Texte intégral
Q- Le ministère de la Justice est-il en train de procéder actuellement à une analyse juridique visant à déterminer si un remboursement des sommes détournées par le RPR pourrait modifier la donne, en prévision du procès en appel d'A. Juppé ?
R- "La réponse est non. Formellement, très clairement, c'est non. C'est grotesque. Est-ce que vous imaginez le ministre de la Justice, au congrès de l'UMP à Versailles, dans les couloirs, en train de raconter à des journalistes du Monde qu'il est en train de faire une étude pour aider son copain Juppé ?! Non, mais attendez ! C'est quoi ça ? Cela n'a aucun sens ! C'est une telle absurdité !"
Q- Les journalistes du Monde le maintiennent...
R- "Il se trouve qu'il y avait un autre journaliste, qui a participé à cette conversation informelle, et qui ne dit pas la même chose. Ce n'est inintéressant. J'imagine que certains seront intéressés à lui poser la question."
Q- Ceci dit, une dispense de peine exclurait automatiquement toute inéligibilité ?
R- "Je ne ferai aucun commentaire. Je dis simplement que ça suffit. La polémique dans la polémique dans la polémique dans la polémique, il y a vraiment autre chose à faire ! Et je vous assure que le ministre de la Justice que je suis s'intéresse davantage à des problèmes très sérieux, à l'humanisation - on va peut-être parler des prisons ou des détenus par exemple - et à des sujets concrets comme ceux-là, ou aux victimes de Sharm el-Cheikh, ou à l'accélération des procédures pour que les gens obtiennent justice, plutôt que à ce type de polémiques."
Q- Mais ce n'est pas nous qui avons fait de l'affaire Juppé une affaire nationale ! Franchement, c'est la classe politique, et notamment l'UMP !
R- "Mais je ne vous attaque pas, monsieur Bourdin !"
Q- On a vu ce qui s'est passé dimanche, quand même, cette mise en scène...
R- "Non, ce n'est pas une mise en scène. Il y a toujours de la mise en scène dans un congrès politique, on ne va pas se raconter des choses qui n'existent pas. Mais il y avait une vraie émotion. La plupart de ces 15.000 militants qui étaient là, ils ont fait leur vie politique, leur engagement politique avec A. Juppé. Il y a donc eu quelque chose, il s'est passé quelque chose. Dans la vie politique comme dans la vie tout court, il y a des moments forts, il y a des moments d'intensité, il y a des moments d'émotion, il y a des moments où, tout à coup, il y a un échange entre l'homme qui est sur la scène et les gens qui sont là. Eh bien, cela s'est passé dimanche. J'y étais. Et c'est vrai qu'il y avait des gens qui étaient au bord des larmes."
Q- Concernant l'émotion autour de l'homme, cela paraît évident. Il y a eu aussi une mise en scène politique. Bon, on ne va pas revenir là-dessus... Est-ce que l'on a quand donné le sentiment de contester une décision de justice autour de l'affaire Juppé ?
R- "Il y a deux choses. Un, moi, je n'ai fait aucun commentaire. J'ai effectivement, compte tenu de mon rôle constitutionnel, tenu un devoir de réserve très particulier. Il y a eu des commentaires, mais qui ne sont pas allés au-delà de ce qui dit la loi, c'est-à-dire qu'il n'y a pas eu d'infraction à la loi, contrairement à ce qu'a dit, sur une certaine antenne, M. Schwartzenberg."
Q- Mais au-delà de la polémique avec le journal Le Monde, moralement, cela serait peut-être logique de rembourser les contribuables parisiens ?
R- "C'est une autre question. C'est un sujet très difficile, parce qu'il y a le procès pénal, il y a le procès civil. C'est d'une très grande complexité juridique. Et c'est d'ailleurs cela que j'ai dit aux journalistes qui me posaient la question. Ils me posaient la même question que vous. Je lui ai dit que c'était très compliqué et que pour y voir clair, il faudrait faire une étude. Voilà rigoureusement ce que j'ai dit. Je n'ai pas dit que j'étais en train de faire faire une étude. Je vous confirme à cette antenne qu'il n'y a aucune étude en cours à la Chancellerie sur ce sujet."
Q- Quand sera rendu l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles ?
R- "Il appartient à la Cour de fixer l'audience, ce sont les juges qui décident du calendrier. En général, pour ce type d'affaires, il faut entre huit et douze mois."
