Texte intégral
Monsieur le Président,
Messieurs les Rapporteurs,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Le projet de loi qui vous est soumis vise à autoriser le gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives européennes et à mettre en oeuvre certaines dispositions du droit communautaire. Ce projet de loi qui permettra notamment de transcrire dans le droit interne plus de vingt textes communautaires, s'inscrit dans le cadre des efforts engagés par le gouvernement pour accélérer la transposition des directives européennes, conformément aux priorités dégagées par le Premier ministre dans sa déclaration de la politique générale.
1. Disons-le d'emblée. Ces efforts n'ont permis que d'endiguer l'accumulation de nouveaux retards de transposition, pas de réduire ceux-ci de façon significative.
De ce fait, la France demeure aujourd'hui parmi les derniers Etats européens en matière de transposition des directives : 101 directives, dont 54 relatives au marché intérieur, étaient en retard de transposition au 1er janvier dernier. Nous accusons en moyenne un retard de 14 mois par rapport aux échéances de transposition.
2. Le coût qui en résulte pour notre pays est élevé, à trois titres.
C'est d'abord un coût juridique :
- Même non transposée, toute directive a un certain effet direct, qui introduit un flou sur la norme applicable, et donc une incertitude préjudiciable à nos concitoyens et dans certains cas aux collectivités locales. Ces retards font peser sur l'Etat une lourde responsabilité, y compris financière, sur des questions relatives à la sécurité et à la santé par exemple.
- La non-transposition nous expose par ailleurs à des poursuites en manquement devant la Cour de justice de Luxembourg, pouvant déboucher sur des sanctions financières sous astreinte. La France n'a heureusement jamais été condamnée financièrement. Mais avec plus de 200 procédures d'infraction à la législation du marché intérieur, dont 11 dans lesquelles la France est menacée d'astreinte, le risque est désormais devant nous.
Le coût est aussi économique. La transposition est tout particulièrement indispensable au bon fonctionnement du marché intérieur, afin d'éviter, par exemple, une concurrence déloyale entre entreprises ou de pouvoir bénéficier pleinement des bénéfices du marché unique. Dans le cadre de la "stratégie de Lisbonne" qui vise à faire de l'Europe la zone la plus compétitive du monde d'ici 2010, l'Union européenne a ainsi adopté plus de 70 directives, dont 40 dont l'échéance de transposition est désormais échue. Or sur ces 40 directives, la France n'en a transposé à ce jour que 17 ! Cela est lourd de conséquence, quand on sait que la bonne transposition détermine parfois, dans une certaine mesure, la localisation des investissements des entreprises en Europe.
Mais le coût de la non-transposition est surtout politique. Comment être crédible face aux 10 pays adhérents quand nous insistons sur la nécessité pour eux d'intégrer l'acquis communautaire avant l'élargissement, c'est-à-dire avant le 1er mai 2004 ? Comment rester une force de proposition dans l'Union européenne, si nous tardons à appliquer les règles que nous avons nous-mêmes contribué à définir ? De manière générale, comme j'ai pu le constater dans mes fréquents déplacements chez nos partenaires et dans mes contacts réguliers avec la Commission européenne, l'attitude de la France laisse à penser que nous ne sommes pas sincèrement attachés à notre rôle de moteur de la construction européenne, ce qui n'est pas vrai.
3. Les causes de ces retards de transposition sont bien connues. Elles ont notamment été bien identifiées par votre délégation pour l'Union européenne, ainsi que par celle de l'Assemblée nationale. Elles ne sont pas politiques - à l'exception de quelques cas connus (directive gaz notamment).
Les difficultés résident tout d'abord dans les lenteurs administratives, que dénonçait encore récemment le Premier ministre dans sa communication du 31 décembre dernier. 60% des directives ne nécessitent que des dispositions réglementaires pour être transposées. C'est pour cela que le gouvernement a mis en place un plan d'action comprenant une série de mesures pragmatiques pour fluidifier la transposition des actes réglementaires :
- bilans réguliers en Conseil des ministres ;
- désignation d'un "correspondant transposition" dans tous les cabinets ministériels ;
- diffusion plus systématique des fiches d'impact aux Assemblées ;
- responsabilisation des administrations par la large diffusion du tableau des retards par ministère chef de file.
Ces efforts se poursuivent : la France a notifié à la Commission depuis le 1er janvier la transposition de 11 directives de nature réglementaire. La pression sur les administrations doit aussi s'intensifier : j'ai ainsi proposé à mon collègue Alain Lambert que les retards de transposition directement imputables à certains ministères puissent être intégrés aux indicateurs de performance prévus par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).
Mais les difficultés s'expliquent aussi par la charge de travail des Assemblées. Sous cette législature, si neuf lois transposant des directives européennes ont été adoptées, douze autres projets de loi destinés à transposer plus de trente directives sont en cours d'examen ou, le plus souvent, en instance. Le gouvernement avait en particulier adopté l'été dernier deux projets de loi portant diverses dispositions d'adaptation communautaire (DDAC), qui n'ont pu être examinés depuis cette date.
4. Dès lors, à quelques semaines du rendez-vous historique de l'élargissement, le recours à une loi d'habilitation est apparu comme nécessaire.
