Déclaration de M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité, sur la gestion raisonnée de l'eau dans l'agriculture, Paris, le 1er mars 2005.

Prononcé le 1er mars 2005

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Circonstance : Colloque du CEMAGREF "Eau et agriculture durable" à Paris, le 1er mars 2005

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux d'ouvrir le colloque du Centre national du Machinisme agricole, du génie rural, des eaux et forets (CEMAGREF), portant aujourd'hui aux relations entre eau et agriculture durable. Je souhaite saluer la qualité des recherches que vous menez et insister sur l'orientation du CEMAGREF qui est un institut de recherche pour l'ingénierie de l'agriculture et de l'environnement. Les compétences sont donc réunies pour orienter le débat public et fournir aux décideurs politiques des pistes d'action.
En préambule, je soulignerai la place centrale et parfois paradoxale de l'eau dans les activités agricoles. Dans nos sociétés tempérées, la problématique de l'eau n'occupait pas jusqu'à récemment l'agenda politique. Je rappellerai même que, pour les économistes, elle constituait un bien libre, c'est-à-dire en quantité illimitée et ne s'échangeant pas sur un marché.
L'altération de la qualité des eaux dans certaines régions, les aléas climatiques ont eu raison de cette vision qui, d'ailleurs, pouvait être facilement révisée par la simple observation des techniques déployées pour l'irrigation des régions moins pourvues en eau de pluie. Bref, l'eau est un bien rare. A l'échelle de la planète, nous ne pouvons avoir aucun doute.
Or, ce bien rare est indispensable aux activités agricoles qui travaillent sur le vivant.
Les besoins de l'agriculture sont de deux ordres :
- en premier lieu, sans eau, le vivant ne peut se développer ;
- en second lieu, la disponibilité de l'eau est une assurance pour la production.
Pour l'agriculture, la gestion de l'eau ne peut toutefois se limiter à la maîtrise quantitative. La qualité de l'eau est aussi une nécessité pour le développement du vivant parce qu'elle permet de maintenir les équilibres écologiques et l'écodiversité dont le souci a été récemment souligné par le Président de la République à l'Unesco. C'est pourquoi une nouvelle étape dans la modernisation de l'agriculture est en marche avec les critères de conditionnalité et les bonnes pratiques qui devraient conforter les intérêts convergents entre la société et les agriculteurs, notamment sur la gestion de l'eau.
Dans cette perspective, la recherche et l'innovation technologique sont deux éléments essentiels de notre réussite pour les générations futures. Elle doit, en particulier, travailler sur les systèmes d'irrigation qui sont indispensables pour :
- permettre au vivant de se développer notamment dans les régions peu favorisées,
- assurer la récolte et donc le revenu des exploitants,
- maîtriser les prélèvements d'eau.
Je soulignerai aussi que la demande de qualité des produits de la part des consommateurs nécessite un apport régulier en eau.
J'observe aussi que, dans certains cas, l'irrigation pose des problèmes de conflits d'usage. Des actions sont engagées pour réduire l'impact des prélèvements sur la ressource en eau et les milieux aquatiques. Il importe de les renforcer.
Au terme de ce propos liminaire, j'évoquerai avec vous mon diagnostic sur la situation présente. Je l'articulerai articulé autour :
- du cadre européen tel qu'il ressort pour une gestion durable de l'eau (Partie I),
- du recours à l'encouragement à de nouvelles pratiques et à l'incitation financière pour mieux gérer l'eau (Partie II) ;
- enfin, des choix nécessaires pour opérer une orientation décisive vers une eau propre et bien gérée (Partie III)
I - Le cadre européen définissant les nouvelles règles en matière d'eau : la directive-cadre eau et les conséquences de la réforme de la Politique Agricole Commune.
Les biens libres, comme l'air ou l'eau - dont j'ai rappelé la dénomination mal assurée des économistes - ne peuvent plus se gérer à l'échelle d'une commune ou même d'un pays. Je soulignerai aussi que l'incapacité du marché à prendre en compte ces effets redonne une réalité au pouvoir régalien de l'Etat dans la sphère économique.
I - 1 Les changements apportés par la directive-cadre eau
o La directive européenne du 23/10/2000 dite " directive cadre eau " définit désormais un cadre rénové pour la gestion de la protection des eaux à l'échelle de l'Europe.
A ce jour, la directive nitrates de 1991, qui reste en vigueur, définit avant tout une obligation de moyens. Son application passe essentiellement par la mise en uvre de programmes d'actions départementaux en France, prévoyant un certain nombre de mesures obligatoires pour les agriculteurs en zones vulnérables.
Or, la directive-cadre sur l'eau en cours de mise en uvre, change radicalement la donne en fixant, à l'horizon 2015, une obligation de résultats concernant le bon état écologique des eaux. L'application de cette directive prévoit l'élaboration d'un programme de mesures, notamment dans le champ de l'agriculture.
