Texte intégral
J.I.R : Madame la ministre, votre dernière visite dans l'île remonte à janvier 2004. Un an sans voir la Réunion, n'est-ce pas trop long ? Vous a-t-elle manqué ? Votre séjour a-t-il un but particulier ?
Brigitte Girardin : Un an, c'est effectivement un peu long, surtout si je compare avec les habitudes que j'avais prises à une certaine époque où j'avais la chance de venir dans votre île très souvent pour suivre le chantier de la délocalisation à Saint-Pierre de l'administration des TAAF.
En fait, j'avais prévu de venir à La Réunion en octobre dernier mais la crise polynésienne m'a empêchée de quitter Paris. Pour moi, c'est indispensable d'être régulièrement sur le terrain pour mieux comprendre les préoccupations et les attentes de nos compatriotes. Au cours de ce déplacement, je souhaite travailler principalement sur deux questions : l'importance de l'Europe pour l'outre-mer et La Réunion en particulier ; les actions à mener en direction des populations les plus fragiles, notamment les personnes handicapées et les adolescents en souffrance.
J.I.R : Il y a deux semaines, plus de 3 000 Réunionnais sont descendus dans la rue pour dénoncer " la politique de casse sociale du Gouvernement ", la réforme des 35 heures, la baisse du pouvoir d'achat... Cette semaine ce sont les jeunes qui manifestent contre la loi Fillon. Certaines associations et les syndicats ont déjà annoncé qu¹ils vont vous préparer " un comité d'accueil digne de ce nom ". Un mouvement politique de gauche a même appelé à une " journée île morte ", le vendredi 18 février prochain. Comment comptez-vous calmer les esprits ? Avez-vous un remède miracle ?
Brigitte Girardin : Vous vous faites l'écho de mouvements sociaux dont je ne conteste pas la réalité, mais qui ne sont l'expression que d'une partie de la population.
Nombre de Français, en effet, dont vous ne parlez pas, reconnaissent que les réformes mises en uvre par le Gouvernement contribuent, au contraire, à remettre notre pays sur la voie de la croissance et du progrès social.
En ce qui concerne plus particulièrement le champ social, ce gouvernement a ainsi résolument engagé la réforme des retraites et celle de l'assurance maladie, alors que le Gouvernement socialiste s'était contenté de créer des commissions ou de rédiger des rapports sans jamais prendre aucune décision. Hors, sans ces réformes, ce sont les socles de notre pacte social et républicain qui auraient été gravement menacés.
Plus récemment, la loi pour l'égalité des droits et des chances pour la participation et pour la citoyenneté des personnes handicapées qui engage une profonde réforme de la loi de 1975, vient d'être votée. Pensez-vous vraiment qu'il s'agisse d'une " politique de casse sociale " pour celles et ceux qui vont bénéficier de ces mesures ? Quant à la réforme des 35 heures, je vous rappelle que la proposition de loi en discussion actuellement au Parlement ne remet pas en cause la durée légale du travail sur une base de 35 heures, mais vise à en moderniser la réglementation, en permettant plus de souplesse, tant pour les entreprises que pour les salariés. Enfin, c'est ce Gouvernement qui a engagé sur trois ans (2002-2005) l'unification des SMIC sur le niveau du SMIC le plus élevé. LeSMIC a augmenté en deux ans (2002-2004) de 10,07 %, et la dernière augmentation interviendra le 1er juillet prochain. Aucun autre Gouvernement n'aura engagé une politique aussi volontariste en ce domaine permettant une forte augmentation du pouvoir d'achat des salariés les plus modestes. J'ajoute que la loi de programmation pour la cohésion sociale dont Jean-Louis Borloo vous a donné les détails lors de sa récente visite, rend ces accusations contre le Gouvernement totalement dénuées de fondement.
Pour autant, je sais combien outre-mer, tout est plus difficile et qu'il faut à la fois combler des retards de développement et compenser des handicaps structurels liés en particulier à l'insularité. Je ne vais sûrement pas faire de l'autosatisfaction mais personne ne peut nier les premiers effets positifs sur l'emploi marchand et sur l'investissement de la loi programme de 2003. Il n'y a pas de remède miracle. Il faut garder le cap de choix politiques consistant à redonner à chacun la dignité par le travail et à sortir la jeunesse de la précarité en lui offrant de vraies perspectives d'emplois durables assortis de formations qualifiantes.
Par ailleurs, je n'ai jamais compté mon temps pour dialoguer avec les associations et les syndicats que je reçois toujours lorsqu'ils le demandent. Les dernières réunions que j'ai tenues à Paris se sont déroulées dans un climat très serein et très constructif. S'il en avait été différemment, la presse s'en serait fait l'écho. Lors de mes déplacements outre-mer, mon cabinet et moi-même sommes à leur écoute sur des préoccupations qui ne relèvent pas toujours de mon ministère mais que je relaie très volontiers auprès de mes collègues du Gouvernement, ce qui est bien naturel.
