignon, c'est quand même 600.000 entreprises créées, on a créé 224.000 nouvelles entreprises en 2004, on a battu le record des créations d'entreprises. Quand je regarde les mises en chantier, nous avons, depuis 2002, fait près d'un million de mises en chantier de nouveaux logements, nous avons 363.000 logements en chantier en 2004, l'immatriculation des voitures au mois de janvier : + 5,8 %. Donc il y a un climat politique qui est un climat qui, parfois, est tendu, mais globalement, quand vous regardez les indicateurs, la consommation de voitures, c'est un indicateur. Les mises en chantier de logements, c'est un indicateur. On ne crée pas une entreprise, quand on n'a pas confiance dans l'avenir, donc regardons aussi les choses qui marchent ; la bouteille, elle est en partie pleine, elle n'est pas seulement en partie vide.
P. Le Marc : En matière de pouvoir d'achat, il y a une conjonction de la demande des salariés et des économistes, qui suggèrent une augmentation du pouvoir d'achat pour relancer la croissance. Alors quelle sera la politique ? Est-ce que le Gouvernement a une politique globale d'augmentation du pouvoir d'achat ?
J.-P. Raffarin : Oui, le Gouvernement a une politique...
P. Le Marc : Quelle est-elle ?
J.-P. Raffarin : D'abord, le Gouvernement est sorti du blocage des salaires des 35 heures, nous avons augmenté le Smic. Vous voulez des chiffres très précis. Un salarié au Smic qui travaille 39 heures, verra son revenu annuel augmenter de près de 600 euros en 2005 par rapport à 2004. Depuis 2002, la hausse de son revenu cumulé aura été de plus de 1.700 euros. L'augmentation du Smic que nous poursuivrons, en 3 ans, nous avons créé un 13ème mois pour le Smic - c'est une augmentation du pouvoir d'achat. Nous avons augmenté la PPE, et j'engage pour l'année 2005, une réforme très importante pour la participation, parce que je veux que la croissance que nous voyons aujourd'hui dans un grand nombre d'entreprises, qui bénéficie à un grand nombre d'entreprises, puisse être partagée avec les salariés. Par la participation, nous allons également augmenter le pouvoir d'achat. Donc c'est vraiment un élément stratégique de la politique économique, que développera d'ailleurs demain Hervé Gaymard à l'occasion d'une conférence de presse.
S. Paoli : Et les chercheurs Monsieur Raffarin ? Les chercheurs à nouveau dans la rue... Ce sont des gens sérieux, les chercheurs, qui ne vont pas trouver des arguments faciles ici ou là, ils sont à nouveau dans la rue en disant : "On ne tient pas les engagements qu'on nous avait promis"...
J.-P. Raffarin : D'abord, à propos de chercheurs, permettez-moi de rendre hommage à Hubert Curien. J'avais beaucoup de considération, d'estime, pour ce grand esprit scientifique et cette personnalité particulièrement humaniste. Nous tenons nos engagements et les chercheurs le reconnaissent d'ailleurs. Aujourd'hui, il ne s'agit pas de moyens financiers puisque les moyens financiers sont mis sur la table. Nous avons mis les moyens financiers dans le budget 2005, tel que nous nous y étions engagés. Nous discutons sur plusieurs sujets aujourd'hui : sur la place de la recherche des grands organismes et des universités ; les universités voudraient faire plus de recherche, les grands organismes voudraient, eux, rester maîtres de la recherche fondamentale. Nous avons là un débat, nous préparons un Haut conseil scientifique qui va nous permettre de placer la science à un très haut niveau dans la République, pour définir ce que sont nos priorités en matière de recherche fondamentale. Je crois vraiment pouvoir vous dire aujourd'hui que les éléments sont réunis pour qu'il y ait, à l'issue du débat qui va se développer tout le mois de février, un accord avec les chercheurs pour que la recherche fondamentale soit une priorité de l'avenir de notre pays. Je crois vraiment que l'avenir de la France passe par le choix de l'intelligence, par le choix de la création, et la création, ça passe par la recherche fondamentale. Nous avons besoin certes de recherche appliquée, nous avons besoin d'innovation, nous avons besoin de technologie, mais il nous faut une recherche fondamentale puissante. Je m'y engage, je ne suis pas du tout inquiet sur ce dossier. Nous avons les moyens de répondre à l'attente des chercheurs, et aujourd'hui, par exemple, nous allons développer un certain nombre de décisions pour l'attractivité de nos centres de recherche, pour pouvoir faire en sorte que nos centres de recherche soient attractifs pour les chercheurs français. Mais aussi, pour ceux qui ont quitté la France pour aller étudier ailleurs, nous allons organiser une aide au retour. Et nous allons accueillir des chercheurs étrangers. La recherche est une priorité nationale. Sur ce sujet, je ne suis pas pessimiste.
