Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Le 8 février dernier, le Sénat a adopté en première lecture, à l'unanimité, le projet de loi portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information et relatif à la signature électronique.
Ce projet constitue l'un des volets de la politique ambitieuse menée par le Gouvernement pour adapter notre législation aux nouveaux enjeux de la société de l'information.
Le développement des réseaux électroniques est un phénomène majeur de ces dix dernières années. La société de l'information est devenue une réalité pour beaucoup de Français, qui utilisent quotidiennement les nouvelles technologies dans leur vie professionnelle ou privée. Le nombre des internautes est passé de 3,7 millions en 1998 à plus de 5 millions en 1999!
Elle constitue également un enjeu économique essentiel, facteur de croissance et d'emploi.
Mais elle représente aussi un enjeu juridique qui oblige les Gouvernements à adapter leur réglementation à ces nouvelles formes d'activités. La France entend prendre toute sa place dans le débat international visant à proposer des solutions nouvelles et adaptées.
Comme l'a indiqué le Premier Ministre le 26 août 1999 à l'occasion de l' Université d'été de la communication, le Gouvernement s'est, en particulier, fixé pour objectif d'assurer la sécurité des échanges sur la toile. Nos concitoyens doivent pouvoir conclure des transactions et, si nécessaire, prouver par écrits électroniques, sans contraintes ni difficultés particulières.
Comme vous le savez, les règles de preuve des actes juridiques contenues dans le code civil reposent sur la prééminence de l'écrit sur support papier. Elles ne permettent donc pas de répondre aux impératifs que je viens de mentionner. Elles doivent être adaptées aux réalités économiques, sociales et techniques de notre époque.
Le texte qui vous est présenté aujourd'hui traduit trois préoccupations essentielles :
- la première a consisté à tenir compte des nouvelles normes internationales transfrontières qui se multiplient en matière de transactions électroniques.
Il faut en particulier assurer la transposition de la directive communautaire du 13 décembre 1999 sur un cadre communautaire sur les signatures électroniques, qui prévoit la reconnaissance de la validité des signatures électroniques et l'encadrement de l'activité de certification. Il importe de prendre également en considération la proposition de directive sur certains aspects juridiques du commerce électronique. Celle-ci a fait l'objet d'un accord politique le 7 décembre dernier et oblige les Etats membres à reconnaître la validité des contrats électroniques ;
- la seconde tient à la préservation de notre système de preuve issu du code civil qui repose sur la preuve préconstituée et la prééminence de l'écrit. Pour la preuve préconstituée, il est en effet essentiel d'assurer aux particuliers qui contractent la possibilité de se constituer à l'avance une preuve du contenu de leur engagement. Seule une telle préconstitution permet aux parties de prendre la pleine mesure des obligations qu'elles souscrivent ; pour la prééminence de l'écrit sur le témoignage ou les autres modes de preuve, elle vaut quel que soit le type de support.
- la troisième vise à reconnaître à la preuve électronique un statut équivalent à celui qui est attribué à la preuve papier. Le projet de loi ne manifeste pas en cela une foi aveugle en la technique. Mais celle-ci permet maintenant l'utilisation de mécanismes de sécurisation des échanges qui offrent autant de garanties que le support papier ou la signature manuscrite. Aussi le projet rejette-t-il toute idée de hiérarchie entre, d'une part, le document électronique et l'écrit sous support papier, et d'autre part, la signature électronique et la signature manuscrite.
Des solutions intermédiaires auraient pu être envisagées, consistant à ériger la preuve électronique en exception à la preuve par écrit. Ainsi le document électronique aurait-il pu être qualifié de commencement de preuve par écrit, mais cette solution aurait imposé aux parties de compléter cette preuve par d'autres éléments.
En rejetant toute solution de cet ordre, le projet de loi est conforme au principe dit de "non-discrimination" affirmé par les textes internationaux et notamment la directive pour un cadre communautaire sur les signatures électroniques.