J.I.R : Vous avez assisté aujourd'hui, à l'Assemblée nationale à une journée initiée par le député-maire de Saint-Denis, René-Paul Victoria, intitulée " la Réunion, terre de travail ". Peut-on réellement parler de " terre de travail " pour une île qui compte près de 100 000 chômeurs et 75 000 Rmistes ?
Brigitte Girardin : L'initiative prise par René-Paul Victoria est importante et je vous remercie de me donner l'occasion d'en parler. Ce colloque sur " La Réunion, terre de travail " a permis en effet, de mettre en valeur auprès d'un public plus large que d'habitude, La Réunion qui produit et qui excelle dans un certain nombre de secteurs. C'est cette réalité qui peut inciter les investisseurs à s'intéresser encore davantage à l'économie réunionnaise et pour ma part je n'hésiterai jamais à la promouvoir.
S'agissant de l'autre réalité que je n'ignore pas non plus, le nombre encore trop élevé de chômeurs (66 310 demandeurs d'emploi à la fin 2004, pour la précision que vos lecteurs sont en droit d'attendre), toute ma politique tend à améliorer cette situation. Les mesures de la loi de programme pour l'outre-mer donne des résultats encourageants. Ainsi, j'observe qu'entre septembre 2003 et décembre 2004, le nombre de demandeurs d'emploi a baissé de 11,3 % à La Réunion. Par ailleurs, 7 500 emplois marchands supplémentaires y ont été créés l'année dernière et le rythme de création d'entreprises demeure très dynamique (+ 20 % entre 2002 et 2004). La Réunion doit poursuivre sur cette voie, seule susceptible d'assurer durablement son développement.
J.I.R : Au cours d'un de vos précédents séjours, vous avez déclaré en parlant des emplois aidés que " personne ne restera sur le bord du chemin ". Depuis, plusieurs centaines de contrats aidés n'ont pas été renouvelés. D'ici à la fin de cette année, 220 CEC de l'éducation nationale n'auront plus de travail après huit années d'activités. Que leur dites-vous aujourd'hui ?
Brigitte Girardin : Vous rappelez ici l'engagement que j'avais pris et qui concernait les emplois-jeunes en fin de contrat. Ces engagements ont été totalement respectés avec la mise en place de la mission d'appui chargée d'accueillir, d'orienter et d'aider au reclassement de chacun de ces jeunes.
Vous évoquez par ailleurs la situation des personnes titulaires de contrats emploi-consolidé, employés par l'Éducation nationale et qui ont bénéficié de nombreuses prolongations de contrat. Ces personnes doivent pouvoir bénéficier d'un accompagnement personnalisé, destiné à renforcer leur qualification et à faciliter leur reclassement.
Je vous rappelle que je n'ai cessé de dire que mon objectif est de faire reculer le nombre d'emplois aidés, qui, par définition, sont des emplois précaires, au bénéfice de véritables emplois durables dans le secteur marchand dont nous favorisons le développement par les mesures de la loi programme.
J.I.R : Lors de son déplacement dans l'île en décembre dernier, Jean-Louis Borloo, ministre du Travail a promis, dès cette année, plus de 10 000 contrats d'avenir. Avez-vous des nouvelles des décrets d'application ?
Brigitte Girardin : En décembre 2004, Monsieur Borloo a effectivement annoncé que 10 000 contrats d'avenir pourraient être conclus à La Réunion, en 2005. Comme vous le savez, ces contrats sont destinés aux allocataires des minima sociaux et en particulier du revenu minimum d'insertion.
Les textes d'application de la loi de programmation pour la cohésion sociale sont actuellement en préparation. Le décret relatif aux contrats d'avenir devrait quant à lui être publié dès le mois de mars prochain. Rien ne s'opposera donc à ce que les contrats annoncés puissent être conclus.
J.I.R : Vous avez augmenté récemment la dotation globale de fonctionnement (DGF) de 7 %. Ce qui représente une bouffée d'oxygène pour les finances communales. Mais n'allez-vous pas récupérer de la main gauche ce que vous avez donné de la main droite étant donné que la participation financière de l'État sera beaucoup moindre (70 %, 50 % et 25 %) dans les nouveaux emplois aidés ?
Brigitte Girardin : Vous avez raison de souligner l'augmentation significative en 2005 de la dotation globale de fonctionnement (DGF) de l'ensemble des communes d'outre-mer.