Q- Donc pas avant l'année 2005 ?
R- "En tout cas, pas avant la fin de l'année 2004."
Q- Pourquoi le CSM n'a-t-il pas été saisi ?
R- "Parce que les questions qui se posent, et ça, vraiment moi... Vous savez, le samedi matin de l'autre semaine, lorsque j'ai lu dans un journal qu'il y avait peut-être eu des pressions sur le tribunal, j'ai considéré cela comme très très grave. Et c'est la raison pour laquelle, tout de suite - puisque j'ai lu la presse vers 8h00 du matin -, dès 10h00 du matin, j'ai demandé au procureur de la République de faire ouvrir une procédure judiciaire et d'enclencher le processus. Et, par ailleurs, au cours du week-end, le président de la République et le Gouvernement ont demandé à trois personnes incontestables - le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour de cassation et le premier président de la Cour des comptes - de se constituer en commission d'enquête, pour examiner l'ensemble des questions qui ont pu se poser - si elles se sont posées -, parce qu'il faut savoir la vérité, s'il y a eu effectivement des pressions sur le tribunal. Alors, pourquoi pas le CSM ? Parce que le Conseil supérieur de la magistrature n'est compétent que pour ce qui concerne la magistrature, mais pas, par exemple, pour mettre en mouvement le service des écoutes téléphoniques ou tel ou tel service administratif. Par contre, ce qui a été dit très clairement au Conseil supérieur, c'est que..."
Q- N'aurait-on pas pu mettre des moyens d'enquête à la disposition du CSM ?
R- "Ce n'est pas son rôle constitutionnel."
Q- On va parler des détenus, beaucoup trop nombreux dans les prisons françaises. Un chiffre devant moi : trois fois trop de détenus à Chambéry. La situation dans les prisons en Rhône-Alpes et Auvergne est alarmante, dénonce l'Union fédéral autonome pénitentiaire, les surveillants de prison.
R- "Mais le ministre le dit aussi ! Et c'est pourquoi, depuis bientôt deux ans, j'ai mis en route tout un programme : un, de construction de prison - et les appels d'offres pour les constructions de prisons de mineurs vont partir d'un jour à l'autre - et deuxièmement, la construction d'une quinzaine de prisons de 600 places va être lancée cet été. On va donc enfin, dans ce pays, avoir des établissements pénitentiaires dignes de l'époque dans laquelle nous sommes. Deuxièmement, je procède à des recrutements massifs de surveillants, pour que le travail des surveillants, malgré la population pénale importante, soit supportable. Et troisièmement - c'est très important dans le texte dit "Perben 2" -, il y a toute une série de dispositions qui vont nous permettre d'aménager les fins de peine des détenus, et en particulier de développer par exemple le bracelet électronique, c'est-à-dire des alternatives à la prison. Voilà les trois orientations de ma politique pour corriger les choses..."
Q- Concernant les prisons, il y a ce fait divers plus que malheureux : une détenue qui va accoucher s'est retrouve menottée dans la salle d'accouchement ?
R- "J'ai assisté aux accouchements de mes enfants. Je peux donc comprendre l'ahurissement des uns ou des autres lisant cette information. Depuis que cette information a été portée à ma connaissance, c'est-à-dire depuis hier, j'ai donc évidemment demandé des explications. J'ai un début d'explication et j'irai plus loin : le début d'explication est qu'il était prévu qu'une femme de l'administration pénitentiaire assiste à l'accouchement dans la salle. La jeune personne qui était en train d'accoucher a refusé que cette personne reste. Et à ce moment-là, en accord avec le corps médical, il y a donc eu une [inaud]"
Q- Ce n'est pas ce que dit que le corps médical...
R- "Quinze jours après, il a dit effectivement, semble-t-il, le contraire. Mais peu importe. Il ne faut pas que cela recommence. Le ministre que je suis vous le dit très clairement : il faut vraiment faire autrement, c'est absurde."
Q- Nous parlons de la loi Perben II. Grève des avocats demain, à l'initiative notamment du conseil national des barreaux, qui représente 40.000 avocats. Le Conseil du Barreau demandera au président de la République de ne pas promulguer votre loi qui sera votée demain...
