Déclaration de M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, sur un commerce international respectueux de l'environnement, Kuala Lumpur, le 6 mars 2000.

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Circonstance : Conférence sur " la conception française et européenne de l'avenir des négociations commerciales multilatérales " à l' Institute of Strategic and International Studies, à Kuala Lumpur (Malaisie), le lundi 6 mars 2000

Texte intégral

Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée de m'exprimer sur la conception française et européenne de l'avenir des négociations commerciales multilatérales.
Permettez-moi d'abord de rappeler l'esprit dans lequel la France aborde les problèmes engendrés par la globalisation, et en particulier par la mondialisation des échanges. Quant à l'avenir des négociations futures, j'insisterai surtout sur les sujets qui selon nous doivent y figurer, mais également sur la manière dont nous estimons qu'elles devraient se dérouler, dans le double souci de conjurer l'échec de Seattle et d'associer tous les pays au processus de décision.
I. Parler d'avenir, c'est d'abord pour moi renouveler la confiance de la France et de l'Union Européenne dans les vertus des règles issues des négociations multilatérales, notamment en matière commerciale.
Cette confiance n'est pas synonyme d'une croyance aveugle dans les vertus de la mondialisation, ni d'une idolâtrie de la théorie du libre échange
Permettez-moi d'éclaircir brièvement ce point.
Sous l'effet conjugué de plusieurs facteurs, dont la fin de l'antagonisme des grands blocs, la libération des mouvements de capitaux et le développement des technologies modernes, notamment des Nouvelles technologies de l'information, le processus de globalisation a engendré une économie capable de fonctionner comme une unité, en temps réel, à l'échelle de la planète : les mouvements des capitaux l'épargne et l'investissement sont liés plus que jamais les uns aux autres et deviennent de ce fait plus réactifs aux moindres changements de conjoncture.
Les marchés du travail, pour leur part, ne sont pas véritablement globaux, car les travailleurs ne se déplacent pas en masse au gré des changements de conjoncture. Ce qu'on ne saurait d'ailleurs souhaiter. Cependant, d'un strict point de vue économique le travail est néanmoins une ressource globale puisque les entreprises peuvent choisir de s'implanter ici ou là sur la planète, selon qu'elles accordent davantage d'importance aux coûts du travail ou à certains savoir-faire spécifiques.
Nous sommes convaincus que la globalisation est source de croissance et de productivité en ce qu'elle permet une meilleure allocation des ressources. Néanmoins, force est de constater qu'elle s'accompagne d'instabilité et d'inégalités.
Aucune de nos nations, aucun de nos gouvernements n'est prêt à s'abandonner aveuglément à ce processus, qui réunit dans un même mouvement, le progrès technologique, la croissance économique mais aussi une répartition à la fois inégale et instable de cette croissance.
Je voudrais en donner quelques exemples :
En matière d'investissements, comme en matière d'accès aux technologies nouvelles, on constate cette persistance des inégalités, entre pays et au sein des pays.
Si, en 1999 les investissement directs étrangers dans le monde ont augmenté de plus de 25%, cette croissance a été seulement de 15% dans l'ensemble des pays en développement. Et si les pays en développement attirent 37% des investissements étrangers directs, seulement 1,2 % vont à l'Afrique.
Autrement dit, si en valeur absolue, il est indiscutable que cette croissance profite à tous les pays, d'un point de vue relatif, on a souvent raison de parler d'un creusement des inégalités, entre pays, et même souvent à l'intérieur de chaque pays.
Il en va de même en matière d'accès aux technologies nouvelles. Les ressources offertes par les nouvelles technologies sont immenses, puisqu'elles semblent permettre de désenclaver les territoires les plus isolés, et de faire bénéficier la population mondiale d'un plus grand nombre de services. Mais il ne faut pas sous estimer le fait que l'accès aux nouvelles technologies reste en grande partie conditionné par les infrastructures existantes, en matière notamment de télécommunications ainsi que par le niveau d'éducation, et tous ne sont pas également armés à cet égard.
