Texte intégral
François Bayrou - Nous vous avons réunis, pour vous expliquer pourquoi le groupe UDF ne voterait pas le budget et pourquoi nous avons décidé, comme environ les deux tiers du groupe, de voter contre le budget.
La situation de la France aujourd'hui est si grave et la responsabilité politique si lourde de conséquences que, selon nous, on ne peut pas se contenter de demi-mesure. Il faut dire clairement les choses comme elles sont. Nous avons pris cette responsabilité en raison d'un certain nombre d'éléments que Charles de Courson va maintenant vous exposer.
Je vous rappelle que j'avais, au début de ce processus qui a été très long, qui a entraîné de la part du groupe UDF presque une dizaine de réunions plénières de réflexion, d'analyse et d'examen du budget, de la situation économique et sociale de la France, indiqué au début de ce processus que nous aurions trois critères :
- le budget est-il fiable, est-il honnête, est-il sincère ?
- le budget est-il juste ?
- le budget sera-t-il efficace pour sortir le pays de sa crise ?
A ces trois critères l'analyse nous a conduits à répondre non. C'est la raison pour laquelle il n'y aura aucun vote pour, à l'intérieur du groupe UDF, aucun. Je rappelle qu'un certain nombre d'entre nous au printemps avaient dit " nous voulons voter la confiance pour laisser une chance au gouvernement ".
Et vous voyez, aujourd'hui, quel va être le vote du groupe, aucun vote pour et la majorité du groupe votant contre le texte. Un certain nombre d'entre nous ayant dit " nous progressons, nous faisons mouvement " et ayant choisi en pleine solidarité avec nous de s'abstenir. Donc une décision très importante et je laisse maintenant à Charles de Courson l'explication qu'il fournira tout à l'heure devant l'Assemblée nationale, les principales raisons pour lesquelles nous avons choisi cette position et refusé de soutenir ce budget.
Charles de Courson - Il y a cinq raisons pour lesquelles le groupe UDF ne votera pas ce budget.
- La première raison est que ce budget n'est pas sincère.
Il n'est pas sincère dans ses prévisions de croissance. Vous savez que le consensus était autour de 1,8 % et que le gouvernement a retenu 2,25 %.
Il ne l'est pas plus quant à la croissance des dépenses publiques. J'ai démontré lors de la discussion générale qu'alors que le gouvernement essaie d'affirmer que le budget général a une croissance de ses dépenses de 1,8 %, c'est-à-dire le maintien en volume comme dit le ministre, la réalité est autour de 4,3 %. Je n'irai pas jusqu'à ce que dit le rapporteur général du budget qui dit, lui, 4,9 % puisqu'il intègre la totalité des produits des recettes de privatisation, c'est-à-dire 14 milliards, ce qui n'est pas notre cas.
Également, quant à l'aggravation de la pression fiscale et sociale : vous savez que le taux de prélèvements obligatoires a continuellement augmenté depuis 2002, qu'il augmentera encore l'année prochaine, d'ailleurs il augmentera probablement plus fort que ce qui est affiché du fait d'une moindre croissance que celle anticipée par le gouvernement.
Au total, sur ce premier point, le gouvernement ne veut pas dire la vérité aux Français sur l'extrême gravité de la situation des finances publiques de notre pays. Or dire la vérité, c'est le préalable à tout redressement de l'état des finances publiques de notre pays.
- Le deuxième élément qui nous a entraînés à ne pas voter ce budget, c'est qu'il est porteur de menaces pour l'avenir.
C'est la première fois qu'on voit un budget voté avec des éléments concernant le budget de l'année suivante à hauteur de 6,2 milliards de réduction d'impôts. Or, tous les ministres vous le diront, les marges - à supposer qu'on ait des marges - sont au maximum de 4 à 5 milliards. Donc en 2007, on affiche d'ores et déjà 6,2 milliards de réduction d'impôts dont on n'a pas le premier sou. Donc ce sont là encore des promesses non financées et qui finiront dans l'exécution 2007 par une nouvelle dérive des finances publiques.
D'autre part, le budget 2006 est construit grâce aux 12 milliards de recettes de privatisation des trois sociétés d'autoroutes ; en faisant cela, l'Etat renonce à des dividendes croissants pendant un quart de siècle et utilise le tiers de cette somme pour financer des dépenses reconductibles.
Enfin, ce projet de budget entérine une quasi-stabilité des déficits publics et une hausse constante de la dette publique qui atteindra, d'après les prévisions du gouvernement, 1162 milliards d'euros à fin 2006 et à fin 2007 on passera allègrement les 1200 milliards d'euros.
- La troisième raison de notre refus de voter ce budget, c'est qu'il comporte des dispositions fiscales injustes.
Pour faire simple : au lieu de soulager la pression fiscale sur les classes moyennes qui supportent de lourds et croissants impôts et charges sociales - sans d'ailleurs bénéficier pour beaucoup d'entre eux de leurs symétriques, c'est-à-dire un certain nombre de prestations -, le gouvernement concentre les cadeaux fiscaux sur les plus gros contribuables. C'est le cas du bouclier fiscal puisqu'il bénéficiera, dit-on à environ 90 000 personnes pour un coût de 400 millions.
On oublie de vous dire que dans ces contribuables, il n'y a que 14 000 imposables à l'ISF qui bénéficieront de l'ordre de grandeur d'à peu près 250 millions d'euros. QU'on ne dise pas que c'est une mesure pour les classes moyennes, c'est une mesure pour une infime minorité de contribuables.
L'exonération totale - qui a été annoncée alors qu'on était en plein débat sur la première partie au Sénat - sans aucun plafond de toutes les plus values réalisées sur des valeurs mobilières détenues depuis plus de huit ans alors qu'elles sont actuellement imposées à 27 %, là encore profitera surtout à des fortunes importantes.
