Discours de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, sur ses propositions dans le domaine des médias, abordant à la fois les questions de lutte contre les concentrations, d'aides directes et indirectes à la presse, de service public de l'audiovisuel, de politique de régulation avec notamment l'évolution des compétences du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), Paris le 12 février 2005.

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Circonstance : Journée de réflexion "Médias et démocratie" à la Maison de la radio le 12 février 2005

Texte intégral

Je veux saluer le travail engagé par Anne Hidalgo qui a permis cette rencontre sur les médias. Il y avait en effet longtemps que des socialistes ne s'étaient pas intéressés aux médias, au sens de leur avenir, et n'avaient pas engagé, avec ceux qui les représentent, ceux qui y travaillent, une réflexion pour aboutir à des propositions.
Si nous nous retrouvons là tous, élus, acteurs de la profession, salariés ou simplement lecteurs ou spectateurs, c'est bien parce que nous sommes conscients de l'enjeu. Cette journée s'inscrit dans une double actualité. L'actualité d'abord du projet des socialistes qui fait de la démocratie l'enjeu majeur de l'alternance et l'instrument même de la reconquête politique.
La démocratie sera au coeur de l'échéance de 2007, ce qui n'empêche pas de mener des combats auparavant. Elle sera au coeur de l'ensemble des sujets de délibération politique dans le monde : veut-on une gouvernance mondiale ou n'en voulons-nous pas ? C'est l'enjeu même de la consultation sur le Traité constitutionnel, c'est le sens même de l'affirmation de la nation : quelle est la place, quel est le rôle donné aux acteurs, aux citoyens ?
C'est enfin tout l'avenir de la décentralisation qui est posé. C'est même, à travers la laïcité, de savoir comment chaque citoyen se détermine. Donc la démocratie, pour nous socialistes, c'est l'aspiration à maîtriser le destin collectif, à préférer l'intérêt général face au marché et à faire en sorte que nous puissions décider librement de notre avenir.
La démocratie doit être pour nous l'instrument de la reconquête pas seulement du pouvoir mais de la politique. C'est pourquoi nous devons, dans l'élaboration de nos propositions, dans l'engagement que nous allons prendre pour 2007, associer très largement celles et ceux qui le voudront bien à la décision même de préparer un avenir commun.
Ce sera, à travers la démocratie, un sujet de clivage majeur avec la droite. Il s'agit d'une question qui touche à l'essentiel : à la question de l'uniformisation culturelle que nous avons évoquée; aux sources de l'information, à la question de savoir si nous sommes capables à l'échelle du monde de disposer encore de libre information, d'une connaissance des faits. De ce point de vue, la disparition de Florence Aubenas et d'Hussein Hanoun qui frappe des personnes, touche aussi à un droit essentiel : celui de l'information et donc à la présence de journalistes partout dans le monde.
À cet égard, il est paradoxal d'entendre le Président de la République souhaiter qu'il n'y ait pas de journalistes en Irak, au moment même où se déroulent des élections normalement démocratiques.
Les médias, cela a été dit par d'autres tout au long de cette matinée, sont à l'image du capitalisme dans une économie mondialisée et marquée par la révolution des technologies. Il n'y a pas de raison de penser que les médias seraient à l'abri et de la mondialisation et du bouleversement des technologies. Nous assistons à une diversité des supports, des modes d'information (télévision, radio, internet et ce qui reste de presse écrite). C'est le premier élément : une extrême diversité. Le deuxième élément est une apparente multiplication des opérateurs, présents sur un grand nombre de marchés supposés segmentés. Le troisième élément, c'est une très grande concentration de ces mêmes opérateurs sur tous les marchés. Leur objectif n'est pas simplement de maîtriser un marché mais tous les marchés et la publicité en est l'élément qui fait la liaison. Enfin, dans ce paysage, il y a ce qui relève de la presse écrite, extrêmement fragile, en crise, qui reste un enjeu, politique, culturel mais aussi un enjeu d'influence.