Votre Ministre des Finances, M. Zainuddin, le disait d'ailleurs mieux que moi : " Let us realise that globalization will not become a reality at the press of a button or a click at the mouse. "
Cette nouvelle donne suscite ainsi des craintes, tantôt partagées, tantôt symétriques qui sont alors comme les deux faces de la même médaille. Dans les pays développés, la mondialisation des échanges a inspiré un sentiment d'insécurité lié à la montée en puissance des pays en développement en tant que producteurs de bien manufacturés ou de services. Les stratégies globales adoptées par un nombre croissant d'entreprises ont engendré la peur d'un " Race to the Bottom " et de ses conséquences sociales et environnementales. Dans les pays en voie de développement d'autres incertitudes se font jour, notamment celle de n'avoir pas la force de s'opposer à la puissance des sociétés transnationales.
Certains soutiennent que les compagnies qui adoptent des stratégies globales savent parfaitement s'adapter aux habitudes et aux goûts locaux. Néanmoins, en matière culturelle par exemple, on peut légitimement douter que la loi de l'offre et de la demande puisse à elle seule garantir le respect des patrimoines et la richesse des créations futures. Certes, il est vrai que nous avons MTV Europe et que vous avez MTV Asie, mais c'est là presque jouer sur les mots et confondre une démarche qui relève du marketing avec la promotion de la diversité culturelle.
Quant au développement de l'Internet, qui accroît encore la mobilité potentielle des opérateurs économiques, et peut rendre problématique leur identification, il pourrait mettre en question l'autonomie des politiques fiscales de chaque gouvernement. Selon certains scénarios pessimistes supposant, certes, l'impuissance des gouvernements, l'Internet pourrait à ce point remettre en cause les systèmes fiscaux, que les gouvernements deviendraient incapable d'offrir les services publics que réclament leurs citoyens.
Ainsi, les inquiétudes suscitées par la globalisation, sans être identiques partout, se recoupent néanmoins et nous conduisent à partager une même conviction : nous ne voulons pas d'une libéralisation sans conditions.
Cette volonté est, au sens propre du terme, politique. Il ne s'agit pas pour le gouvernement français de chercher à freiner un mouvement de progrès économique, parce que notre pays se sentirait menacé. Au contraire, vous le savez, la France est la quatrième puissance commerciale du monde et la première terre d'accueil des investissements étrangers dans la zone Euro. Les investissements français à l'étranger ont, quant à eux, représenté environ 60 milliards de dollars en 1999.
Dans le domaine des nouvelles technologies de l'information, Alcatel, France Telecom, Cap Gemini, Vivendi sont des acteurs de taille mondiale. Dans celui du commerce électronique, les entreprises françaises sont présentes dans les grandes alliances qui se nouent sous nos yeux. C'est par exemple une entreprise française qui contrôle aujourd'hui Christie's, le premier groupe mondial de ventes aux enchères.
Ce n'est donc pas la crainte mais l'expérience et le souci de l'intérêt de tous les pays qui nous conduit à plaider pour la régulation.
Sur le plan de la libéralisation des mouvements de capitaux, la communauté internationale s'accorde désormais sur ce principe, celui d'une libéralisation ordonnée et progressive, cohérente avec l'état de développement des économies nationales et notamment de leur système bancaire, dotée des moyens nécessaires pour lutter contre les pratiques délinquantes en matière financière, sujet sur lequel notre pays entend se montrer intraitable. M. Christian Sautter, notre ministre de l'économie et des finances s'est exprimé clairement à ce sujet récemment.
Je sais que votre pays partage ce souci d'un meilleur contrôle des transactions financières : on cite aujourd'hui le centre off-shore de Labuan comme un exemple en matière de prévention de l'économie criminelle. Cette évolution tourne le dos au plaidoyer pour une libéralisation sans conditions qui avait cours jusqu'à ces dernières années .
Sur le plan des échanges commerciaux, il doit en aller de même : " les conditions d'un marché libre et loyal " relèvent d'un univers théorique. Les politiques des Etats à l'oeuvre dans l'économie internationale, il serait malhonnête de le nier, interprètent souvent ce principe à maximiser l'avantage concurrentiel des entreprises placées sous leur juridiction. L'histoire des négociations commerciales le montre : la demande politique d'un marché loyal et de pratique harmonisées a été très fortes, aux Etats-Unis, dans les années 80, c'est à dire à l'époque où le dollar fort entraînait une baisse de la compétitivité prix des produits américains sur les marchés étrangers.