Enfin, l'intégration des 20 % d'abattement dans la baisse du barème de l'impôt sur le revenu profitera beaucoup plus aux contribuables dont le revenu dépasse les 120 000 euros, puisque comme vous le savez il n'y avait pas d'abattement de 20 % au-delà de 120 000 euro, et non pas aux couches moyennes de la population.
- La quatrième raison de notre refus de voter ce budget c'est qu'il n'est pas économiquement efficace.
Le grand problème de la France, c'est que son taux de croissance tend à baisser décennie après décennie. On est actuellement à peine à 1,5% en moyenne période. Or, en ne réduisant pas significativement les déficits publics et en ne maîtrisant pas les dépenses publiques, ce budget pèsera sur la croissance économique qui est déjà insuffisante. Pour vous donner un chiffre précis, en 2006 - d'après les estimations gouvernementales - la moitié de la croissance de la richesse nationale sera ponctionnée par des prélèvements obligatoires, impôts et cotisations sociales.
Enfin, on peut dire que c'est vrai que la gauche porte sa large part dans la très profonde dégradation des finances publiques, mais les erreurs des uns n'exonèrent pas les erreurs des autres.
- Enfin, la cinquième raison pour laquelle nous ne voterons pas ce budget, c'est qu'il porte une nouvelle atteinte à l'autonomie fiscale des collectivités territoriales et à la nécessaire responsabilisation des élus locaux devant leurs électeurs.
En effet, la réforme de la taxe professionnelle va avoir comme conséquence de geler en moyenne plus de la moitié de l'assiette de taxe professionnelle entraînant un déport considérable de la pression fiscale vers des ménages, puisque pour avoir le même produit fiscal, il faudra aggraver la pression sur la taxe d'habitation et le foncier bâti. C'est le même diagnostic sur la réduction de 20 % du foncier non bâti puisque vous savez que ce 20 % va être gelé.
Enfin, l'ensemble de ces dispositions va aboutir à un résultat paradoxal, c'est que les collectivités locales bien gérées, avec une fiscalité faible, vont être sanctionnées comme certaines collectivités locales qui ont eu une gestion plus laxiste.
Donc, c'est pour ces cinq raisons que le groupe UDF a décidé de ne pas voter ce budget.
Question - Que répondez-vous à Bernard Accoyer qui dit que " quand on ne vote pas le budget, on est dans l'opposition " ?
Charles de Courson - Je vais me permettre de répondre à M. Accoyer quelque chose de simple : quels sont les engagements que nous avons pris devant nos électeurs ? Réduction des déficits publics, modération de la dépense publique, et de ne baisser les impôts que dans la mesure où on faisait des économies en face car sinon on aggravait des déficits publics. Donc l'UDF est fidèle aux engagements qui ont été pris devant le corps électoral. La fidélité, c'est nous qui l'avons.
François Bayrou - J'ajoute un mot en complément de ce que Charles de Courson vient de dire.
Nous ne nous reconnaissons pas dans la démarche du gouvernement et du parti majoritaire qui a, je le répète, la majorité de l'Assemblée nationale, du Sénat et tous les postes de responsabilité à lui tout seul. Le choix que nous avons fait, la décision que nous avons prise de voter contre, est une prise d'indépendance clairement affirmée de l'UDF. Parce que, face à la dérive que nous constatons de la politique du gouvernement et du parti majoritaire, il ne peut pas y avoir que le Parti socialiste, qui est directement co-responsable d'une grande partie de la situation que nous vivons aujourd'hui. Il s'agit donc d'offrir au pays une alternative. Pour que cette alternative soit crédible, il faut qu'elle soit capable d'aller au bout de la logique et de la cohérence qui est la sienne. C'est ce que nous avons fait.
Question - Est-ce que cette prise d'indépendance pourrait aller jusqu'à sortir de la majorité ?
François Bayrou - Vous vous rendez bien compte que quand on vote contre le budget, on est en effet dans une situation de prise de distance extrêmement forte. Cela dit, notre attitude a toujours été la même : si un jour on nous présente quelque chose de bien, nous le voterons. Mais pour l'instant, les choix politiques qui sont faits ne vont pas dans le sens de l'avenir urgent du pays. C'est une situation d'urgence devant laquelle nous nous trouvons et c'est la situation d'urgence devant laquelle nous nous trouvons qui justifie le geste -qui sort des habitudes en effet- que nous venons de faire.
Hervé Morin - C'est une question que pour ma part je me suis posée, que Charles de Courson a dû se poser et que nous nous sommes tous posée. Et ce que disait Charles m'a vraiment convaincu. Comme vous le savez, j'ai plutôt fait partie de celles et ceux qui plaidaient pour qu'on vote la confiance au gouvernement et qu'on examine éventuellement notre entrée au gouvernement pour changer de politique, parce que je pensais que quand on était au fond de la piscine, il y avait là une occasion de mettre un grand coup de pied pour changer le système et essayer de le changer. On a eu des discussions. Avant de franchir ce pas qui est de voter contre, je me suis interrogé. Je me suis dit, comme Charles : " qu'est-ce que j'ai défendu en 2002, devant mes électeurs ? ". Je leur ai dit " il faut baisser le niveau de la dépense publique ", on l'augmente, 5 % cette année. Je leur ai dit " le niveau des prélèvements obligatoires est trop élevé ", jamais les prélèvements obligatoires en France n'ont été aussi élevés que sous Jacques Chirac en 2006. Ils sont plus élevés qu'en 2002. J'ai défendu l'idée qu'une société était égoïste quand elle continuait à creuser le déficit et l'endettement, et que cela n'était pas responsable. On va bientôt être à 100 % de l'impôt sur le revenu pour le remboursement de la dette. On peut continuer, j'ai défendu également l'idée que les 35 heures étaient une erreur historique pour le pays. Nous avons défendu avec Nicolas Perruchot des amendements pour revoir en profondeur le système des 35 heures. Donc, j'ai le sentiment d'être en conscience avec moi-même.
