Entretien de MM. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, et de Jack Straw, ministre britannique des affaires étrangères et du Commonwealth, avec LCI à l'émission Le Grand Débat le 12 juillet 2005, sur le terrorisme et la coopération franco-britannique et européenne antiterroriste, et sur la crise institutionnelle et financière européenne et l'opposition des conceptions française et britannique sur l'avenir de la construction européenne.

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Q - Nous allons parler de l'Europe. Tony Blair a six mois pour relever l'Europe ou pour mieux l'enfoncer. Donc, trois quarts d'heures, ce ne sera pas de trop pour parler d'où vous en êtes, où vous allez et voir quelle Europe va sortir de l'affrontement entre nos deux pays. Alors, on va parler des institutions, on va parler du budget, on va parler de toute cette machinerie bruxelloise qui continue à tourner. On va parler, aussi, des questions qui taraudent les peuples, à savoir : l'immigration, les délocalisations, l'élargissement. Mais, d'abord, bien sûr, le terrorisme. Le monde entier a admiré, admire depuis quelques jours, le courage dont font preuve les Britanniques et le mépris qu'ils affichent envers les terroristes. Est-ce que cela va remettre en cause la tolérance dont votre pays fait preuve envers les radicaux ? Est-ce que c'est la fin de l'état de grâce pour tous les extrémistes qui ont trouvé refuge chez vous ?
R - Jack Straw - Eh bien, j'espère que ce ne sera pas la fin de cette tolérance mais j'ai quelques préoccupations. Dans ma circonscription électorale, un quart de la population, dans cette ville de 100.000 habitants, sont de confession musulmane. Il y a 30 mosquées dans cette ville et j'habite, d'ailleurs, en face d'une école coranique qui a changé de fonction depuis peu. Depuis le 11 septembre, il y a eu, en fait, pourrait-on dire, un rassemblement des communautés de diverses confessions mais j'ai bien peur que, s'il devait y avoir une série de ces attaques terroristes, nous pourrions assister à des divisions profondes dans la communauté. C'est la raison pour laquelle les dirigeants de toutes les communautés, y compris les communautés musulmanes, ont la responsabilité de faire en sorte que ce ne soit pas le cas. Quant à l'asile que nous offrons, nos règles sont les mêmes qu'en France ou ailleurs en Europe. Nous sommes tous signataires de la Convention internationale sur les réfugiés et, plus particulièrement, de la Convention européenne des Droits de l'Homme qui est la convention qui nous empêche de renvoyer les gens chez eux.
Q - Cela dit, il y a plusieurs façons d'appliquer, quand même, la législation. Depuis hier, par exemple, est jugé à Londres Abou Hamza. Pendant des années, cet homme a prêché la haine des Juifs. Il prêchait en pleine rue. Les Américains le réclament depuis des années, ils l'accusent d'avoir monté un camp terroriste chez eux, d'avoir fait kidnapper des gens au Yémen, un kidnapping qui a tourné au bain de sang. Comment cela se fait qu'il vous ait fallu 3 ans pour le mettre hors d'état de nuire et le traîner devant les tribunaux ?
R - Jack Straw - Dans tous les pays, et plus particulièrement en Europe, où nous respectons l'Etat de droit, il faut bien sûr des preuves pour ester en justice contre une personne. C'est le cas, également, en France, tout autant en France qu'en Grande-Bretagne. Il est évident - et je le concède en tant qu'ancien ministre de l'Intérieur - qu'il est peut-être plus difficile, qu'il a été plus difficile en Grande-Bretagne de traiter efficacement avec de telles personnes que ce n'a été le cas en France. L'une des choses que j'ai faite en tant que ministre de l'Intérieur, cela a été, d'ailleurs, d'en discuter avec mon homologue de l'époque, Jean-Pierre Chevènement, et puis Daniel Vaillant, et d'essayer d'apprendre ce que nous pouvions faire.
Q - Philippe Douste-Blazy, les Parisiens ont connu les attentats dans le RER, 10 ans avant les Londoniens, est-ce que vous espérez, enfin, que Rachid Ramda soit livré au juge Bruguière ?