Dès lors que nous faisons ce constat de la nécessité de porter le débat démocratique au coeur même du système des médias, que nous faisons le constat d'une évolution considérable de la production d'information et de sa diffusion, il nous faut revenir à des propositions, en tout cas à des réponses. C'est tout le débat " concentration et pluralisme " qui nous a animés ce matin. Disons-le franchement, le sujet n'est pas nouveau, le débat sur les concentrations est aussi vieux que la liberté de la presse. Soyons sincères, ce n'est pas la première fois que la gauche s'essaye à la question de la limitation des concentrations. Il y eut même tout un congrès socialiste en 1983 à ce sujet, sans qu'il y ait d'évolution particulière de la législation, excepté une volonté de faire une loi contre Robert Hersant (ce qui ne l'a pas terrassé, il s'est terrassé lui-même, même si ce n'est pas une raison pour ne pas faire de législation).
Nous nous y sommes essayés aussi dans la dernière législature, avec ce souci de trouver la bonne disposition. D'ailleurs, à force de la rechercher, nous ne l'avons pas introduite... Aujourd'hui il faut reprendre la réflexion. Le dilemme est parfaitement connu à l'échelle française. Je vais le résumer de la manière suivante : les grandes entreprises de communication sont nécessaires pour répondre précisément à l'enjeu de la mondialisation. Il y a peu d'industriels qui sont prêts à prendre le risque capitalistique. Peu sont prêts à payer un droit d'entrée élevé, peu disposent de sources de profit dans le domaine même des médias, dès lors le syllogisme va jusqu'au bout, dès lors qu'il y a cette difficulté pour résister à la mondialisation, dès lors qu'il faut des grandes entreprises françaises, alors acceptons qu'elles prospèrent. Acceptons donc le mélange des genres qui ne choque d'ailleurs plus grand monde, le fait que Hersant puisse vendre la Socpress à Serge Dassault, finalement se passe dans le même camp politique, dans le même parti.
Sauf qu'au-delà de ce mélange des genres, il y a aussi un mélange des métiers, puisque Hersant, quoi qu'on en ait dit, était un professionnel de la presse, ce qui n'est pas la caractéristique de Serge Dassault. Donc, il y a là un mélange des genres d'une autre nature puisque c'est l'entreprise de défense qui devient une entreprise de presse ou réciproquement.
Deuxièmement si l'on pense qu'il faut des grands groupes, il faut protéger les grandes entreprises, laissons-les prospérer sur le marché publicitaire et autorisons-les à croître sans contrainte. On voit bien les avantages de ce système, il y a donc de grandes entreprises de communication à la française, mais on voit tous les risques, la confusion notamment avec le pouvoir -pas seulement avec le pouvoir- et le risque de la domination sur des secteurs des médias, et peut-être demain sur l'ensemble du champ médiatique avec la liaison qui pourrait s'opérer entre de grandes entreprises de télévision, au moins une, et de grandes entreprises de presse, au moins une. Une opération a même été tentée
C'est là que surgit le dilemme : contrôler c'est brider le développement d'entreprises françaises, mais ne pas contrôler c'est atteindre le pluralisme. Là il faudra faire un choix, il n'est pas facile, reconnaissons-le. Il nous faut à la fois avoir des entreprises de taille suffisante et faire en sorte qu'elles ne pèsent pas sur la liberté. Voilà ce qui doit inspirer nos propositions. Alors lesquelles ? faut-il un nouvel arsenal législatif ? d'un certain point de vue, il existe. La question est de savoir s'il est suffisant et adapté, or nos débats, aujourd'hui, démontreront qu'il est insuffisant et inadapté.
Nous pourrions dire -et ce n'est pas faux- que la solution au problème de concentration, à la préservation du pluralisme, passe par l'Europe, parce qu'au moins un des éléments incontestables de l'action de l'Europe c'est bien la concurrence. A cet égard, je suis étonné par le fait que les opposants au Traité, - ils en ont le droit- considèrent que le terme " concurrence " apparaît trop fréquemment dans le texte. Pour ma part, je ne suis pas hostile à la concurrence, j'estime même qu'elle peut favoriser le pluralisme. De ce point de vue, l'Europe de la concurrence peut être utile à condition que la Commission européenne, que les instances européennes envisagent la concurrence non seulement au niveau industriel mais aussi en matière culturelle et en matière de presse. C'est là qu'il faut utiliser les deux éléments du droit européen, surtout s'il vient à être enrichi par le Traité constitutionnel : le droit de la concurrence et le droit à l'exception culturelle. Les deux conjugués nous permettront d'agir, mais il faudra du temps, une coopération européenne.