La deuxième chose que je me suis dite : mes enfants - qui sont petits, qui ont 10 ans - savent que je fais de la politique, et je n'avais pas envie que dans dix ou quinze ans, ils me disent " mais qu'est-ce que tu as fait pour dénoncer l'état dans lequel se trouve la France aujourd'hui ? " - même si le poids de nos responsabilités est en effet très faible - " tu as eu l'occasion de le dire et tu ne l'as pas fait et tu es resté planqué, etc. ". J'ai envie d'avoir ma conscience pour moi et cette conscience c'est celle de dire non à un budget dont M. Camdessus - dont on ne peut pas dire qu'il soit un infâme gauchiste - expliquait hier dans le Figaro que tout cela n'allait pas.
J'ai simplement envie de dire que je suis en conscience avec mes électeurs et en conscience avec moi-même et avec l'idée que je me fais du pays. D'ailleurs, c'est cela qui est extraordinaire, les députés du groupe - alors on va se dire que c'est encore Bayrou qui a mis la clé et qui a cadenassé tout cela - depuis le début, un certain nombre, avant même qu'on commence à l'examiner, disaient qu'ils ne voteraient pas ce budget. Et si d'eux-mêmes ils sont allés vers une grande majorité de votes contre, ils se sont dit que c'était l'analyse objective des choses, telle que l'a présentée Charles de Courson, telle qu'on a pu le voir et cela nous amène naturellement à tenir cette position. Après on en tire les conséquences qu'on veut, mais le reste n'a pas d'importance.
Question - Que répondez-vous à Gilles de Robien qui déclare que François Bayrou " nuit au gouvernement et nuit à la France " ? Pensez-vous que dans l'état actuel des choses, il peut rester à l'UDF ?
François Bayrou - Ce genre de phrases ne sert qu'à une chose : créer une polémique de manière qu'on perde de vue le fond du sujet. On ne me trouvera pas là.
Question - Est-ce que pour être en accord avec votre conscience, comme vous le disiez tout à l'heure, vous pourriez lui demander d'en tirer les conséquences
François Bayrou - Le but de ce genre d'interventions est qu'on ne parle pas du fond et de la prise de position qui est celle de l'UDF. Donc, il est très facile d'éluder ce genre d'interventions.
Question - Que répondrez-vous, François Bayrou à l'inévitable " Bayrou met en place et détourne tout pour sa stratégie présidentielle de 2007 "?
François Bayrou - Pour les gens qui m'entourent, je puis vous assurer que leur choix et leur décision sont des décisions de fond. Si vous allez aujourd'hui discuter avec la majorité des Français, il n'y en a n'a pas un qui vous interrogera sur l'élection présidentielle mais tous vous interrogeront sur la situation du pays où ils ne voient que menaces et aucune voie crédible pour en sortir. Parce que les Français ont le sentiment que le monde politique est pris dans un tel faisceau de connivences, que certains peuvent sans doute critiquer, mais que cela ne change rien à leurs attitudes. On sait qu'il y a beaucoup de députés socialistes qui sont en désaccord avec la situation du Parti socialiste aujourd'hui, pour autant ils n'en diront rien et ils ne voteront jamais différemment. Et beaucoup d'élus de l'UMP qui sont en profond et violent désaccord avec ce qui se passe, qui le disent dans les couloirs à voix basse mais qui n'en tirent aucune conclusion pour leurs votes. Nous, nous avons choisi de montrer qu'il y avait une voie d'autonomie, d'indépendance, qu'on pouvait faire de la politique sans être pris dans les connivences habituelles et ce vote a aussi ce sens-là.
Charles de Courson - Je vais vous raconter une anecdote. C'était il y a une semaine. Pendant une demi-heure, j'ai décortiqué au nom du groupe le projet de budget et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Et à la fin, dans les couloirs, j'ai discuté avec des collègues UMP. Un ancien ministre UMP est venu me voir en me disant " Charles, ce que tu as dit, personne ne peut y répliquer parce que c'est vrai ". Je ne vous donnerai pas le nom de cet ancien ministre. Le problème est : est-ce qu'on fait de la politique pour le bien du pays et pour sortir le pays des très graves difficultés dans lesquelles il est, ou bien est-ce qu'on fait matin, midi et soir de la politique à coup de petites phrases de Pierre contre Paul, contre Jacques, etc. Et bien non, à l'UDF, nous avons privilégié le fond et quand on voit la situation des finances publiques, on ne peut pas être complice de la poursuite d'une telle politique. Et je dirai à la gauche tout à l'heure, qu'elle soit modérée dans ses critiques, car elle porte elle aussi une part de responsabilité très large.
Question - Pourquoi avoir été complice en 2004 en votant le budget et pourquoi ne pas le voter cette année ?
Charles de Courson - Souvenez-vous de notre position en 2003. Nous n'avons pas voté le budget en 2003 - le budget pour 2004 -, nous nous sommes abstenus sur l'ensemble de la loi de finances. Pour ce qui concerne le budget 2005, nous avons eu une discussion entre nous d'abord et après avec le ministre de l'époque où nous avons posé un certain nombre de conditions qu'il a acceptées. Il y en avait quatre, il en a accepté pour 3,5 si je puis dire. La situation ne fait que continuer de se dégrader. Nicolas Sarkozy n'est plus ministre des Finances d'ailleurs. Il y a un moment dans la vie où il faut savoir dire non. Et je vais vous dire que nombreux sont qui nous en remercierons plus tard, y compris ceux qui nous critiquent aujourd'hui sachant pertinemment que nous avons raison sur le fond mais qu'il ne faut pas le dire. On ne peut pas continuer à mentir au peuple français.