La recherche devra accompagner les pouvoirs publics et les acteurs économiques dans la mise en place de mesures adaptées aux objectifs et dans le suivi de leurs effets sur l'eau.
o La Réforme de la Politique Agricole Commune met en exergue, notamment, le respect de critères environnementaux liés à la conditionnalité et les bonnes pratiques.
S'agissant de la conditionnalité, dès 2005, l'attribution des aides sera conditionnée au respect :
- des exigences liées à l'application française de la directive nitrates,
- des bonnes conditions agricoles et environnementales, dont la mise en place de bandes enherbées en bordure de cours d'eau ou l'installation de compteurs volumétriques.
S'y ajoutera, à partir de 2006, le respect des exigences liées à l'application de la directive européenne relative aux produits phytosanitaires.
L'objectif est de modifier radicalement les pratiques à terme. C'est pourquoi nous mettons en uvre cette réforme de façon progressive et pragmatique de manière à en favoriser l'appropriation des enjeux et des critères par les agriculteurs.
Quant au découplage des aides introduit par la réforme, il consiste à ne plus lier le niveau de l'aide versée à la production. L'irrigation et les intrants ayant un coût, ceux-ci devraient être réduits.
A ce jour, l'impact de ce deuxième volet de la réforme de la PAC sur la demande en eau d'irrigation ou sur la diminution de la pollution par la réduction des intrants n'est pas précisément évalué. Il est donc nécessaire d'accélérer les études sur le sujet afin d'éclairer les pouvoirs publics et les agriculteurs sur les choix politiques et techniques à effectuer.
II - Encourager et inciter pour mieux gérer l'eau
L'impulsion européenne, à laquelle la France a largement uvré, nécessite parallèlement une action nationale déterminée pour promouvoir une gestion raisonnée quantitativement et qualitativement de l'eau.
II - 1 Avant-projet de loi sur l'eau
Le projet, qui vous vient de vous être présenté, comporte des dispositions concernant les agriculteurs. Les agences de l'eau auront compétence pour intervenir de manière renforcée sur les pollutions diffuses. Des moyens financiers nouveaux seront dégagés pour contribuer au financement des surcoûts éventuellement imputables à la mise en oeuvre de pratiques agricoles plus favorables au maintien de la qualité des eaux.
Le projet de loi encourage la gestion collective des prélèvements d'eau. Il prévoit que les agences de l'eau créent les conditions d'un développement durable des activités économiques utilisatrices d'eau en favorisant les économies d'eau. Les agences doivent favoriser la recherche d'un équilibre entre volumes consommés et ressources disponibles. Il sera possible de mobiliser des réserves nouvelles en eau, une fois l'équilibre atteint en matière de gestion de l'eau.
Dans ma région et dans mon département, la gestion volumétrique est mise en uvre depuis de longue années avec une répartition par bassins ; ces derniers doivent devenir des outils de gestion d'une agriculture durable garante de la préservation de la ressource.
L'avant-projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques est soumis en ce moment au Conseil d'Etat pour être présenté au Parlement au cours du printemps.
J'ajoute que des actions publiques sont déjà engagées dans le domaine de la gestion de l'eau. Ainsi, le 8ème programme des agences de l'eau prévoit le financement de l'automatisation des matériels d'irrigation. C'est un encouragement à l'irrigation de nuit : plus efficace et économe de la ressource.
II - 2 Le Programme de Maîtrise des Pollutions d'Origine Agricole (PMPOA)
Le nouveau programme PMPOA 2 est orienté prioritairement vers les élevages situés en zone vulnérable. Le volet agronomique est renforcé de façon à être en phase avec les exigences fixées par la directive " nitrates ".
Pour inciter les exploitants à s'engager, mon Ministère a accepté de financer l'étude préalable aux investissements. Elle constituera un outil d'aide à la décision pour l'exploitant et permettra aussi de recenser et de se centrer sur les exploitations les plus concernées.
II - 3 Lutte contre les pollutions diffuses, un plan interministériel sur les pesticides
Pour la réduction de la pollution par les pesticides, qui représentent une source de plus en plus préoccupante de pollution des eaux, de nouvelles actions seront présentées mi-2005 dans le cadre du nouveau programme interministériel de lutte contre les pollutions. Elles s'articulent autour des trois axes suivants :
- améliorer la connaissance de l'usage des produits phytosanitaires puis sécuriser la mise sur le marché et l'utilisation des produits phytosanitaires ;
- renforcer les actions pour faire évoluer les pratiques agricoles, mais aussi non agricoles :
* en mettant en avant les synergies positives possibles entre protection des cultures et meilleure prise en compte de l'environnement ,
* en prévoyant de nouvelles normes et contrôles pour les pulvérisateurs en service et mis sur le marché : le CEMAGREF est tout particulièrement impliqué dans ces travaux sur l'amélioration du matériel agricole ;
- renforcer les actions dans certaines zones particulièrement polluées, comme les DOM ;
III - Pour une orientation décisive pour l'avenir, faire le choix de :
- la responsabilité individuelle
- la gestion collective
- l'innovation
III - 1 La responsabilité individuelle : disposer d'un modèle économique et encourager la démarche de qualification
L'écologie et le développement durable, c'est aussi une démarche responsable de chacun d'entre nous. Pour reprendre les termes du Président de la République dans son discours de Murat du 21 octobre 2004, nous devons - et les agriculteurs bien entendu au premier chef - être " écologiquement responsables ".