Permettez-moi de souligner que le gouvernement s'est engagé sur la voie des ordonnances avec un souci de mesure, de concertation étroite et de transparence totale avec les Assemblées.
Sur la méthode : les présidents des Assemblées ont été consultés dès l'automne 2003 par le Premier ministre sur le principe du recours aux ordonnances, ainsi que sur la liste des directives concernées. Toutes les directives qui soulevaient des réserves auprès du Parlement ont été retirées de la liste, soit 12 textes au total, dont le "paquet télécom" que l'Assemblée nationale vient de commencer à examiner. Vos rapporteurs ont eu accès à l'ensemble des projets d'ordonnances, qu'ils correspondent ou non à des projets de loi en instance, afin d'appréhender au mieux les desseins du gouvernement. Je suis, bien sûr, aujourd'hui à votre disposition pour apporter tous les éclaircissements nécessaires, tout comme mon collègue Dominique Bussereau qui a en charge une grande partie des textes du projet de loi.
Sur les dispositions concernées, les directives choisies, qui sont relatives au domaine économique et financier, à la consommation, aux transports, à l'environnement, ainsi qu'à la reconnaissance des diplômes et des qualifications professionnelles, sont en nombre limité. Elles n'ont aucune perspective d'adoption par un autre véhicule législatif à court terme, et ont une échéance de transposition passée ou expirant dans l'année. Elles portent, soit sur des dispositions de nature technique, soit sur des domaines plus importants, comme la sécurité maritime ou celle des téléphériques, dans lesquels les retards ne sauraient être tolérés. Le gouvernement a enfin pris soin de détailler, dans des articles spécifiques, toutes les adaptations de la législation directement liées à la transposition.
En ayant recours selon ces modalités aux ordonnances, le gouvernement n'entend en rien rejeter sur le Parlement une responsabilité dans les retards de transposition qui se sont accumulés depuis plus de dix ans. Il a souhaité au contraire mettre en avant un esprit de coopération entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif pour que la France respecte, dans les meilleurs délais, ses engagements. C'est dans ce même esprit de coopération que votre haute Assemblée a accepté d'examiner dans des délais très brefs - trois semaines- ce projet de loi. Je tiens à vous en remercier tous chaleureusement, et tout particulièrement le sénateur Texier, rapporteur au fond, pour lequel je comprends que c'est pour lui une première.
5. Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Permettez-moi de souligner, en conclusion, que le recours à la loi d'habilitation pour transposer des directives communautaires n'est, par définition, qu'une solution exceptionnelle aux effets ponctuels. Si nous n'engageons pas une réflexion plus profonde sur l'insertion de la norme européenne dans la législation française, les retards s'accumuleront à nouveau dans quelques mois et le gouvernement se retrouvera peut-être, d'ici trois ans, confronté à une situation similaire.
C'est pourquoi le gouvernement a plaidé, depuis un an, pour la mise en place, de façon pragmatique, d'un rendez-vous régulier devant le Parlement, reprenant en cela l'esprit d'une proposition de loi constitutionnelle déposée par le Sénat en 2001, à l'initiative de MM. Haenel et Montesquiou. Les discussions avec les deux Assemblées ont été engagées par le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Je salue la bienveillance du président du Sénat à l'égard de ce rendez-vous régulier. J'ai la conviction que ces discussions peuvent et doivent aboutir au plus vite. Je constate déjà qu'un plus grand nombre de projets de loi transposant des directives européennes a pu être examiné par le Parlement dans les dernières semaines.
Au-delà, je crois aussi que l'exemple des certains voisins, notamment les pays nordiques qui sont les plus efficaces dans la transposition des directives, doive être médité. Le Danemark compte ainsi à ce jour 5 directives en retard de transposition : 5 directives seulement ! Et la qualité de cette transposition ne saurait être contestée au vu du faible nombre d'infractions communautaires qui le concernent. Comme vous le savez, ces pays associent étroitement les parlementaires en amont à la négociation de ces lois-cadres européennes, tandis que la transposition s'accomplit de façon simplifiée. La moitié de notre législation est désormais d'inspiration communautaire ; l'instauration d'un circuit particulier pour l'adoption de la législation d'origine communautaire est peut-être à considérer. Je sais par exemple que le Sénat envisage une révision de son règlement. Cette occasion peut être saisie. L'Europe grandit et se transforme selon nos propres souhaits ; nos institutions doivent veiller, à tout moment, à accompagner ses mues, parfois à les anticiper.
L'Union européenne est un espace régi par des règles communes que nous avons nous-mêmes contribué à forger depuis plus de cinquante ans, en étant toujours une force d'initiative. Mais la volonté politique ne saurait s'exprimer durablement dans la négociation européenne, si elle ne se soucie pas avec la même vigueur de la mise en oeuvre du droit. Il nous faut faire preuve de détermination. Le projet de loi qui vous est présenté aujourd'hui vise à contribuer à combler un retard qui s'est accumulé sur de nombreuses années, puisque la plupart des directives ont été adoptées en l'an 2000, et certaines, dès 1993 ou 1994. Grâce à ce projet, vous pouvez notamment mettre un terme à 11 procédures d'infraction déjà engagées contre la France, et apporter une meilleure sécurité juridique à nos concitoyens. Telles sont les conditions dans lesquelles le gouvernement vous présente ce projet de loi portant habilitation du gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 février 2004)