Question - Sur les menaces que Gilles de Robien a faites à l'encontre des députés qui voteraient contre le budget et qui risquaient donc d'être battus aux prochaines législatives.
François Bayrou - J'ai lu beaucoup de déclarations, de menaces. Il y en aura tant et plus et je puis vous dire une chose, c'est qu'en face de ce genre de menaces, nous sommes totalement insensibles parce qu'il se trouve que ceux qui votent, ce ne sont pas les responsables de l'UMP, ce sont les Français. Aujourd'hui, il se trouve que les Français n'ont pas du tout le même sentiment que les responsables du parti majoritaire. Les responsables de l'UMP trouvent que cela va bien, les Français trouvent que cela va mal. Les responsables de l'UMP trouvent que la politique du gouvernement va dans le bon sens, les Français trouvent que cela va hélas ! dans un sens inquiétant.
Nous sommes du même avis et pas seulement par intuition mais parce que nous regardons les chiffres qui représentent la situation que nous sommes en train de vivre. Tout cela nous amène droit dans le mur. Alors quand on va droit dans le mur, il y a ceux qui continuent à siffloter, à ignorer la catastrophe qui est en train de se produire et ceux qui ont décidé d'en saisir le pays. C'est le choix que nous avons fait.
Alors il y a eu sans doute, dans les années passées, des attitudes ou des gens qui voulaient privilégier l'appartenance à la majorité, à un camp. Aujourd'hui cela n'est plus de saison. De deux choses l'une, ou bien ce que nous disions était crédible et il fallait aller jusqu'au bout, ou bien ce que nous disions n'était que verbal et il fallait avoir une attitude mitigée. Nous avons décidé de ne plus choisir ces attitudes mitigées et au contraire d'aller droit, d'aller au bout de la logique qui nous paraît aujourd'hui s'imposer dans le pays. C'est un choix très simple, conscient, dont nous connaissons le poids, dont nous savons la signification mais dont nous pensons aussi qu'il était le gage de la crédibilité d'une proposition politique différente et alternative.
Question - Quitte à en payer peut-être le prix
Charles de Courson - Ce n'est pas un prix. Ce sont les Français qui décident. La seule question qui importe est " est-ce que ce que nous disons est vrai ou est faux ? "
Question - C'était vrai l'an dernier, c'est peut-être pour cela que vous avez voté le budget
Charles de Courson - Ce n'était pas à ce point-là. L'année dernière on n'en était pas à dissimuler une hausse de 4,3 % au lieu de 1,8 %. On n'en était pas à 5 milliards de recettes exceptionnelles non fiscales pour boucler le budget. On n'en était pas à vendre 14 milliards pour essayer de boucher les trous, y compris sur la malheureuse RFF où j'ai qualifié l'Etat " d'Etat vampire " puisque c'est une vampirisation d'une entreprise qui est couverte de dettes et qui fait des déficits de l'ordre de 1,7 - 1,8 - 1,9 milliards chaque année. Vous rendez-vous compte où nous en sommes ? On avait même voté contre en Commission des finances et hier soir le gouvernement a repris en main l'UMP pour leur faire voter pour. On en est là ! Que va-t-il se passer ? Dès la fin du premier trimestre 2006, tous les indicateurs vont s'allumer et la Commission (européenne) engagera la procédure de déficit excessif. Voilà ce qui va arriver à la France ! Et nous aurions été complices d'une telle situation ? Où sont les intérêts du pays ? Est-ce que ce que dit l'UDF est la vérité ?
Question - Mais certains députés voteront le budget
François Bayrou - Pas du tout. Aucun ne votera le budget.
C'est une question grave alors arrêtons-nous une minute. L'UDF est un courant politique qui depuis des décennies était dans une alliance UDF-RPR (dit UDF trait d'union RPR). Cela avait fini par lui enlever son identité parce que quand il y une alliance UDF-RPR, le pays entend " UDF égal RPR " et de la part des élus, c'était en effet une contrainte, un réseau d'amitié, de convictions. Il a fallu que la situation soit singulièrement dégradée pour que l'unanimité de ces élus décide que cette fois-ci, non, ils ne voteraient pas le budget.
Alors certains disent encore " nous faisons un pas. La majorité du groupe vote contre, nous, nous manifestons notre majorité en nous abstenant ". Beaucoup nous ont dit qu'il n'était pas impossible qu'en deuxième partie de la loi de finances qu'ils aillent plus loin. Je ne sais pas ce qu'il en sera. En tout cas, je salue cette prise d'indépendance. Tous les observateurs disaient " ce n'est pas vrai, vous allez avoir des votes pour et des votes contre ". J'ai même lu cela dans une dépêche ce matin. Cela n'aura pas été le cas. Nous avons eu un débat de plusieurs heures où chacun s'est prononcé individuellement et tous les députés ensemble ont décidé qu'il n'y aurait aucun vote pour. C'est en effet un choix politique majeur, c'est le choix d'une UDF indépendante et qui ne soit plus désormais enfermée dans cette contrainte de voir les décisions se prendre ailleurs et d'être obligée de les approuver.
Hervé Morin - Sur le budget, je serais salarié d'EDF, opposé à l'ouverture du capital d'EDF, j'aurais le meilleur argument en lisant le budget du gouvernement. J'entendais un ministre, ce matin, dire " je suis pour l'ouverture du capital d'EDF parce que EDF a besoin d'argent pour ses investissements futurs " et quand je lis le budget pour 2006, on a un prélèvement de 690 millions d'euros supplémentaires de l'Etat sur EDF. C'est-à-dire que le gouvernement dit qu'EDF a besoin entre 7 et 10 milliards d'euros dans les cinq ou dix ans qui viennent pour faire ces investissements et je commence à piquer, dans le budget 2006, 690 millions de dividendes supplémentaires. On n'est plus dans la même nature et tout est en contradiction. C'est une espèce de démarche schizophrène quand on dit l'un et que dans le budget on fait l'inverse.