P. Le Marc : Le 15 février, François Fillon défendra son projet de loi sur l'école à l'Assemblée nationale. Compte tenu de la longue préparation de cette réforme, comment expliquez-vous d'abord la contestation de sa rédaction au sein même de la majorité, et surtout la déception, l'hostilité des enseignants à l'égard de ce texte ? J.-P. Raffarin : Monsieur Le Marc, vous avez déjà vu une réforme de l'Education qui avait été acceptée par les enseignants ?
P. Le Marc : Là, elle est quand même fortement contestée
J.-P. Raffarin : Ecoutez, c'est normal que dans un débat démocratique, les uns et les autres défendent leur position. Il est clair aujourd'hui que nous sommes face à un problème majeur dans l'Education nationale : près de 150.000 jeunes sortent de l'école sans aucune qualification, sans aucune certification. Tout le monde est satisfait en France sur ce statu quo ? Il faut rester dans cette situation ?
P. Le Marc : Visiblement, le projet n'apporte pas de réponse à cette question, selon les enseignants...
J.-P. Raffarin : Mais pourquoi cela ? Parce que les syndicats dont on parle aujourd'hui, ils sont d'accord pour l'union du "non", mais ils ne sont pas d'accord pour une union du "oui". Ils ont une "négative attitude", ils n'ont pas une positive proposition. Je ne vois pas aujourd'hui des propositions unitaires pour résoudre les problèmes. Quand vous voyez qu'on laisse sortir des jeunes, sans qu'ils aient une qualification pour entrer dans la vie professionnelle, sortir du système éducatif sans qu'on soit allé chercher leur talent. Moi j'ai une conviction profonde. Je suis père de famille, je connais les jeunes, je les vois. Je les vois dans mon environnement proche, il n'y a pas d'enfants sans talent. Il faut que l'Education nationale aille chercher au fond des enfants leur talent, avec un parcours qui soit plus personnalisé. Il faut que la Nation toute entière considère que l'école, c'est une priorité. Je souhaite qu'on sorte du système éducatif avec son talent identifié. Comment voulez-vous avoir de l'espoir dans la vie ? Comment pouvez-vous avoir confiance en vous-même si on ne vous a pas dit quels étaient vos talents, si on n'a pas permis à vos talents de s'exprimer, et sans qu'on ne vous ait donné une qualification avec une certification ? Il faut discuter encore, il faut discuter évidemment sur tous ces sujets. Mais il faut aussi que la France au XXIème siècle ait l'école de la République qui permette la réussite.
S. Paoli : Il faut discuter, monsieur le Premier ministre, mais ça fait quand même beaucoup de choses qui risquent de se retrouver dans le prochain référendum sur la Constitution européenne...
J.-P. Raffarin : Ecoutez, c'est normal qu'il y ait un débat pour le référendum et donc il est normal qu'il y ait un certain nombre d'inquiétudes. Moi, je vous l'ai dit tout à l'heure, je pense qu'il faut aller au débat dans ce sujet, sur tous ces sujets. Et quand on parle de l'emploi, il est normal qu'on s'inquiète aujourd'hui de la mondialisation et qu'on s'inquiète d'un certain nombre de délocalisations. Quand on voit la croissance de la Chine, quand on voit, il y a quelques années, il y avait des entreprises textiles en France qui partaient en Tunisie. Aujourd'hui - je rentre de Tunisie -, je vois les Tunisiens très inquiets parce que leurs entreprises partent en Chine. Il y a un taux de croissance là bas à 9 %, et donc il y a un développement considérable. Il est important qu'on puisse répondre à ces questions. Moi je dis aux Français : sur l'emploi, regardez Renault. Renault a créé des emplois en créant des usines dans l'Est de l'Europe. Mais Renault crée des emplois en France. Il faut que nous fassions du marché européen, un marché sur lequel nous pouvons vendre, créer des emplois, atteindre un seuil critique qui nous permet d'exister dans le monde. Si l'Europe n'est pas un pôle d'équilibre dans le monde, comme l'est la Chine, comme l'est l'Inde, comme l'est l'Amérique, nous ne serons pas assez forts pour défendre nos emplois. Donc je crois vraiment qu'il faut qu'il y ait ce débat, c'est important qu'il y ait des discussions. Je comprends l'inquiétude des uns et des autres. Répondons de manière très républicaine. Le "non" est estimable, le "non" n'est pas un vote ou une perspective de vote que nous devons mépriser, au contraire. Il faut y être attentif, et je demande qu'on réponde aux inquiétudes du "non". C'est comme ça qu'on fera un vote d'histoire.
