Déclaration de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, sur la mise en oeuvre des contrats territoriaux d'exploitation (CTE) et, dans ce cadre, l'annonce d'un plan "Marais Poitevin 2000" et sur la réorientation de l'agriculture bretonne, Paris le 26 octobre 2000.

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Circonstance : Ouverture du colloque "Contrats territoriaux d'exploitation et territoires" à Paris le 26 octobre 2000

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Les politiques agricoles mises en uvre depuis la fin de la deuxième guerre mondiale ont provoqué une véritable révolution de l'agriculture. Tout le monde reconnaît maintenant l'importance des impacts environnementaux, mais aussi territoriaux et sociaux de cette mutation.
Je ne m'étendrai pas longuement sur ce constat largement consensuel mais rappellerai juste :
§ qu'une politique qui conduit à la destruction de 40 000 emplois agricoles par an et à la division par deux des actifs agricoles tous les dix ans ne peut pas être socialement durable ;
§ qu'une politique qui concentre les aides sur les secteurs les plus prospères, souvent transformés en véritables " steppes agricoles " vide d'hommes, qui voisinent avec des régions " moins favorisées " où des agriculteurs se battent pour tirer un revenu décent et maintenir vivantes les campagnes, fait l'inverse de ce que l'on recherche en général en matière d'aménagement du territoire ;
§ qu'en matière d'environnement enfin :
l plus d'un tiers des captages ont des teneurs en nitrate supérieures à 40 mg/l, alors que l'activité agricole représente 65 % des émissions d'azote ;
l la quasi totalité des cours d'eau et la moitié des nappes sont contaminées à un degré plus ou moins important par les produits phytosanitaires ;
l il ne reste plus beaucoup d'eau l'été dans la Garonne et ses affluents, avec des consommations d'eau agricole qui représentent dans l'ensemble de la France 68 % du total des consommations.
Réorienter l'agriculture française vers une agriculture plus durable, du triple point de vue économique, social et environnemental, est donc une priorité pour que l'agriculture s'adapte à l'évolution des attentes de la société.
Nos concitoyens demandent en effet certes toujours à l'agriculture de les nourrir, mais ils demandent aussi des produits plus proches du terroir, pour retrouver un lien perdu du fait de la croissance spectaculaire des industries de transformation agro-alimentaire : à force de ne plus reconnaître ce que l'on nous met dans l'assiette, on finit par devenir soupçonneux et chaque crise sanitaire prend des proportions considérables.
Nos concitoyens demandent également de l'eau potable à leur robinet, plutôt que, comme en Bretagne, de continuer à payer trois fois leur eau : une fois au syndicat d'eau, pour une eau qu'ils n'osent plus boire ; une fois en achat d'eau en bouteilles dont la consommation ne cesse de croître ; une fois enfin en aides au secteur agricole pour qu'il pollue moins. Ils demandent enfin des paysages entretenus où on trouve encore des arbres, ou des plages où l'on puisse se baigner sans patauger dans les algues vertes...
Mieux répondre à ces nouvelles attentes de la société constitue d'ailleurs une condition indispensable pour justifier le maintien de subventions publiques considérables au secteur agricole. Tous les sondages le confirment : nos concitoyens ne jugent pas anormal que l'agriculture française soit subventionnée, mais encore faut-il qu'ils y trouvent leur compte, en termes de missions d'intérêt public conduites par l'agriculture.
Pour aller vers cette nouvelle " alliance " qu'un certain Luc Guyau appelait naguère de ces voeux, la puissance publique dispose de plusieurs outils. Le premier d'entre eux est l'outil réglementaire, qui vise notamment à empêcher les comportements qui porteraient atteinte de manière inacceptable à l'environnement ou à la santé publique.
De ce point de vue, la politique du gouvernement ne s'inscrit pas dans une logique de durcissement de la réglementation mais bien davantage dans celle d'une application résolue de cette réglementation. Il n'est plus admissible que près de neuf ans après la loi sur l'eau du 3 janvier 1992, les prélèvements agricoles ne soient pas dûment déclarés ou autorisés ; il ne l'est pas davantage que les volumes prélevés ne soit pas comptés. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé à Jean Glavany, qui l'a accepté, de conditionner le versement des aides aux cultures irriguées à l'obtention des autorisations de prélèvement nécessaires ainsi que, à partir de l'an prochain, à la mise en place de dispositifs de comptage.

De même, les élevages porcins sont soumis à un régime d'autorisation au titre de la réglementation classée depuis plus de soixante dix ans, et c'est le cas de tous les types d'élevage depuis 1992. Il n'est donc pas non plus admissible que cette réglementation soit largement ignorée dans certaines régions, que ce soit en termes de dépassement des effectifs autorisés ou de non respect des plans et pratiques d'épandage. C'est pourquoi, en février 1999, Jean Glavany et moi avons donné des consignes fermes pour que les contrôles des inspecteurs des installations classées soient renforcés et que les règles de droit s'appliquent enfin pleinement au secteur de l'élevage.

