Entretien de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, avec le quotidien grec "To Vima" à Athènes le 22 août 2004, sur les perspectives d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, les chantiers prioritaires pour la nouvelle Commission européenne, les Jeux olympiques 2004 à Athènes et la candidature de Paris pour l'organisation des Jeux en 2012.

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Média : Presse étrangère - To Vima

Texte intégral

Q - Le Conseil de l'Europe a récemment adopté un rapport selon lequel la Turquie a fait des progrès dans le domaine des Droits de l'Homme. La Commission européenne va s'appuyer sur ce rapport pour faire sa recommandation en ce qui concerne la date de commencement des pourparlers sur l'adhésion de la Turquie. Etes-vous favorable au commencement de ces pourparlers dans le futur proche?
R - Tout d'abord, je pense que le Conseil de l'Europe a reconnu les progrès importants que la Turquie a réalisés dans le domaine de la démocratie, des réformes économiques et dans le domaine institutionnel. Le chemin parcouru par la Turquie depuis la première référence à une vocation européenne faite en 1963, au moment de la signature de l'accord d'association entre la Communauté européenne et elle même, ce chemin est considérable. Je pense que c'est l'intérêt à la fois de la Turquie et de l'Union européenne que ce grand pays choisisse un modèle de développement économique et politique qui soit le plus proche possible du modèle européen. Il reste du chemin à faire. Les Turcs sont les premiers à le reconnaître. Je pense que la Turquie a une vocation européenne. Je pense que la promesse qui lui a été faite doit être respectée, à condition que la Turquie respecte elle-même le cahier des charges.
Voilà ce que je peux dire sans état d'âme et sans ambiguïté. Devons-nous commencer avec la Turquie des négociations d'adhésion maintenant ? C'est la Commission qui le dira. Je ne cherche pas à éviter votre question, je veux respecter les règles. J'ai été Commissaire européen pendant cinq ans : c'est la responsabilité de la Commission de dire dans son rapport si la Turquie est prête pour débuter des négociations qui vont durer de toute façon longtemps. Bien évidemment, ce sera ensuite au Conseil européen de décider.
Q - Comme vous l'avez dit, vous avez été Commissaire pendant cinq ans. D'après vous, quels sont les plus grands défis, les plus grands problèmes que la nouvelle Commission doit affronter ?
R - J'ai eu la chance d'être Commissaire pendant ces cinq dernières années, et de travailler, notamment avec mon ancienne collègue, Anna Diamantopoulou, pour que la Grèce puisse utiliser le plus efficacement possible les fonds structurels. A l'occasion de cette grande ouverture des Jeux olympiques, on a pu constater le bon usage ainsi fait des fonds européens.
Aujourd'hui les défis sont nombreux et ils sont tous en même temps devant nous. C'est pour cela qu'il faut que la Commission de M. Barroso soit une Commission forte et que la Constitution européenne soit approuvée le plus vite possible, pour que les nouveaux outils qu'elle inclut puissent être mis en uvre : plus de majorité qualifiée, c'est à dire moins de droit de veto; la création d'un ministère des Affaires étrangères européen ; une politique de défense européenne. Le premier défi est donc d'avoir une Constitution. Le deuxième c'est de dialoguer davantage avec les citoyens. Il y a maintenant beaucoup de pays dans l'Union européenne, avec leurs problèmes, leurs inquiétudes, mais aussi leurs espoirs. Les affaires européennes ne sont plus des questions de politique étrangère, c'est la vie quotidienne qui est en jeu désormais et qu'il faut aborder ouvertement.
Troisième défi : le budget, le prochain budget 2007-2013. Quatrième défi : la gouvernance économique. Nous avons une monnaie unique mais nous n'avons pas encore la coordination économique qui doit aller de pair avec la monnaie unique ; il faut donc une nouvelle règle de gouvernement économique de l'Europe. Et le cinquième défi, pour moi, c'est l'Europe politique. Pour que l'Europe soit capable d'être beaucoup plus qu'un supermarché, et devienne un véritable acteur mondial, capable d'agir pour la paix et la stabilité dans le monde. Cette capacité-là, nous l'aurons si nous avons la Constitution et si nous sommes réellement animés de la volonté de donner à notre Union ce rôle.