P. Le Marc : Les 3 motivations du "non" sont d'une part l'emprise du libéralisme sur la construction européenne et sa consolidation par la Constitution, la peur d'une Europe sans frontière mais aussi le sentiment que la constitution éloigne l'Europe d'une Europe puissance, du modèle de l'Europe puissance. Quelles sont vos réponses sur ces points ?
J.-P. Raffarin : Je pense que d'abord le "oui", c'est un "oui" à l'Europe sociale, à une Europe à la française. Pour la première fois, dans un texte européen, il y a 10 articles sur l'Europe sociale : le dialogue social, la reconnaissance des syndicats, la reconnaissance du droit de grève. Le sommet tripartite avec les syndicats dans les décisions européennes, c'est aujourd'hui dans la Constitution. C'est pour la première fois dans la Constitution. Les droits de l'homme, l'égalité homme/femme, tout ce qui est notre modèle français est inscrit dans la Constitution. Valéry Giscard d'Estaing, qui a animé les travaux de la Constitution, a veillé avec l'ensemble des conventionnels, à ce que nos valeurs soient présentes. Je le dis clairement : il y a une compétition aujourd'hui dans me monde entre le modèle anglo-saxon et le modèle européen. Le modèle européen, c'est un modèle qui s'inspire de l'humanisme français. Je crois qu'il nous protège. Pour l'emploi, l'Europe est une protection. Pour l'ensemble des valeurs qui sont les nôtres, c'est une protection. La diversité culturelle, nous devons nous battre pour cela ; autrement, nous n'aurons que le système anglo-saxon dans la culture, dans l'ensemble des systèmes économiques et sociaux. Ce sont les idées anglo-saxonnes qui domineraient. Donc il nous faut cette Europe. Mais je dois dire aussi que j'entends quelquefois, les gens laisser penser que le "non" serait sans conséquence. Le premier des pays qui dira "non" prendra une responsabilité historique. Vous savez, l'Europe s'est construite sur 60 ans, petits pas par petits pas. C'est une architecture complexe. Si un des murs porteurs, si un des piliers fondateurs s'écroule, c'est toute l'architecture qui est menacée. Vous savez, on ne peut pas dire aujourd'hui...
S. Paoli : Votre analyse, monsieur Raffarin : si la France disait "non" ?
J.-P. Raffarin : Je pense que ce serait une secousse terrible dans l'Union européenne. Je pense que ce serait une remise en cause d'un processus de construction européenne qui a commencé au lendemain de la guerre avec le "plus jamais ça". Je pense que ce serait quelque chose de très grave. Je ne crois pas qu'on puisse dire : eh bien, on revient à l'étape d'après. C'est un peu comme dans le Tour de France : si vous abandonné une étape, vous abandonnez la course. Pourquoi ? Parce que la Chine, parce que l'Inde n'attendent pas l'Europe, parce que la compétition internationale est accélérée. On ne nous attend pas. Et je vous assure, ma conviction est sincère, l'Europe n'attendra pas ses retardataires. Il faut donc, avec l'Europe, aller vite, et c'est pour cela que je crois que l'intérêt de la France, c'est de créer cet espace européen, pôle de développement économique, mais aussi pôle d'équilibre dans le monde. Quand vous voyez l'Irak, quand vous voyez le Proche-Orient, quand vous voyez tous les déséquilibres du monde, vous vous dites aujourd'hui que la voie de l'Europe est une voie de paix, parce que c'est une voie d'équilibre.