Ceci dit, bien entendu, l'application de la réglementation n'est pas suffisante. Mieux vaut convaincre que contraindre pour faire évoluer les pratiques. La profession agricole a ainsi développé depuis une dizaine d'années des opérations volontaires qui jouent un rôle pédagogique remarquable : Fertimieux, Irrimieux, Phytomieux, Pic'agri ... contribuent à former l'appareil de développement agricole à des pratiques plus respectueuses de l'environnement et à démontrer sur le terrain l'efficacité de ces pratiques.

De telles opérations volontaires, par leur nature même, ne concernent toutefois qu'un petit nombre d'agriculteurs et une faible proportion des terres agricoles : Fertimieux, la plus ancienne d'entre elles, ne concerne que 29 400 agriculteurs, soit 4 % du nombre total d'agriculteurs, et 1,7 million d'hectares, soit 6 % de la SAU.

Pour changer de dimension tout en restant dans cette logique contractuelle d'adhésion volontaire, la LOA, votée en juillet 1999, a créé les contrats territoriaux d'exploitation (CTE). Ces contrats constituent l'instrument par excellence de mutation de l'agriculture française vers une agriculture plus durable, en reconnaissant et en rémunérant l'ensemble des fonctions qu'accomplissent les agriculteurs, fonction de production, bien entendu, mais aussi fonction de création et de maintien de l'emploi en milieu rural, fonction d'occupation de l'espace d'une manière respectueuse de la valeur patrimoniale de cet espace, fonction de gestion raisonnée des ressources naturelle enfin.

Le gouvernement a mis en place des moyens financiers importants pour accompagner cette politique novatrice. Ces moyens sont complétés par le produit de la modulation des aides, qui visent très légitimement, n'en déplaise aux cris d'orfraie de certains gros bénéficiaires historiques de la PAC, à redistribuer une petite partie du gâteau vers ceux qui s'orientent vers l'agriculture durable.

L'enjeu est maintenant d'importance : il faut que ces CTE réussissent à démontrer la capacité de l'agriculture française à se réorienter. Un rendez vous manqué serait catastrophique tant en terme de crédibilité des politiques publiques d'aides à l'agriculture qu'en ce qui concerne la pertinence d'une approche de réorientation de l'agriculture qui repose sur le volontariat.

Pour réussir, les CTE doivent éviter plusieurs écueils. Dans mon domaine de compétence ministérielle, j'en vois trois principaux. Le premier d'entre eux viendrait d'un trop faible contenu environnemental, qui déséquilibrerait les CTE en exagérant la part des investissements productifs et les transformerait en des PAM (programmes d'amélioration matériels) vaguement verdis. Les CTE ne doivent pas se borner à la mise en uvre de bonnes pratiques agricoles, dont rien d'ailleurs ne justifierait une rémunération spécifique. Ils doivent permettre une réelle plus value environnementale.

A cet égard, un CTE ne peut d'évidence par exemple se borner à prévoir la mise en place de compteurs des prélèvements d'eau (puisque c'est la loi) et de pratiques raisonnées d'irrigation (puisque le bon sens y conduit sans surcoût ni perte de revenu...). Il doit être plus ambitieux et s'engager dans une démarche contrôlable de réduction des prélèvements de manière à laisser un peu plus d'eau dans les rivières et dans les nappes. Un CTE ne peut pas se borner non plus à prévoir la mise aux normes des élevages puisque là encore il ne s'agit de rien d'autre que de respecter une réglementation déjà ancienne ; il doit viser à la mise en place de pratiques plus poussées de prévention des pollutions : couverture automnale des sols, gestion des fertilisations adaptée à la sensibilité et à la dégradation de la ressource en eau, etc.

Le deuxième écueil que porterait en germe un développement mal maîtrisé des CTE, c'est le saupoudrage. Dans CTE il y a le T de territoire. L'élaboration de projets collectifs de CTE s'inscrivant dans ce cadre territorial me paraît la seule voie de nature à obtenir une mutation des pratiques avec des résultats environnementaux perceptibles. Les déboires du PMPOA ne démontrent en effet que trop l'inefficacité de politiques dans lesquelles les aides s'éparpillent au lieu de se concentrer sur des territoires à enjeux.

De tels projets collectifs permettent également d'intégrer pleinement l'agriculture aux démarches de développement local. De ce point de vue, la LOA et la LOADDT (loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire) sont imprégnés de la même philosophie, celle du soutien aux projets d'initiative locale, dans un cadre contractuel. Le colloque d'aujourd'hui vise précisément à illustrer cette synergie en mettant en valeur les expériences où se combinent projets de territoire et CTE collectifs.