Abordons maintenant la dimension nationale. Le sujet est d'actualité parce que le président de la République a eu l'idée de créer une commission. Pourquoi ? L'opposition ne l'avait pas demandé avec une insistance particulière... Si le président de la République a pris cette initiative, c'est qu'il a d'autres motifs, qui consistent précisément à faire en sorte qu'il ne se passe rien par rapport à des évolutions de législation. D'ailleurs, la composition de la commission peut étayer cette thèse. Mais, cette commission existe, le sujet est posé, il faut s'en saisir et que le Parti socialiste, comme d'autres formations politiques, donne son point de vue.
Nous demandons une évolution du dispositif de lutte contre les concentrations à travers un critère nouveau, celui de la détention des parts de marché ou des parts de ressources publicitaires. Il faut sortir de la logique actuelle qui consiste à empêcher un opérateur d'être présent sur tous les marchés à la fois. Il n'a pas le droit aujourd'hui d'être présent dans la presse nationale et dans la presse radiophonique ou encore dans la presse audiovisuelle, il n'a droit d'être présent que sur deux de ces trois marchés. Je crois donc qu'il faut faire apparaître ce critère comme permettant de mieux lutter contre les concentrations, c'est toute la définition - qui n'est pas simple - des seuils pertinents.
Au-delà de ce dispositif anti-concentration, Il faut mettre en place trois politiques : d'abord le soutien à la presse écrite. Un mécanisme existe, il faut le revoir, là aussi en fonction du volume des recettes publicitaires, il faut que le mécanisme d'aide à la presse, qui est à 80 % une aide indirecte et pas une aide directe, bénéficie à toute la presse - quel qu'en soit le contenu - et qui peut être finalement affecté à une exigence de contenu ou de qualité, c'est ce rapport-là qu'il faut changer : davantage d'aides directes et moins d'aides indirectes. Il faut changer aussi le système de distribution, il est d'ailleurs paradoxal que ce soit un groupe, par ailleurs groupe de presse, qui contrôle le système de distribution.
Enfin, il faut favoriser le développement des points de distribution, cela a été évoqué pour les kiosques, notamment à Paris, mais aussi veiller à la présence de groupes pouvant assurer la distribution dans les grandes villes. Il faut aussi réfléchir à apporter des aides aux lecteurs pour prendre des participations dans la presse de leur choix. Il n'y a pas de raison que l'on avantage les financements dans le cinéma par des dispositifs fiscaux intéressants et qu'on ne le fasse pas pour le soutien à la presse.
Deuxième politique indispensable, c'est le service public, et notamment le service public de l'audiovisuel. Il est présent sur l'ensemble du secteur - il doit l'être - à la fois dans les chaînes généralistes mais aussi les chaînes régionales et thématiques, là aussi au nom d'une double obligation du service public : information et création. C'est pourquoi je veux rappeler ici la position du Parti socialiste qui est attaché à un financement par ordonnance pour l'audiovisuel. Pourquoi ? parce que cela nous assure une sécurité des ressources, cela permet la génération de la contribution et aussi, à terme, un fractionnement du paiement. Je suis d'ailleurs frappé par le fait que le fractionnement de paiement ne soit autorisé que pour les chaînes payantes, comme si c'était finalement plus coûteux de participer au service public que de prendre une carte pour être abonné d'une chaîne privée cryptée ou d'un réseau de chaînes payantes.
Enfin, j'ai repris l'idée d'un financement par une contribution de la publicité pour un certain nombre de tâches qui relèvent du service public. Il y a ce que l'on peut faire dériver du marché publicitaire vers le service public mais il y a aussi tous les fonds de soutien qui pourraient être alimentés par une taxe sur les ressources publicitaires.