R- "Je suis un peu étonné, compte tenu de ce sur quoi porte la loi. Parce que s'il y a vraiment une loi nécessaire, permettez-moi de dire que c'est celle-là. Pourquoi ? Elle vise à répondre à deux questions : comment donner à la justice française les moyens de lutter contre les mafias internationales ? C'est-à-dire de donner à notre pays la réforme qui a été donnée dans tous les grands pays démocratiques, c'est-à-dire donner à nos juges, et en particulier à des juges spécialisés, comme il en existe pour lutter contre le terrorisme, donner à cette juridiction sur l'ensemble du territoire les moyens de lutter contre ces mafias internationales qui font le trafic des prostituées, le trafic des travailleurs clandestins, qui font des extorsions de fonds, et qui font tout cela avec une violence inouïe. Et cette criminalité, ce n'est pas un fantasme du ministre que je suis, c'est une réalité que l'on voit dans les chiffres et que l'on voit dans les condamnations. Donc il est nécessaire de donner aux juges, de donner aux magistrats des moyens de faire travailler la police avec plus d'efficacité sous leur contrôle. Et deuxième objectif de la loi, qui concerne chaque Français potentiellement, c'est de faire en sorte que la justice française soit plus rapide et soit plus humaine, parce que plus rapide. La correctionnelle, on parle souvent des audiences correctionnelles... Les audiences, l'après-midi, dans les palais de justice, où on voit 50 dossiers défiler pendant tout l'après-midi, et cela dure trois ou quatre minutes sur chaque dossier : c'est cela que je ne veux plus, et c'est pour ça que j'ai mis en place, dans mon texte, le plaider coupable. Cela veut dire qu'un prévenu qui reconnaît sa faute, ce qui est souvent le cas pour les petits délits, puisse venir avec son avocat parler avec le procureur de la République, en disant : je reconnais ma faute. Et le procureur lui dit : si vous reconnaissez votre faute, ce sera tel montant d'amende ou tel montant de prison avec sursis, maximum un an de prison, de toute façon pas plus. Et s'il est d'accord, il le dit. Il a ensuite dix jours pour réfléchir avec son avocat, [...] pour changer d'avis et pour revenir au système traditionnel. Et après, il va voir le président du tribunal de grande instance, donc un juge indépendant, qui valide ou qui ne valide pas cette proposition."
Q- Marchandage !
R- "Ce n'est pas un marchandage. Les juristes préfèrent peut-être ces séances d'abattage correctionnelles. Mais c'est une justice plus humaine, plus concrète, plus éducative aussi, parce que celui qui va reconnaître ce qu'il a fait et qui accepte d'une certaine façon la sanction qu'il lui a ainsi proposée, qui ensuite va voir le juge pour que celui-ci dise oui ou non, cela me paraît quelque chose de beaucoup plus humain, de beaucoup plus efficace, de beaucoup plus moderne en quelque sorte. Et je ne comprends pas que l'on vienne me dire que c'est mettre de côté l'avocat. Bien au contraire, l'avocat sera au coeur de ce dispositif. Et c'est vraiment mon souci, c'est mon action au ministère de la Justice : humaniser, rendre plus facile, plus accessible et plus rapide la justice."
[...]
Q- Qu'est-ce qu'une bande organisée ?
R- "Bande organisée, cela veut dire une organisation d'une part, et d'autre part, dans le texte, j'ai énuméré les crimes et délits susceptibles de déclencher des procédures exceptionnelles. Et c'est ce que je vous disais tout à l'heure : c'est le trafic d'êtres humains, c'est l'extorsion de fonds, c'est la tentative d'assassinat, c'est l'homicide ; ce sont des choses extrêmement graves, en bande organisée, qui peuvent permettre cette utilisation de moyens d'enquête exceptionnels, moyens d'enquête qui existent dans tous les grands pays démocratiques - je pense par exemple à la Grande-Bretagne."
Q- Pourquoi demander aux avocats de ne rencontrer leur client qu'au bout de deux jours ?
R- "Uniquement dans ces cas très graves, pour permettre à l'enquête d'avancer suffisamment rapidement, compte tenu du fait que ce sont souvent des bandes très organisées, très performantes. Ce sont des véritables entreprises criminelles structurées. Il s'agit de pouvoir mener toute une série d'investigations en même temps, sans qu'il puisse y avoir de communication entre les membres de ces bandes organisées."