Cet effort de plus de 36 millions d'euros ne sera pas remis en cause pour les prochaines années. Ce montant est définitivement acquis dans le socle de la DGF et sera revalorisé annuellement selon les mécanismes d'indexation habituels de cette dotation.
S'agissant des emplois aidés, j'ai obtenu que dans la loi de programmation pour la cohésion sociale, il soit expressément prévu le maintien des CES, en 2005, dans les départements d'outre-mer, alors qu'ils sont remplacés par un autre dispositif en métropole. De plus, les modalités de prise en charge financière des CES, en 2005, ne sont pas modifiées (ces contrats sont financés sur le budget de mon ministère) et celles concernant les mesures du plan de cohésion sociale ne sont pas encore définitivement arrêtées. Aussi, je ne vois pas de fondement à votre interrogation.
J.I.R : Aussi bien Paul Vergès (PCR) que Nassimah Dindar (UMP) refusent le transfert des TOS de l'Etat vers les collectivités locales tant que les moyens ne suivront pas. La position de la présidente du conseil général n'est-elle pas gênante pour le Gouvernement ? Le Gouvernement aura-t-il les moyens de rattraper le retard en matière de personnel d'encadrement des établissements scolaires ?
Brigitte Girardin : Comme vous le savez, le Parlement, en adoptant la loi de décentralisation qui décide du transfert des TOS, l'avait assortie d'une disposition - issue d'un amendement de Jean-Paul Virapoullé - reportant son entrée en vigueur pour La Réunion. Saisi par les socialistes, le Conseil constitutionnel a censuré cet amendement pour inconstitutionnalité : dès lors que La Réunion est soumise au principe d'identité législative que lui garantit l'article 73 de la Constitution, les lois et règlements doivent s'y appliquer de plein droit, sauf si des " caractéristiques et contraintes particulières " à ce département permettent une adaptation ou une dérogation. Or, au cas présent, le Conseil constitutionnel a jugé que l'académie de La Réunion ne se trouve pas dans une situation distincte de celle d'autres académies de métropole.
J'ai toujours eu, pour ma part, la conviction que les DOM devaient pouvoir, dans certains cas, être autorisés à sortir de la stricte identité législative pour surmonter leurs difficultés et pouvoir ainsi bénéficier de dispositifs " sur mesure ". Mais vous savez que c'est un sujet très sensible pour les élus réunionnais. Je leur laisse donc la liberté de choisir entre une application de la loi commune à La Réunion dans les conditions exigées par l'article 73 de la Constitution ou un assouplissement des modalités de cet article. Comme le Gouvernement doit engager à partir de juin prochain une procédure de révision constitutionnelle pour régler la question du corps électoral spécifique à la Nouvelle-Calédonie, je leur indique que si un accord se dégage entre eux, ils peuvent profiter de cette occasion pour faire préciser, dans l'article 73, que les lois et règlements peuvent voir leur application écartée ou différée, si les assemblées locales le proposent et si le Parlement le décide. Mais vous comprendrez que le Gouvernement ne prendra aucune initiative en ce sens. Il appartient en effet aux parlementaires réunionnais, s'ils sont d'accord sur une telle réforme, d'en faire la proposition. Chacun doit bien prendre conscience aujourd'hui que la modification de l'article 73 de la Constitution est le seul moyen juridique dont nous disposons pour régler la question du transfert des TOS, dans le sens souhaité par les Réunionnais.
J.I.R : Les députés devront examiner avant juillet prochain la " loi habitat pour tous ". Quelles dispositions spécifiques le Gouvernement compte-t-il faire adopter en faveur du logement social outre-mer ?
Brigitte Girardin : De nombreuses mesures en faveur du logement ont été prises dans la loi de programme pour l'outre-mer de juillet 2003. Je rappellerai ainsi l'application de la TVA à taux réduit au LES, l'amélioration du dispositif de défiscalisation en faveur du logement intermédiaire ou encore, l'abattement de 30 % de taxe foncière sur les propriétés bâties pour les logements faisant l'objet de travaux d'amélioration. Par ailleurs, la loi de cohésion nationale votée en décembre dernier, comprend des mesures pour le logement social, orientées vers une plus grande diversité des produits. Deux nouveaux produits sont ainsi créés, le prêt locatif social (PLS) et le prêt social location - accession (PSLA). Par ailleurs, le nouveau prêt à taux zéro (PTZ) est d'ores et déjà applicable à La Réunion, avec des conditions de ressources plus larges et l'ouverture aux logements anciens.
La prochaine loi " habitat pour tous " visera notamment à favoriser la cession de logements sociaux à leurs occupants, et contiendra diverses mesures dans le domaine de l'urbanisme comme, par exemple, la possibilité pour un maire d'inscrire dans son PLU l'obligation de créer des logements sociaux dans les nouveaux lotissements. Ces mesures nationales ont vocation à s'appliquer à l'outre-mer. Des mesures plus spécifiques seront également prévues, comme par exemple le renforcement de la base juridique du LES.
