Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, au "Grand Jury RTL Le Monde LCI le 22 mai 2005, sur les enjeux du référendum sur la Constitution européenne, le climat politique de la campagne, la montée du "non", la "crise du modèle social français", l'absence d'un plan "B" de rechange et l'hypothèse d'un changement de gouvernement.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Emission Le Grand Jury RTL Le Monde LCI - La Chaîne Info - RTL - Télévision

Texte intégral

Ruth ELKRIEF : Merci d'être notre invité ce soir à une semaine maintenant du scrutin, vous avez d'ailleurs réuni hier les cadres de votre parti pour lancer la toute dernière manche de cette campagne référendaire, et puis diront certaines mauvaises langues, pour vous faire aussi entendre car vous reconnaissez parfois vous-même que votre voix était difficilement audible ces dernières semaines alors qu'elle est une des plus européenne, faut-il le rappeler, vous avez vous-même réclamé une constitution européenne depuis 1999. Alors pourquoi le oui a-t-il tant de mal à s'imposer, comment répondre au malaise des français, pourquoi l'Europe institutionnelle ne répond-elle pas aux attentes de ses habitants et puis quel scénario bien sûr voyez-vous pour l'après 29 mai. Ce sont quelques unes des questions que nous vous poserons ce soir avec Pierre-Luc SEGUILLON d'LCI et Gérard COURTOIS du Monde.
Mais d'abord je voudrais bien avoir votre première réaction à cette phrase de Daniel COHN-BENDIT qui était notre invité la semaine dernière à votre place et qui a confié à une radio allemande aujourd'hui qu'il était très vraisemblable que le non gagne en France. C'est une gaffe, c'est une prédiction juste, c'est la fin de la langue de bois, on y va franchement ?
François BAYROU : En tout cas ce n'est pas du tout mon sentiment et pas mon état d'esprit. Je ne suis pas en situation de renoncement et pas défaitiste le moins du monde. Je crois que la semaine qui commence est la semaine cruciale de la campagne électorale. C'est les jours et les heures où le plus de votes vont basculer dans un sens ou dans un autre et c'est donc les moyens, c'est donc le moment de mobiliser avec force, enthousiasme, détermination, volonté de vaincre, arguments et aussi les soutiens du oui...
R.E. : Il y a quand même 6 sondages successifs qui donnent le non et peut être un 7ème dès demain matin.
F. B. : Très bien, vous avez 40 sondages, présentez-moi 50 Ruth ELKRIEF, présentez-m'en 100 et je vous dirai la même chose, je ne crois pas et je n'accepte pas l'idée que la France vote non à l'Europe parce qu'au bout du chemin, c'est exactement cela le choix qui va se présenter aux français et pour ma part cette idée que, vous l'avez rappelé, nous avons voulu, les français et naturellement les plus européens d'entre eux dans notre famille politique, cet acte nouveau et très important qui consiste à faire exister l'Europe comme une force à l'égal des États-unis, à l'égal de la Chine, et à lui donner sa démocratie, à faire que vous, et vous, et vous, citoyens européens, nous tous citoyens européens nous ayons enfin quelque chose à dire sur son avenir, que nous ayons du pouvoir sur son avenir, cela est tellement important que pour ma part, je crois, j'espère et je veux que la France vote oui.
Pierre-Luc SEGUILLON : C'est pour votre part mais est-ce que vous ne sentez pas gagner un climat défaitiste chez les avocats du oui. Par exemple on a annoncé la venue de Nicolas SARKOZY sur TF1, finalement il ne viendra pas, il se fait remplacer, est ce que ce n'est pas le signe que les avocats du oui sont eux-mêmes gagnés par la lassitude, voire par le désarroi ?
F. B. : Il est possible qu'il y ait ici et là du désarroi, ça n'est pas le cas dans les rangs des plus européens des défenseurs de la constitution européenne. N'est-ce pas, ça n'est pas une échéance politique autour de laquelle il conviendrait de se situer. Ça n'est pas une affaire de politique intérieure où l'on rechercherait des intérêts de partis ou de personnes. Pour moi c'est un grand choix historique pour les français, un choix qui, dans 25 ans, continuera à marquer le visage de l'Europe, du monde et de notre pays. Et donc vous pouvez, nous pouvons multiplier les éléments d'inquiétude de la part des uns et des autres ou de désarroi, vous avez employé le mot, tout ça est pour moi...
R.E. : Le motif officiel en tout cas ce soir c'est la fatigue pour Nicolas SARKOZY.
F. B. : Equilatéral. Je pense et veux que les européens se sentent, dans la dernière ligne droite, responsables du choix que les français vont faire. Ceux qui croient qu'il n'y a pas d'avenir pour la France en dehors de l'Europe, ceux qui croient que c'est notre principal atout, ceux-là ont devant eux une responsabilité éminente, la campagne n'est pas finie, elle commence.
R.E. : Ah bon, c'est la dernière semaine c'est ça ?
F. B. : Les 7 jours de campagne, voulez-vous réfléchir avec moi, les sondages disent 30% d'indécis, et à chaque dernière consultation, on sait que dans les derniers jours il y a eu des changements d'opinions qui sont allés encore jusqu'à 30 %. Donc tout est devant nous, toutes les chances, et c'est le moment de les jouer et le moment de les jouer avec force, sans timidité et sans états d'âmes.
Gérard COURTOIS : Mais vous dites, je ne comprendrais pas que les français votent contre l'Europe, mais est-ce que ceux qui sont tentés par le non votent contre l'Europe ou votent contre cette Europe, ou sont tentés de voter contre cette Europe définie par la constitution européenne ?
F. B. : Et bien c'est très simple, posez-vous une seule question, qui va déboucher le champagne si le non l'emporte ? Est-ce que ce sont les européens, ceux qui croient à l'Europe, qui y ont toujours cru, qui ont bâti chacune de ses avancées en France et dans les autres pays ou est-ce que ce sont les anti-européens, les conservateurs britanniques, l'extrême droite flamande et en France les forces qui ont voté non sans exception, à chaque échéance, depuis que nous avons fait la constitution européenne...
P.L.S. : Pas Laurent FABIUS ?
F. B. : Demandez-vous qui va déboucher le champagne et vous aurez la réponse à cette question. Le vote non, c'est le vote qui va évidemment réjouir les anti-européens où qu'ils se trouvent et désespérer les européens où qu'ils se trouvent, en France, dans les autres pays européens.