En la matière, nul ne peut donc prétendre disposer d'un modèle parfait et directement applicable. Nul n'a le droit, au nom du " Free Trade ", de fixer unilatéralement les règles du jeu. C'est pour cela que les règles qui garantiront la non-discrimination et l'égalité de traitement ne peuvent descendre du ciel, mais doivent être portées et négociées par les Etats. Et c'est pour cela que nous avons besoin de négociations multilatérales.
Notre but, je crois n'est pas de nous orienter vers le libre-échange intégral, en assurant la toute puissance des entreprises et en remettant du même coup en cause les législations et les réglementations nationales. Il s'agit au contraire de favoriser la croissance d'économies ouvertes tout en respectant la souveraineté des Etats et les " stratégies de développement ", qui sont, pour reprendre une conviction profonde du Premier Ministre Lionel Jospin " inscrites dans l'histoire et la réalité sociale de chaque pays. "
Ici, en Malaisie, votre politique économique a été soucieuse d'inscrire l'investissement étranger dans la poursuite d'objectifs de développement et de consolider l'équilibre social en assurant une participation à l'activité économique de toutes les composantes de la communauté nationale.
De ce point de vue, la libéralisation exige un Etat actif : la fin des économies dirigées est positive, mais elle signifie que des pans entiers de la population, autrefois écartés de l'activité économique mais aussi de la participation politique, y sont aujourd'hui associés et attendent de l'Etat qu'il ne se soustraie pas à ses obligations de service public.
Favoriser la croissance d'économies ouvertes, parce que l'ouverture est le moyen d'éviter des mauvaises spécialisations. Respecter la souveraineté des Etats, parce que s'il est vrai que l'action isolée des Etats ne peut plus, à elle seule garantir aux citoyens la protection de leurs intérêts, c'est néanmoins l'Etat qui reste l'architecte du développement national et du consensus démocratique.
Et l'OMC me semble un cadre particulièrement approprié pour contribuer à cet objectif. Les Etats membres partagent une même ambition, celle de gérer au mieux leur ouverture au niveau international. Ils bénéficient des mêmes droits pour la faire valoir puisqu'à l'OMC, contrairement à ce qui se passe au FMI ou à la Banque Mondiale, un Etat égale une voix et que c'est le principe du consensus qui a été retenu pour les prises de décision.
II L'esprit dans lequel la France envisage la globalisation, esprit que je viens de rappeler, est aussi celui qui gouverne sa conception du prochain cycle de négociations commerciales : ce cycle doit permette certes de continuer à libéraliser les échanges internationaux, mais il doit être également cycle de régulation du commerce international.
Comme vous le savez, les négociations, en matière de tarifs et de libéralisation vont reprendre dans les secteurs, de l'agriculture et des services : il ne s'agit pas là d'un nouveau cycle mais simplement des suites de l'Uruguay Round.
La vision française et Européenne du prochain cycle de négociations se caractérise principalement par la volonté d'aborder de nouveaux sujets, sur lesquels j'insisterai plus particulièrement aujourd'hui : la concurrence, l'investissement, l'environnement, et les normes sociales.
A juste titre, la Malaisie soulignait, à l'occasion de la Xème conférence de la CNUCED, les limites que rencontrent les politiques nationales pour lutter contre les monopoles.
Des entreprise en situation à peu près concurrentielle -même si la concurrence est toujours imparfaite- dans leur pays d'origine peuvent être en situation de monopole ou de cartel dans le reste du monde. Dans ce cas, le droit et la politique de la concurrence, éléments essentiels d'une politique économique soucieuse de développement, ne peuvent rester cantonnées à un niveau purement national.
Aborder, via l'interaction entre commerce et concurrence, les questions relatives au traitement des ententes à l'exportation, des cartels internationaux et des firmes multinationales, permet de répondre à une exigence d'efficacité mais aussi de cohérence avec les principes de non discrimination ou d'égalité de traitement.
