Déclaration de M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité, sur les objectifs de la loi d'orientation agricole, visant notamment à promouvoir la démarche d'entreprise, améliorer les conditions de vie des agriculteurs, consolider le revenu agricole, favoriser l'emploi, moderniser l'encadrement de l'agriculture, Paris le 10 mai 2005.

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Circonstance : Assemblée plénière du Conseil Economique et Social à Paris, le 10 mai 2005

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,
Je retrouve, avec plaisir, un mois après la présentation de la loi d'orientation agricole en section de l'agriculture et de l'alimentation, le Conseil Economique et Social.
Je tiens à saluer le travail réalisé par votre assemblée et m'adressant plus particulièrement à Gaël GROSMAIRE et aux membres de la section les remercier du travail de qualité effectué dans de courts délais. Votre rapport contribuera, je n'en doute pas, à améliorer le projet de loi.
La loi d'orientation doit prolonger les succès qu'a connus le monde agricole français après avoir relevé, au cours des cinquante dernières années, le défi de la modernisation. Nous avons voulu proposer les dispositifs nécessaires au choix d'une agriculture économiquement forte, dont la dynamique sera favorable à la création d'emplois. Ces dispositions devront également répondre aux attentes nouvelles de la société en termes de respect de l'environnement, de sécurité sanitaire des aliments et de qualité des produits.
Mesdames, Messieurs, vous avez compris combien le calendrier est serré depuis la présentation du projet devant la Section de l'agriculture et de l'alimentation le 6 avril. Le Conseil d'Etat se prononcera jeudi 12 de façon que le projet puisse être présenté en Conseil des Ministres le 18 mai. Ainsi, le calendrier souhaité par le Président de la République sera tenu et je vous remercie de votre actif concours.
Le projet de loi a d'ores et déjà évolué depuis la présentation du 6 avril dernier ; il sera , j'en suis sûr, encore amélioré et enrichi lors du débat parlementaire.
J'articulerai mon propos autour du rappel des objectifs de la loi d'orientation agricole avant de répondre aux remarques et propositions contenues dans votre avis.
I - Une loi d'orientation pour répondre aux défis qui se posent à notre agriculture
Le projet de loi soumis à votre examen a l'ambition d'orienter la politique agricole française : je partage votre volonté de " redonner des perspectives durables à l'agriculture afin de permettre le maintien de la France au premier rang mondial de l'agroalimentaire, tout en préservant la diversité des territoires et des productions ". Le texte engage des mesures fortes pour promouvoir une véritable démarche d'entreprise et améliorer les conditions de vie et de travail des agriculteurs. Il facilite la transmission d'unités économiques pérennes et favorise la consolidation du revenu des exploitants. Enfin, il permet à notre agriculture de mieux répondre aux attentes de la société.
J'ajouterai que la simplification de l'encadrement administratif de notre agriculture constitue un des objectifs essentiels du projet présenté.
S'agissant de l'Europe, je suis d'accord avec vous sur la nécessité de faire un bilan précis, en particulier en matière de concurrence afin d'identifier clairement nos marges de manuvre et, le cas échéant, de faire évoluer nos règles communes. C'est ce que je fais actuellement avec la Commission pour la gestion des crises.
I - 1 Pour une agriculture économiquement forte
Je partage votre préoccupation concernant le renouvellement des générations en agriculture. Faciliter la transmission des exploitations contribue au succès de l'installation : le crédit-transmission, dont votre rapporteur a souligné le caractère innovant, répond bien à cette nécessité.
La politique d'installation a fait l'objet d'une concertation approfondie avec les représentants des jeunes agriculteurs ; j'ai modifié le projet de loi de façon à trouver un équilibre raisonnable entre la volonté de la préserver et celle d'alléger les procédures. Le succès de l'installation suppose enfin que les nouveaux installés bénéficient de perspectives économiques positives.
· Une agriculture compétitive et dynamique qui favorise le développement de l'emploi
L'amélioration de la compétitivité économique de notre agriculture doit conforter sa place sur les marchés nationaux et étrangers. Nous partageons le même souci " d'améliorer l'organisation économique pour mieux développer les filières ".
Vous adhérez, je crois, à l'évolution des interprofessions que propose le Gouvernement. De même, vous manifestez votre soutien à la proposition visant à lier reconnaissance des organisations de producteurs et transfert de propriété. Une meilleure organisation des filières et le développement de relations commerciales contractualisées permettra aux agriculteurs d'être réellement les acteurs d'une relation équilibrée entre l'amont de la filière - la production - et l'aval - la grande distribution. Comme vous, je suis cependant attentif à la nécessité de conduire, dans le cadre d'une concertation qui est en cours, cette évolution de manière progressive et en tenant compte des spécificités des différents secteurs de production.