R.E. : C'est pas une manière de vouloir faire un petit peu peur, de faire réagir par le négatif plutôt que par le positif, par le projet, par un souffle ?
F. B. : Je sais très bien que vous aimeriez que devant vous ce soir j'ai l'air abattu, désespéré et que je considère qu'en effet le combat est perdu, ça ferait écrire plus de choses et plus agréables pour vous. Et bien il se trouve que je ne joue pas à ce jeu. Peut être vous ne vous rendez pas compte, je crois qu'on n'a pas eu de choix aussi important pour la France depuis 15 ans...
G.C. : Depuis Maastricht.
F. B. : Oui ! C'est du même ordre.
Fallait-il que l'Europe existe en ayant une monnaie, c'était le choix de Maastricht, faut-il que l'Europe existe en ayant son unité et sa démocratie, c'est le choix de la constitution européenne. Cet enjeu-là dépasse de si loin tous les autres qu'il ne mérite aucune timidité et aucune peur intérieure. C'est le moment de mobiliser les énergies sur l'essentiel et nous sommes un pays, Pierre-Luc SEGUILLON, peut être ça vous paraîtra sentimental ce que je vais dire, nous sommes un pays qui a toujours su se dépasser au moment des choix essentiels, jamais ce pays-là ne s'est laissé abattre quand l'essentiel était en jeu.
L'essentiel est en jeu et donc je crois et veux mobiliser les forces qui permettront à la France de se ressaisir et de faire le choix que son histoire, sa culture et sa tradition imposent.
P.L.S. : Mais j'imagine que pour mieux mobiliser dans la semaine qui vient, vous analysez aussi les raisons pour lesquelles, à votre surprise peut être ou à votre regret, le non est majoritaire.
F. B. : Ça, il serait excessif de dire à ma surprise comme vous le savez.
P.L.S. : Bon alors est-ce qu'à votre avis le non est aujourd'hui majoritaire parce que, de manière paradoxale, les avocats du non et les avocats du oui ont fait une campagne aussi frileuse les uns que les autres, c'est à dire les non pour se défendre de l'Europe telle qu'elle est et les oui pour expliquer que l'Europe telle qu'elle est nous défend contre le péril extérieur ?
F. B. : Oh il y a sûrement de ça dans la situation actuelle. Il y a 2 raisons majeures pour lesquelles la situation...
P.L.S. : Au fond le non et le oui sont aussi anti-libéraux l'un que l'autre !
F. B. : Il y a 2 raisons majeures mais l'Europe, la question de l'Europe n'est pas la question du libéralisme, la question de l'Europe est la question de l'union politique qui permettra à l'Europe de choisir son destin. Libérale pour les uns, plus régulée ou sociale pour les autres. Mais je reviens à votre interrogation. Il y a 2 grandes raisons, 2 grandes séries de raisons qui font que la situation est si difficile, et il faut les regarder en face, la première raison c'est que la France va mal dans sa démocratie et sa société, elle va mal depuis des lustres, elle va mal parce que nous n'avons pas les institutions qui correspondent aux attentes des français et elle va mal parce qu'on n'a pas su définir le projet qui fédère la société française et l'entraîne vers un destin clair...
R.E. : Donc c'est un malaise purement français !
F. B. : Ça c'est un malaise français. Et il y a un malaise qui tient à la manière dont on a présenté l'Europe en France, en lui faisant constamment porter tous les péchés d'Israël, comme si elle était le bouc émissaire de toutes nos difficultés. Personne n'a jamais expliqué en quoi l'Europe nous aidait, en quoi l'Europe allait être pour nous notre atout, chaque fois que l'Europe nous permettait une réussite, c'était toujours la gloire des gouvernants de l'instant et chaque fois qu'une difficulté se présentait, qu'une mesure difficile à prendre était à l'horizon, à ce moment-là on expliquait que c'était Bruxelles qui nous obligeait.
R.E. : Oui mais les plus européens auraient dû être beaucoup plus, pardon, auraient dû être beaucoup plus fervents ! Même eux peut être, on ne les a pas assez entendus !
F. B. : Les plus européens ont fait leur boulot, je ne sais pas si les médias ont fait le leur ! J'ai tenu 75 ou 76 meetings et je ne sais pas si, chaque fois, comment dirais-je, le suivi est normal, ça n'a aucune importance.
R.E. : Vous avez rencontré des français.
F. B. : Je vais vous dire pourquoi, parce que c'est maintenant que ça va se jouer. Tous les arguments que nous avons agités, au bout du compte ils vont se résumer en un seul, voulons-nous une Europe forte et qu'elle soit démocratisée. Voulons-nous, oui ou non, que ce pas là soit franchi, pas qui a été préparé à la demande de la France et qui répond à l'attente des français. Combien de fois avez-vous entendu dire que c'était trop technocratique ? Ça voulait dire décider ailleurs sans qu'on soit informé, sans qu'on sache pourquoi. La constitution répond article par article à cela et je suis persuadé que c'est ce nouvel éclairage qui va s'imposer.
G.C. : Mais précisément vous dites il y a un malaise français et il y a une mauvaise foi, une mauvaise conscience de la France et des gouvernements français successifs à l'égard de l'Europe qui lui font porter la responsabilité d'un certain nombre d'impasses. Alors cette campagne était précisément l'occasion de dépasser ces 2 malaises ou ces 2 difficultés, pourquoi est-ce que les arguments du oui, jusqu'à présent en tout cas, n'ont-ils pas convaincu ?
F. B. : Mais cette campagne aura été formidable d'abord. Alors elle est risquée, je mesure les risques très bien, mais de voir enfin pour ceux comme moi qui croient que l'Europe est la plus grande entreprise qui ait été proposée à notre pays depuis un siècle au moins, pour cela voir, je lisais le sondage avant de venir, voir que l'Europe a servi de sujet de conversation depuis le début du mois de mai à, écoutez bien, 83 % des familles françaises. Plus de 8 sur 10 des français ont pris l'Europe comme sujet de conversation, et bien ceci est un élément d'enthousiasme et pas de crainte. Alors naturellement une fois le bilan de cette campagne apporté, s'il apparaît comme je le crois, l'espère et le veux, que le oui l'a emporté, alors on mesurera tout le retard qu'on a rattrapé en voulant ce débat européen, et j'espère que ceci servira de leçon pour l'avenir et au lieu de charger l'Europe de toutes les responsabilités et de toutes nos faiblesses, lui faire porter la responsabilité de nos faiblesses, j'espère qu'on en parlera, j'espère qu'on fera de l'éducation civique à la télévision et à la radio, qu'on dira dans des spots très simples, comment çà marche pour que les français, citoyens européens s'y reconnaissent.