La question est alors :
o d'en connaître et mesurer les coûts. La recherche économique doit fournir des modèles de projection évaluant les effets sur la ressource et le revenu du choix d'une gestion écologique de l'eau. Il sera alors possible de mieux expliciter les objectifs et de proposer aux agriculteurs des dispositifs plus économes en eau ainsi que des techniques alternatives moins polluantes.
o de trouver les moyens d'une reconnaissance qui puisse être valorisée économiquement. L'agriculture raisonnée illustre la prise de conscience des agriculteurs concernant la nécessaire intégration du respect de l'environnement dans les pratiques agricoles.
La mention " agriculture raisonnée " nécessite au préalable de procéder au diagnostic de son exploitation. C'est donc la garantie d'une bonne appropriation des règles et de leurs objectifs. L'agriculture raisonnée repose aussi sur un engagement personnel et pécuniaire de l'agriculteur :
- il fait appel de sa propre initiative à un organisme certificateur indépendant,
- il supporte personnellement le coût de cet audit extérieur estimé à 1000 euros.
Il s'agit donc bien d'un engagement de conviction : le seul avantage dont il puisse se prévaloir est l'apposition d'une mention informative sur ses produits (l'agriculture raisonnée n'est pas un label).
III - 2 En matière d'irrigation, les vertus d'une gestion collective sont établies.
Ces démarches sont souvent lancées localement et se trouvent mieux adaptées à la culture des territoires concernés. Des exemples nombreux peuvent être promus notamment par le biais des chambres d'agriculture qui sont partie prenante auprès de leurs consoeurs. La moitié des irrigants utilisent l'eau de manière individuelle, nous avons là une bonne marge de progression.
Il convient aussi de systématiser les outils de pilotage de l'irrigation dans les exploitations : l'accès aux données de prévision météorologique, la connaissance de l'état de l'eau dans le sol permettent une optimisation de l'utilisation de l'eau au niveau de la parcelle. La diffusion de ces outils relève du développement agricole (chambres d'agriculture, instituts techniques).
III - 3 Un rôle fondamental doit être jouer par les entreprises, notamment en renforçant le partenariat recherche-industrie.
o La technologie doit progresser.
50 % des produits phytosanitaires n'atteignent pas la plante se dispersant dans l'air ou le sol. Par ailleurs, il faut développer les outils d'optimisation des réseaux : des économies d'eau sont, en effet, possibles dans l'utilisation des réseaux, notamment en irrigation gravitaire.
o Indispensable diffusion des résultats et valorisation auprès des relais de terrain
Les travaux de la recherche fondamentale et appliquée et leurs développements sur les pratiques et les matériels agricoles ont déjà permis de nombreux progrès en matière de prise en compte de l'environnement. Ils doivent être poursuivis, leurs résultats diffusés et valorisés.
J'ai eu l'occasion lors de l'inauguration du Salon International du Machinisme Agricole de souligner l'apport important de la recherche. Permettez-moi de citer deux programmes :
- grâce à la compréhension des mécanismes de transfert de micropolluants agricoles, l'Institut du Végétal - ARVALIS - a pu mettre au point des outils de diagnostic et de sensibilisation sur les sources de pollution par les produits phytosanitaires ;
- l'action " Aquae ",1999-2003, s'est attachée à développer des outils d'aide à la décision pour la gestion de l'eau dans les exploitations agricoles ou forestières.
CONCLUSION
Hervé GAYMARD, mon prédécesseur, avait saisi les organismes de recherche dans le domaine agricole en leur demandant de veiller à bien prendre en compte les problématiques liées à la préservation de la ressource en eau dans leurs travaux. Je relance aujourd'hui cet appel.
Je pense notamment que mon Ministère devra, dans son exercice de tutelle des organismes de recherche, mieux expliciter ses objectifs en matière de vulnérabilité des systèmes de production au facteur " eau ".
Confiant dans la poursuite de notre collaboration fructueuse et dans la richesse des débats que devrait nourrir ce colloque, je prendrai connaissance avec intérêt de vos travaux.
(Source http://www.cemagref.fr, le 15 mars 2005)