(Source http://www.udf.org, le 26 octobre 2005)
La situation de la France aujourd'hui est si grave et la responsabilité politique si lourde de conséquences que, selon nous, on ne peut pas se contenter de demi-mesure. Il faut dire clairement les choses comme elles sont. Nous avons pris cette responsabilité en raison d'un certain nombre d'éléments que Charles de Courson va maintenant vous exposer.
Je vous rappelle que j'avais, au début de ce processus qui a été très long, qui a entraîné de la part du groupe UDF presque une dizaine de réunions plénières de réflexion, d'analyse et d'examen du budget, de la situation économique et sociale de la France, indiqué au début de ce processus que nous aurions trois critères :
- le budget est-il fiable, est-il honnête, est-il sincère ?
- le budget est-il juste ?
- le budget sera-t-il efficace pour sortir le pays de sa crise ?
A ces trois critères l'analyse nous a conduits à répondre non. C'est la raison pour laquelle il n'y aura aucun vote pour, à l'intérieur du groupe UDF, aucun. Je rappelle qu'un certain nombre d'entre nous au printemps avaient dit " nous voulons voter la confiance pour laisser une chance au gouvernement ".
Et vous voyez, aujourd'hui, quel va être le vote du groupe, aucun vote pour et la majorité du groupe votant contre le texte. Un certain nombre d'entre nous ayant dit " nous progressons, nous faisons mouvement " et ayant choisi en pleine solidarité avec nous de s'abstenir. Donc une décision très importante et je laisse maintenant à Charles de Courson l'explication qu'il fournira tout à l'heure devant l'Assemblée nationale, les principales raisons pour lesquelles nous avons choisi cette position et refusé de soutenir ce budget.
Charles de Courson - Il y a cinq raisons pour lesquelles le groupe UDF ne votera pas ce budget.
- La première raison est que ce budget n'est pas sincère.
Il n'est pas sincère dans ses prévisions de croissance. Vous savez que le consensus était autour de 1,8 % et que le gouvernement a retenu 2,25 %.
Il ne l'est pas plus quant à la croissance des dépenses publiques. J'ai démontré lors de la discussion générale qu'alors que le gouvernement essaie d'affirmer que le budget général a une croissance de ses dépenses de 1,8 %, c'est-à-dire le maintien en volume comme dit le ministre, la réalité est autour de 4,3 %. Je n'irai pas jusqu'à ce que dit le rapporteur général du budget qui dit, lui, 4,9 % puisqu'il intègre la totalité des produits des recettes de privatisation, c'est-à-dire 14 milliards, ce qui n'est pas notre cas.
Également, quant à l'aggravation de la pression fiscale et sociale : vous savez que le taux de prélèvements obligatoires a continuellement augmenté depuis 2002, qu'il augmentera encore l'année prochaine, d'ailleurs il augmentera probablement plus fort que ce qui est affiché du fait d'une moindre croissance que celle anticipée par le gouvernement.
Au total, sur ce premier point, le gouvernement ne veut pas dire la vérité aux Français sur l'extrême gravité de la situation des finances publiques de notre pays. Or dire la vérité, c'est le préalable à tout redressement de l'état des finances publiques de notre pays.
- Le deuxième élément qui nous a entraînés à ne pas voter ce budget, c'est qu'il est porteur de menaces pour l'avenir.
C'est la première fois qu'on voit un budget voté avec des éléments concernant le budget de l'année suivante à hauteur de 6,2 milliards de réduction d'impôts. Or, tous les ministres vous le diront, les marges - à supposer qu'on ait des marges - sont au maximum de 4 à 5 milliards. Donc en 2007, on affiche d'ores et déjà 6,2 milliards de réduction d'impôts dont on n'a pas le premier sou. Donc ce sont là encore des promesses non financées et qui finiront dans l'exécution 2007 par une nouvelle dérive des finances publiques.
D'autre part, le budget 2006 est construit grâce aux 12 milliards de recettes de privatisation des trois sociétés d'autoroutes ; en faisant cela, l'Etat renonce à des dividendes croissants pendant un quart de siècle et utilise le tiers de cette somme pour financer des dépenses reconductibles.
Enfin, ce projet de budget entérine une quasi-stabilité des déficits publics et une hausse constante de la dette publique qui atteindra, d'après les prévisions du gouvernement, 1162 milliards d'euros à fin 2006 et à fin 2007 on passera allègrement les 1200 milliards d'euros.
- La troisième raison de notre refus de voter ce budget, c'est qu'il comporte des dispositions fiscales injustes.
Pour faire simple : au lieu de soulager la pression fiscale sur les classes moyennes qui supportent de lourds et croissants impôts et charges sociales - sans d'ailleurs bénéficier pour beaucoup d'entre eux de leurs symétriques, c'est-à-dire un certain nombre de prestations -, le gouvernement concentre les cadeaux fiscaux sur les plus gros contribuables. C'est le cas du bouclier fiscal puisqu'il bénéficiera, dit-on à environ 90 000 personnes pour un coût de 400 millions.
On oublie de vous dire que dans ces contribuables, il n'y a que 14 000 imposables à l'ISF qui bénéficieront de l'ordre de grandeur d'à peu près 250 millions d'euros. QU'on ne dise pas que c'est une mesure pour les classes moyennes, c'est une mesure pour une infime minorité de contribuables.
L'exonération totale - qui a été annoncée alors qu'on était en plein débat sur la première partie au Sénat - sans aucun plafond de toutes les plus values réalisées sur des valeurs mobilières détenues depuis plus de huit ans alors qu'elles sont actuellement imposées à 27 %, là encore profitera surtout à des fortunes importantes.