P.L.S : Mais François BAYROU, est-ce que ces discussions qui ont monopolisé, mobilisé 83 % des français, vous le disiez à l'instant, n'ont pas révélé aussi qu'il y a un clivage aujourd'hui dans notre pays entre une élite qui est pro-européenne, parce que finalement elle profite de l'Europe ou en tout cas elle en tire avantage, et le peuple qui estime qu'il souffre de l'Europe ?
F. B. : Pierre-Luc SEGUILLON, vous ne pouvez pas, je veux dire, même sous forme d'interrogation, on ne peut pas dire cela. Non seulement l'Europe ne fait pas souffrir mais c'est l'Europe qui nous offre les chances nécessaires pour en sortir. L'Europe, elle n'est pas à classer dans la colonne des handicaps, elle est à classer dans la colonne des atouts. Alors il est vrai que clivage il y a, c'est un clivage social, socioculturel...
R.E. : Il y a aussi des élites dans les gens qui votent non, il y a aussi des personnalités !
F. B. : Nous allons y venir dans une seconde...
P.L.S. : Il y a une chose qui est quand même frappante. Quand vous regardez le congrès, le congrès ratifie, le congrès c'est à dire l'Assemblée Nationale et le Sénat, ratifie la constitution à 730 voix oui, 80,5 % et quand on regarde les sondages, on en est au mieux à 52,48. Comment expliquer ce décalage ?
F. B. : Et bien vous allez découvrir après que certains l'aient plaidé depuis longtemps, dont je suis, que nos institutions sont en panne, que la démocratie française ne marche pas, que les débats n'existent pas, que le Parlement ne joue pas son rôle, qu'il y a quelque chose de cassé dans la manière dont notre république est organisée et qu'on ne peut pas continuer comme cela. Le clivage dont vous parlez, il a beaucoup d'aspects, mais il a un aspect principal, c'est que la démocratie n'est pas considérée par nos concitoyens comme authentique. Notre démocratie n'est pas authentique.
R.E. : Oui mais vous êtes parmi les hommes politiques qui avez compté ces dernières années évidemment le plus dans le paysage politique français, et comme les autres j'ai envie de dire, peut-être avec une petite musique différente mais néanmoins, parlons par exemple de la directive Bolkenstein qui a suscité et qui continue de susciter beaucoup d'émotion, quand elle a été publiée, qu'elle est devenue un sujet de polémique, vous-même, comme les autres, vous êtes élevé avec force contre les atteintes au droit social français ! Donc j'ai envie de dire, il y a aussi un climat dans lequel tous les hommes politiques renchérissent dans cette dénonciation de l'Europe !
F. B. : Voyez c'est très facile Ruth ELKRIEF, c'est très facile de dire vous êtes tous pareils !
R.E. : Non !
F. B. : Je réclame le fait de n'avoir pas été pareil. A mon corps défendant, à mes risques et périls j'ai refusé d'entrer au gouvernement avec une obstination que vous avez qualifiée de têtue plusieurs fois les uns et les autres. Si j'ai refusé d'entrer au gouvernement, c'est parce qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas et que je ne voulais pas ne pas montrer par mon attitude qu'il y avait des attentes différentes. Je suis monté à la tribune, et parfois, vous le savez, sous les lattis (sic) ou les injures ou les manifestations vraiment extrêmement violentes de la part de la majorité, pour dire vous êtes en train de faire fausse route. Les causes qui ont produit le malheur du gouvernement JOSPIN, ces causes là sont reproduites à l'identique et vont produire le malheur du gouvernement RAFFARIN...
R.E. : Vous voulez dire le 21 avril....
F. B. : La même chose le 21 avril et puis 97 avec le gouvernement JUPPÉ, et puis 95 avec BALLADUR, les mêmes choses, le pouvoir isolé qui constamment ou simplement devient sourd parce que les mécanismes qui, dans les démocraties, sont destinés à empêcher les gouvernements de devenir sourds, n'existent pas en France. On a fait une espèce de monarchie élective dans laquelle tout est concentré entre les mains d'un seul homme ou d'un seul parti, quelquefois de 2 hommes, et cette monarchie élective, elle ne permet pas au peuple de faire entendre sa voix. Et tous les défauts qui hélas se manifestent sous nos yeux, tous ces défauts-là n'ont jamais été pris en charge ni pris en compte. Le moment va venir, je n'ai aucun doute, le moment va venir le 30 mai ou plus tard, où les responsables vont se rendre compte de cela et vont dire, on ne peut pas continuer comme çà, choisissons d'ouvrir une nouvelle étape.
R.E. : François BAYROU, si le oui l'emporte est-ce qu'il y aura cette introspection, cette crise de conscience, cette réflexion sur le système entre guillemets, que vous dénoncez, peut-être pas, non ?
F. B. : Non seulement il y aura si le oui l'emporte, mais c'est obligatoire, c'est inéluctable et c'est nécessaire et en tout cas pour ma part je garantis devant vous que je serai défenseur de cette attente des français et de cette insatisfaction, comme je l'ai été depuis 3 ans, ayant mis mes actes en accord avec mes gestes. Pardon, mes actes en accord avec mes paroles, mes gestes en accord avec mes paroles.
G.C. : Etes-vous choqué que le Président de la République ait annoncé que, quelque soit le résultat, il ne quitterait pas l'Élysée et qu'il resterait jusqu'à la fin de son mandat ?
F. B. : C'est son choix, comme vous le savez il y a 2 conceptions de la 5ème république, il y en a une dans laquelle le Président de la République s'engage au moment des référendums en disant voilà un choix historique, naturellement je lie mon sort à ce choix, et une autre conception dans laquelle la démocratie est plus consultative, on demande aux gens leur avis. Jacques CHIRAC à de nombreuses reprises a indiqué que c'était sa position à lui, ça aura eu au moins un avantage, en tout cas c'aurait dû avoir un avantage, c'est de déconnecter le débat de la politique intérieure, en tout cas pour moi je m'y suis efforcé.
G.C. : Ça n'a pas été le cas, ça n'a pas déconnecté à l'évidence ?
F. B. : Il y a un certain nombre de français qui veulent émettre un vote sanction, aujourd'hui dimanche 22, mais le dimanche 29, au moment d'entrer dans l'isoloir, ils vont porter entre les mains, et ils vont savoir que ça a du poids parce que c'est tellement serré que ça aura un grand poids, ils vont porter entre les mains le destin de la plus grande aventure française, de la plus grande entreprise que notre pays ait conçu et voulu depuis un siècle et ils le savent.