Il ne s'agit pas de normaliser les droits nationaux de la concurrence, selon un modèle unique, mais d'élaborer des principes communs dans lesquels les politiques nationales pourront mutuellement se reconnaître, et c'est là je crois l'esprit du multilatéralisme.
Tous les pays, et en particulier, je crois les pays de l'Asie émergente, qui accueillent des multinationales, et sont confrontés aux cartels internationaux, ont intérêt à voir naître ces principes multilatéraux, qui loin de menacer leur souveraineté leur permettront au contraire de déjouer les monopoles et les rentes de situation.
Ceci m'amène à aborder une autre question que la France et l'Union Européenne souhaiteraient voir traiter à l'OMC : celle de l'investissement. En disant non à l'AMI, l'accord multilatéral sur l'investissement négocié dans le cadre de l'OCDE, la France s'est interdite de trancher des problèmes Nord-Sud dans une enceinte où le Sud n'était pas, ou peu représenté : l'AMI aurait certes permis de définir un ensemble de règles du jeu pour l'investissement international, mais c'eût été un jeu dans lequel les pays de l'OCDE auraient été les acteurs, et le reste du monde l'enjeu.
Ce partage des rôles était injustifié, d'abord parce qu'il méconnaissait la réalité d'un flux croissant d'investissements des pays en développement vers les pays développés, et entre les pays en développement eux-mêmes. Mais surtout parce qu'en matière d'investissement, les pays d'accueil doivent être des acteurs à part entière des règles du jeu.
Un cadre de règles véritablement multilatérales dans ce domaine devrait permettre de créer les conditions nécessaires pour que les investissements internationaux favorisent le développement durable : il serait limité à l'investissement direct étranger qui, comme le rappelle justement le plan d'action issu de la Xème CNUCED, est un investissement stable, qui ne se limite pas à un apport de capital, mais qui est aussi un apport de technologie, de savoir faire et un gage d'insertion dans l'économie internationale
C'est pourquoi ce cadre devrait préserver la capacité des pays hôtes à réglementer l'activité des investisseurs, qu'ils soient étrangers ou nationaux, sur leur territoire, de manière à leur permettre de réaliser des objectifs de politiques légitimes.
Au delà de la manière traditionnelle de traiter la question du développement, notamment le traitement spécial et différencié, nous jugeons tout aussi important d'intégrer la dimension du développement durable aux règles de base elles-mêmes. L'exemple de la définition des investissements internationaux, est à mes yeux très significative : malgré les difficultés techniques, il est nécessaire de trouver un moyen de les distinguer des mouvements de capitaux à court terme.
Notre troisième souci est d'assurer la coexistence des règles commerciales avec les différents protocoles internationaux relatifs à l'environnement. Depuis le sommet de Rio de 1992, les nations ont commencé à mettre en place des solutions multilatérales aux problèmes environnementaux globaux que sont le climat ou encore la biodiversité, la désertification.
Or se pose aujourd'hui la question de la cohérence de ces principes avec les règles de l'OMC, afin d'éviter que prévalent des réponses unilatérales, comme cela a pu être le cas par le passé,ou que, faute de règles communes, la jurisprudence privilégie à l'excès les seules règles commerciales, évolution qui serait dévastatrice pour la légitimité de l'OMC.
La signature du protocole de Montréal en janvier dernier, destiné à maîtriser les risques liés à la dissémination d'OGM dans l'environnement montre qu'il est possible d'avancer ensemble sur ces sujets. Il établit en effet un cadre de règles internationales pour les mouvements transfrontaliers d'OGM, qui jusque là faisait défaut, et donne aux pays qui n'étaient pas dotés d'une législation nationale en la matière, un cadre de référence pour fonder leur décisions sur les importations d'OGM, et protéger ainsi leur biodiversité.
Sur ce point, nous avons encore à rapprocher nos points de vue, mais il est clair que nous ne cherchons pas à imposer des normes insupportables ; l'étude de certains projets spécifiques, les négociations environnementales menées dans différents forums comme le protocole de Kyoto, a pris en compte le fait qu'en matière de protection de l'environnement, la principale contrainte est souvent une contrainte financière, qui rend difficile à certains pays l'intégration de normes et des technologies les plus ambitieuses. De ce point de vue, la mise en uvre de normes environnementales par les pays en développement est indissociable d'un effort de solidarité des pays développés.