Enfin, dans le cadre des transformations en cours, je veillerai au maintien d'un dialogue social constructif et à la poursuite des missions des offices, notamment dans le domaine de l'accompagnement technique et économique des filières. Les transformations sont en marche mais se feront progressivement.
· Autre orientation que nous partageons, le projet de loi doit favoriser l'évolution de l'exploitation vers une entreprise agricole organisée autour d'un projet économique.
Plusieurs mesures importantes, et notamment la reconnaissance d'un fonds agricole ou la possibilité conventionnelle de conclure un bail cessible donneront aux agriculteurs les moyens juridiques d'une véritable démarche d'entreprise.
Le bail cessible rend possible la transmission de l'exploitation agricole sans que chaque génération ait à la reconstruire. Pour préserver également les droits des propriétaires, nous nous sommes attachés à définir une proposition la plus équilibrée possible en concertation étroite avec tous les partenaires intéressés. Les discussions se poursuivent pour donner plus de place à la liberté contractuelle. Je ne doute pas que le débat parlementaire pourra encore améliorer la proposition du Gouvernement.
Les conditions, sous lesquelles vous estimez cette mesure possible, correspondent à la proposition telle qu'elle a été adressée au Conseil d'Etat et qui constitue un bon point d'équilibre : ce nouveau type de bail est, comme vous le souhaitez, intégré au statut du fermage et la durée initiale minimale est de 18 ans avec renouvellement possible par période de 5 ans.
Certains d'entre vous ont exprimé leur inquiétude à l'égard de la mise en place du bail cessible qui pourrait constituer un moyen de détourner le contrôle des structures. C'est pourquoi l'article ad hoc du Code Rural précisera que la validité de la cession d'un bail est subordonnée à l'obtention, si nécessaire, de l'autorisation d'exploiter au titre du contrôle des structures.
Le régime fiscal des baux cessibles a été aligné sur celui des baux à long terme : les revenus, qui en sont issus, bénéficieront d'un abattement de 15%.
Ce volet " compétitivité économique " pose également la question de la maîtrise du foncier. A cet égard, j'ai fait engager un travail d'expertise des propositions du rapport BOISSON, afin d'étudier la possibilité que le projet de loi soit complété au cours du débat parlementaire par les mesures les plus adaptées.
Votre appréciation sur la nécessité d'une " agriculture forte au sein d'un tissu rural dynamique " me permet d'illustrer la complémentarité du projet de loi d'orientation agricole et de la loi sur le développement des territoires ruraux. Je rappelle que la conférence annuelle de la ruralité poursuivra la réflexion stratégique en faveur du développement de nos territoires. Outre la gestion du foncier et de l'espace naturel, elle traitera notamment du développement des activités économiques et pourra, dans ce cadre, suivre précisément les questions relatives à la pluriactivité.
I - 2 Pour une agriculture au cur des nouveaux enjeux de notre société
Pour répondre aux attentes de nos concitoyens et conclure le nouveau " contrat de mission " évoqué, le 24 mars dernier, par le Premier Ministre entre l'agriculture et la société, la loi réaffirme l'engagement de l'agriculture en faveur d'un niveau élevé de sécurité sanitaire mais aussi de qualité des denrées alimentaires. Elle met l'accent sur les services rendus par l'agriculture en terme d'aménagement du territoire et d'entretien de notre espace, et renforce les liens entre agriculture et préservation de l'environnement.
Je partage, là aussi, votre appréciation sur la nécessité d'accroître la lisibilité des signes de qualité et la mise en place d'une instance d'expertise indépendante de la gestion du risque et chargée de l'évaluation des risques des produits phytosanitaires.
I - 3 La simplification administrative et institutionnelle : recentrer l'agriculture sur le cur de son activité
Dans le prolongement de l'action gouvernementale, le projet de loi doit marquer une étape décisive de la simplification administrative et institutionnelle en agriculture. L'organisation du dispositif de sélection animale, issu de la loi sur l'élevage de 1966, sera modernisée ; le monopole de zone pourrait être supprimé et l'interprofession structurée.
S'agissant du contrôle des structures, le Gouvernement a proposé un assouplissement de cette procédure très lourde : 50 000 opérations environ sont soumises à contrôle chaque année ; seules 3 500 à 4 000 font l'objet d'une décision de refus d'exploiter. Mon objectif dans ce domaine est, sans remettre en cause les fondements de cette procédure, de l'alléger pour éviter de soumettre à contrôle des opérations pour lesquelles une réponse positive est quasi-certaine. Cet assouplissement préservera de manière équilibrée les ambitions de notre politique d'installation.