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J'en viens maintenant à la structure du texte qui vous est soumis, qui comporte deux volets essentiels.
Le premier a directement pour objet de consacrer la valeur probante de l'écrit électronique.
Comme vous le savez, les règles de preuve contenues dans le code civil reposent sur la prééminence de la preuve par écrit, qui depuis l'ordonnance de Moulins de 1566, a supplanté le témoignage.
Dans la lecture qui est traditionnellement faite de ces règles, l'écrit est confondu avec le support papier sur lequel il est apposé, ce qui explique que les documents informatiques n'aient pu, jusqu'à présent, être considérés comme des actes sous seing privé.
Afin de lever cet obstacle, le projet de loi redéfinit, dans un nouvel article 1316-1 du code civil, la notion de preuve littérale afin de la rendre indépendante de son support. Désormais, la nouvelle définition de l'écrit permettra d'englober tant le document sur papier que l'écrit sous forme électronique.
La sécurité juridique impose toutefois que soient précisées les conditions d'admissibilité comme mode de preuve de l'écrit sous forme électronique : l'écrit électronique ne pourra être admis en preuve qu'à la double condition que soit identifiée la personne dont il émane et qu'il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité.
Cela n'est aucunement une marque de défiance à l'égard de l'écrit électronique puisque de telles conditions valent également pour le papier. Mais il importait de le dire pour cet écrit nouveau qu'est l'écrit électronique.
D'ailleurs, le projet de loi entend affirmer que la force probante de l'écrit sous forme électronique sera équivalente à celle de l'écrit sur support papier. Conformément aux dispositions de l'article 1341 du code civil, il ne sera donc pas possible de le contester par de simples témoignages ou présomptions. En cas de conflit entre deux écrits, dont l'un serait sur support papier et l'autre sous forme électronique, aucune préférence n'est donnée à l'un sur l'autre et il appartiendra au juge de régler ce conflit en déterminant par tous moyens le titre le plus vraisemblable.
Le second volet du projet concerne la signature électronique.
Bien que le droit impose souvent l'usage d'une "signature", aucun texte ne la définissait tant cela paraissait évident lorsqu'elle se limitait à la signature manuscrite.
L'apparition de la signature électronique impose désormais de préciser les fonctions que doit remplir toute signature : celle-ci doit permettre d'identifier l'auteur de l'acte mais également de manifester son consentement au contenu de l'acte. Définie fonctionnellement, la signature n'est plus cantonnée au procédé manuscrit.
L'article 1322-2 précise par ailleurs les conditions que doit remplir une signature électronique pour se voir reconnaître une valeur juridique, mais en des termes généraux, de manière à pouvoir s'adapter aux évolutions techniques.
Enfin, le projet de loi institue à ce même article 1322-2 une présomption de fiabilité en faveur des signatures électroniques répondant à des exigences fixées par décret en Conseil d'Etat.
Il entend transposer sur ce point l'article 5 de la directive sur les signatures électroniques, qui institue un double niveau de reconnaissance juridique de la signature électronique. En effet, ce texte distingue la signature électronique "ordinaire", qui ne peut être contestée au seul motif qu'elle est sous forme électronique, de la signature électronique dite "avancée", répondant à certaines exigences de nature à en garantir la fiabilité, qui doit être considérée comme juridiquement équivalente à la signature manuscrite.
Cette distinction est reprise dans le projet de loi sous la forme d'une présomption de fiabilité.
Votre rapporteur a souligné à juste titre l'importance du décret d'application qui devra intervenir sur ce point.
Il est, je le sais, attendu avec impatience par les professionnels concernés, car il définira les conditions dans lesquels l'écrit et la signature électroniques pourront être sécurisés. L'enjeu est fondamental parce que le commerce en ligne connaîtra son véritable essor lorsque les fournisseurs et les consommateurs se sentiront en confiance.
A cet égard, les professionnels de la certification sont prêts à jouer leur rôle dès que les règles seront fixées avec précision.