La question des normes sociales de base reste la plus sensible et doit affronter une opposition récurrente : pourquoi et comment devrait-elle être abordée à l'OMC ? Nous ne pensons pas que les sanctions commerciales pourraient aider en quelque manière au développement social, mais sommes par contre sensibles à ce que constate dans le préambule de sa Constitution, l'organisation Internationale du Travail " la non adoption par une nation quelconque d'un régime de travail réellement humain fait obstacle aux efforts des autres nations désireuses d'améliorer le sort des travailleurs dans leur propre pays. ". L'OIT s'intéresse donc au commerce international parce que ce dernier crée, de fait, une concurrence qui peut affaiblir la volonté de progrès social des Etats : c'est exactement ce souci qui doit, selon nous être pris en compte à l'OMC.
En revanche, nous refusons d'envisager les normes sociales sous l'angle de la concurrence déloyale, c'était là le sens de la déclaration de la Conférence Ministérielle de Singapour, à laquelle nous souscrivons pleinement, qui rejetait l'usage des normes du travail à des fins protectionnistes. L'avantage comparatif des pays, en particulier des pays en développement, à bas salaires, ne doit pas être remis en question. Le " dumping social ", expression parfois usitée, est une expression malheureuse, car les normes sociales de base ne relèvent pas du droit de la concurrence, mais des droits fondamentaux de l'homme au travail.
Ces droits fondamentaux sont universellement reconnus, et universellement défendus, les efforts de nos gouvernements respectifs en témoignent : voilà pourquoi nous considérons qu'il existe un espace pour que nous nous entendions ensemble sur la manière dont l'OMC pourrait apporter sa contribution à cet effort.
Comme l'a récemment exprimé l'Union Européenne, par la voix du Commissaire Lamy, " ces sujets doivent rester à l'ordre du jour parce qu'ils appartiennent à l'agenda de la croissance et du développement durable. "
III Voyons maintenant comment, selon quelles procédures, à court et à moyen terme, réunir les conditions pour que soit lancé un nouveau cycle de négociations commerciales.
Ces conditions n'étaient visiblement pas réunies à Seattle . Mais la Conférence ministérielle a mis en lumière la nécessité de clarifier le rôle de l'OMC et de donner à cette organisation les moyens de le remplir, de manière légitime et efficace.
1) le rôle de l'OMC
Au delà de l'impréparation de la Conférence ministérielle et des enjeux électoraux qui ont amené certains de ses participants à prendre des positions à la fois excessivement protectionnistes et excessivement normatives, l'échec de Seattle est la rançon du succès de l'OMC à laquelle on a réclamé d'assurer avec ses seules forces une mondialisation maîtrisée et une croissance équitable.
Plutôt que des inquiétudes, l'OMC, sans doute parce qu'elle est une institution permanente, dotée d'un mécanisme de règlement des différends, et disposant ainsi d'un pouvoir contraignant, a suscité, de ce point de vue, de nombreuses attentes.
Est-ce à dire que nous devrions, pour assurer le succès des futures négociations, nous replier sur une approche plus modeste, selon un slogan en vogue, " back to basics ". Je n'en suis pas convaincu, et ce pour plusieurs raisons :
-A-t-on véritablement les moyens de soustraire à l'OMC les questions, qui, parce qu'elles touchent à la souveraineté nationale, sont particulièrement épineuses ? Ne peut-on penser au contraire que cette souveraineté nationale pourra être renforée par les règles multilatérales à l'élaboration desquelles elle aura choisie de participer ?
-Quelle que soit la part de vérité qui réside dans l'idée que les organisations publiques ou privées doivent être centrées sur leur métier de base, sans se disperser, la segmentation du travail des organisations internationales pourra certes les rendre plus efficaces à très court terme, mais les questions que je viens d'évoquer, à savoir la coexistence des normes de l'échange et des autres systèmes de normes, si elle est éludée à l'OMC, se posera de manière plus aiguë, ailleurs, avec des effets dévastateurs sur la légitimité du système .