Le projet de loi présente, au total, quatre orientations pour l'avenir de l'agriculture française qui rencontrent un assez large consensus :
· performance économique dont l'organisation économique et l'allègement des charges constituent les aspects principaux ;
· démarche d'entreprise qui met en exergue la souplesse plus grande des formes sociétaires et doit aussi conforter l'attrait du métier d'exploitant, y compris par des mesures favorables à la prise de congés ;
· une attention plus grande aux attentes de la société ;
· une simplification de l'organisation et des procédures administratives facilitant le travail des exploitants.
II - L'examen des propositions
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, sans revenir à nouveau sur les remarques auxquelles des réponses viennent d'être apportées, j'aborderai maintenant les différents points soulevés par l'avis de votre Assemblée.
II - 1 1ère partie de la loi : promouvoir la démarche d'entreprise et améliorer les conditions de vie des agriculteurs
S'agissant de la promotion de la démarche d'entreprise, vous soulignez, à juste titre, que le " développement des formes sociétaires passe également par une meilleure reconnaissance des actifs dans l'entreprise ". Vous évoquez également l'égalité de traitement entre l'associé de GAEC et l'exploitant individuel. Enfin, vous avancez l'idée d'une " période probatoire " permettant d'accompagner l'installation sociétaire.
Concernant la meilleure reconnaissance des actifs de l'entreprise, il s'agit concrètement de redéfinir les conditions d'accès et d'attribution des aides, notamment de celles du 2ème pilier de la PAC, ce qui ne relève pas de la loi mais de la réglementation. Je me suis cependant engagé à ouvrir le chantier sur ce sujet, ce qui fournira l'occasion de réexaminer le cas des GAEC. Enfin, s'agissant de la période probatoire, cette question mérite d'être évaluée avec le Ministère du travail, en raison de ses conséquences sur le cadre traditionnel du contrat de travail.
Pour ce qui est de l'accès au service de remplacement, vous attirez l'attention sur le fait qu'il " ne s'agit en aucun cas de payer des vacances " et que ce crédit d'impôt ne doit pas bénéficier à des formations.
Je pense, comme vous, que notre communication doit être plus précise : elle ne fait que donner la possibilité à ceux qui sont astreints à une présence constante sur l'exploitation de pouvoir la quitter de temps à autre. Il me paraît également souhaitable de bien distinguer cette mesure des cas déjà pris en charge par les fonds du développement agricole.
Enfin, concernant l'adaptation des conditions d'accès à la protection sociale, votre réflexion vous conduit à envisager le cas des pluriactifs, mais aussi d'autres pistes comme l'ouverture d'un statut du conjoint collaborateur aux pacsés et concubins, ou la limitation dans la durée du statut d'aide familial.
Le Gouvernement propose de donner accès à une protection accident du travail et à des droits retraites pour les agriculteurs, le plus souvent pluriactifs, qui exploitent moins d'une ½ SMI. Concernant la limitation de l'accès au statut d'aide familial et l'ouverture du statut de conjoint collaborateur aux pacsés et aux concubins, j'ai relayé votre préoccupation, partagée par Madame GROS, et nous pourrons modifier le projet de loi afin de donner suite à votre demande.
II - 2 2ère partie de la loi : consolider le revenu agricole et favoriser l'emploi
Le développement des débouchés non alimentaires de la biomasse, l'organisation de l'offre de produits agricoles et la maîtrise des aléas constituent les trois priorités de ce volet.
En effet, importante en terme d'allègement des charges, la réduction de la Taxe foncière sur les propriétés non bâties sera réalisée sur un rythme pluriannuel. Ce délai permettra de mener, selon votre propre recommandation, une étude sur les répercussions d'une telle mesure. A ce jour, nous retenons le principe d'une réduction progressive qui débutera dans la loi de finances de 2006 et sera menée progressivement sur une période maximale de 5 ans. Le dispositif détaillé est en cours de finalisation et fera l'objet des concertations indispensables au cours des prochaines semaines.
S'agissant de la biomasse et des perspectives qu'elle offre en terme de débouchés et de sécurisation du revenu pour les agriculteurs, vous proposez la création d'une mission interministérielle chargé d'assurer un suivi transversal de cette orientation.
Déjà évoquée avec le Premier Ministre, elle sera dirigée par un coordonnateur interministériel, chargé, sous mon autorité, d'une mission de synthèse et d'animation des politiques de l'Etat en matière de valorisation de la biomasse.