R - Philippe Douste-Blazy - Bien sûr, d'ailleurs il y a eu une volonté du gouvernement britannique. Permettez-moi, quand même, de dire une chose avant de répondre très précisément. Nous sommes, Jack, totalement solidaires avec vous contre la terreur, la haine et le caractère absolument horrible, l'inhumanité, que représente le terrorisme. Vous l'avez été avec nous, nous le sommes avec vous. La coopération et la solidarité sont parfaites entre nous. Le président de la République l'a dit, le Premier ministre aussi. Nous voulons, simplement, dire qu'il s'agit d'un geste politique contre les démocraties parce que les valeurs fondamentales de l'Europe, qui sont les nôtres - la démocratie, le respect de l'autre, l'Etat de droit - c'est cela qui est visé aujourd'hui. Or, il faut une coopération transnationale parce qu'un Etat seul ne peut rien faire.
Alors, je crois qu'il faut être très concret dans cette affaire. Il s'agit d'enquêtes communes, des équipes d'enquêtes communes que nous pouvons faire ensemble. Aujourd'hui, lorsqu'un juge demande une coopération transfrontalière, immédiatement les policiers anglais et français, ou espagnols et français, travaillent ensemble pour mener une enquête commune. Cela, c'est concret, c'est parti, cela se fait. Puis, il y a le mandat d'arrêt européen. Le mandat d'arrêt européen, c'est majeur, cela permet de diminuer le délai d'exécution judiciaire, dont vous parliez à l'instant, de 80 %. Nous avons, nous, lancé, en 2004, 220 mandats d'arrêt européens et on nous en a accordés 160. C'est cela qu'il faut que nous fassions ensemble.
Q - Oui, mais, alors, vous dites régulièrement Philippe Douste-Blazy : "L'Europe, c'est la paix". On peut se demander si l'Europe n'a pas une guerre de retard. Parce que la coopération intergouvernementale entre Paris et Londres, cela marche. Au sein du G5 qui rassemble les Allemands, les Espagnols, les Italiens et vos deux pays, cela marche. Mais, à vingt-cinq, cela ne marche pas. On voit bien qu'ici, à Bruxelles, on n'a pas un canif, on n'a pas une information à vous donner pour gagner cette guerre.
R - Philippe Douste-Blazy - Cela, c'est en train de changer puisqu'il y a deux éléments tout à fait nouveaux qui sont maintenant concrets depuis quelques mois.
Premièrement, une capacité d'analyse du renseignement - je crois que les Britanniques et les Français font partie des deux pays, ou des trois ou quatre pays dans le monde, les meilleurs pour les renseignements. Nous travaillons ensemble et, surtout, nous partageons ce renseignement avec les 23 autres pays.
Q - Vraiment ?
R - Philippe Douste-Blazy - Oui.
Q - On peut partager des secrets à vingt-cinq ?
R - Philippe Douste-Blazy - On peut partager des secrets lorsqu'il s'agit de réseaux terroristes, lorsqu'on sait que telle personne qui ferait partie d'un réseau, est dans tel pays ou tel autre, même s'il est petit, moyen ou grand. On est capable, aujourd'hui, de partager nos renseignements.
Et, deuxièmement surtout, il y a l'évaluation. L'évaluation de ce que font les différents pays européens contre le terrorisme. Car si, nous, nous faisons le travail et si un troisième ne le fait pas, alors il y aura un trou dans lequel tous les terroristes vont, évidemment, entrer. C'est cela le sujet aujourd'hui, qui est le nôtre. Croyez-moi, on y travaille. Le G5 des ministres de l'Intérieur le fait aussi. Moi, par exemple, j'ai pris, la semaine dernière, une décision : toutes les personnes, qui voudront avoir un visa pour la France dans n'importe quel consulat au monde, seront obligées, très bientôt, de donner les empreintes de leurs index et une photo de l'iris de l'il. Parce que, dès qu'ils rentreront en France, alors nous saurons quand ils ressortiront ou s'ils ne ressortent pas. Aujourd'hui, quelqu'un qui entre, nous ne savons pas s'il ressort ou s'il ne ressort pas. Cela, c'est quelque chose que l'on va faire, évidemment de manière harmonieuse. C'est comme cela qu'on va traquer les terroristes.
Q - On va le faire, on va le faire. Mais, on disait déjà cela il y a un an après les attentats de Madrid.
R - Philippe Douste-Blazy - Là, ce sont les décisions prises.