Q - Vous avez assisté à la cérémonie d'ouverture des Jeux. Ça vous a plu ?
R - J'ai trouvé cette cérémonie formidable. J'ai vu beaucoup de cérémonies olympiques, j'en ai même organisé deux à Albertville avec Jean-Claude Killy, lorsque j'ai eu la chance d'être président du Comité d'organisation des Jeux d'hiver de 1992. Mais cette cérémonie, conçue par Dimitri Papaioannou, était magique et pleine d'audace, y compris dans la partie protocolaire, comme l'arrivée du drapeau olympique, le serment, la flamme. J'ai trouvé l'ensemble de cette cérémonie superbe. Ce qui a été aussi superbe, c'est le stade. J'ai rarement vu un stade aussi beau que celui d'Athènes.
Q - Vous êtes à Athènes pour avancer, entre autres, la candidature de Paris à l'organisation des Jeux olympiques de 2012. Pourquoi pensez-vous que Paris est mieux que New York, Moscou, Londres ou Madrid ?
R - D'abord, je ne suis pas à Athènes seulement pour cela. Je suis à Athènes pour participer à un moment de fierté du peuple grec, celui de la réussite des Jeux olympiques. Je suis très heureux de participer à cette réussite, de féliciter toute l'équipe du comité d'organisation d'Athènes, y compris les volontaires. J'ai vu à cet égard beaucoup de volontaires, extrêmement souriants et efficaces.
Naturellement, parce que je suis ministre français des Affaires étrangères et parce que j'ai organisé des Jeux olympiques, je soutiens l'idée que mon pays puisse, à nouveau, pour la première fois depuis 1924, organiser des Jeux olympiques. C'est peut-être une manière de vous répondre. Les pays que vous avez cités ont organisé des Jeux olympiques d'été beaucoup plus récemment, avec succès, à Atlanta ou à Barcelone par exemple. La France n'a pas eu cet honneur depuis 1924. Nous avons créé récemment de grands équipements, notamment le stade de France. C'est un événement considérable d'organiser des Jeux olympiques, et je pense qu'un pays doit avoir cette ambition.
Q - Est-ce que vous allez suivre les Jeux olympiques à la télévision ?
R - Oui, je vais regarder la télévision avec mes enfants, le plus souvent possible, en tous cas aussi souvent qu'un ministre des Affaires étrangères peut le faire. Eventuellement le soir, car il y aura des retransmissions assez tard. J'ai quelques sports privilégiés : l'athlétisme, l'aviron. J'ai eu la chance, après les Jeux olympiques d'hiver d'Albertville, d'organiser en Savoie, ma région d'origine dans les Alpes, les championnats du monde seniors d'aviron. Voilà deux disciplines que je vais suivre, mais il y en a beaucoup d'autres qui m'intéressent aussi.
Q - La Grèce a voulu avancer l'idée du cessez-le-feu pendant les Jeux olympiques, mais on a l'impression que ça ne marche pas beaucoup, en Irak, Palestine Pourquoi pensez-vous que ça n'a pas marché ?
R - Parce que les causes à l'origine de ces crises sont trop souvent, malheureusement plus fortes que la raison ou le cur. Pourtant la Grèce a bien fait, dans la grande tradition de la trêve olympique, d'appeler à cette pause dans les conflits. C'est très important qu'ici à Athènes, des athlètes palestiniens défilent quelques minutes après les athlètes israéliens, ou encore que l'Irak et l'Afghanistan soient là. J'ai été très frappé par l'accueil qu'ont reçu toutes ces délégations. C'est la force extraordinaire des Jeux olympiques. Il ne faut pas se décourager. Il faut lancer de tels messages parce que l'opinion publique mondiale a un rôle à jouer. Par ailleurs, il faut aussi continuer les efforts que nous faisons, la France et la Grèce dans l'Union européenne, pour aider à résoudre ces conflits, qu'il s'agisse du conflit israélo-palestinien, de crises comme celles du Darfour ou de l'Irak ou encore de la situation dans les Balkans. C'est aussi pour cela que je souhaite une Europe politique. Les Européens pourront mieux se faire entendre s'ils parlent d'une seule voix, et s'ils mutualisent leurs actions et leurs politiques dans l'ensemble des domaines de la politique extérieure pour tenir enfin toute leur place sur la scène mondiale.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 août 2004)