Le décret est préparé conjointement par la Chancellerie et le secrétariat d'Etat à l'industrie. Il mettra en oeuvre les dispositions de la directive sur les signatures électroniques et de ses annexes I et II relatives à la nature des certificats et aux exigences concernant les prestataires de services.
Je comprends que votre rapporteur et la commission des lois soient particulièrement attentifs au développement de l'offre de services de certification. Ils joueront un rôle éminent dans les procédés de signature électronique puisqu'ils délivreront des certificats qui permettront à toute personne de s'assurer de l'identité du signataire.
Ce décret organisera par ailleurs un système d'accréditation auxquels les prestataires de service de certification pourront adhérer s'ils le souhaitent.
Je puis vous dire que je veillerai avec beaucoup d'attention à ce que ce décret ne prenne aucun retard.
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Le projet de loi du Gouvernement a, comme vous le savez, été étendu aux actes authentiques par le Sénat.
Je me suis montrée favorable à cette extension dont le principe peut être dès à présent affirmé, même si sa mise en uvre nécessite un examen technique approfondi : il faut en effet veiller tout particulièrement à ce que la forme électronique ne remette pas en cause les garanties particulières dont l'acte authentique est revêtu.
Il faut trouver, pour cet acte, un nouveau formalisme électronique qui se substituera aux exigences actuelles liées au support papier et qui permettra à l'officier public de rester le témoin privilégié de l'opération constatée dans l'acte.
Il faut également tenir compte de la diversité des actes authentiques, qui englobent, outre les actes notariés, les jugements et l'ensemble des actes de l'état civil, chaque catégorie obéissant à des règles formelles différentes.
Il est enfin une préoccupation essentielle : c'est la conservation de l'acte authentique. Vous comprenez que cette question dépasse les intérêts particuliers des parties à l'acte.
Ce qui est en cause, s'agissant d'actes aussi importants qu'un acte d'état civil ou un jugement, c'est la conservation de notre mémoire collective. Il faut garantir aux générations futures la possibilité d'avoir accès à des données non altérées par les ans.
Compte tenu de ces impératifs, il est apparu indispensable de renvoyer à un décret d'application le soin de préciser les conditions dans lesquelles sera dématérialisé l'acte authentique. J'ai même souligné devant le Sénat que l'élaboration de ce décret devra être précédée de travaux confiés à un groupe de réflexion.
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Voilà, Mesdames et Messieurs les Députés, les traits essentiels d'une réforme dont, j'en suis convaincue, vous mesurez l'importance fondamentale.
Cette réforme est la première étape des travaux que le Gouvernement a entrepris pour adapter le cadre législatif à la société de l'information.
Une autre étape également prioritaire et complémentaire aux dispositions du présent projet est la libéralisation de la cryptologie. Votre Commission des lois, je le sais, y est particulièrement attachée.
Cette libéralisation, annoncée lors du comité interministériel pour la société de l'information du 19 janvier 1999, ne peut que favoriser le développement de transactions électroniques sécurisées.
Votre Commission des lois a consacré à cette question dans son rapport des développements qui recoupent les préoccupations du Gouvernement de voir rapidement mener une réforme sur ce point.
Je ne voudrais pas terminer mes propos sans rendre hommage à la qualité du travail accompli par votre Commission des lois et par son rapporteur, Christian Paul, dont je sais l'intérêt tout particulier qu'il porte à l'ensemble de ces questions, puisqu'il s'est vu confier par le Premier Ministre une mission de préfiguration pour la création d'un organisme de corégulation de l'internet.
Vous avez aussi, Monsieur le rapporteur, le 5 octobre dernier, lors des rencontres parlementaires sur la société de l'information et l'internet, souligné qu'une mutation du droit était engagée et qu'internet devait être un espace de liberté mais pas d'insécurité.
Les propos que vous teniez alors s'appliquent tout particulièrement au débat d'aujourd'hui, car le présent projet contribue à réduire l'insécurité et à accroître la liberté.
(Source http://www.justice.gouv.fr, le 3 mars 2000)