Q - Alors, moi, je vois que, quand même, le 29 mai sur Internet, Al Qaida aurait donné l'ordre d'attaquer l'Europe. C'était un message qui était signé des brigades Abou Hafs Al-Masri, qui est le nom d'un chef d'Al Qaida qui a été tué, jadis, en Afghanistan. Cette brigade avait déjà revendiqué les attentats d'Istanbul et ceux de Madrid. Les services de renseignements espagnols ont transmis, Monsieur Straw, à vos services, une transcription de ce texte samedi dernier. C'est-à-dire un mois et un attentat après. Comment c'est possible entre des pays qui collaborent, coopèrent au sein même du G5 ? Comment c'est possible ?
R - Jack Straw - Je ne peux pas faire de commentaire sur la question très précisément. Tout d'abord, j'aimerais dire merci pour ce soutien merveilleux que nous avons reçu de la part du président de la République, de la part du ministère de l'Intérieur, de la part du Premier ministre et de vous-même, Philippe. C'est très important lorsqu'on est en butte à de telles attaques qu'on ne se sente pas isolé. On ressent, véritablement, cette coopération, cette volonté de solidarité.
Deuxièmement, pour en revenir à votre question, plus précisément, je répondrai ainsi. Lorsqu'il y a des attaques terroristes, certaines personnes pourraient dire qu'en fait la catastrophe a été créée par un échec du renseignement. La catastrophe a été causée par les terroristes, n'oublions pas : ce sont eux les responsables. Des terroristes de l'IRA ont dit, par le passé, qu'il faut que nous ayons de la chance tout le temps. Les terroristes doivent avoir de la chance qu'une seule fois pour réussir. Alors, c'est vrai qu'une excellente coopération en matière de partage de renseignement a permis de déjouer énormément d'attaques terroristes, au cours des dernières années, en Grande-Bretagne. Je le sais, je ne peux pas vous donner les détails. Mais, nous savions, tout simplement, qu'il était vraisemblable qu'un jour ou l'autre, ils connaîtraient, malheureusement, ce type de succès en ce qui les concernent. Cette catastrophe s'est produite. Bien sûr, à chaque fois qu'il y a de telles catastrophes, nous devons intensifier la coopération. C'est ce que nous faisons. Alors, je sais que la question de Rachid Ramda a causé beaucoup de frustration en France, la cause c'est qu'elle engendre beaucoup de frustration dans mes services. Mais, évidemment, nos tribunaux sont séparés du pouvoir exécutif et cela reflète, également, une ancienne loi et pas la nouvelle.
Q - Alors, il y a l'Etat de droit mais il y a, aussi, toutes sortes de questions. Pardonnez-moi d'insister. Mais, par exemple, vous recherchez actuellement, paraît-il, un Marocain. Un Marocain qui a été incriminé dans les attentats de Casablanca, qui a été en lien avec les attentats de Madrid. Ce Marocain vit à Londres, il a donné avant-hier une interview à Al-Jazira. Il dit que si la police le cherche, elle peut très facilement le trouver. Comment peut-on expliquer qu'un individu aussi suspect puisse se promener sur les plateaux et défier ainsi à la fois l'opinion, le bon sens et votre police ?
R - Jack Straw -Je ne peux pas vous fournir une explication parce que je n'ai pas les informations sur ce dossier. Je ne pourrais pas, évidemment, vous les fournir en public, si le contraire était le cas. Je dirai, tout simplement, que nous sommes très fiers de nos services de renseignement qui sont très bons. C'est le cas, également, des services policiers et des services de renseignement français. Lorsque nous sommes confrontés à des attaques de ce type, nous devons collaborer, travailler ensemble. Comme Philippe l'a dit, nos services de renseignement sont parmi les quatre ou cinq meilleurs au monde. Ce que nous devons faire, c'est mettre en commun nos ressources pour mieux aider le reste de l'Europe.
R - Philippe Douste-Blazy - Une des questions qui est posée, et que vous posez, est aussi un problème de droit interne qui n'est pas tout à fait le même que le nôtre. Il est évident qu'en Grande-Bretagne si quelqu'un ne commet pas un acte préjudiciable ou pénalement répréhensible sur le sol anglais, il n'a pas à être touché. Alors, chez nous aussi, mais il peut y avoir aussi une extension en fonction de ce que l'on dit ou de ce que l'on a dit. Donc, notre droit interne n'est pas le même, premièrement. Donc, cela c'est un sujet qui est important et qu'il faut respecter.