Q- Autre volet de votre loi : sur accord du procureur, on pourra poser des micros et des caméras au domicile de suspects...
R- "Et un juge, pas uniquement le procureur. Attention ! Attention ! Et le juge des libertés ! Contrairement, là encore, à ce qui est dit ou écrit ici ou là, le juge des libertés doit donner son accord et uniquement dans ces cas-là - pas pour les enquêtes de tous les jours. Et de fait, ce seront, comme s'agissant du terrorisme, des juridictions spécialisées, avec des procureurs spécialisés et des juges d'instruction spécialisés qui traiteront de ces gros dossiers."
Q- Policiers et gendarmes pourront rémunérer leurs indicateurs...
R- "Cela me paraît plus sain de sortir de l'hypocrisie. Il y a deux hypocrisies étonnantes. Je vais vous raconter, parce qu'il y a un moment où il faut franchement tout dire. Lorsque je me suis interrogé sur ce qu'on a appelé la "sonorisation", c'est-à-dire la pause de micros dans le cadre de criminalité organisée, certains m'ont dit : "Tu devrais pas le mettre dans la loi. Tu sais, en fait, cela se pratique, mais tout le monde ferme les yeux". C'est cela qu'on veut ? Et, s'agissant du paiement des indicateurs, on veut qu'on continue à payer avec de l'argent liquide dans certains services de police, alors que moi je propose qu'on régularise et que les choses soient clairement définies par la loi. Je crois que notre pays doit, dans un certain nombre de sujets, sortir de ce type d'hypocrisie et encadrer par la loi les choses, de manière à ce que chacun travaille dans le cadre du droit et pas dans une espèce de fantaisie un peu à la marge."
Q- Donc, tout ne sera possible qu'après l'intervention d'un magistrat du siège ?
R- "Bien entendu."
Q- Même les perquisitions de nuit ?
R- "Par exemple, les perquisitions de nuit. C'est absolument indispensable. C'est le juge des libertés et de la détention."
Q- Alors, pourquoi, selon vous, les avocats, sont vraiment prêts à manifester, à se retrouver dans la rue ?
R- "D'abord, ce projet de loi est en discussion depuis un an. Or on n'en parle de la manière dont vous le dites ce matin, que depuis un mois. Alors qu'il y a eu depuis quatre lectures au Parlement, deux dans chacune des Assemblées. Donc on est complètement à la fin du processus. C'est seulement à la fin que tout à coup, il y a cette agitation. Il y a sans doute un problème de pédagogie d'explication. Le texte est complexe sur le plan juridique, parce que c'est la matière qui est complexe. Et beaucoup de choses qui ont été dites et qui provoquent la réaction, l'indignation d'un certain nombre d'avocats que je peux comprendre, sont des choses totalement fausses. Et peut-être que cette mauvaise information peut susciter une émotion légitime."
Q- Est-ce qu'un procureur seul pourra décider d'un placement sur écoute ?
R- "Non. C'est soit le juge d'instruction, soit le procureur avec le JLD."
[...]
Q- "N. Sarkozy pourrait être un bon président de l'UMP" : c'est P. Devedjian qui vient de le dire...
R- "Quel est le calendrier ? A. Juppé, l'autre jour, a laissé clairement entendre qu'il terminait son mandat de président de l'UMP et qu'il faudrait la désignation d'un nouveau président. Donc les choses devraient normalement se passer à l'automne. Et il appartient maintenant de réfléchir à la meilleure organisation."
Q- Deux jours après le congrès de l'UMP, voilà déjà qu'un ministre du Gouvernement, ami de N. Sarkozy, déclare publiquement : "N. Sarkozy pourrait être un bon président de l'UMP". On n'a pas tardé quand même...
R- "Je pense justement, et c'est pour cela que j'évoquais le calendrier, que tout cela me paraît largement prématuré. Qu'est-ce qui est important aujourd'hui au Gouvernement ? Qu'est-ce que les Français nous demandent de faire ? De travailler, de mettre en oeuvre les réformes, d'avancer sur des sujets concrets. Ce matin, ensemble, nous parlons de la justice ; je souhaite la moderniser, l'ouvrir, la simplifier. C'est cela dont il s'agit."
Q- P. Devedjian aurait dû se taire ?
R- "Je ne sais pas s'il doit se taire ou pas se taire. Moi, je ne suis pas là pour distribuer des bons ou des mauvais points. Je dis simplement : le Gouvernement, au boulot."
