Interview de Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, dans "France-Antilles" du 19 mai 2005, sur les arguments en faveur du vote "oui" au référendum sur le traité constituionnel européen pour les régions ultrapériphériques (RUP) d'Europe.

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Média : France Antilles

Texte intégral

QUESTION : En se plaçant uniquement à l'échelle des Antilles, était-il nécessaire d'avoir un traité instituant une Constitution pour l'Europe ?
Brigitte GIRARDIN : Il est vrai que les Antilles, comme les autres RUP, disposaient déjà d'un statut privilégié dans le cadre du Traité actuel, et que le projet de Constitution répond avant tout à la nécessité d'adapter le mode de fonctionnement de l'Union européenne après son élargissement. Mais c'est précisément parce que nous avons réussi à préserver dans une Europe à 25 ce que nous avions obtenu pour nos RUP dans une Europe à 15, que ce projet de Constitution doit être considéré comme une formidable opportunité pour l'outre-mer.
Le nouveau texte en effet offre une base juridique complètement autonome permettant de déroger en permanence au Traité, par l'adoption de mesures justifiées par l'ultrapériphérie et ce, dans toutes les politiques de l'Union. La notion actuelle de " mesures spécifiques " dont peuvent bénéficier les RUP, juridiquement floue, est ainsi remplacée par une référence précise à tous les actes communautaires (lois, lois-cadres, règlements et décisions).
J'ajoute par ailleurs que nous avons obtenu une énumération nominative de La Réunion, de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane, alors qu'auparavant ces collectivités n'étaient mentionnées que sous la rubrique de " départements français d'outre-mer " : cette nouvelle rédaction vous garantit la préservation de votre statut de RUP, quel que soit votre statut en droit interne. C'est une sécurité fondamentale, et c'est un atout majeur validé par le Traité constitutionnel.
En conséquence, il est totalement faux de prétendre, comme le fait par exemple Mme Taubira, que le Gouvernement français aurait fait des demandes qui n'auraient pas été prises en compte. Ceci est d'ailleurs aisément vérifiable sur le site internet de la Convention pour l'Europe (www.europa.eu.int/constitution, rubrique " propositions d'amendements ").
S'agissant ainsi de la notion de " mesures spécifiques " dont le Gouvernement français aurait, selon Mme Taubira, vainement demandé le maintien dans la Constitution, elle est donc sans fondement. Il s'agit sans doute d'une confusion avec la demande d'adoption de mesures spécifiques pour les RUP, formulée par la France, l'Espagne et le Portugal, en réponse à la démarche initiée par la Commission d'un " partenariat renforcé avec les RUP " qui relève de la réforme de la politique régionale.
QUESTION : L'article III-424 définit le cadre de la reconnaissance des spécificités des RUP. Le principe de l'adaptation est clairement précisé. Pourquoi la notion de dérogation n'a-t-elle pas été retenue ?
Brigitte GIRARDIN : Il faut cesser de se faire peur inutilement : l'adaptation, c'est une forme de dérogation. Adapter les règles communautaires pour tenir compte des handicaps structurels des RUP que sont l'éloignement et l'insularité, comme le prévoit l'article III-424, ce n'est pas autre chose que déroger aux mécanismes applicables par ailleurs. C'est ce qui vous permet déjà de bénéficier, par exemple, des dispositifs de défiscalisation ou d'exonération des charges sociales prévus par la loi de programme. C'est aussi ce qui permet à vos communes de bénéficier des ressources fiscales de l'octroi de mer. C'est encore ce qui autorise l'État français à octroyer des aides pour faciliter vos déplacements au travers de la dotation de continuité territoriale. Tout cela, et c'est considérable, sera bien entendu conservé dans le cadre de la future Constitution européenne.
QUESTION : Au sein de l'Union définie par la Constitution, le marché intérieur et les politiques communes en sont les pierres angulaires. Comment y définir durablement les politiques nécessaires au développement des RUP ?
Brigitte GIRARDIN : Vous avez raison de rappeler que l'Union européenne n'agit que dans le cadre des politiques prévues par le Traité, donc demain par la Constitution : bien sûr y figure la politique du marché intérieur et la politique économique et monétaire, mais aussi, et au même niveau, toutes sortes d'autres politiques pour lesquelles l'Europe intervient en complément des actions menées par les États membres. Je pense notamment à l'emploi, à la politique sociale, à la cohésion territoriale, à l'agriculture et à la pêche, mais aussi à l'environnement, aux transports, à la recherche