Vous souhaitez, enfin, que les dispositions concernant la déduction pour investissement (DPI) et celle pour aléa (DPA) soient plus ambitieuses.
Je suis très attentif à votre volonté d'améliorer encore ce dispositif et d'inciter à la contractualisation en réservant cette mesure aux seuls agriculteurs qui se sont engagés à contractualiser au moins 50% de leur production. Je reste ouvert à la poursuite de la discussion dans le cadre du débat parlementaire.
II - 3 3ère partie de la loi : les attentes de la société vis-à-vis de l'agriculture
S'agissant de l'autorité indépendante chargée de l'évaluation du risque dans le domaine phytosanitaire, vous souhaitez le maintien de la responsabilité du pouvoir politique sur l'autorisation de mise sur le marché.
Le Gouvernement a finalement retenu le principe d'une décision ministérielle pour la mise sur le marché.
Par ailleurs, favorables au soutien de l'agriculture biologique, vous vous interrogez toutefois sur les critères tels qu'ils ont été définis.
Le projet de loi envisage, en effet, la mise en place d'un crédit d'impôt pour les exploitations certifiées. Nous avons essayé de trouver les critères les plus adaptés pour ce type de soutien. Un crédit d'impôt ne peut être"ciselé" aussi finement qu'une aide sous forme de subvention. Quant à la démarche de l'agriculture raisonnée, le soutien du Gouvernement donnera lieu, ainsi que le mentionne l'exposé des motifs de la loi, à un accompagnement budgétaire pour les exploitations s'engageant dans une telle voie.
Enfin, concernant la mise en place un " bail environnemental ", vous soulignez la nécessité d'un encadrement par l'Etat.
Ce bail sera réservé en priorité à des bailleurs publics ou à des associations agréées pour la protection de la nature et ouvert à tous types de bailleurs dans les territoires zonés au titre d'une réglementation environnementale. Il s'agira d'une démarche contractuelle dont les dispositions d'encadrement seront précisées par décret.
II - 4 4ère partie de la loi : la modernisation de l'encadrement de l'agriculture
La nécessité d'alléger le fonctionnement de la CDOA est largement partagée et les modalités précises de cette simplification seront déterminées dans un large esprit de concertation. De même, le projet de loi prévoit la possibilité d'habiliter le Gouvernement à procéder par ordonnance à une simplification et un allègement de procédures administratives superflues.
Vous vous interrogez sur les missions du CNASEA.
Le CNASEA conservera ses missions concernant la gestion et le paiement des aides du 2ème pilier. L'agence de paiement unique des aides agricoles voulue par le Gouvernement traitera l'ensemble des aides du 1er pilier. Je m'attacherai à ce qu'une coordination étroite soit recherchée entre les deux organismes, sous l'autorité de l'État, notamment par une meilleure organisation des tâches des délégations régionales.
Enfin, nous n'avons pas oublié les régions d'outremer. Je suis heureux de constater que les mesures proposées trouvent un écho favorable, que ce soit en ce qui concerne l'évolution du fermage, l'adaptation de la procédure sur les terres incultes ou les dispositions spécifiques à la Guyane.
CONCLUSION
Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs les Conseillers, Pour répondre aux évolutions actuelles et renforcer notre agriculture de demain, le texte présenté offre des outils importants pour accroître la compétitivité des secteurs agricole et agroalimentaire : la baisse des charges et le renforcement de l'organisation économique en sont les principaux dispositifs. La modernisation des statuts traduit également la transformation déjà en marche des exploitations devenues de véritables entreprises agricoles.
Nous accompagnerons l'agriculture dans la recherche de nouveaux débouchés, notamment non alimentaires, et soutiendrons le renouvellement des générations pour maintenir vivante notre tradition agricole et dynamiser l'ensemble de nos territoires. L'agriculture marquera ainsi notre engagement en faveur du développement durable, une croissance agricole soucieuse des équilibres écologiques, d'une répartition équitable des fruits de la richesse créée et de territoires intégrés.
Enfin, la simplification des procédures et de l'organisation administratives participera à l'objectif de réforme de l'Etat voulu par le Premier Ministre.
En soumettant prochainement ce projet à notre Parlement, le Gouvernement souhaite affirmer sa confiance dans les atouts de notre agriculture et sa détermination à bâtir selon les vux du Président de la République une " agriculture économiquement efficace et écologiquement responsable ". C'est notre ambition, confiants et certains que les agriculteurs et la Nation tout entière seront fiers de leur agriculture.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 12 mai 2005)