[...]
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 février 2004
R- "La réponse est non. Formellement, très clairement, c'est non. C'est grotesque. Est-ce que vous imaginez le ministre de la Justice, au congrès de l'UMP à Versailles, dans les couloirs, en train de raconter à des journalistes du Monde qu'il est en train de faire une étude pour aider son copain Juppé ?! Non, mais attendez ! C'est quoi ça ? Cela n'a aucun sens ! C'est une telle absurdité !"
Q- Les journalistes du Monde le maintiennent...
R- "Il se trouve qu'il y avait un autre journaliste, qui a participé à cette conversation informelle, et qui ne dit pas la même chose. Ce n'est inintéressant. J'imagine que certains seront intéressés à lui poser la question."
Q- Ceci dit, une dispense de peine exclurait automatiquement toute inéligibilité ?
R- "Je ne ferai aucun commentaire. Je dis simplement que ça suffit. La polémique dans la polémique dans la polémique dans la polémique, il y a vraiment autre chose à faire ! Et je vous assure que le ministre de la Justice que je suis s'intéresse davantage à des problèmes très sérieux, à l'humanisation - on va peut-être parler des prisons ou des détenus par exemple - et à des sujets concrets comme ceux-là, ou aux victimes de Sharm el-Cheikh, ou à l'accélération des procédures pour que les gens obtiennent justice, plutôt que à ce type de polémiques."
Q- Mais ce n'est pas nous qui avons fait de l'affaire Juppé une affaire nationale ! Franchement, c'est la classe politique, et notamment l'UMP !
R- "Mais je ne vous attaque pas, monsieur Bourdin !"
Q- On a vu ce qui s'est passé dimanche, quand même, cette mise en scène...
R- "Non, ce n'est pas une mise en scène. Il y a toujours de la mise en scène dans un congrès politique, on ne va pas se raconter des choses qui n'existent pas. Mais il y avait une vraie émotion. La plupart de ces 15.000 militants qui étaient là, ils ont fait leur vie politique, leur engagement politique avec A. Juppé. Il y a donc eu quelque chose, il s'est passé quelque chose. Dans la vie politique comme dans la vie tout court, il y a des moments forts, il y a des moments d'intensité, il y a des moments d'émotion, il y a des moments où, tout à coup, il y a un échange entre l'homme qui est sur la scène et les gens qui sont là. Eh bien, cela s'est passé dimanche. J'y étais. Et c'est vrai qu'il y avait des gens qui étaient au bord des larmes."
Q- Concernant l'émotion autour de l'homme, cela paraît évident. Il y a eu aussi une mise en scène politique. Bon, on ne va pas revenir là-dessus... Est-ce que l'on a quand donné le sentiment de contester une décision de justice autour de l'affaire Juppé ?
R- "Il y a deux choses. Un, moi, je n'ai fait aucun commentaire. J'ai effectivement, compte tenu de mon rôle constitutionnel, tenu un devoir de réserve très particulier. Il y a eu des commentaires, mais qui ne sont pas allés au-delà de ce qui dit la loi, c'est-à-dire qu'il n'y a pas eu d'infraction à la loi, contrairement à ce qu'a dit, sur une certaine antenne, M. Schwartzenberg."
Q- Mais au-delà de la polémique avec le journal Le Monde, moralement, cela serait peut-être logique de rembourser les contribuables parisiens ?
R- "C'est une autre question. C'est un sujet très difficile, parce qu'il y a le procès pénal, il y a le procès civil. C'est d'une très grande complexité juridique. Et c'est d'ailleurs cela que j'ai dit aux journalistes qui me posaient la question. Ils me posaient la même question que vous. Je lui ai dit que c'était très compliqué et que pour y voir clair, il faudrait faire une étude. Voilà rigoureusement ce que j'ai dit. Je n'ai pas dit que j'étais en train de faire faire une étude. Je vous confirme à cette antenne qu'il n'y a aucune étude en cours à la Chancellerie sur ce sujet."
Q- Quand sera rendu l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles ?
R- "Il appartient à la Cour de fixer l'audience, ce sont les juges qui décident du calendrier. En général, pour ce type d'affaires, il faut entre huit et douze mois."
Q- Donc pas avant l'année 2005 ?
