Interview de M. Dominique Perben, ministre de la justice, à France Info le 25 janvier 2005, sur les mesures envisagées pour améliorer l'objectivité des enquêtes et instructions judiciaires dans les affaires difficiles et sur la réforme constitutionnelle préalable à la ratification du projet de traité constitutionnel européen.

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Média : France Info

Texte intégral

Q- D. Perben bonjour.
R- Bonjour.
Q- Vous êtes ministre de la Justice. Merci d'être avec nous en direct. Le parquet a donc requis la révision dans l'affaire Seznec. Plus de quatre-vingts ans après les faits ! Pourquoi la justice met-elle autant de temps à reconnaître qu'elle s'est trompée ?
R- Il y a eu une demande de lancement de la procédure de révision. C'est mon prédécesseur, Mme Lebranchu, qui, à la demande la famille, avait lancé cette procédure, qui en est à sa première étape, puisqu'on doit d'abord passer devant une commission de révision - c'est ce qui s'est passé hier. Le parquet général a effectivement dit sa conviction qu'il fallait réviser le procès et, ensuite, si la réponse de cette commission est positive - on le saura dans quelques semaines - c'est devant la chambre d'instruction de la Cour de cassation que les choses se passeront. Pourquoi ? Parce que des doutes sont apparues au fil du temps, tout simplement..."
Q- Quatre-vingts ans, quand même c'est long !
R- C'est vrai, c'est long, mais je crois que cela montre aussi un peu le changement de l'institution judiciaire. Je crois qu'il y a une cinquantaine d'années, la justice avait beaucoup de mal à se remettre en question. Il me semble qu'aujourd'hui les choses sont différentes. Il y a eu plusieurs révisions qui ont été ordonnées et qui ont abouti - je pense par exemple à P. Dils, tout près de nous, où les choses se sont faites. Je crois que c'est cela qu'il faut saluer, cette évolution vers une plus grande transparence.
Q- Il y a encore plus proche de nous : l'affaire d'Outreau. A la fin de cette affaire, vous avez demandé un rapport à une commission présidée par le juge Viout pour essayer justement de déterminer les dysfonctionnements. Sur quoi cela va-t-il déboucher ?
R- Cela va déboucher - et cela a déjà commencé à déboucher - sur des choses très concrètes : par exemple sur les procès difficiles, la cosaisine de plusieurs juges d'instruction pour qu'un homme seul ne soit pas confronté à une réalité parfois abominable qui peut, je dirais modifier un petit peu son sens de l'objectivité. Cela peut être aussi la nécessité, lorsqu'il y a une détention relativement longue, au-delà par exemple de six mois, qu'il y ait une audience publique devant la chambre d'instruction pour décider la prolongation ou non de cette détention. Donc, des choses très concrètes que j'ai bien l'intention de mettre en uvre très très rapidement. De même l'intervention d'un magistrat chargé des contacts avec la presse pour expliquer les choses, pour qu'il y ait une plus grande transparence dans ces affaires, qui suscitent beaucoup d'émotion d'une manière tout à fait légitime et qui sont parfois difficiles à comprendre.
Q- Une nouvelle loi est-elle nécessaire ?
R- Pour une partie de ce que je viens de dire, oui. Par exemple l'examen en audience publique devant la chambre d'instruction, il faudrait un petit bout de loi. Ce n'est pas une loi bien compliquée mais la procédure c'est du domaine de la loi.
Q- Vous allez donc présenter une nouvelle loi ?
R- Oui, mais très courte et très limitée. Ce n'est pas un monument juridique.
Q- Alors, autre projet de loi que vous allez présenter - et là, qui n'est pas limité - c'est le projet de révision constitutionnelle préalable au référendum. Ce projet de loi prévoit notamment que les Français seront consultés par référendum avant tout nouvel élargissement européen. En gros, dites-moi, est-ce pour empêcher le Parlement d'accepter l'entrée de la Turquie malgré le peuple français ?
R- Je ne sais pas si on peut dire les choses comme cela, mais dans ce texte de révision constitutionnel qui va commencer à être discuté cet après-midi à l'Assemblée, comme vous l'avez dit, en fait il y a deux choses : il y a d'une part une révision de la Constitution française pour nous permettre, si les Français en décident ainsi, d'adopter le Traité constitutionnel européen lors d'un référendum qui sera sans doute organisé au mois de juin, et puis, il y a un deuxième élément auquel le président de la République, J. Chirac, a beaucoup tenu : compte tenu de l'inquiétude manifestée par un certain nombre de nos concitoyens, c'est de mettre dans la Constitution que, si un jour la question turque se pose, si un jour la Turquie est susceptible d'entrer dans l'Union européenne, eh bien, à ce moment-là, on interrogera directement les Français. Donc, c'est chacun d'entre nous qui aura, je dirais par devers lui, la décision, et je pense que c'est une manière à la fois de faire confiance aux Français et puis de leur donner ce pouvoir, et donc, de bien faire passer le message que ce n'est pas la révision constitutionnelle d'aujourd'hui, ce n'est pas la référendum constitutionnel de juin de cette année qui va traiter la question turque, ce sera un référendum dans un certain nombre d'années - on ne sait pas combien de temps - mais donc les deux sujets ne sont pas à traiter en même temps. La question qui se pose aujourd'hui, c'est le traité constitutionnel. La question turque, on la traitera dans quelques années.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 janvier 2005)