Enfin, l'intégration des 20 % d'abattement dans la baisse du barème de l'impôt sur le revenu profitera beaucoup plus aux contribuables dont le revenu dépasse les 120 000 euros, puisque comme vous le savez il n'y avait pas d'abattement de 20 % au-delà de 120 000 euro, et non pas aux couches moyennes de la population.
- La quatrième raison de notre refus de voter ce budget c'est qu'il n'est pas économiquement efficace.
Le grand problème de la France, c'est que son taux de croissance tend à baisser décennie après décennie. On est actuellement à peine à 1,5% en moyenne période. Or, en ne réduisant pas significativement les déficits publics et en ne maîtrisant pas les dépenses publiques, ce budget pèsera sur la croissance économique qui est déjà insuffisante. Pour vous donner un chiffre précis, en 2006 - d'après les estimations gouvernementales - la moitié de la croissance de la richesse nationale sera ponctionnée par des prélèvements obligatoires, impôts et cotisations sociales.
Enfin, on peut dire que c'est vrai que la gauche porte sa large part dans la très profonde dégradation des finances publiques, mais les erreurs des uns n'exonèrent pas les erreurs des autres.
- Enfin, la cinquième raison pour laquelle nous ne voterons pas ce budget, c'est qu'il porte une nouvelle atteinte à l'autonomie fiscale des collectivités territoriales et à la nécessaire responsabilisation des élus locaux devant leurs électeurs.
En effet, la réforme de la taxe professionnelle va avoir comme conséquence de geler en moyenne plus de la moitié de l'assiette de taxe professionnelle entraînant un déport considérable de la pression fiscale vers des ménages, puisque pour avoir le même produit fiscal, il faudra aggraver la pression sur la taxe d'habitation et le foncier bâti. C'est le même diagnostic sur la réduction de 20 % du foncier non bâti puisque vous savez que ce 20 % va être gelé.
Enfin, l'ensemble de ces dispositions va aboutir à un résultat paradoxal, c'est que les collectivités locales bien gérées, avec une fiscalité faible, vont être sanctionnées comme certaines collectivités locales qui ont eu une gestion plus laxiste.
Donc, c'est pour ces cinq raisons que le groupe UDF a décidé de ne pas voter ce budget.
Question - Que répondez-vous à Bernard Accoyer qui dit que " quand on ne vote pas le budget, on est dans l'opposition " ?
Charles de Courson - Je vais me permettre de répondre à M. Accoyer quelque chose de simple : quels sont les engagements que nous avons pris devant nos électeurs ? Réduction des déficits publics, modération de la dépense publique, et de ne baisser les impôts que dans la mesure où on faisait des économies en face car sinon on aggravait des déficits publics. Donc l'UDF est fidèle aux engagements qui ont été pris devant le corps électoral. La fidélité, c'est nous qui l'avons.
François Bayrou - J'ajoute un mot en complément de ce que Charles de Courson vient de dire.
Nous ne nous reconnaissons pas dans la démarche du gouvernement et du parti majoritaire qui a, je le répète, la majorité de l'Assemblée nationale, du Sénat et tous les postes de responsabilité à lui tout seul. Le choix que nous avons fait, la décision que nous avons prise de voter contre, est une prise d'indépendance clairement affirmée de l'UDF. Parce que, face à la dérive que nous constatons de la politique du gouvernement et du parti majoritaire, il ne peut pas y avoir que le Parti socialiste, qui est directement co-responsable d'une grande partie de la situation que nous vivons aujourd'hui. Il s'agit donc d'offrir au pays une alternative. Pour que cette alternative soit crédible, il faut qu'elle soit capable d'aller au bout de la logique et de la cohérence qui est la sienne. C'est ce que nous avons fait.
Question - Est-ce que cette prise d'indépendance pourrait aller jusqu'à sortir de la majorité ?
François Bayrou - Vous vous rendez bien compte que quand on vote contre le budget, on est en effet dans une situation de prise de distance extrêmement forte. Cela dit, notre attitude a toujours été la même : si un jour on nous présente quelque chose de bien, nous le voterons. Mais pour l'instant, les choix politiques qui sont faits ne vont pas dans le sens de l'avenir urgent du pays. C'est une situation d'urgence devant laquelle nous nous trouvons et c'est la situation d'urgence devant laquelle nous nous trouvons qui justifie le geste -qui sort des habitudes en effet- que nous venons de faire.
Hervé Morin - C'est une question que pour ma part je me suis posée, que Charles de Courson a dû se poser et que nous nous sommes tous posée. Et ce que disait Charles m'a vraiment convaincu. Comme vous le savez, j'ai plutôt fait partie de celles et ceux qui plaidaient pour qu'on vote la confiance au gouvernement et qu'on examine éventuellement notre entrée au gouvernement pour changer de politique, parce que je pensais que quand on était au fond de la piscine, il y avait là une occasion de mettre un grand coup de pied pour changer le système et essayer de le changer. On a eu des discussions. Avant de franchir ce pas qui est de voter contre, je me suis interrogé. Je me suis dit, comme Charles : " qu'est-ce que j'ai défendu en 2002, devant mes électeurs ? ". Je leur ai dit " il faut baisser le niveau de la dépense publique ", on l'augmente, 5 % cette année. Je leur ai dit " le niveau des prélèvements obligatoires est trop élevé ", jamais les prélèvements obligatoires en France n'ont été aussi élevés que sous Jacques Chirac en 2006. Ils sont plus élevés qu'en 2002. J'ai défendu l'idée qu'une société était égoïste quand elle continuait à creuser le déficit et l'endettement, et que cela n'était pas responsable. On va bientôt être à 100 % de l'impôt sur le revenu pour le remboursement de la dette. On peut continuer, j'ai défendu également l'idée que les 35 heures étaient une erreur historique pour le pays. Nous avons défendu avec Nicolas Perruchot des amendements pour revoir en profondeur le système des 35 heures. Donc, j'ai le sentiment d'être en conscience avec moi-même.