G.C. : Mais comment expliquez-vous que cette entreprise, dont vous dites qu'elle est un atout pour la France ou l'avenir de la France, que cette entreprise fasse peur puisque c'est bien de ça qu'il s'agit aujourd'hui ?
F. B. : Oui enfin c'est de çà, Gérard COURTOIS, on a privé depuis des années les français de la capacité d'exprimer leurs inquiétudes ou leurs réticences ou leurs réserves ou leur refus...
R.E. : Il y a eu des élections l'année dernière, il y a eu 2 consultations !
F. B. : Il y a eu les élections, on en a tenu vous le savez aucun compte. Aucun signe n'a été donné de ce que les responsables de la république entendaient le pays. Et donc, quand on refuse de voir la fièvre qui entoure un abcès, l'abcès mûrit et un jour hélas cet abcès éclate.
Et bien je crois et espère, que les français auront suffisamment manifesté avec force leur réserve dans cette période pré référendaire et que le jour du référendum, ils reprendront la seule question qui compte, c'est la France sans l'Europe ou la France avec l'Europe et je crois qu'ils choisiront la France avec l'Europe. En tout cas l'Europe forte au lieu de l'Europe faible.
P.L.S. : Mais une des raisons précisément de la montée du non, est ce que ce n'est pas, vous avez tout à l'heure oublié ou évacué cet aspect que notamment à gauche et notamment au parti socialiste et notamment Laurent FABIUS a valorisé un non qui se dit européen et qui n'est pas un choix entre pour et contre l'Europe. Bien au contraire, il propose au peuple de se saisir de la question européenne !
F. B. : Mais vous savez très bien que c'est la duplicité qui a été développée dans cette campagne, c'est que le sentiment pro-européen est si fort dans l'opinion que pour faire voter non, alors il fallait prendre le masque sans s'entourer de la toge des européens. Il savait bien cela, que si l'on disait la vérité, c'est à dire on va voter contre l'Europe, il n'y avait aucune chance que les français suivent.
Alors en effet Laurent FABIUS a ajouté ou apporté l'autorité qu'il a reçue des responsabilités passées, à ce geste qui est un geste extrêmement nocif pour l'avenir de l'Europe.
Et vous aurez observé quelle indignation profonde cela a provoqué, pas seulement en France, on pourrait dire que c'est partisan, pas seulement en France mais dans les autres pays européens, des hommes qui respectaient Laurent FABIUS parce qu'ils avaient partagé des responsabilités avec lui et qui aujourd'hui disent...
R.E. : Il a pu évoluer !
F. B. : Comment peut-on quand on est Laurent FABIUS, prendre des responsabilités comme ça. Je donne 2 exemples.
Laurent FABIUS est l'homme qui a signé l'acte unique européen, c'est à dire toutes ces histoires, toutes ces importantes histoires de normes qui ont fait que l'Europe a été moquée, pour permettre la libre circulation des produits, c'est FABIUS. Le jour où la Chine a adhéré à l'OMC...
R.E. : L'organisation mondiale du commerce.
F. B. : En 2001, qui a provoqué cet envahissement des textiles chinois, parce qu'on a dit aux gens que çà avait été signé il y a 10 ans, c'est pas vrai, la Chine est entrée à l'OMC en 2001, le ministre de l'économie c'était Laurent FABIUS.
Quand on a occupé des responsabilités de cet ordre, alors en effet on dit, j'ai changé d'avis, si c'était le cas, en disant voilà je ne crois plus à ce que j'ai fait, mais pas du tout, il dit, moi qui suis européen et social, alors je dis qu'il faut voter contre la constitution, c'est une duplicité, c'est quelque chose qui est en effet une tromperie parce qu'il n'y a pas la moindre chance, vous entendez, qu'on puisse obtenir une constitution de rechange après cette constitution là, après l'échec de cette constitution là.
P.L.S. : Précisément François BAYROU, qu'est-ce que demande Laurent FABIUS ? Quand on regarde ce qu'il demande, je pense que vous ne le jugerez pas irrationnel. Il demande la suppression d'un titre 3 qui définit les politiques à mener, les politiques économiques dont Jacques DELORS disait lui-même il y a un an, qu'il ne voyait pas la nécessité de la présence dans la constitution. Deuxièmement, il demande que cette constitution puisse être révisable, et troisièmement il demande que soient supprimées les entraves aux coopérations renforcées. Est ce que vous êtes hostile à cela ?
F. B. : Laurent FABIUS a suivi une tactique extrêmement simple, il a pris de l'anodin pour justifier un choix qui met un terme à l'aventure européenne. Comme il ne pouvait pas le justifier sur le fond, alors il a choisi de s'en tenir à la surface des choses et de prendre des petits arguments de manière à faire croire que tout ça n'était pas très grave...
G.C. : Il n'empêche que les petits arguments font mouche !
F. B. : Excusez-moi, oui d'accord, mais au bout du compte nous avons la responsabilité, ceux en tout cas qui ont pris, quelque part que ce soit, à l'édification de l'union européenne, de dénoncer le caractère fallacieux de cette affaire. Quand on dit par exemple, je reprends vos 3 arguments...
P.L.S. : Ce ne sont pas les miens, ce sont ceux de Laurent FABIUS !
F. B. : Oui mais vous lui prêtez, vous voyez...
P.L.S. : Attendez, je souhaite avoir votre réaction, c'est différent !
F. B. : Eh bien très bien, allons-y.
Un, la constitution révisable, elle l'est, mais comme il s'agit naturellement d'un accord entre 25 pays, chaque pays considère que la révision doit avoir son accord. Je prends un exemple. Imaginez que l'on veuille décider que dans la constitution on va porter atteinte à un certain nombre de droits sociaux auxquels les français sont attachés, par exemple, je ne sais pas, le droit de grève, est-ce que vous laisseriez porter atteinte au droit de grève simplement parce qu'il y aurait une majorité de pays contre nous ? La portée constitutionnelle des choses fait que, sur l'essentiel puisque nous bâtissons l'essentiel ensemble, un pays comme la France veut conserver la maîtrise de ce qui va régir son avenir.
R.E. : On veut garder un droit de veto en cas de révision qui lui serait défavorable.