Deuxièmement, la chose la plus importante, c'est qu'aujourd'hui, il faut le savoir, c'est vrai en France, c'est vrai en Grande-Bretagne : il y a des gens qui sont des terroristes mais qui ne sont pas obligatoirement des étrangers qui viennent sur notre sol. Il peut y avoir des gens qui sont nés à Londres, ou nés à Paris, et qui vont faire des stages intensifs dans des endroits où on leur apprend à être des terroristes. Cela, c'est un sujet important qui touche au problème du communautarisme. Je crois qu'il est important de se battre contre le communautarisme en France, toujours.
Q - Justement, quand vous avez - quand Tony Blair a célébré le fait que Londres ait été choisie pour être capitale olympique la semaine dernière, il a célébré l'orientation multiconfessionnelle de la société britannique. Est-ce que cet attentat n'est pas un sanglant démenti ?
R - Jack Straw - Ceux qui ont perpétré cette attaque ont voulu remettre en cause, bien sûr, cet aspect multiculturel, multiconfessionnel de la société qui est le nôtre. Je pense qu'ils ne réussiront pas - je l'espère. Il faut noter que, parmi les dizaines de personnes qui ont été tuées dans les attaques de jeudi dernier, il y a beaucoup, évidemment, de religions différentes. C'est donc une attaque contre toutes les cultures, contre toutes les religions qui a eu lieu et il y a maintenant une mobilisation de l'ensemble de ces communautés. Je dirais évidemment que si cela devait se reproduire, nous pourrions avoir des problèmes.
Q - Je voudrais que l'on parle quand même de la lutte antiterroriste un moment à l'échelle communautaire, à l'échelle de Bruxelles. Est-ce qu'après Madrid on a créé une sorte d'ambassadeur, une sorte de coordinateur de la lutte antiterroriste et, visiblement, c'est un haut fonctionnaire de plus mais il n'a pas véritablement voix au chapitre. Il y a eu, au sein d'Europol aussi, une brigade affectée à la lutte antiterroriste - 500 personnes quand même, ce n'est pas rien - et visiblement ils sont à la remorque de tous les services. Vous avez de grands services secrets en Angleterre, on est fier des nôtres en France, mais est-ce que toute cette superstructure bruxelloise qui cherche à coordonner, à centraliser ou à récupérer, finalement ce n'est pas un échelon de trop ? Finalement ce n'est pas une fausse bonne idée ?
R - Philippe Douste-Blazy - Il faut être très concret. Lorsque l'on fait du renseignement, c'est avec des gens qui se connaissent et, évidemment, ils se connaissent mais sont les seuls à se connaître, par définition, s'ils font du renseignement. Vous ne pouvez donc pas avoir quelqu'un au-dessus qui connaîtrait tout le monde où alors il n'y a plus de renseignement. Regardez ce qui s'est passé dans le Washington Post il y a dix jours. Il y a dix jours, il y avait, à la une, l'apologie, les remerciements des Américains pour les services de renseignement français dans la lutte contre le terrorisme mais, bien évidemment, il n'y avait pas de noms, parce qu'on ne peut pas donner de noms de gens qui sont dans les renseignements français.
Il faut passer sur des choses concrètes. Nous parlions ce matin avec Jack de quelque chose qui va être proposé au G5 des ministres de l'Intérieur où les responsables des télécommunications de chaque pays, des cinq pays qui constituent le G5, vont pouvoir garder les informations, toutes les informations qu'ils ont en mémoire, pour que si un jour il y a une attaque terroriste
Q - L'Europe sur écoute. "Big brother". Garder des traces.
R - Philippe Douste-Blazy - Ce n'est pas une Europe sur écoute, pas du tout. Voyez, voilà exactement le problème. Sachez qu'il y a déjà un certain nombre d'opérateurs qui doivent le faire. Mais il faut le faire de manière organisée. S'il y a un attentat en Grande-Bretagne, il faut qu'on puisse immédiatement avoir des informations, si on a un doute sur un Français, par exemple. S'il peut y avoir immédiatement le mobile, le téléphone portable, qu'il y a des informations, il faut pouvoir les donner tout de suite. Pour cela, on n'a pas besoin d'un "shérif" à Bruxelles. Il suffit d'avoir une loi qui nous permette de le faire. C'est cela qui est important, c'est être concrets. Il faut arrêter la bureaucratie, arrêter la technocratie et travailler ensemble.