La deuxième chose que je me suis dite : mes enfants - qui sont petits, qui ont 10 ans - savent que je fais de la politique, et je n'avais pas envie que dans dix ou quinze ans, ils me disent " mais qu'est-ce que tu as fait pour dénoncer l'état dans lequel se trouve la France aujourd'hui ? " - même si le poids de nos responsabilités est en effet très faible - " tu as eu l'occasion de le dire et tu ne l'as pas fait et tu es resté planqué, etc. ". J'ai envie d'avoir ma conscience pour moi et cette conscience c'est celle de dire non à un budget dont M. Camdessus - dont on ne peut pas dire qu'il soit un infâme gauchiste - expliquait hier dans le Figaro que tout cela n'allait pas.
J'ai simplement envie de dire que je suis en conscience avec mes électeurs et en conscience avec moi-même et avec l'idée que je me fais du pays. D'ailleurs, c'est cela qui est extraordinaire, les députés du groupe - alors on va se dire que c'est encore Bayrou qui a mis la clé et qui a cadenassé tout cela - depuis le début, un certain nombre, avant même qu'on commence à l'examiner, disaient qu'ils ne voteraient pas ce budget. Et si d'eux-mêmes ils sont allés vers une grande majorité de votes contre, ils se sont dit que c'était l'analyse objective des choses, telle que l'a présentée Charles de Courson, telle qu'on a pu le voir et cela nous amène naturellement à tenir cette position. Après on en tire les conséquences qu'on veut, mais le reste n'a pas d'importance.
Question - Que répondez-vous à Gilles de Robien qui déclare que François Bayrou " nuit au gouvernement et nuit à la France " ? Pensez-vous que dans l'état actuel des choses, il peut rester à l'UDF ?
François Bayrou - Ce genre de phrases ne sert qu'à une chose : créer une polémique de manière qu'on perde de vue le fond du sujet. On ne me trouvera pas là.
Question - Est-ce que pour être en accord avec votre conscience, comme vous le disiez tout à l'heure, vous pourriez lui demander d'en tirer les conséquences
François Bayrou - Le but de ce genre d'interventions est qu'on ne parle pas du fond et de la prise de position qui est celle de l'UDF. Donc, il est très facile d'éluder ce genre d'interventions.
Question - Que répondrez-vous, François Bayrou à l'inévitable " Bayrou met en place et détourne tout pour sa stratégie présidentielle de 2007 "?
François Bayrou - Pour les gens qui m'entourent, je puis vous assurer que leur choix et leur décision sont des décisions de fond. Si vous allez aujourd'hui discuter avec la majorité des Français, il n'y en a n'a pas un qui vous interrogera sur l'élection présidentielle mais tous vous interrogeront sur la situation du pays où ils ne voient que menaces et aucune voie crédible pour en sortir. Parce que les Français ont le sentiment que le monde politique est pris dans un tel faisceau de connivences, que certains peuvent sans doute critiquer, mais que cela ne change rien à leurs attitudes. On sait qu'il y a beaucoup de députés socialistes qui sont en désaccord avec la situation du Parti socialiste aujourd'hui, pour autant ils n'en diront rien et ils ne voteront jamais différemment. Et beaucoup d'élus de l'UMP qui sont en profond et violent désaccord avec ce qui se passe, qui le disent dans les couloirs à voix basse mais qui n'en tirent aucune conclusion pour leurs votes. Nous, nous avons choisi de montrer qu'il y avait une voie d'autonomie, d'indépendance, qu'on pouvait faire de la politique sans être pris dans les connivences habituelles et ce vote a aussi ce sens-là.
Charles de Courson - Je vais vous raconter une anecdote. C'était il y a une semaine. Pendant une demi-heure, j'ai décortiqué au nom du groupe le projet de budget et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Et à la fin, dans les couloirs, j'ai discuté avec des collègues UMP. Un ancien ministre UMP est venu me voir en me disant " Charles, ce que tu as dit, personne ne peut y répliquer parce que c'est vrai ". Je ne vous donnerai pas le nom de cet ancien ministre. Le problème est : est-ce qu'on fait de la politique pour le bien du pays et pour sortir le pays des très graves difficultés dans lesquelles il est, ou bien est-ce qu'on fait matin, midi et soir de la politique à coup de petites phrases de Pierre contre Paul, contre Jacques, etc. Et bien non, à l'UDF, nous avons privilégié le fond et quand on voit la situation des finances publiques, on ne peut pas être complice de la poursuite d'une telle politique. Et je dirai à la gauche tout à l'heure, qu'elle soit modérée dans ses critiques, car elle porte elle aussi une part de responsabilité très large.
Question - Pourquoi avoir été complice en 2004 en votant le budget et pourquoi ne pas le voter cette année ?
Charles de Courson - Souvenez-vous de notre position en 2003. Nous n'avons pas voté le budget en 2003 - le budget pour 2004 -, nous nous sommes abstenus sur l'ensemble de la loi de finances. Pour ce qui concerne le budget 2005, nous avons eu une discussion entre nous d'abord et après avec le ministre de l'époque où nous avons posé un certain nombre de conditions qu'il a acceptées. Il y en avait quatre, il en a accepté pour 3,5 si je puis dire. La situation ne fait que continuer de se dégrader. Nicolas Sarkozy n'est plus ministre des Finances d'ailleurs. Il y a un moment dans la vie où il faut savoir dire non. Et je vais vous dire que nombreux sont qui nous en remercierons plus tard, y compris ceux qui nous critiquent aujourd'hui sachant pertinemment que nous avons raison sur le fond mais qu'il ne faut pas le dire. On ne peut pas continuer à mentir au peuple français.
Question - Sur les menaces que Gilles de Robien a faites à l'encontre des députés qui voteraient contre le budget et qui risquaient donc d'être battus aux prochaines législatives.