J.I.R : Selon les syndicats agricoles, l¹avenir de la filière canne-sucre de la Réunion devrait se jouer cette année à Bruxelles où la commission a déjà proposé une baisse du prix du sucre. En cas de problème, que pourrait faire le Gouvernement pour sauvegarder cette filière ?
Brigitte Girardin : Comme le soulignent fort justement les professionnels du monde agricole réunionnais, 2005 est une année déterminante pour l'avenir de la filière canne-sucre. Depuis de nombreux mois déjà, nous nous préparons avec eux à la difficile négociation qu'il va falloir mener pour préserver cette filière. Ce travail en commun se déroule, je tiens à le souligner, dans un excellent esprit de concertation et de partage d'informations et d'analyses. La difficulté de la négociation réside notamment dans le fait que l'Union européenne compte désormais 25 États membres, dont 23 sont producteurs de sucre de betterave. La France, qui est au sein de l'Union le seul pays producteur de sucre de canne, a néanmoins de solides arguments à faire valoir pour défendre ses producteurs et elle s'y emploie. Je peux à cet égard vous assurer de la détermination et de la pugnacité qui nous animent, Dominique Bussereau et moi-même, lorsque nous plaidons ce dossier auprès de nos interlocuteurs. La canne constitue en effet, à La Réunion comme d'ailleurs aux Antilles, le socle irremplaçable de l'économie agricole locale. En outre, vous le savez, le secteur agricole a ici un poids social et économique relativement bien plus important que sur le continent européen et il importe en conséquence de ne pas le fragiliser.
Nous avons obtenu de premiers signes positifs de la Commission en réponse à notre demande que ne s'applique pas aux DOM la possibilité d'importer du sucre des PMA, dans le cadre de l'accord "Tout sauf les armes". Par ailleurs, la spécificité des RUP françaises est une donnée que la nouvelle Commission semble prête à prendre en compte.
Les restructurations de l'industrie sucrière que La Réunion a connues et qui ont permis de réaliser d'importants gains de productivité, appartiennent au passé. Il n'existe plus aujourd'hui aucune marge de manuvre en ce domaine. Ces progrès considérables ont été atteints au prix de sacrifices lourds qu'il n'est plus possible d'imposer aux professionnels de la filière, qu'ils soient agriculteurs ou industriels. C'est la raison pour laquelle, en poursuivant la concertation avec les professionnels, nous continuerons à plaider cette cause juste, afin que les compensations de baisse de prix que la Commission propose pour rendre la filière sucre européenne plus compétitive, soient à la hauteur des attentes des filières "canne-sucre" des DOM qui doivent poursuivre leurs activités dans les meilleures conditions.
J.I.R : Vous êtes une élue UMP, vous arrivez dans un département où l'Union de la majorité présidentielle n'a jamais eu de président. Peut-on concevoir un mouvement sans " tête " ? Est-ce si difficile pour la droite de se trouver un leader ?
Brigitte Girardin : Permettez-moi tout d'abord de rectifier vos propos. Je ne suis pas une élue, ce qui n'est absolument pas une entrave à ma détermination de travailler au sein de ce gouvernement pour défendre avec persévérance et ténacité les dossiers concernant les femmes et les hommes de l'outre-mer en général et de La Réunion en particulier. N'ayant pas en charge une circonscription en métropole, je peux donc me consacrer à 100 % à l'outre-mer.
Concernant le fonctionnement de la fédération de l'U.M.P de La Réunion, je laisserai à Michel Diefenbacher, secrétaire national en charge de ces affaires, le soin de répondre à cette question. Je remarque très simplement que les parlementaires de La Réunion qui soutiennent le Gouvernement appartiennent tous, à une exception près, aux groupes parlementaires de l'U.M.P que ce soit au Sénat ou à l'Assemblée nationale. Je constate par ailleurs que la droite réunionnaise, dans toutes ses composantes, sait parfaitement se réunir dès lors que les enjeux sont d'envergure pour La Réunion. Pour ne prendre que quelques exemples, la droite a su se souder pour conquérir le Conseil général en 1998 et en conserver la majorité en 2001 et en 2004. En 2001, à l'occasion des élections municipales, l'union de la droite a permis de remporter cette échéance et à l'occasion des dernières élections régionales en 2004, elle était à nouveau rassemblée.
Ce que je retiens, c'est que la division nourrit avec certitude et constance l'échec. L'union quant à elle permet de rassembler les forces et les énergies politiques, celles des élus et des citoyens qui partagent les mêmes valeurs, pour construire La Réunion de demain.