R- "En tout cas, pas avant la fin de l'année 2004."
Q- Pourquoi le CSM n'a-t-il pas été saisi ?
R- "Parce que les questions qui se posent, et ça, vraiment moi... Vous savez, le samedi matin de l'autre semaine, lorsque j'ai lu dans un journal qu'il y avait peut-être eu des pressions sur le tribunal, j'ai considéré cela comme très très grave. Et c'est la raison pour laquelle, tout de suite - puisque j'ai lu la presse vers 8h00 du matin -, dès 10h00 du matin, j'ai demandé au procureur de la République de faire ouvrir une procédure judiciaire et d'enclencher le processus. Et, par ailleurs, au cours du week-end, le président de la République et le Gouvernement ont demandé à trois personnes incontestables - le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour de cassation et le premier président de la Cour des comptes - de se constituer en commission d'enquête, pour examiner l'ensemble des questions qui ont pu se poser - si elles se sont posées -, parce qu'il faut savoir la vérité, s'il y a eu effectivement des pressions sur le tribunal. Alors, pourquoi pas le CSM ? Parce que le Conseil supérieur de la magistrature n'est compétent que pour ce qui concerne la magistrature, mais pas, par exemple, pour mettre en mouvement le service des écoutes téléphoniques ou tel ou tel service administratif. Par contre, ce qui a été dit très clairement au Conseil supérieur, c'est que..."
Q- N'aurait-on pas pu mettre des moyens d'enquête à la disposition du CSM ?
R- "Ce n'est pas son rôle constitutionnel."
Q- On va parler des détenus, beaucoup trop nombreux dans les prisons françaises. Un chiffre devant moi : trois fois trop de détenus à Chambéry. La situation dans les prisons en Rhône-Alpes et Auvergne est alarmante, dénonce l'Union fédéral autonome pénitentiaire, les surveillants de prison.
R- "Mais le ministre le dit aussi ! Et c'est pourquoi, depuis bientôt deux ans, j'ai mis en route tout un programme : un, de construction de prison - et les appels d'offres pour les constructions de prisons de mineurs vont partir d'un jour à l'autre - et deuxièmement, la construction d'une quinzaine de prisons de 600 places va être lancée cet été. On va donc enfin, dans ce pays, avoir des établissements pénitentiaires dignes de l'époque dans laquelle nous sommes. Deuxièmement, je procède à des recrutements massifs de surveillants, pour que le travail des surveillants, malgré la population pénale importante, soit supportable. Et troisièmement - c'est très important dans le texte dit "Perben 2" -, il y a toute une série de dispositions qui vont nous permettre d'aménager les fins de peine des détenus, et en particulier de développer par exemple le bracelet électronique, c'est-à-dire des alternatives à la prison. Voilà les trois orientations de ma politique pour corriger les choses..."
Q- Concernant les prisons, il y a ce fait divers plus que malheureux : une détenue qui va accoucher s'est retrouve menottée dans la salle d'accouchement ?
R- "J'ai assisté aux accouchements de mes enfants. Je peux donc comprendre l'ahurissement des uns ou des autres lisant cette information. Depuis que cette information a été portée à ma connaissance, c'est-à-dire depuis hier, j'ai donc évidemment demandé des explications. J'ai un début d'explication et j'irai plus loin : le début d'explication est qu'il était prévu qu'une femme de l'administration pénitentiaire assiste à l'accouchement dans la salle. La jeune personne qui était en train d'accoucher a refusé que cette personne reste. Et à ce moment-là, en accord avec le corps médical, il y a donc eu une [inaud]"
Q- Ce n'est pas ce que dit que le corps médical...
R- "Quinze jours après, il a dit effectivement, semble-t-il, le contraire. Mais peu importe. Il ne faut pas que cela recommence. Le ministre que je suis vous le dit très clairement : il faut vraiment faire autrement, c'est absurde."
Q- Nous parlons de la loi Perben II. Grève des avocats demain, à l'initiative notamment du conseil national des barreaux, qui représente 40.000 avocats. Le Conseil du Barreau demandera au président de la République de ne pas promulguer votre loi qui sera votée demain...