F. B. : Absolument ! Et bien tous les autres pays sont comme nous. Vous comprenez ce qu'il y a de formidable...
R.E. : Ça ne peut pas beaucoup avancer...
F. B. : Mais si ça peut avancer ! On vient après tout de proposer à l'unanimité la révision du traité de Nice ! On était dans le traité de Nice, on propose une constitution, cette décision de changement majeur, elle a été prise à l'unanimité !
G.C. : C'est plus facile à 15 qu'à 25 ! Ou à 27 demain !
F. B. : Pas du tout, ça a été fait à 25 !
G.C. : A 27 demain !
F. B. : Ça a été fait à 27, ça a même été fait, mais vous le savez bien, la convention c'était les pays adhérents à l'Union européenne aujourd'hui, tous sans exception et on est arrivé très bien à l'unanimité, non pas à un changement mais à une réorientation profonde, en quoi la constitution est évidemment, la preuve est faite...
R.E. : On pourra le refaire demain, c'est ce que vous dites ?
F. B. : Mais évidemment ! La constitution est révisable et la révision de la constitution est prévue !
Nous venons de vivre la preuve, par la réalité la preuve a été apportée qu'on pouvait à 25, à l'unanimité, obtenir des révisions fondamentales. Et donc la petite musique qui consiste à dire, ça sera impossible à réviser, est un pur et simple mensonge comme on le voit aujourd'hui sous nos yeux. Deuxièmement, la partie 3, et bien figurez-vous que l'Europe ça se fait...
R.E. : C'est à dire les traités économiques qui régissent déjà l'Europe d'aujourd'hui.
F. B. : Le fait que l'on prenne désormais dans un seul texte tous les traités et tous les accords qui faisaient l'Europe depuis 50 ans, au lieu d'avoir 15 ou 18 traités différents, on dit on en fait un seul texte, on reprend ce qui existait et on le met dans le texte. Cela nous a été demandé par d'autres partenaires européens. En effet les français, en effet Valéry GISCARD D'ESTAING disaient est-ce bien nécessaire, en effet Jacques DELORS disait est-ce bien nécessaire, d'autres nous l'ont demandé. Il n'y a rien de nouveau dans cette 3ème partie, aucun changement n'a été apporté à l'Europe. Il s'agissait de réécrire dans un seul texte, et moi je considère que quand des partenaires nous demandent de faire entrer dans un texte ce qui est déjà dans les traités, après tout on ne doit pas s'offusquer parce qu'autrement ça voudrait dire qu'on préfèrerait que restent dissimulées les règles qui régissent la construction européenne. Surtout qu'on n'en parle pas. Les militants européens ont choisi qu'on en parle à la demande d'un certain nombre de pays européens. Où est le crime, où est la faute ? S'il s'agissait d'introduire des politiques nouvelles, je comprends, c'est la réalité d'aujourd'hui.
R.E. : François Bayrou, plusieurs personnalités politiques, dont encore le ministre de l'Économie, a affirmé qu'un "non" de la France serait perçu comme un repli, un manque de confiance et de dynamisme. D'autres s'étonnent de ce climat en France, justement, où on entend un certain nombre de mots contre les plombiers polonais, contre d'autres pays tout simplement européens, est-ce que vous avez le sentiment que la France se replie sur elle-même dans cette campagne ou, qu'au contraire, comme le disait Pierre-Luc tout à l'heure, sur la gauche, sur le "non" de gauche, elle veut une autre Europe ?
F. B. : Je fais la différence entre les deux sujets que vous avez abordés. Il y a une question économique sous jacente, ou en tout cas une interrogation économique de la France et de l'opinion française, mais je ne mets pas au même rang les attaques viles contre le fait que des travailleurs viendraient travailler sous contrat de travail d'autres pays européens en France, parce que ceux-là, les Polonais qui viennent prendre le pain des Français, on croyait ne plus l'entendre hein, on croyait n'avoir plus à souffrir de l'entendre depuis longtemps. Or, ce sujet a été ramené dans le débat par une partie de la gauche. Et voir la gauche française ainsi abandonner les idéaux élémentaires dont on la croyait porteuse et qu'on croyait partager avec elle, franchement c'est un signe alors de choc pour un grand nombre de Français. D'abord, pour plusieurs raisons, alors je les reprends si vous voulez bien. 1/ Cette affaire est un mensonge, il suffit d'ouvrir la constitution, de lire l'article 133 que j'ai lu plusieurs fois à la télévision ces temps-ci pour en révéler l'existence puisque personne n'en parlait, qui dit : quand on est un travailleur et qu'on va travailler dans un autre pays on relève exactement des mêmes règles administratives et sociales que les travailleurs de ce pays, que les travailleurs nationaux. Ceci est dit explicitement à l'article 133, donc c'est un mensonge, donc c'est faux. C'est une manipulation d'opinion, mais cette partie là de la gauche, appuyée par la droite, ne nous trompons pas. Vous avez cité deux noms qui en effet ne se sont pas privés de jouer sur les mêmes cordes, mais d'une certaine manière, pour l'extrême droite on y était habitué, le sentiment de rejet de l'étranger, de l'autre. Mais là, franchement, que un peuple qui a été martyrisé, tenu en servitude avec notre assentiment, du peuple polonais. Puisqu'à Yalta, nous avons n'est-ce pas, il y a eu un partage, et ce peuple a été abandonné à la servitude et à la servitude stalinienne eh bien que on vienne aujourd'hui reprocher à ce peuple sa misère, qu'il est d'ailleurs en train de rattraper heureusement, et le besoin dans lequel des hommes sont obligés de partir pour aller travailler ailleurs, c'est une honte, une honte pour des valeurs élémentaires et en plus, troisièmement, vous voyez bien que c'est un fantasme, nous habitons en France nous les uns et les autres, nous avons à faire à des artisans, où voyez-vous des plombiers polonais qui travaillent à des conditions qui ne sont pas les conditions des plombiers français. J'ai souvent à faire aux artisans du bâtiment, comme vous, comme député dans ma circonscription, où sont-ils ? Ceci est un fantasme malsain et il me semble qu'il y a des gens qui devraient se lever en disant quand même on ne va pas nous ramener ainsi sur un chemin qu'on croyait oublier.
G.C. : Au-delà de ces relents ou tentations nationalistes, beaucoup de partisans...
