Interview de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, dans "Le Parisien" du 25 avril 2005, sur les enjeux du référendum sur le projet de Constitution européenne, notamment pour la politique de l'immigration et la défense de l'identité française.

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Média : Le Parisien

Texte intégral

Q. Beaucoup de Français pensent que l'Europe détruit peu à peu les services publics. Est-ce justifié ?
Dominique de Villepin. Non. La défense des services publics n'est pas négociable. Les services publics sont au coeur de l'identité française, au coeur de notre modèle social. Avec cette Constitution, ils seront mieux protégés. Nous avons parmi les meilleurs services publics du monde dans les domaines de la santé ou de l'éducation. Nous avons réussi à adapter nos services publics marchands à la concurrence. Je songe à EDF, à Chronopost, à la SNCF. Pour la première fois, l'article II.96 de cette Constitution reconnaît pour chacun des Etats les services " d'intérêt économique général ". A l'article III.122, il reconnaît la valeur des services publics et laisse les Etats libres de les financer comme ils le souhaitent. Cette Constitution est imprégnée des exigences françaises.
Q. La Commission de Bruxelles rêve, elle, de tout autre chose...
Dominique de Villepin. L'Europe, c'est nous qui la faisons. Car l'Europe, c'est une union d'Etats et de peuples. A nous de corriger certains excès : on l'a vu avec la " directive Bolkestein ". Cette Constitution, c'est une règle commune parce que nous passons de quinze à vingt-cinq, et parce que nous avons changé d'Europe avec la chute des murs. Il faut donc mieux s'organiser pour mieux maîtriser la mondialisation. A vingt-cinq pays et avec quatre cent cinquante millions de citoyens, nous sommes plus forts, et nous pouvons mieux garantir à nos concitoyens ce à quoi ils tiennent le plus.
Q. Que répondez-vous aux électeurs qui craignent que l'Europe ne puisse pas endiguer les flux migratoires ?
Dominique de Villepin. Je veux les rassurer : le projet de Constitution européenne nous permettra, au contraire, de mettre en oeuvre une véritable politique de l'immigration. Mais la responsabilité nationale reste naturellement prioritaire. Le nombre d'éloignements d'étrangers en situation irrégulière a augmenté dans notre pays de 60 % entre 2002 et 2004. Il devrait atteindre vingt mille en 2005. Et je m'apprête à remettre un rapport au président de la République et au Premier ministre sur la lutte contre cette immigration irrégulière.
Avec trois grandes résolutions.
1. La création d'une police de l'immigration. 2. L'établissement de pôles d'immigration dans chaque département. 3. La mise en place d'un service central de l'immigration qui rassemble et coordonne l'ensemble des compétences. Mais nous devons aussi réagir dans un cadre européen. Ainsi, pour mieux contrôler les frontières extérieures de l'Union, allons-nous mettre en place, le 1er mai, l'Agence européenne des frontières.
Et, pour mieux surveiller les frontières intérieures, nous continuons de développer avec nos partenaires et voisins des outils pour maîtriser ensemble cette immigration. Regardez les succès qui ont été les nôtres avec les Espagnols dans la lutte contre les terroristes de l'ETA, les mandats d'arrêt européens, les casiers judiciaires européens ! Mais nous devons aller plus loin : c'est pourquoi j'ai décidé d'inviter à Paris le 12 mai quatre autres partenaires : l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, l'Angleterre. Le traité constitutionnel constituera, pour nous, un atout. Désormais, les décisions pourront être prises non plus à l'unanimité, mais à la majorité qualifiée. Et une volonté européenne pourra véritablement se faire jour : nous aurons la possibilité de coordonner les politiques nationales.
Q. Ils s'interrogent aussi sur l'insécurité...
Dominique de Villepin. L'Europe, c'est à la fois plus de sécurité et plus de solidarité. Le mandat européen a permis de réduire les délais d'extradition de neuf à un mois. Les criminels sont donc appréhendés plus facilement, et jugés plus vite. Nous avons multiplié les initiatives contre le terrorisme. L'Europe est, aujourd'hui, le territoire le plus démocratique, le plus en paix de la planète : nous en ferons le plus sûr du monde. Il nous faut plus d'Europe. [...]