R- "Je suis un peu étonné, compte tenu de ce sur quoi porte la loi. Parce que s'il y a vraiment une loi nécessaire, permettez-moi de dire que c'est celle-là. Pourquoi ? Elle vise à répondre à deux questions : comment donner à la justice française les moyens de lutter contre les mafias internationales ? C'est-à-dire de donner à notre pays la réforme qui a été donnée dans tous les grands pays démocratiques, c'est-à-dire donner à nos juges, et en particulier à des juges spécialisés, comme il en existe pour lutter contre le terrorisme, donner à cette juridiction sur l'ensemble du territoire les moyens de lutter contre ces mafias internationales qui font le trafic des prostituées, le trafic des travailleurs clandestins, qui font des extorsions de fonds, et qui font tout cela avec une violence inouïe. Et cette criminalité, ce n'est pas un fantasme du ministre que je suis, c'est une réalité que l'on voit dans les chiffres et que l'on voit dans les condamnations. Donc il est nécessaire de donner aux juges, de donner aux magistrats des moyens de faire travailler la police avec plus d'efficacité sous leur contrôle. Et deuxième objectif de la loi, qui concerne chaque Français potentiellement, c'est de faire en sorte que la justice française soit plus rapide et soit plus humaine, parce que plus rapide. La correctionnelle, on parle souvent des audiences correctionnelles... Les audiences, l'après-midi, dans les palais de justice, où on voit 50 dossiers défiler pendant tout l'après-midi, et cela dure trois ou quatre minutes sur chaque dossier : c'est cela que je ne veux plus, et c'est pour ça que j'ai mis en place, dans mon texte, le plaider coupable. Cela veut dire qu'un prévenu qui reconnaît sa faute, ce qui est souvent le cas pour les petits délits, puisse venir avec son avocat parler avec le procureur de la République, en disant : je reconnais ma faute. Et le procureur lui dit : si vous reconnaissez votre faute, ce sera tel montant d'amende ou tel montant de prison avec sursis, maximum un an de prison, de toute façon pas plus. Et s'il est d'accord, il le dit. Il a ensuite dix jours pour réfléchir avec son avocat, [...] pour changer d'avis et pour revenir au système traditionnel. Et après, il va voir le président du tribunal de grande instance, donc un juge indépendant, qui valide ou qui ne valide pas cette proposition."
Q- Marchandage !
R- "Ce n'est pas un marchandage. Les juristes préfèrent peut-être ces séances d'abattage correctionnelles. Mais c'est une justice plus humaine, plus concrète, plus éducative aussi, parce que celui qui va reconnaître ce qu'il a fait et qui accepte d'une certaine façon la sanction qu'il lui a ainsi proposée, qui ensuite va voir le juge pour que celui-ci dise oui ou non, cela me paraît quelque chose de beaucoup plus humain, de beaucoup plus efficace, de beaucoup plus moderne en quelque sorte. Et je ne comprends pas que l'on vienne me dire que c'est mettre de côté l'avocat. Bien au contraire, l'avocat sera au coeur de ce dispositif. Et c'est vraiment mon souci, c'est mon action au ministère de la Justice : humaniser, rendre plus facile, plus accessible et plus rapide la justice."
[...]
Q- Qu'est-ce qu'une bande organisée ?
R- "Bande organisée, cela veut dire une organisation d'une part, et d'autre part, dans le texte, j'ai énuméré les crimes et délits susceptibles de déclencher des procédures exceptionnelles. Et c'est ce que je vous disais tout à l'heure : c'est le trafic d'êtres humains, c'est l'extorsion de fonds, c'est la tentative d'assassinat, c'est l'homicide ; ce sont des choses extrêmement graves, en bande organisée, qui peuvent permettre cette utilisation de moyens d'enquête exceptionnels, moyens d'enquête qui existent dans tous les grands pays démocratiques - je pense par exemple à la Grande-Bretagne."
Q- Pourquoi demander aux avocats de ne rencontrer leur client qu'au bout de deux jours ?
R- "Uniquement dans ces cas très graves, pour permettre à l'enquête d'avancer suffisamment rapidement, compte tenu du fait que ce sont souvent des bandes très organisées, très performantes. Ce sont des véritables entreprises criminelles structurées. Il s'agit de pouvoir mener toute une série d'investigations en même temps, sans qu'il puisse y avoir de communication entre les membres de ces bandes organisées."
Q- Autre volet de votre loi : sur accord du procureur, on pourra poser des micros et des caméras au domicile de suspects...