En résumé, il faut rester ambitieux sur les objectifs de l'OMC.
Mais cela implique, parallèlement d'améliorer le fonctionnement de cette organisation.
2) Améliorer le fonctionnement de l'OMC
Pascal remarquait amèrement que ne pouvant faire en sorte de fortifier la justice, les hommes ont fait en sorte de justifier la force. C'est ce constat amer que nous devons aujourd'hui faire mentir.
Fondamentalement, je crois l'OMC démocratique dans sa constitution et juste dans ses accords :
Pour fortifier cet acquis, il s'agit pas de modifier radicalement les bases de l'OMC, mais plutôt d'analyser et d'essayer d'améliorer ses méthodes de travail et de négociation, dont à juste titre de nombreux pays se sentent exclus. Quiconque veut prendre part à la décision, doit prendre une part active à la phase d'élaboration du consensus. Il est par exemple prioritaire de renforcer l'assistance technique au sein de l'OMC pour assurer la présence et la participation et la force de proposition des pays en développement au processus de négociation.
Parce qu'une justice forte est une justice vivante, la légitimité des règles multilatérales dépend aussi de notre disponibilité à faire droit aux questions de mise en uvre, c'est-à-dire aux difficultés qu'ont pu avoir certains pays à mettre en uvre les engagements de l'Uruguay Round, mais également à certaines revendications qui s'inquiètent de la manière inégale dont peuvent parfois être appliqués ces engagements.
Enfin, parce qu'une justice forte doit reposer sur un minimum de consensus, l'OMC ne peut pas agir seule. C'est moins à travers la centralisation de l'arsenal juridique que dans la coordination des différentes enceintes internationales que nous parviendrons à concilier les intérêts de tous et à traiter des questions dont les enjeux économiques, environnementaux et sociaux ne font pas encore l'objet d'un véritable consensus.
Pour renforcer le consensus, il est également important, sur le plan de la méthode, de faire droit à la demande des ONG d'être plus directement associées aux consultations. Néanmoins, les voeux qui émanent des associations ne peuvent prétendre se substituer à la volonté des Etats dans l'élaboration des règles de L'OMC.
Ainsi, comme le résumait très bien Rubens Ricupero, " Pour fonctionner un jeu a besoin de règles, d'un arbitre, mais surtout d'entraînement. ". Cet entraînement, c'est bien sûr l'assistance technique, mise en uvre à l'OMC et ailleurs, en particulier à la CNUCED, mais aussi les processus d'association privilégiées, que sont les associations régionales.
3) Le rôle de l'intégration régionale.
Le débat sur les relations entre régionalisation et libéralisation globale des échanges n'est pas clos. Selon les uns, les accords régionaux sont une première étape vers l'appartenance à une organisation commerciale internationale. Selon les autres, ces accords risquent au contraire d'aboutir à terme à la constitution de bloc commerciaux rivaux.
Là, encore, nous avons les moyens de conjurer les risques, dans le sens d'un renforcement mutuel entre ouverture et développement. L'union européenne et le groupe des pays Afrique Caraïbes Pacifique sont parvenus à mettre en place un programme d'action autour de la promotion de l'intégration régionale. Ce programme allie le développement du marché et la construction de l'Etat car elle permet d'organiser les grandes fonctions étatiques de régulation sur une base plus rationnelle, tantôt au niveau national, tantôt au niveau régional quand l'efficacité le commande.
L'esprit qui a présidé ces accords est très simple : la mondialisation réclame l'ouverture. Cependant, l'ouverture est une aventure qui nécessite un dialogue permanent et approfondi.
C'est ce dialogue que je suis venu poursuivre ici, avec vous, et qui se prolongera par exemple, dans le cadre du forum de l'ASEM auquel la Malaisie est très attachée. J'espère que nous pourrons ainsi progresser ensemble sur des sujets d'intérêts communs, pour réunir les conditions d'un nouvel engagement en faveur de la croissance et du développement.
Je vous remercie.
(Source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 13 mars 2000