F. B. : Ce n'est pas nationaliste, c'est xénophobe, le mot xénophobe veut dire haine de l'étranger. En grec xénophobe ça veut dire haine de l'étranger, ça n'est pas nationaliste. A la limite le nationalisme bon, ce n'est pas ma position mais au moins c'est l'exaltation de la nation à laquelle il me semble qu'il faut faire attention tant ça a entraîné dans l'histoire de conséquences. Mais nationalisme c'est un choix politique. Là on est dans des sentiments dont on sait ce qu'ils ont donné dans l'histoire et qu'on ne devrait pas avoir le droit d'agiter quand on est responsable.
G.C. Mais en deçà de cette tentation là, beaucoup de partisans du "non" de gauche, comme de droite, ont le sentiment ou essaient de faire partager leur sentiment que faire l'Europe c'est défaire la France. Qu'est-ce que vous leur répondez ? N'ayez pas peur, comme Chirac ?
F. B. : Non, je réponds que il suffit de réfléchir à ce que l'Europe est. L'Europe... ah je n'ai pas mon passeport dans ma poche, c'est dommage, parce que toujours à ce moment-là de la question je sors mon passeport, mon passeport est là. Voilà mon passeport, c'est le passeport de tous les Français aujourd'hui. Il est marqué République française et autrefois c'était la seule mention. Aujourd'hui on ajoute au-dessus Union européenne. L'ajout, l'adjonction de Union européenne ça n'enlève rien au fait que nous soyons Français, nous sommes aussi pleinement, aussi complètement Français que nous l'étions hier, simplement maintenant ça ajoute autre chose, si votre fils, porteur de ce passeport, est paumé en Ouzbékistan, il peut aller dans n'importe quel consulat de n'importe quel autre pays européen pour recevoir aide et assistance et la constitution le garantit en toute lettres. L'Europe ça n'enlève rien, ça apporte quelque chose, ça garantit notre nationalité et ça apporte un élément de plus qui fait que nous sommes désormais solidaires entre pays européens, entre les nationalités européennes. Ça n'est pas un moins, c'est un plus.
P.L.S : Mais si ce réflexe identitaire, voire ces réflexes xénophobes semblent fonctionner si bien, indépendamment de ceux qui les manipulent, est-ce que ce n'est pas précisément, contrairement à ce que vous disiez tout à l'heure parce qu'il y a cette peur économique dans la société et au fond cette fragilité ? On se recroqueville, on se replie...
F. B. : Pas complètement, ceci va tout à fait dans le sens de l'histoire...
P.L.S : Pardonnez-moi, j'irai jusqu'à vous poser la question : est-ce que vous pensez que ces réflexes sont dus au fait que dans l'Europe aujourd'hui, et c'est peut-être ce que manifeste ce débat dans le référendum, la France, notre pays, est l'homme malade de l'Europe ?
F. B. : Oui, la France est un des pays où le malaise est le plus grand en Europe, il n'y a aucun doute...
R.E. : Vous avez évoqué le malaise institutionnel, mais économiquement ?
F. B. : Mais c'est la même, tout ça est lié. Vous savez, les plus grands drames de l'histoire liés précisément à ces idéologies qui ont commencé comme ça, petitement hein, à ces idéologies nationalistes, xénophobes, et vous le voyez je ne veux pas le mentionner à quelle période de l'histoire je fais allusion. Ils ont un point commun, ils ont tous commencé dans une crise économique, sociale et démocratique. Quand un peuple tout d'un coup ne sait plus où il va, quand les cadres qui faisaient son développement s'effondrent, on n'en est pas là en France, n'exagérons pas hein, hiérarchisons les choses. Mais toujours ce genre de crise a suscité le rejet, toujours ce genre de crise a suscité l'enfermement et toujours ce genre de crise a suscité le durcissement contre l'autre et donc, bien sûr la crise est partie prenante de la difficulté où nous sommes. Pourquoi ? Ben on l'a dit, 1/ les responsables politiques n'ont pas su dire aux Français où ils allaient ensemble, ça fait longtemps...
R.E. : On comprend que là vous critiquez notamment le président de la République, je ne me trompe pas ?
F. B. : Non, je critique la série de responsabilités politiques dans laquelle Jacques Chirac est notamment, mais il le sait bien, est impliqué, mais qui va très au-delà de lui. Depuis combien de temps n'avons nous pas un but clair en Europe ? Ça se compte en de très longues années et peut être en décennies. Je referme la parenthèse. 1/ Parce qu'il y a toujours une responsabilité politique n'est-ce pas, il ne faut pas croire que des choses arrivent simplement par hasard, ou par le malheur des temps, deuxièmement, il y a une crise du modèle social français. Le modèle social français c'était l'idée que l'égalité des chances garantissait la promotion individuelle au mérite et ça n'est plus le cas aujourd'hui et beaucoup de familles françaises en souffrent. Par exemple, on croyait qu'il suffisait de faire des études pour avoir une situation, comme on disait.
R.E. : Ça c'est pas pareil, dans les autres pays on est les seuls à vivre cela ?
F. B. : Non, parce que les autres pays n'avaient pas bâti la méritocratie républicaine que nous avons bâtie chez nous. Et donc aujourd'hui il y a beaucoup de familles qui voient que leurs enfants sont à des Bac plus 4 ou plus 5 et ils croyaient que la situation serait automatique derrière, surtout les familles populaires, celles que je connais bien, j'en viens, ils croyaient, je me souviens très bien de mon enfant, ma mère me disait : passe ta licence, tu pourras toujours enseigner, parce que elle vivait avec cette idée, comme tout le monde, que la licence c'était "licencia", comme on disait en latin "docendi" , la licence ça veut dire le droit d'enseigner et c'était entré dans la conscience française et tout d'un coup, on a découvert que le diplôme, plus largement distribué, ne garantissait plus la situation, mais personne n'a jamais expliqué au pays quelles étaient les conséquences de ce choix. Et, donc le modèle social français est profondément en crise et je crois qu'on n'a pas pris la mesure de cette crise. Et en effet, en économie, nous avons un problème considérable c'est qu'on a une économie qui est je crois bâtie autour des très grandes entreprises du Cac 40, mais que les petites et moyennes entreprises et même les toutes petites entreprises sont dans un monde qui n'est pas fait pour elles. Dans un monde tellement compliqué...
R.E. : Alors je vous interromps parce que justement sur le plan économique, qu'est-ce qu'il peut se passer si le "non" l'emporte, certains ont dit il y aura une grave crise ou il y aura des conséquences économiques graves. On parlait du malaise économique aujourd'hui, est-ce qu'il peut s'aggraver, qu'est-ce qui se passera demain, et on va essayer d'envisager ensemble dans les 10 minutes qui nous restent, les conséquences d'un "non" éventuel ou les conséquences d'un "oui" éventuel.