Propos recueillis par Yves Mont-Rouge
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 18 février 2005)
Brigitte Girardin : Un an, c'est effectivement un peu long, surtout si je compare avec les habitudes que j'avais prises à une certaine époque où j'avais la chance de venir dans votre île très souvent pour suivre le chantier de la délocalisation à Saint-Pierre de l'administration des TAAF.
En fait, j'avais prévu de venir à La Réunion en octobre dernier mais la crise polynésienne m'a empêchée de quitter Paris. Pour moi, c'est indispensable d'être régulièrement sur le terrain pour mieux comprendre les préoccupations et les attentes de nos compatriotes. Au cours de ce déplacement, je souhaite travailler principalement sur deux questions : l'importance de l'Europe pour l'outre-mer et La Réunion en particulier ; les actions à mener en direction des populations les plus fragiles, notamment les personnes handicapées et les adolescents en souffrance.
J.I.R : Il y a deux semaines, plus de 3 000 Réunionnais sont descendus dans la rue pour dénoncer " la politique de casse sociale du Gouvernement ", la réforme des 35 heures, la baisse du pouvoir d'achat... Cette semaine ce sont les jeunes qui manifestent contre la loi Fillon. Certaines associations et les syndicats ont déjà annoncé qu¹ils vont vous préparer " un comité d'accueil digne de ce nom ". Un mouvement politique de gauche a même appelé à une " journée île morte ", le vendredi 18 février prochain. Comment comptez-vous calmer les esprits ? Avez-vous un remède miracle ?
Brigitte Girardin : Vous vous faites l'écho de mouvements sociaux dont je ne conteste pas la réalité, mais qui ne sont l'expression que d'une partie de la population.
Nombre de Français, en effet, dont vous ne parlez pas, reconnaissent que les réformes mises en uvre par le Gouvernement contribuent, au contraire, à remettre notre pays sur la voie de la croissance et du progrès social.
En ce qui concerne plus particulièrement le champ social, ce gouvernement a ainsi résolument engagé la réforme des retraites et celle de l'assurance maladie, alors que le Gouvernement socialiste s'était contenté de créer des commissions ou de rédiger des rapports sans jamais prendre aucune décision. Hors, sans ces réformes, ce sont les socles de notre pacte social et républicain qui auraient été gravement menacés.
Plus récemment, la loi pour l'égalité des droits et des chances pour la participation et pour la citoyenneté des personnes handicapées qui engage une profonde réforme de la loi de 1975, vient d'être votée. Pensez-vous vraiment qu'il s'agisse d'une " politique de casse sociale " pour celles et ceux qui vont bénéficier de ces mesures ? Quant à la réforme des 35 heures, je vous rappelle que la proposition de loi en discussion actuellement au Parlement ne remet pas en cause la durée légale du travail sur une base de 35 heures, mais vise à en moderniser la réglementation, en permettant plus de souplesse, tant pour les entreprises que pour les salariés. Enfin, c'est ce Gouvernement qui a engagé sur trois ans (2002-2005) l'unification des SMIC sur le niveau du SMIC le plus élevé. LeSMIC a augmenté en deux ans (2002-2004) de 10,07 %, et la dernière augmentation interviendra le 1er juillet prochain. Aucun autre Gouvernement n'aura engagé une politique aussi volontariste en ce domaine permettant une forte augmentation du pouvoir d'achat des salariés les plus modestes. J'ajoute que la loi de programmation pour la cohésion sociale dont Jean-Louis Borloo vous a donné les détails lors de sa récente visite, rend ces accusations contre le Gouvernement totalement dénuées de fondement.
Pour autant, je sais combien outre-mer, tout est plus difficile et qu'il faut à la fois combler des retards de développement et compenser des handicaps structurels liés en particulier à l'insularité. Je ne vais sûrement pas faire de l'autosatisfaction mais personne ne peut nier les premiers effets positifs sur l'emploi marchand et sur l'investissement de la loi programme de 2003. Il n'y a pas de remède miracle. Il faut garder le cap de choix politiques consistant à redonner à chacun la dignité par le travail et à sortir la jeunesse de la précarité en lui offrant de vraies perspectives d'emplois durables assortis de formations qualifiantes.
Par ailleurs, je n'ai jamais compté mon temps pour dialoguer avec les associations et les syndicats que je reçois toujours lorsqu'ils le demandent. Les dernières réunions que j'ai tenues à Paris se sont déroulées dans un climat très serein et très constructif. S'il en avait été différemment, la presse s'en serait fait l'écho. Lors de mes déplacements outre-mer, mon cabinet et moi-même sommes à leur écoute sur des préoccupations qui ne relèvent pas toujours de mon ministère mais que je relaie très volontiers auprès de mes collègues du Gouvernement, ce qui est bien naturel.