S. Paoli : C'était la revue de presse d'Yves Decaens. Peut-être juste un commentaire, Monsieur le Premier ministre, sur ce que nous venons d'entendre, je veux dire la Clio des classes moyennes, l'emprunt que le banquier ne consent plus maintenant aux professeurs en début de carrière, le loyer impossible à payer à Paris... C'est une réalité malheureusement qui montre que les classes moyennes aujourd'hui se trouvent dans une situation financière qui n'est plus ce qu'elle était il y a quelques années. Comment répondez-vous à cela ?
J.-P. Raffarin : Je suis à la tête du seul gouvernement qui a augmenté le Smic comme nous l'avons fait. Le smicard dont on parle aujourd'hui, qui a augmenté, est-ce que c'est Monsieur Jospin ? Non, Monsieur Jospin a bloqué les salaires. Moi, j'augmente en donnant un 13ème mois aux smicards, de 11,4 % ; les réalités sont là. Qu'est-ce que j'ai trouvé moi en 2002 ? Un déficit de plus de 44 milliards d'euros. Aujourd'hui, la France a moins de déficits que ce que j'ai trouvé en 2002. Il y a un déficit de la France des finances publiques, de la richesse nationale de 43,9, alors qu'il était de 44,6. J'ai réduit le déficit de la France, j'ai fait en sorte que le Smic puisse augmenter, j'ai fait en sorte que nous puissions avoir une réalité économique qui protège l'avenir de la France. Alors c'est vrai qu'il y a des difficultés, mais c'est vrai aussi qu'il faut dire la vérité. Monsieur Jospin, il avait augmenté de 12 milliards d'euros les impôts et L'Express devrait faire ces références là aussi pour avoir une étude complète : 12 milliards d'un seul coup dès 1997 d'augmentation des impôts de Monsieur Jospin. Et avec les 35 heures, on s'est trouvé dans cette situation où la croissance s'est effondrée. Qu'on le dise, que la croissance s'est effondrée. Monsieur Jospin, il avait 4 %...
S. Paoli : Les 35 heures ont fait s'effondrer la croissance ?
J.-P. Raffarin : L'ensemble des dispositions. Quand vous aviez 4 % en l'an 2000, comment se fait-il qu'on ne se soit retrouvé qu'à 2 % en 2001 et à 1 % en 2002 ? La croissance a été divisée par 2 entre 2000 et 2001, a encore été divisée par 2 en 2001 par rapport à 2002, et donc je me suis trouvé, moi, avec une rupture de croissance. J'ai même eu une croissance négative au premier semestre de 2003. Et donc la France a connu un choc économique majeur après le gouvernement Jospin, et ce choc-là, il a fallu y répondre comment ? Par une vraie discipline budgétaire pour faire baisser les déficits, par une politique de réformes courageuse qui n'avait pas été engagée jusqu'à ce jour. Il faut le dire aussi, parce que la réforme des retraites, si nous ne l'avions pas faite, nous allions dans le mur, dans l'impasse, elle n'était pas financée. Et la réforme de l'Assurance maladie, elle sera assurée, et elle est aujourd'hui en train d'être un succès, puisque les Français choisissent massivement leur médecin référent. Et puis l'ensemble des décisions que nous avons prises sont des mesures qui redonnent la capacité de croissance à notre pays, nous avons une croissance supérieure à 2 % en 2004. J'ai trouvé une croissance négative, je suis aujourd'hui à une croissance de plus de 2 %. Vous savez que un point de croissance, c'est 150.000 emplois. Nous sommes dans une bonne direction, il faut dire la vérité aux Français. La situation est très difficile et on ne peut pas distribuer ce qu'on n'a pas. C'est pour ça qu'aujourd'hui, j'ai mis les priorités sur les plus fragiles. C'est pour ça qu'on s'est occupé des personnes handicapées, c'est pour ça qu'on va mettre plus de 2 milliards pour les personnes âgées et les personnes dépendantes, c'est pour ça qu'on fait des efforts pour le Smic, parce que dans une société qui a peu de moyens, il faut donner la priorité à ceux qui ont le plus de difficultés.