F. B. : Je vais vous faire une confidence, Ruth Elkrief, je viens d'écrire un livre sur le référendum qui s'appelle "Oui, plaidoyer pour la constitution européenne", c'est pas pour faire de la publicité, c'est juste une information, et j'avais écrit un chapitre sur la crise économique qui menacerait si le "non" l'emportait. Et je l'ai rayé sur épreuve, je l'ai rayé parce que j'ai eu le sentiment qu'agiter ce risque c'était jouer de la menace de l'intimidation, genre vous allez ramasser des coups de bâton si, alors tout, j'ai déjà indiqué beaucoup de conséquences négatives du "non", et je n'ai pas voulu laisser ce chapitre je l'ai rayé sur épreuve, au moment d'imprimer le livre. Et finalement, je ne regrette pas. Bon, je suis extrêmement partagé sur cette affaire. Pourquoi ? Parce qu'il y a des milieux financiers qui sont ravis qu'il n'y ait pas de constitution européenne et vous avez vu que la bourse n'a pas fléchi du tout au moment de l'annonce du "non" français, du "non" dominant dans les sondages, pour une raison que vous sentez bien, c'est qu'il y a des forces puissantes qui rêvent qu'il n'y ait pas de structure économique en Europe, parce que les structures économiques il faut naturellement dialoguer avec elles et ouvrir un rapport de force et vous savez bien que les journaux qu'on appelle ultra libéraux financiers anglo-saxons sont naturellement extrêmement négatifs à l'égard de la constitution. Au fond ça se résume assez bien avec la phrase de M. Monks, le secrétaire général de l'union de tous les syndicats européens. Hier, Edmond Maire était à notre rencontre et il a rappelé que les syndicats européens avaient décidé de soutenir la constitution par 118 voix contre 2, c'est dire qu'il y a tout de même en Europe le sentiment parmi tous les milieux sociaux que ce texte est une chance. M. Monks a dit ceci, il a dit le capitalisme international n'a pas besoin de constitution européenne, la jungle lui va très bien.
P.L.S : Alors à l'inverse, je voudrais savoir de votre point de vue si le "oui", comme vous le souhaitez, l'emporte, qu'est-ce qui sera amélioré ou qu'est-ce qui changera dans notre situation économique, on prend l'exemple de la France, par exemple aujourd'hui avec une croissance qui est molle, c'est encore ce que disait l'Insee la semaine dernière. Est-ce que le fait même de dire "oui" à la constitution n'a aucun effet sur l'économie européenne et sur l'économie française en particulier ou, au contraire, est-ce que vous y voyez des avantages et lesquels ?
F. B. : Il n'y a pas de baguette magique, mais il y a un effet et l'effet c'est de créer la gouvernance économique européenne, de permettre la gouvernance économique européenne.
P.L.S : Rien ne change dans la constitution sur la gouvernance économique par rapport à Nice.
F. B. : Si tout change, pardonnez-moi Pierre Luc Séguillon, tout change, parce que dans la gouvernance économique jusqu'à maintenant dans la zone euro, ceux qui ne sont pas dans la zone euro ont un droit égal à la parole, avec ceux qui y sont. La Grande Bretagne, qui n'est pas dans la zone euro, a exactement le même mot à dire que nous, qui appartenons à la zone euro.
Et ce que crée d'extrêmement nouveau, voyez qu'on n'étudie pas assez bien le texte qui est bon, ce que crée la constitution européenne c'est que désormais il est dit dans la constitution, excusez-nous l'euro appartient à ceux qui en sont membres et les décisions sur l'euro et la création d'un responsable de la zone euro, la décision sur l'euro elle appartient aux membres de l'euro et pas aux autres.
Mais c'est un changement profond, fondamental qui va donner, enfin j'espère, en tout cas qui crée les conditions d'un dynamisme économique, d'une responsabilité économique de la zone euro majeure.
R.E. : Et si, je veux revenir à l'hypothèse d'un "non" qui l'emporterait sur le plan institutionnel, Jean-Claude Junker qui est le président de l'Europe en ce moment au titre du Luxembourg, il le regretterait évidemment, mais il juge imaginable un traité appliqué sans la France.
F. B. : Pour ma part, je ne le crois pas et je ne veux pas le croire. Qu'est-ce que l'Europe sans la France, y compris géographiquement, vous voyez l'absurdité, non on ne renégocie pas, on en reste à la situation actuelle. Il y a un plan B et c'est de renoncer à la constitution et de garder le traité de Nice.
Ça c'est le plan de rechange. Mais l'idée qu'on pourrait renégocier est une idée, allez on va employer les mots les plus gentils possibles, sans aucun fondement et il suffit pour le comprendre de poser la question à l'envers. Est-ce que la France décide de renégocier si elle vote "oui" ? Si la France vote "oui", après le formidable débat que nous avons eu et si un autre pays dit "non", est-ce que la France dit : on renonce à notre débat, on renonce à notre référendum, on renonce à l'approbation de la constitution, on renonce à la CIG, on renonce à la convention et on recommence tout.
Évidemment le gouvernement français n'aura pas de mandat pour le faire. Or, il y a déjà 10 pays qui ont voté "oui" avec l'Allemagne qui va le faire mercredi et il y en a 10 autres qui s'apprêtent à le faire, ce qui veut dire qu'il n'y a aucun fondement possible à l'idée d'une constitution de rechange. Il y a une réalité et elle est simple, il faut l'appeler par son nom.
Si la France vote "non", en effet, la conséquence la plus probable c'est l'abandon de l'idée de constitution européenne, c'est à dire qu'on en reste à la situation si critiquée aujourd'hui d'une Europe plus obscure, plus opaque, moins transparente et à laquelle les citoyens ne comprennent rien puisque ce qu'ouvre la constitution, c'est un nouvel acte, c'est l'Europe transparente avec des responsables identifiés élus par les citoyens et auxquels ils comprennent quelque chose.
G.C. :Vous le disiez vous-même on n'imagine mal l'Europe continuer sans la France, ou avec un "non" français, donc au fond les partisans du "non" vous disent les autres européens seront bien obligés de chercher une solution pour sortir de l'impasse. Alors il ne s'agit pas d'une autre constitution, il s'agit de trouver des négociations, des aménagements, des arrangements...
F. B. : Comment ne voyez-vous pas qu'il y a des forces considérables qui considèrent qu'en rester au traité de Nice c'est parfait, ça va très bien.