Dernier aspect de la politique à mener, la régulation : c'est tout le rôle du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel, jusqu'à présent, confiné à l'attribution des fréquences, (j'allais dire à la nomination des dirigeants des chaînes publiques) et au contrôle a posteriori des obligations, qu'il faut reconsidérer. Il faut faire évoluer ses compétences avec le contrôle des concentrations en matière audiovisuelle à travers une plus grande capacité d'intervention sur le respect des obligations des cahiers des charges ou des règles de qualité.
En outre, il faut changer le système des nominations au sein du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (cela vaut d'ailleurs pour l'ensemble des autorités indépendantes). Il n'est plus possible que ce choix soit simplement dévolu au président de la République, aux présidents des Assemblées, voire parfois au Premier ministre. Il faut que le Parlement puisse, par une majorité forte, désigner les représentants au C.S.A. Cela vaut, je l'ai dit, pour toutes les autorités indépendantes, et même le Conseil constitutionnel.
D'ailleurs, le Parlement devrait être davantage associé à un certain nombre de nominations s'agissant de fonctions culturelles qui doivent être forcément sous la responsabilité de personnalités elles-mêmes consensuelles. Tout ce qui a été dit sur la nomination du dirigeant de TV5, de la CNC ou de la chaîne internationale, à mon avis, a trouvé toute sa pertinence.
Nous avons besoin d'affiner nos propositions, de confronter nos points de vue, à travers d'autres rencontres comme celle-ci, avec des professionnels, des entreprises, des associations. Il a beaucoup été dit sur le rôle des grandes chaînes d'information - ou de désinformation -. Mais il serait léger et illusoire d'imputer les problèmes rencontrés à l'influence considérable d'une chaîne de télévision ou d'un groupe de presse.
Confrontés à la crise qui s'est produite le 21 avril, nous avons, pour notre part, mené les réflexions nécessaires, recherché nos propres responsabilités, même si cet examen n'est pas clos. Au demeurant, une part de la réalité serait occultée si toute responsabilité collective était niée. Carence de prise de conscience en matière d'information, négligence du débat contradictoire nous menacent encore. Ce qui est inquiétant, c'est la surabondance de diffusion de sondages qui ne correspondent à aucune réalité et d'informations sans fondement au détriment du débat démocratique. S'agissant du référendum à venir, le danger c'est que l'on ne parle pas du Traité lui-même. Là encore, il faut vaincre les corporatismes, il y en a dans la profession de journaliste. Il y a aussi du suivisme. Je suis frappé par l'absence d'originalité des papiers, pour les compliments comme pour les critiques. C'est toujours les mêmes qu'on lit, c'est parce qu'il y a aussi une responsabilité de chacun à être libre, pas simplement par rapport à un système économique ou par rapport à un système culturel, mais je reconnais bien volontiers qu'on ne peut être forcément libre seul, et qu'il faut donc mener une action collective, c'est la nôtre. C'est pourquoi je prends ici l'engagement, au nom des socialistes, de continuer cette réflexion ensemble, pour que nous puissions en tirer demain des règles qui soient facteurs de vigueur et de réalité démocratique.
Il nous faudra du temps, de la volonté, une force collective. C'est pourquoi j'ai parlé de la nécessité de la durée, sur ce sujet comme sur d'autres, puisqu'il porte sur la démocratie. N'imaginons pas qu'il suffit de faire une bonne loi, une belle loi, une grande loi pour en avoir terminé avec le problème qui est posé.
Bien sûr il faut de la loi, de l'intervention publique, mais il faut bien plus que cela, il faut une participation citoyenne, un engagement, de la vigilance, il faut de la déontologie, de la morale publique, il faut de la vertu et tout cela c'est de la politique. Au bout du bout, la démocratie ne vit que s'il y a une presse libre, des médias indépendants et s'il y a aussi des partis politiques qui concourent à la libre expression des suffrages.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 21 février 2005)