S. Paoli : Jean-Pierre Raffarin, le Premier ministre, est donc ce matin l'invité de la rédaction de France Inter, et répond à vos questions dans Radio Com maintenant. Bonjour Jean-Claude, bienvenu à vous, vous êtes le premier en ligne ce matin, et vous nous appelez de Seine-Maritime.
Jean-Claude : Bonjour Monsieur le Premier ministre.
J.-P. Raffarin : Bonjour.
Jean-Claude : Je vais être un peu polémique. Déjà, début 2003...
J.-P. Raffarin : J'y suis habitué, ce n'est pas grave...
Jean-Claude : A l'Assemblée générale du Medef, vous aviez dit que la France aurait un taux de croissance de 2,5 pour 2003 ; cela s'est avéré inexact. Maintenant, je vais poser ma question. En 2003, le ministère de l'Economie et des Finances éditait une brochure intitulée "Les impôts baissent pour favoriser l'activité et l'emploi, soutenir les familles, protéger l'environnement et garantir le développement durable". Nous en sommes en 2005, pourquoi les résultats ne sont pas là malgré les promesses ?
J.-P. Raffarin : Je réponds, sur les baisses d'impôts. Jean-Claude, moins 5 milliards pour l'impôt sur le revenu, moins 900 millions sur l'impôt sur les mesures ciblées pour inciter les Français à aller vers l'emploi et inciter les entreprises à investir pour l'emploi. On a augmenté la prime pour l'emploi, pour aider ceux qui sont les plus fragiles, nous avons fait un total de baisse de près de 7 milliards, c'est un élément très important. C'est vrai qu'on a augmenté la fiscalité sur le tabac, mais je crois que c'était important pour la santé publique. Donc globalement, nous avons fait plus de baisses que de hausses, c'est pour cela que le retour de la croissance aujourd'hui en France, est supérieur à ce qu'il est dans beaucoup de pays de la zone euro. Les résultats, ils sont là, puisque nous sommes dans une croissance positive, nous avons recommencé à créer des emplois pour la première fois au deuxième semestre de 2004. Ce n'est pas assez, + 28.000 emplois nets par rapport à ce qui a pu disparaître comme emplois et par rapport à ce qui a été créé ; un différentiel de + 28.000 emplois, ce n'est pas suffisant, mais nous sommes redevenus un pays créateur d'emplois, voilà les résultats. Je me bats pour l'emploi et je vous confirme, ici, ce matin sur France Inter, qu'en 2005, nous connaîtrons une baisse significative et durable du chômage. L'ensemble des éléments du plan de cohésion sociale, que nous avons voté au Parlement, et le retour de la croissance, nous permettent d'affirmer cette baisse du chômage. Alors bien sûr, je ne prétends pas que tout va bien, et j'entends ceux qui souffrent et j'entends ceux qui connaissent des difficultés, mais je dis que la situation s'est nettement améliorée, et que nous sommes dans une bonne direction pour l'emploi et pour la croissance.
S. Paoli : Bonjour Hervé, bienvenu à vous, vous êtes en ligne en Haute-Savoie.
Hervé : Oui, bonjour. Moi, je travaille dans une entreprise privée, et mon employeur n'augmente les salaires que lorsque l'Etat augmente ses propres fonctionnaires. Est-ce que mon pouvoir d'achat est maintenu ? Merci.
J.-P. Raffarin : Eh bien, dites à votre employeur, Hervé, que la moyenne des salaires de la Fonction publique va augmenter en 2005 de 3,1 %. Dites-lui cela, parce qu'aujourd'hui, dans le secteur privé, il n'y a pas cette moyenne de 3,1 % comme il y a dans la Fonction publique. Dans la Fonction publique, le salaire moyen va augmenter de 3,1 %. En plus, vous pourrez dire à votre employeur que l'Etat va faire deux efforts : un effort pour les bas salaires et un effort, toujours dans la Fonction publique, pour ceux qui sont au stade le plus élevé de leur carrière et qui stagnent dans leurs indices. Et donc il y a là un effort très important. C'est pour moi l'occasion de dire que le secteur public est un secteur très important pour l'équilibre de notre société, les fonctionnaires jouent un rôle majeur dans notre société, l'Etat y est très attentif. Et je demande à tous mes ministres d'être particulièrement attentifs à leurs fonctionnaires, aux fonctionnaires de leurs administrations, parce que la qualité du service public dépend, en grande mesure, de cette capacité que nous avons à avoir un dialogue social approfondi avec la Fonction publique. Il faut là aussi respecter l'attente des fonctionnaires. Nous avons aujourd'hui des difficultés budgétaires, c'est pour ça que nous ne pouvons faire une augmentation moyenne que de 3,1 %, mais je sais que dans bien nombre d'entreprises, ces 3,1 % seraient un progrès pour un grand nombre de salariés.