G.C. :Il est si mauvais alors ?
F. B. : Il est tellement mauvais que l'UDF a refusé de le ratifier, seule force politique française. Et aujourd'hui quand tout le monde dit il est mauvais le traité de Nice, nous l'avions dit le premier jour, comme souvent. Je reviens à la question, vous ne voyez pas qu'il y a des forces considérables qui applaudissent naturellement en silence, pour ne pas effrayer, mais qui applaudissent à l'idée que nous en restions là, que nous gardions le traité de Nice qui, au fond, dit chacun pour soi, chacun joue sa carte. Les uns jouent dans un sens, les autres jouent dans l'autre et ainsi on peut trier dans la fiscalité, le social, les avantages, la jungle joue, la loi de la jungle joue c'est la loi du plus fort. Il y a des gens qui rêvent de cette Europe, contre ceux-là, contre ces forces, nous avons réussi, nous Français, à bâtir un mouvement politique qui aboutit à la constitution, qui aboutit à l'union politique et la démocratisation et c'est nous qui nous apprêterions à lui porter un coup. C'est cela que je ne veux pas croire.
R.E : Il nous reste 4 minutes et je voudrais que l'on parle de l'après 29 mai, justement, parce que beaucoup de gens se posent la question, est-ce qu'il y aura un nouveau gouvernement ?
P.L.S : Puisque vous riez, posons brutalement la question. Que le "oui" ou que le "non" l'emporte. Premièrement, est-ce qu'il faut changer de gouvernement et donc une autre équipe ? Et, deuxième question, que le "oui" ou que le "non", mais vous pouvez prendre les deux scénarios, l'emporte, quelle mission voyez-vous à cette nouvelle équipe, si nouvelle équipe il y a ?
F. B. : Franchement, si vous concluez des débats que nous avons, de la crise d'opinion, de l'inquiétude qui se manifeste qu'il faut garder le gouvernement..
P.L.S Ah je n'ai rien conclu...
F. B. : Non, mais vous avez parfaitement le droit de le faire, c'est vous l'analyste, moi je suis un acteur, vous vous êtes un analyste. Si vous avez tiré cette conclusion, c'est que nous ne vivons pas dans le même monde.
R.E. : Donc il faut changer le gouvernement, c'est ce que dit François Bayrou clairement ce soir...
F. B. : Non, je ne dis pas ça, je dis que c'est évident.
P.L.S : Et ensuite, deuxième question, qu'est-ce que doit faire la nouvelle équipe ?
R .E : Troisième question, est-ce que vous accepteriez d'y aller ?
P.L.S : Ben ça dépend de ce qu'elle fait d'ailleurs...
F. B. : Voilà, enfin, enfin j'ai en face de moi un journaliste, j'ai mis longtemps, j'ai mis trois ans à faire... cette idée... La participation à un gouvernement dépend en effet pour moi, d'abord la participation au gouvernement, entre nous, c'est une affaire seconde, l'interrogation des Français n'est pas aujourd'hui de savoir si l'UDF participera au gouvernement. Franchement je pense qu'ils pensent à autre chose et ils ont bien raison et c'est pas mon interrogation non plus comme président de l'UDF, mais il y a à mon sens trois critères très importants pour juger de l'après 29 mai, du 30 mai, si nouvelle équipe il y a, et je crois que c'est dans la logique des choses, si nouvelle équipe il y a, un quelle est la crédibilité du Premier ministre nommé ? Cette question n'est pas pour moi une question évidente, quand je vois les noms cités.
G.C. : Vous n'en voyez pas de crédible autrement dit ?
F. B. : Non, je n'ai pas dit ça, j'ai dit quand je vois la multitude des noms, bon... j'ai le droit d'avoir un sentiment sur ce sujet. Un, la crédibilité du Premier ministre nommé. Deux, le cap fixé et pour moi ce doit être un cap radicalement différent, non pas un peu différent, mais pour la France, pas pour l'UDF, pour la France, un cap radicalement différent de ce qui a été suivi jusqu'à aujourd'hui. Et, troisièmement quel est le soutien de l'opinion, parce que hélas la complexité très grande de la situation dans laquelle nous nous trouvons c'est que il n'y aura pas en tout état de cause de mandat clair de l'opinion. Il y a un grand tumulte, il y a un grand trouble dans les esprits...
R.E. : Donc il faut quelqu'un de très populaire comme Premier ministre c'est ça ?
F. B.: Non, je n'ai jamais dit ça, ce n'est pas la popularité, on s'en fiche de la popularité, la politique Ruth Elkrief ce n'est pas du people, je sais bien que beaucoup de gens travaillent à en faire du people ou croient que c'est ça la réponse à la question. La politique c'est des caps clairs et j'en ai cité un certain nombre.
P.L.S : Mais vous n'avez pas répondu à la question de Ruth, un cap totalement différent, mais lequel ?
F. B. : Ben je vais vous le dire. 1/ Des institutions complètement transformées et avec, en particulier, un changement de la représentation du pays et des droits nouveaux au Parlement. 2/ Une politique économique différente qui prenne en compte les petites et moyennes entreprises qui pour l'instant ne sont pas prises en compte, n'ont pas de voix dans notre pays. On n'entend que les plus grandes entreprises et toute la législation est faite pour elles. 3/ une politique sociale enfin identifiable, en effet dirigée vers l'emploi mais avec des mesures compréhensibles par tous, par tous les pékins moyens que nous sommes et qui pour l'instant ne comprend absolument rien à ce qui est décidé par les différents gouvernement.
G.C. : Voyez-vous Jacques Chirac changer de cap comme ça ?
F. B. : Eh bien les jours qui viennent nous le diront.
R.E. : Et alors c'est qui ce portrait robot pour vous, il représente...
F. B. : Eh bien je n'ai pas de monsieur X, c'est le président de la République qui a...
Ou madame, vous êtes d'accord monsieur ou madame ?
Entre les mains la responsabilité et c'est à lui de s'exprimer sur ce sujet. Un jour s'il demande à m'en parler je lui en parlerai avec plaisir.
R.E. : Voilà une proposition qui sera peut être entendue ou une invitation à discuter avec le président Chirac, lancée par François Bayrou. Merci beaucoup d'avoir été notre dernier invité de la campagne, puisque la semaine prochaine nous aurons donc tous des soirées électorales et nous nous retrouverons le 5 juin.
(Source http://www.udf-europe.net, le 24 mai 2005)