J.I.R : Vous avez assisté aujourd'hui, à l'Assemblée nationale à une journée initiée par le député-maire de Saint-Denis, René-Paul Victoria, intitulée " la Réunion, terre de travail ". Peut-on réellement parler de " terre de travail " pour une île qui compte près de 100 000 chômeurs et 75 000 Rmistes ?
Brigitte Girardin : L'initiative prise par René-Paul Victoria est importante et je vous remercie de me donner l'occasion d'en parler. Ce colloque sur " La Réunion, terre de travail " a permis en effet, de mettre en valeur auprès d'un public plus large que d'habitude, La Réunion qui produit et qui excelle dans un certain nombre de secteurs. C'est cette réalité qui peut inciter les investisseurs à s'intéresser encore davantage à l'économie réunionnaise et pour ma part je n'hésiterai jamais à la promouvoir.
S'agissant de l'autre réalité que je n'ignore pas non plus, le nombre encore trop élevé de chômeurs (66 310 demandeurs d'emploi à la fin 2004, pour la précision que vos lecteurs sont en droit d'attendre), toute ma politique tend à améliorer cette situation. Les mesures de la loi de programme pour l'outre-mer donne des résultats encourageants. Ainsi, j'observe qu'entre septembre 2003 et décembre 2004, le nombre de demandeurs d'emploi a baissé de 11,3 % à La Réunion. Par ailleurs, 7 500 emplois marchands supplémentaires y ont été créés l'année dernière et le rythme de création d'entreprises demeure très dynamique (+ 20 % entre 2002 et 2004). La Réunion doit poursuivre sur cette voie, seule susceptible d'assurer durablement son développement.
J.I.R : Au cours d'un de vos précédents séjours, vous avez déclaré en parlant des emplois aidés que " personne ne restera sur le bord du chemin ". Depuis, plusieurs centaines de contrats aidés n'ont pas été renouvelés. D'ici à la fin de cette année, 220 CEC de l'éducation nationale n'auront plus de travail après huit années d'activités. Que leur dites-vous aujourd'hui ?
Brigitte Girardin : Vous rappelez ici l'engagement que j'avais pris et qui concernait les emplois-jeunes en fin de contrat. Ces engagements ont été totalement respectés avec la mise en place de la mission d'appui chargée d'accueillir, d'orienter et d'aider au reclassement de chacun de ces jeunes.
Vous évoquez par ailleurs la situation des personnes titulaires de contrats emploi-consolidé, employés par l'Éducation nationale et qui ont bénéficié de nombreuses prolongations de contrat. Ces personnes doivent pouvoir bénéficier d'un accompagnement personnalisé, destiné à renforcer leur qualification et à faciliter leur reclassement.
Je vous rappelle que je n'ai cessé de dire que mon objectif est de faire reculer le nombre d'emplois aidés, qui, par définition, sont des emplois précaires, au bénéfice de véritables emplois durables dans le secteur marchand dont nous favorisons le développement par les mesures de la loi programme.
J.I.R : Lors de son déplacement dans l'île en décembre dernier, Jean-Louis Borloo, ministre du Travail a promis, dès cette année, plus de 10 000 contrats d'avenir. Avez-vous des nouvelles des décrets d'application ?
Brigitte Girardin : En décembre 2004, Monsieur Borloo a effectivement annoncé que 10 000 contrats d'avenir pourraient être conclus à La Réunion, en 2005. Comme vous le savez, ces contrats sont destinés aux allocataires des minima sociaux et en particulier du revenu minimum d'insertion.
Les textes d'application de la loi de programmation pour la cohésion sociale sont actuellement en préparation. Le décret relatif aux contrats d'avenir devrait quant à lui être publié dès le mois de mars prochain. Rien ne s'opposera donc à ce que les contrats annoncés puissent être conclus.
J.I.R : Vous avez augmenté récemment la dotation globale de fonctionnement (DGF) de 7 %. Ce qui représente une bouffée d'oxygène pour les finances communales. Mais n'allez-vous pas récupérer de la main gauche ce que vous avez donné de la main droite étant donné que la participation financière de l'État sera beaucoup moindre (70 %, 50 % et 25 %) dans les nouveaux emplois aidés ?
Brigitte Girardin : Vous avez raison de souligner l'augmentation significative en 2005 de la dotation globale de fonctionnement (DGF) de l'ensemble des communes d'outre-mer.
Cet effort de plus de 36 millions d'euros ne sera pas remis en cause pour les prochaines années. Ce montant est définitivement acquis dans le socle de la DGF et sera revalorisé annuellement selon les mécanismes d'indexation habituels de cette dotation.