François Bayrou - J'ai lu beaucoup de déclarations, de menaces. Il y en aura tant et plus et je puis vous dire une chose, c'est qu'en face de ce genre de menaces, nous sommes totalement insensibles parce qu'il se trouve que ceux qui votent, ce ne sont pas les responsables de l'UMP, ce sont les Français. Aujourd'hui, il se trouve que les Français n'ont pas du tout le même sentiment que les responsables du parti majoritaire. Les responsables de l'UMP trouvent que cela va bien, les Français trouvent que cela va mal. Les responsables de l'UMP trouvent que la politique du gouvernement va dans le bon sens, les Français trouvent que cela va hélas ! dans un sens inquiétant.
Nous sommes du même avis et pas seulement par intuition mais parce que nous regardons les chiffres qui représentent la situation que nous sommes en train de vivre. Tout cela nous amène droit dans le mur. Alors quand on va droit dans le mur, il y a ceux qui continuent à siffloter, à ignorer la catastrophe qui est en train de se produire et ceux qui ont décidé d'en saisir le pays. C'est le choix que nous avons fait.
Alors il y a eu sans doute, dans les années passées, des attitudes ou des gens qui voulaient privilégier l'appartenance à la majorité, à un camp. Aujourd'hui cela n'est plus de saison. De deux choses l'une, ou bien ce que nous disions était crédible et il fallait aller jusqu'au bout, ou bien ce que nous disions n'était que verbal et il fallait avoir une attitude mitigée. Nous avons décidé de ne plus choisir ces attitudes mitigées et au contraire d'aller droit, d'aller au bout de la logique qui nous paraît aujourd'hui s'imposer dans le pays. C'est un choix très simple, conscient, dont nous connaissons le poids, dont nous savons la signification mais dont nous pensons aussi qu'il était le gage de la crédibilité d'une proposition politique différente et alternative.
Question - Quitte à en payer peut-être le prix
Charles de Courson - Ce n'est pas un prix. Ce sont les Français qui décident. La seule question qui importe est " est-ce que ce que nous disons est vrai ou est faux ? "
Question - C'était vrai l'an dernier, c'est peut-être pour cela que vous avez voté le budget
Charles de Courson - Ce n'était pas à ce point-là. L'année dernière on n'en était pas à dissimuler une hausse de 4,3 % au lieu de 1,8 %. On n'en était pas à 5 milliards de recettes exceptionnelles non fiscales pour boucler le budget. On n'en était pas à vendre 14 milliards pour essayer de boucher les trous, y compris sur la malheureuse RFF où j'ai qualifié l'Etat " d'Etat vampire " puisque c'est une vampirisation d'une entreprise qui est couverte de dettes et qui fait des déficits de l'ordre de 1,7 - 1,8 - 1,9 milliards chaque année. Vous rendez-vous compte où nous en sommes ? On avait même voté contre en Commission des finances et hier soir le gouvernement a repris en main l'UMP pour leur faire voter pour. On en est là ! Que va-t-il se passer ? Dès la fin du premier trimestre 2006, tous les indicateurs vont s'allumer et la Commission (européenne) engagera la procédure de déficit excessif. Voilà ce qui va arriver à la France ! Et nous aurions été complices d'une telle situation ? Où sont les intérêts du pays ? Est-ce que ce que dit l'UDF est la vérité ?
Question - Mais certains députés voteront le budget
François Bayrou - Pas du tout. Aucun ne votera le budget.
C'est une question grave alors arrêtons-nous une minute. L'UDF est un courant politique qui depuis des décennies était dans une alliance UDF-RPR (dit UDF trait d'union RPR). Cela avait fini par lui enlever son identité parce que quand il y une alliance UDF-RPR, le pays entend " UDF égal RPR " et de la part des élus, c'était en effet une contrainte, un réseau d'amitié, de convictions. Il a fallu que la situation soit singulièrement dégradée pour que l'unanimité de ces élus décide que cette fois-ci, non, ils ne voteraient pas le budget.
Alors certains disent encore " nous faisons un pas. La majorité du groupe vote contre, nous, nous manifestons notre majorité en nous abstenant ". Beaucoup nous ont dit qu'il n'était pas impossible qu'en deuxième partie de la loi de finances qu'ils aillent plus loin. Je ne sais pas ce qu'il en sera. En tout cas, je salue cette prise d'indépendance. Tous les observateurs disaient " ce n'est pas vrai, vous allez avoir des votes pour et des votes contre ". J'ai même lu cela dans une dépêche ce matin. Cela n'aura pas été le cas. Nous avons eu un débat de plusieurs heures où chacun s'est prononcé individuellement et tous les députés ensemble ont décidé qu'il n'y aurait aucun vote pour. C'est en effet un choix politique majeur, c'est le choix d'une UDF indépendante et qui ne soit plus désormais enfermée dans cette contrainte de voir les décisions se prendre ailleurs et d'être obligée de les approuver.
Hervé Morin - Sur le budget, je serais salarié d'EDF, opposé à l'ouverture du capital d'EDF, j'aurais le meilleur argument en lisant le budget du gouvernement. J'entendais un ministre, ce matin, dire " je suis pour l'ouverture du capital d'EDF parce que EDF a besoin d'argent pour ses investissements futurs " et quand je lis le budget pour 2006, on a un prélèvement de 690 millions d'euros supplémentaires de l'Etat sur EDF. C'est-à-dire que le gouvernement dit qu'EDF a besoin entre 7 et 10 milliards d'euros dans les cinq ou dix ans qui viennent pour faire ces investissements et je commence à piquer, dans le budget 2006, 690 millions de dividendes supplémentaires. On n'est plus dans la même nature et tout est en contradiction. C'est une espèce de démarche schizophrène quand on dit l'un et que dans le budget on fait l'inverse.
(Source http://www.udf.org, le 26 octobre 2005)