R- "Et un juge, pas uniquement le procureur. Attention ! Attention ! Et le juge des libertés ! Contrairement, là encore, à ce qui est dit ou écrit ici ou là, le juge des libertés doit donner son accord et uniquement dans ces cas-là - pas pour les enquêtes de tous les jours. Et de fait, ce seront, comme s'agissant du terrorisme, des juridictions spécialisées, avec des procureurs spécialisés et des juges d'instruction spécialisés qui traiteront de ces gros dossiers."
Q- Policiers et gendarmes pourront rémunérer leurs indicateurs...
R- "Cela me paraît plus sain de sortir de l'hypocrisie. Il y a deux hypocrisies étonnantes. Je vais vous raconter, parce qu'il y a un moment où il faut franchement tout dire. Lorsque je me suis interrogé sur ce qu'on a appelé la "sonorisation", c'est-à-dire la pause de micros dans le cadre de criminalité organisée, certains m'ont dit : "Tu devrais pas le mettre dans la loi. Tu sais, en fait, cela se pratique, mais tout le monde ferme les yeux". C'est cela qu'on veut ? Et, s'agissant du paiement des indicateurs, on veut qu'on continue à payer avec de l'argent liquide dans certains services de police, alors que moi je propose qu'on régularise et que les choses soient clairement définies par la loi. Je crois que notre pays doit, dans un certain nombre de sujets, sortir de ce type d'hypocrisie et encadrer par la loi les choses, de manière à ce que chacun travaille dans le cadre du droit et pas dans une espèce de fantaisie un peu à la marge."
Q- Donc, tout ne sera possible qu'après l'intervention d'un magistrat du siège ?
R- "Bien entendu."
Q- Même les perquisitions de nuit ?
R- "Par exemple, les perquisitions de nuit. C'est absolument indispensable. C'est le juge des libertés et de la détention."
Q- Alors, pourquoi, selon vous, les avocats, sont vraiment prêts à manifester, à se retrouver dans la rue ?
R- "D'abord, ce projet de loi est en discussion depuis un an. Or on n'en parle de la manière dont vous le dites ce matin, que depuis un mois. Alors qu'il y a eu depuis quatre lectures au Parlement, deux dans chacune des Assemblées. Donc on est complètement à la fin du processus. C'est seulement à la fin que tout à coup, il y a cette agitation. Il y a sans doute un problème de pédagogie d'explication. Le texte est complexe sur le plan juridique, parce que c'est la matière qui est complexe. Et beaucoup de choses qui ont été dites et qui provoquent la réaction, l'indignation d'un certain nombre d'avocats que je peux comprendre, sont des choses totalement fausses. Et peut-être que cette mauvaise information peut susciter une émotion légitime."
Q- Est-ce qu'un procureur seul pourra décider d'un placement sur écoute ?
R- "Non. C'est soit le juge d'instruction, soit le procureur avec le JLD."
[...]
Q- "N. Sarkozy pourrait être un bon président de l'UMP" : c'est P. Devedjian qui vient de le dire...
R- "Quel est le calendrier ? A. Juppé, l'autre jour, a laissé clairement entendre qu'il terminait son mandat de président de l'UMP et qu'il faudrait la désignation d'un nouveau président. Donc les choses devraient normalement se passer à l'automne. Et il appartient maintenant de réfléchir à la meilleure organisation."
Q- Deux jours après le congrès de l'UMP, voilà déjà qu'un ministre du Gouvernement, ami de N. Sarkozy, déclare publiquement : "N. Sarkozy pourrait être un bon président de l'UMP". On n'a pas tardé quand même...
R- "Je pense justement, et c'est pour cela que j'évoquais le calendrier, que tout cela me paraît largement prématuré. Qu'est-ce qui est important aujourd'hui au Gouvernement ? Qu'est-ce que les Français nous demandent de faire ? De travailler, de mettre en oeuvre les réformes, d'avancer sur des sujets concrets. Ce matin, ensemble, nous parlons de la justice ; je souhaite la moderniser, l'ouvrir, la simplifier. C'est cela dont il s'agit."
Q- P. Devedjian aurait dû se taire ?
R- "Je ne sais pas s'il doit se taire ou pas se taire. Moi, je ne suis pas là pour distribuer des bons ou des mauvais points. Je dis simplement : le Gouvernement, au boulot."
[...]
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 février 2004