S. Paoli : Bonjour Thierry, bienvenu à vous, vous êtes en ligne à Rouen.
Thierry : Bonjour Monsieur le Premier ministre.
J.-P. Raffarin : Bonjour.
Thierry : J'aurais souhaité savoir comment vous alliez garantir le choix pour le salarié concernant les 35 heures, sachant qu'à chaque fois qu'il y a un rapport de force, c'est toujours au profit, soit de l'entreprise qui reste sourde aux salariés... Comme vous, vous restez sourd à ce qui se passe dans la rue actuellement. Merci de votre réponse.
J.-P. Raffarin : Je ne suis pas sourd à ce qui se passe dans la rue. Je vous demande de me croire : je suis attentif, j'ai écouté, je lis, je rencontre les syndicats, j'ai eu des contacts avec les organisations syndicales très régulièrement, donc je ne suis pas sourd. Mais on n'est pas nécessairement d'accord sur tous les points, et ce n'est pas parce qu'on écoute qu'on doit s'aligner. On doit discuter ; le dialogue, c'est le respect des deux parties. J'écoute et je respecte les forces syndicales et ce qu'elles expriment, mais je demande aux forces syndicales d'écouter et de respecter le Parlement, la représentation nationale, qui est la légitimité pour faire la loi et pour construire l'avenir des relations du travail dans notre pays. Donc, je ne suis pas sourd, et je voudrais vous dire que ce qui est prévu dans le texte, c'est la règle du double accord, donc il faudra l'accord de l'entreprise et l'accord du salarié, donc il y a protection. C'est inexact de dire que le salarié sera en situation de faiblesse, puisque nous voulons favoriser le dialogue social. Et je crois pouvoir dire que le dialogue social est très souvent peu présent dans les petites entreprises, et là, avec ce texte, le dialogue social va être renforcé dans les petites entreprises. Et les salariés trouveront plus de force dans ce dialogue social. Donc il y a un véritable progrès, par cette règle du "temps choisi". Il ne s'agit pas du temps imposé, comme l'a fait Madame Aubry, il s'agit du temps choisi, pour permettre de travailler plus quand on veut gagner plus. La liberté qui est dans notre République ; la liberté, c'est aussi la liberté de travailler et de gagner plus. Ne pensons pas qu'à la fraternité et à l'égalité ; il y a la liberté, et la liberté de travailler pour gagner plus, elle doit aussi être respectée. C'est pour ça qu'on a le double accord, de l'entreprise et du salarié.
S. Paoli : Bonjour Kaï, bienvenu à vous, vous êtes en ligne en Franche-Comté...
Kaï : Oui, bonjour Monsieur Paoli. Monsieur le Premier ministre bonjour. J'ai une question concrète par rapport à votre intervention de ce matin, où vous mettiez en opposition les 2,4 millions de chômeurs et les 500.000 places vacantes d'emplois. Donc ma question est la suivante : comment comptez-vous faire comprendre au patronat qu'il faille embaucher du personnel, ou non qualifié ou alors sans expérience professionnelle, puisque - c'est une de leur revendication première - ils cherchent du personnel compétent, ayant de l'expérience ? Vu qu'on n'embauche pas les jeunes gens, comment voulez-vous qu'ils obtiennent de l'expérience ? C'est un fait d'exclusion notoire, que j'ai remarqué plusieurs fois...