Toutes ces politiques communautaires ne sont pas contradictoires avec la définition de politiques plus spécifiques destinées au développement des RUP, bien au contraire. En effet, l'article III-424 qui traite des RUP est placé dans la Constitution dans un titre intitulé " dispositions communes ", au sein de la partie consacrée aux différentes politiques de l'Union. C'est donc bien reconnaître qu'il est désormais possible d'adapter chacune de ces politiques, sans aucune exception, aux besoins spécifiques des RUP. C'est d'ailleurs l'une des avancées notables de cette Constitution.
QUESTION : La notion de préférence communautaire ne figure pas dans le texte. Comment soutenir durablement l'agriculture insulaire alors que récemment l'OMC a condamné l'Union européenne, notamment les aides à la production sucrière ?
Brigitte GIRARDIN : Là encore, c'est le principe d'adaptation prévu par l'article III-424 qui permettra à l'avenir de continuer à soutenir l'agriculture et la pêche de nos départements d'outre-mer, comme c'est déjà le cas actuellement.
Concernant le sucre, la récente condamnation par l'Organisation Mondiale du Commerce des subventions versées par l'Union européenne à ses producteurs devrait conduire à une mise en place accélérée de la réforme de l'Organisation Commune du Marché du sucre. Dans le cadre de cette réforme, les Antilles et La Réunion devraient logiquement préserver leurs intérêts, puisqu'elles n'exportent pas de sucre en dehors de l'Union européenne, et que leur niveau de production reste relativement marginal au regard de la production communautaire. Le Gouvernement, c'est son rôle, y veillera.
QUESTION : La Martinique ne sera plus éligible à l'objectif 1. Pensez-vous que le fonds de cohésion suffira, pour surmonter la permanence des facteurs " qui nuisent gravement à son développement " ?
Brigitte GIRARDIN : Attendons d'abord de savoir ce qu'il en sera en 2006, au moment où se décideront les enveloppes allouées pour les prochains DOCUP qui couvriront la période 2007-2013. A ce stade, je relève que la Martinique n'a pas encore dépassé le seuil des 75 % du PIB communautaire, qui signifierait pour elle la sortie de l'objectif 1.
En tout état de cause, et pour parer à toute éventualité, la Commission a proposé pour les seules RUP la création d'un Fonds de compensation des handicaps qui sera doté d'une enveloppe de 1,1 milliards d'euros pour la période 2007-2013. La France soutient activement cette proposition, qui viendra s'ajouter aux actuels Fonds structurels.
QUESTION : L'octroi de mer est l'exemple des difficultés de déroger au droit communautaire. Comment alors pérenniser cette taxe particulière alors que " la libre concurrence non faussé " est la règle d'or du marché intérieur ?
Brigitte GIRARDIN : Parler de " règle d'or " me semble excessif : certes la libre concurrence doit être respectée, mais au même titre que d'autres principes, et il reste possible d'y déroger dans certains cas, par exemple pour permettre aux services publics d'assumer correctement leurs missions. Je fais par ailleurs observer que le principe de libre concurrence figure dans tous les traités européens depuis l'origine, et qu'il n'a jamais été contesté. Pour cause, il a valeur constitutionnelle en France depuis la Révolution !
S'agissant de l'octroi de mer, sa prorogation récemment obtenue est bien la preuve qu'il est possible de déroger au droit communautaire. La négociation fut difficile, c'est vrai, mais nous y sommes parvenus par la force de nos arguments, et le dispositif est prolongé pour une nouvelle période de 10 ans, jusqu'en 2014. Je rappelle que ce dispositif est fondé sur le principe de compensation des handicaps structurels qui créent des surcoûts spécifiques aux économies des DOM. Il rétablit en définitive une juste concurrence entre les produits locaux et les importations, les uns et les autres étant nécessaires aux économies domiennes. Non seulement il protège votre économie locale, mais il apporte des ressources importantes à vos communes et à vos Conseils régionaux (630 M en 2004).
QUESTION : Comment comprendre le droit de non-participation au référendum avancé par le président du Conseil régional de la Martinique, alors qu'il revendique la présidence du comité de gestion des fonds européens ?
Brigitte GIRARDIN : Je respecte les opinions de chacun, et il ne m'appartient pas de porter de jugements personnels. Pour autant, je considère que la non-participation, donc l'abstention, reviendrait à adresser un message d'indifférence et de désintérêt à l'égard de l'Europe, alors que c'est au contraire un message d'adhésion et d'espoir dont nous avons besoin pour continuer à défendre l'outre-mer au mieux de ses intérêts. N'oublions pas qu'il nous faut désormais agir dans une Europe à 25 membres, où nous n'avons plus que deux autres États à nos côtés prêts à défendre avec nous leurs propres RUP. L'outre-mer a donc tout à gagner à contribuer massivement à la ratification de cette Constitution : il vous faut aller voter le 28 mai !
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 20 mai 2005)