S'agissant des emplois aidés, j'ai obtenu que dans la loi de programmation pour la cohésion sociale, il soit expressément prévu le maintien des CES, en 2005, dans les départements d'outre-mer, alors qu'ils sont remplacés par un autre dispositif en métropole. De plus, les modalités de prise en charge financière des CES, en 2005, ne sont pas modifiées (ces contrats sont financés sur le budget de mon ministère) et celles concernant les mesures du plan de cohésion sociale ne sont pas encore définitivement arrêtées. Aussi, je ne vois pas de fondement à votre interrogation.
J.I.R : Aussi bien Paul Vergès (PCR) que Nassimah Dindar (UMP) refusent le transfert des TOS de l'Etat vers les collectivités locales tant que les moyens ne suivront pas. La position de la présidente du conseil général n'est-elle pas gênante pour le Gouvernement ? Le Gouvernement aura-t-il les moyens de rattraper le retard en matière de personnel d'encadrement des établissements scolaires ?
Brigitte Girardin : Comme vous le savez, le Parlement, en adoptant la loi de décentralisation qui décide du transfert des TOS, l'avait assortie d'une disposition - issue d'un amendement de Jean-Paul Virapoullé - reportant son entrée en vigueur pour La Réunion. Saisi par les socialistes, le Conseil constitutionnel a censuré cet amendement pour inconstitutionnalité : dès lors que La Réunion est soumise au principe d'identité législative que lui garantit l'article 73 de la Constitution, les lois et règlements doivent s'y appliquer de plein droit, sauf si des " caractéristiques et contraintes particulières " à ce département permettent une adaptation ou une dérogation. Or, au cas présent, le Conseil constitutionnel a jugé que l'académie de La Réunion ne se trouve pas dans une situation distincte de celle d'autres académies de métropole.
J'ai toujours eu, pour ma part, la conviction que les DOM devaient pouvoir, dans certains cas, être autorisés à sortir de la stricte identité législative pour surmonter leurs difficultés et pouvoir ainsi bénéficier de dispositifs " sur mesure ". Mais vous savez que c'est un sujet très sensible pour les élus réunionnais. Je leur laisse donc la liberté de choisir entre une application de la loi commune à La Réunion dans les conditions exigées par l'article 73 de la Constitution ou un assouplissement des modalités de cet article. Comme le Gouvernement doit engager à partir de juin prochain une procédure de révision constitutionnelle pour régler la question du corps électoral spécifique à la Nouvelle-Calédonie, je leur indique que si un accord se dégage entre eux, ils peuvent profiter de cette occasion pour faire préciser, dans l'article 73, que les lois et règlements peuvent voir leur application écartée ou différée, si les assemblées locales le proposent et si le Parlement le décide. Mais vous comprendrez que le Gouvernement ne prendra aucune initiative en ce sens. Il appartient en effet aux parlementaires réunionnais, s'ils sont d'accord sur une telle réforme, d'en faire la proposition. Chacun doit bien prendre conscience aujourd'hui que la modification de l'article 73 de la Constitution est le seul moyen juridique dont nous disposons pour régler la question du transfert des TOS, dans le sens souhaité par les Réunionnais.
J.I.R : Les députés devront examiner avant juillet prochain la " loi habitat pour tous ". Quelles dispositions spécifiques le Gouvernement compte-t-il faire adopter en faveur du logement social outre-mer ?
Brigitte Girardin : De nombreuses mesures en faveur du logement ont été prises dans la loi de programme pour l'outre-mer de juillet 2003. Je rappellerai ainsi l'application de la TVA à taux réduit au LES, l'amélioration du dispositif de défiscalisation en faveur du logement intermédiaire ou encore, l'abattement de 30 % de taxe foncière sur les propriétés bâties pour les logements faisant l'objet de travaux d'amélioration. Par ailleurs, la loi de cohésion nationale votée en décembre dernier, comprend des mesures pour le logement social, orientées vers une plus grande diversité des produits. Deux nouveaux produits sont ainsi créés, le prêt locatif social (PLS) et le prêt social location - accession (PSLA). Par ailleurs, le nouveau prêt à taux zéro (PTZ) est d'ores et déjà applicable à La Réunion, avec des conditions de ressources plus larges et l'ouverture aux logements anciens.
La prochaine loi " habitat pour tous " visera notamment à favoriser la cession de logements sociaux à leurs occupants, et contiendra diverses mesures dans le domaine de l'urbanisme comme, par exemple, la possibilité pour un maire d'inscrire dans son PLU l'obligation de créer des logements sociaux dans les nouveaux lotissements. Ces mesures nationales ont vocation à s'appliquer à l'outre-mer. Des mesures plus spécifiques seront également prévues, comme par exemple le renforcement de la base juridique du LES.