J.-P. Raffarin : Je vous remercie beaucoup parce que cette question est très importante. Pour ce qui est des jeunes, nous avons deux mesures essentielles pour les aider à avoir une première expérience. D'abord, nous allons faire un effort considérable pour l'apprentissage, nous allons pratiquement doubler le nombre d'apprentis, c'est un contrat de travail. Avec l'apprentissage, le jeune fait connaissance avec le travail, fait connaissance avec l'entreprise, l'entreprise fait connaissance avec le jeune. Et là, nous allons faire un effort considérable, nous avons mis en place un crédit d'impôts très important ; les entreprises qui vont pouvoir engager des jeunes, pour le contrat d'apprentissage, vont bénéficier d'un crédit d'impôts important de 1.600 euros, et de 2.200 euros pour les jeunes qui sont en difficulté. Donc premier élément important. Pour les autres jeunes, nous avons la possibilité du contrat sans charges, c'est-à-dire que nous facilitons l'accès à l'emploi. Mais cela veut dire aussi qu'il faut faire des efforts pour la formation, parce qu'il y a l'embauche des jeunes, mais il y a aussi, dans ces 500.000 emplois vacants, un certain nombre de gens qui ont besoin de formation. Donc là, nous allons accompagner, grâce au plan de cohésion sociale qu'a mis en place Jean-Louis Borloo, avec le contrat d'avenir, avec tout ce qu'est la réactivation des dépenses pour les demandeurs d'emploi, nous allons les aider par un parcours personnalisé à pouvoir répondre à ces emplois vacants. Et nous nous sommes fixé des objectifs quantifiés avec l'ANPE, avec l'ensemble des partenaires pour pouvoir répondre, par des actions de formation, à ces emplois vacants. Donc je pense que nous allons réduire sensiblement, au cours de l'année 2005, ces emplois vacants. Il faut aider les jeunes, il faut aider naturellement, par la formation, l'ensemble des salariés, et puis j'ai demandé aux partenaires sociaux d'engager une négociation syndicale, sociale, par le dialogue social donc, une négociation pour les seniors, pour aider à ce qu'on puisse embaucher les seniors qui peuvent, par leur expérience, apporter beaucoup à l'entreprise, donc à l'emploi.
S. Paoli : Pierre Le Marc, une dernière question au Premier ministre... P. Le Marc : Oui, un mot sur la majorité, Monsieur le Premier ministre. On sent monter de manière inéluctable en son sein, le choc, la confrontation de deux logiques, celle du Président qui entend conserver jusqu'en 2006 le contrôle total de l'échéance présidentielle et de sa préparation pour éventuellement être candidat, et celle du président de l'UMP qui entend prendre le contrôle de la préparation de cette échéance à son profit. Il disait hier sur France 3 : "pas de mandat de droit", sous entendu au sein de la majorité. Et il disait aussi : "Il peut y avoir plusieurs candidats possibles au sein de la majorité". Votre réaction ?
J.-P. Raffarin : Ma réaction, c'est que nous verrons, le moment venu, quel sera le choix du chef de l'Etat. Donc le chef de l'Etat dira, le moment venu, quand il l'estimera, quelle est la perspective qu'il entrevoit pour la France. Donc, tant qu'il ne s'est pas exprimé, je recommande aux uns et aux autres la prudence. Il est clair que dans la Vème République, il n'y a pas d'espace, dans le camp du Président, contre le Président. Très souvent, beaucoup de gens s'y sont essayés, mais ça n'a jamais marché. Et donc, il faut veiller à ce que nous gardions cette unité autour du Président, autour du groupe parlementaire, des groupes parlementaires à l'Assemblée et au Sénat, du Gouvernement évidement et aussi du parti. Je dois vous dire que je constate que depuis quelques semaines, les choses vont mieux. Depuis que Nicolas Sarkozy a pris la tête de l'UMP, nous avons le parti majoritaire qui est en état de marche. Et quand je vois la campagne qui est faite d'explications sur les impôts régionaux, il y a quelques semaines, on entendait que les socialistes expliquaient qu'ils n'étaient pas responsables de l'augmentation des impôts, ils essayaient de jouer au "mistigri" en essayant de faire reporter...
P. Le Marc : C'est une "positive attitude" de votre part...
J.-P. Raffarin : Ils étaient dans une situation où ils se défaussaient. Grâce à l'action pédagogique de l'UMP, aujourd'hui il apparaît clairement que l'augmentation des impôts régionaux est de la responsabilité des socialistes.
S. Paoli : Merci Monsieur le Premier ministre d'avoir accepté ce matin l'invitation de France Inter.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 9 février 2005)