Au niveau national, le schéma de services collectifs des espaces naturels et ruraux (SENR), créé par la LOADDT, fournira un cadre d'ensemble à ces politiques territoriales et à l'élaboration de CTE. Le projet de schéma, produit du travail considérable des différentes administrations concernées à partir des contributions transmises par chaque région au début de cette année, sera soumis à une concertation approfondie au niveau local de novembre à avril prochains.

Au niveau régional, la nouvelle génération de contrats de plan Etat-région comporte en outre un volet territorial spécifique pour accompagner l'élaboration et la mise en uvre de ces projets de territoire. L'agriculture doit y tenir toute sa place.

La structuration des territoires eux-mêmes peut prendre plusieurs formes : les parcs naturels régionaux fournissent depuis plus de trente ans l'exemple de politiques de développement durable fondées sur la préservation et la mise en valeur du patrimoine naturel et culturel. Les pays en constituent à certains égards les héritiers, dans une démarche qui sort des secteurs à forte valeur patrimoniale pour concerner tout l'espace français. Quelle que soit la structure, le plus important est que le projet de territoire soit élaboré en étroit partenariat entre tous les acteurs concernés ; c'est d'ailleurs dans ce but que j'ai souhaité que des conseils de développement soient mis en place dans chaque pays pour accompagner l'émergence de son projet.

Deux territoires me paraissent fournir l'exemple de ce que pourrait apporter une telle élaboration de projets collectifs de CTE dans un cadre territorial. Le Marais Poitevin, tout d'abord, où le soutien à une agriculture herbagère économe en eau est indispensable à la préservation de la plus grande zone humide française. En accord avec l'ensemble des collectivités concernées que j'ai rencontrées le 2 octobre dernier, je souhaite lancer l'élaboration d'un plan d'ensemble " Marais Poitevin 2000 ", qui pourrait déboucher sur la refondation d'un parc naturel régional ; les CTE en constitueront un élément clé.

En Bretagne, d'autre part, le modèle productiviste dominant pendant ces dernières années a conduit dans l'impasse sociale et environnementale que chacun peut aujourd'hui constater. Je suis persuadée que ce n'est que par un travail concret au niveau de territoires de projet, structurés notamment autour des bassins-versants les plus sensibles, que la réorientation de l'agriculture bretonne pourra prendre son sens. C'est en outre ainsi que pourront être dépassés les antagonismes croissants entre les agriculteurs et la population non agricole qui souffre des pollutions agricoles : en mettant autour de la même table les représentants des villes, qui cherchent à garantir la potabilité de leur ressource en eau, ceux des activités touristiques qui ont besoin d'un environnement préservé, les conchyliculteurs très dépendants de la qualité des eaux marines et les agriculteurs que des projets communs pourront émerger en partenariat.

D'ailleurs, c'est l'insuffisance du partenariat qui constitue à mon sens le troisième des écueils qui menacent les CTE. Si ceux-ci devaient n'être élaborés qu'à huis clos au sein du monde agricole, validés par des CDOA (commissions départementales d'orientation agricole) à peine entrouvertes au monde extérieur, la frustration des autres acteurs du monde rural en serait à n'en pas douter considérable.

Les modalités de transition des anciennes opérations locales agri-environnementales (OLAE) vers les CTE en fournissent je crois un parfait exemple. Les associations de protection de l'environnement s'étaient beaucoup impliquées dans les OLAE, au sein notamment de comités de pilotage locaux où elles étaient présentes et actives. Le contenu des OLAE a été repris en général dans les cahiers des charges des CTE. Cette continuité ne s'est pas toujours faite sans déperdition en terme environnemental. Mais le plus grave est sans doute qu'elle a tendance à se faire en donnant aux partenaires extérieurs au monde agricole l'impression qu'ils sont désormais exclus de la démarche. Un tel sentiment est évidemment d'autant plus préoccupant qu'il s'agit de favoriser l'évolution de l'agriculture pour qu'elle réponde davantage aux nouvelles attentes de la société. Pour ce faire, cette société " civile " dans ses multiples composantes, ne doit pas être laissée au bord de la route des CTE. Le colloque d'aujourd'hui me paraît très prometteur en ce sens ; je souhaite qu'il ne soit pas sans lendemain sur le terrain.

Sous ces conditions, le CTE pourra remplir sa mission d'accompagner la " mutation en masse " de l'agriculture française. La politique conduite depuis plus de trois ans par ce gouvernement s'est fixé un cap clair en ce sens, par la création d'outils contractuels, au niveau des exploitations comme à celui des territoires. Les outils étant maintenant en place, il appartient à chacun, agriculteurs, collectivités, associations, de s'en saisir au mieux. Le succès du colloque d'aujourd'hui, qui a failli faire éclater la salle jaune du ministère de l'agriculture et de la pêche, montre votre envie à tous d'avancer en se sens. Je m'en réjouis et vous assure de l'appui du MATE et de ses services au niveau central comme au niveau déconcentré pour relever ensemble ce défi.

Je vous remercie de votre attention.
(source http://www.environnement.gouv.fr, le 07/11/2000)