J.I.R : Selon les syndicats agricoles, l¹avenir de la filière canne-sucre de la Réunion devrait se jouer cette année à Bruxelles où la commission a déjà proposé une baisse du prix du sucre. En cas de problème, que pourrait faire le Gouvernement pour sauvegarder cette filière ?
Brigitte Girardin : Comme le soulignent fort justement les professionnels du monde agricole réunionnais, 2005 est une année déterminante pour l'avenir de la filière canne-sucre. Depuis de nombreux mois déjà, nous nous préparons avec eux à la difficile négociation qu'il va falloir mener pour préserver cette filière. Ce travail en commun se déroule, je tiens à le souligner, dans un excellent esprit de concertation et de partage d'informations et d'analyses. La difficulté de la négociation réside notamment dans le fait que l'Union européenne compte désormais 25 États membres, dont 23 sont producteurs de sucre de betterave. La France, qui est au sein de l'Union le seul pays producteur de sucre de canne, a néanmoins de solides arguments à faire valoir pour défendre ses producteurs et elle s'y emploie. Je peux à cet égard vous assurer de la détermination et de la pugnacité qui nous animent, Dominique Bussereau et moi-même, lorsque nous plaidons ce dossier auprès de nos interlocuteurs. La canne constitue en effet, à La Réunion comme d'ailleurs aux Antilles, le socle irremplaçable de l'économie agricole locale. En outre, vous le savez, le secteur agricole a ici un poids social et économique relativement bien plus important que sur le continent européen et il importe en conséquence de ne pas le fragiliser.
Nous avons obtenu de premiers signes positifs de la Commission en réponse à notre demande que ne s'applique pas aux DOM la possibilité d'importer du sucre des PMA, dans le cadre de l'accord "Tout sauf les armes". Par ailleurs, la spécificité des RUP françaises est une donnée que la nouvelle Commission semble prête à prendre en compte.
Les restructurations de l'industrie sucrière que La Réunion a connues et qui ont permis de réaliser d'importants gains de productivité, appartiennent au passé. Il n'existe plus aujourd'hui aucune marge de manuvre en ce domaine. Ces progrès considérables ont été atteints au prix de sacrifices lourds qu'il n'est plus possible d'imposer aux professionnels de la filière, qu'ils soient agriculteurs ou industriels. C'est la raison pour laquelle, en poursuivant la concertation avec les professionnels, nous continuerons à plaider cette cause juste, afin que les compensations de baisse de prix que la Commission propose pour rendre la filière sucre européenne plus compétitive, soient à la hauteur des attentes des filières "canne-sucre" des DOM qui doivent poursuivre leurs activités dans les meilleures conditions.
J.I.R : Vous êtes une élue UMP, vous arrivez dans un département où l'Union de la majorité présidentielle n'a jamais eu de président. Peut-on concevoir un mouvement sans " tête " ? Est-ce si difficile pour la droite de se trouver un leader ?
Brigitte Girardin : Permettez-moi tout d'abord de rectifier vos propos. Je ne suis pas une élue, ce qui n'est absolument pas une entrave à ma détermination de travailler au sein de ce gouvernement pour défendre avec persévérance et ténacité les dossiers concernant les femmes et les hommes de l'outre-mer en général et de La Réunion en particulier. N'ayant pas en charge une circonscription en métropole, je peux donc me consacrer à 100 % à l'outre-mer.
Concernant le fonctionnement de la fédération de l'U.M.P de La Réunion, je laisserai à Michel Diefenbacher, secrétaire national en charge de ces affaires, le soin de répondre à cette question. Je remarque très simplement que les parlementaires de La Réunion qui soutiennent le Gouvernement appartiennent tous, à une exception près, aux groupes parlementaires de l'U.M.P que ce soit au Sénat ou à l'Assemblée nationale. Je constate par ailleurs que la droite réunionnaise, dans toutes ses composantes, sait parfaitement se réunir dès lors que les enjeux sont d'envergure pour La Réunion. Pour ne prendre que quelques exemples, la droite a su se souder pour conquérir le Conseil général en 1998 et en conserver la majorité en 2001 et en 2004. En 2001, à l'occasion des élections municipales, l'union de la droite a permis de remporter cette échéance et à l'occasion des dernières élections régionales en 2004, elle était à nouveau rassemblée.
Ce que je retiens, c'est que la division nourrit avec certitude et constance l'échec. L'union quant à elle permet de rassembler les forces et les énergies politiques, celles des élus et des citoyens qui partagent les mêmes valeurs, pour construire La Réunion de demain.
Propos recueillis par Yves Mont-Rouge
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 18 février 2005)