Q. Comprenez-vous ceux qui, à gauche comme à droite, redoutent que la France ne finisse par se dissoudre dans l'Europe élargie ?
Dominique de Villepin. La défense de l'identité française, c'est ce qui justifie, depuis le début, mon engagement politique. Cette France, qu'il nous appartient de faire vivre, porte en elle des valeurs de solidarité, de culture, d'exemple. Elle peut s'épanouir pleinement en Europe. Nous avons marqué de notre empreinte la construction européenne. C'est nous, Français, qui avons été aux avant-postes, qui avons pensé cette Europe, qui nous sommes battus pour elle. Au lendemain de la chute du mur de Berlin et avec la réconciliation des deux Europe, il nous faut de nouvelles règles de vie : c'est le sens de cette Constitution. Qui sert et la France et l'Europe.
Q. Donc, la France continuera ?...
Dominique de Villepin. Bien sûr ! Elle pèse de tout son poids. Le général de Gaulle avait l'habitude de dire que l'Europe était notre levier d'Archimède. La démocratie française est plus forte quand elle s'exprime à l'échelle d'un continent. Le traité donne plus de pouvoirs au Parlement européen comme aux Parlements nationaux. Il prévoit un droit d'initiative populaire. Les droits de l'homme sont réaffirmés avec la charte des droits fondamentaux. Le respect de l'environnement figure parmi les nouvelles valeurs de l'Europe, ainsi que la justice internationale. Qui porte aujourd'hui l'exigence de justice dans le monde ? Qui porte l'exigence d'une planète qui gère mieux ses ressources et limite les effets des gaz à effet de serre ? Qui porte l'exigence de paix et de solidarité ? La France et l'Europe.
Q. La Constitution européenne était-elle vraiment nécessaire ?
Dominique de Villepin. Evidemment. Il faut tirer cette Europe vers le haut. Je ne veux pas d'une Europe du plus petit dénominateur commun. Le traité constitutionnel impose une clause sociale dans tous les domaines et pour tous les pays. L'Europe va enfin avoir un visage : le président du Conseil européen. Elle aura une personnalité juridique, un ministre des Affaires étrangères capable, dans tous les domaines où nous serons d'accord, de démultiplier la voix de notre continent. Il faut que cette Europe - qui s'est bâtie par l'économie, les finances et parfois la technocratie - entre dans l'âge de la responsabilité politique. Il faut aussi un bras armé à cette Union. Le traité nous offre la possibilité de coopérations renforcées : ceux qui le peuvent et qui le veulent peuvent s'organiser pour aller plus loin. Nous aurons une clause d'assistance mutuelle et une agence européenne d'armement. L'Europe, c'est plus de puissance et plus de force pour notre pays
Q. Comment expliquez-vous la montée des passions ?
Dominique de Villepin. Dans ce débat, chacun d'entre nous se pose des questions, exprime ses doutes, ses inquiétudes. Les Français nous adressent des messages. Ayons l'humilité de l'écoute, en n'occultant aucune question, même les plus difficiles. Nous sommes là pour les entendre et pour les comprendre mais, le 29 mai, il s'agit de la force de la France et de l'intérêt des Français pour les vingt à trente prochaines années. Nous ne pouvons pas laisser à nos enfants une France plus petite que celle que nos parents nous ont léguée. Chacun d'entre nous sent le poids de cette responsabilité.
La question qui nous sera posée sera la suivante : " Approuvez-vous le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe ? " Si nous votions non et que nous nous retrouvions au fond de la classe sur un strapontin, espérer ensuite une renégociation serait pure illusion. Et d'abord parce que nous aurions coupé le souffle, et pour longtemps, à l'Europe. Ne perdons pas de vue l'essentiel : la force de notre pays, sa place dans l'Europe, l'unité de notre continent. Le jour venu, les Français ne doivent pas se tromper de rendez-vous.

(Source http://www.u-m-p.org, le 26 avril 2005)