R - Jack Straw - Et la coopération mutuelle est très importante. Mais sur cette question de "Big brother" pourrait-on dire, il y a toujours un équilibre à tenir dans nos pays, dans les pays européens, qui sont des pays qui défendent l'Etat de droit, qui défendent la liberté civile, les libertés individuelles, les Droits de l'Homme et la protection que l'Etat doit offrir à ses citoyens. Mais lorsque l'on est en butte à une telle menace, je sais que nos citoyens diraient : "C'est une petite chose de partager ses données par rapport au surcroît de sécurité pour les citoyens".
Q - Moi aussi je vais être un peu concret et très concret au risque d'être déplaisant mais, Monsieur le Ministre, est-ce que vous considérez toujours que la guerre en Irak était une réponse au terrorisme et qu'elle a rendu le monde plus sûr ?
R - Jack Straw - La guerre en Irak n'a pas été directement justifiée ou principalement justifiée par la lutte contre le terrorisme. C'est une résolution du Conseil de sécurité et le manquement à ces résolutions du Conseil de sécurité pendant plus de douze ans de la part de Saddam Hussein qui explique cette guerre. Cette guerre a-t-elle rendu le monde plus pacifique ? Je pense que, pour l'instant, on ne peut pas encore se prononcer. Est-ce que je pense qu'il était justifié pour nous de prendre ces mesures ? Oui. Où serions-nous aujourd'hui si nous n'avions pas pris cette décision ? Probablement dans une situation aussi dangereuse que celle d'aujourd'hui mais on peut en discuter. Dans l'intervalle, je dirais que je remercie le gouvernement français. Bien que nous n'étions pas d'accord sur l'entrée en guerre, le gouvernement français travaille maintenant avec nous pour garantir la paix.
Q - Et il n'est pas question que la Grande-Bretagne se retire, il n'y a toujours pas de calendrier ?
R - Jack Straw - Non, il n'y a pas de calendrier. Comme vous le savez, il y a un calendrier qui est fixé par les Nations unies au titre de la résolution 1546. Le mandat doit être renouvelé après la fin de cette année. Nous resterons autant que c'est nécessaire et tant que le peuple irakien voudra que nous restions.
Q - Un mot, Philippe Douste-Blazy, puisque la CIA a dit qu'il y avait trois fois plus d'attentats depuis un an, trois fois plus d'actes terroristes en un an. La France, Jacques Chirac, avait raison : c'est une leçon assez amère, non ?
R - Philippe Douste-Blazy - Ce que je crois, c'est que le terrorisme devient en fait une action politique. Ce qui est sûr, et je suis complètement d'accord avec Jack là-dessus, c'est que ce n'est pas un problème de religion. Faire croire que c'est un problème de religion est scandaleux. En réalité, voilà le sujet. Le sujet, c'est que, s'il y a du terrorisme, c'est parce que non seulement on est devenu égoïste, mais bête. C'est-à-dire qu'il y a des gens qui profitent de la pauvreté, de la précarité, du désarroi, de la maladie, du sida, de la malaria, de la tuberculose, sans avoir de médicaments, pour remonter un certain nombre de personnes contre les démocraties du Nord. Voilà le sujet. Ce qui a été fait au G8, l'idée du président de la République, Jacques Chirac, l'idée aujourd'hui de Tony Blair, c'est de faire en sorte que l'on annule la dette des pays pauvres, qu'on les accompagne au maximum, y compris dans nos projets sanitaires de santé publique, de lutte contre le sida. Cela, vous verrez que c'est peut-être la seule vraie solution pour lutter contre le terrorisme. Parce que les peuples en désarroi et en désespoir, au bout d'un moment, non seulement vont immigrer vers le Nord - et c'est évident, c'est un grand sujet de l'Occident - et ensuite certains vont peut-être avoir l'horreur de profiter du désespoir pour faire éclater des bombes.
Q - L'Arabie saoudite n'est pas un pays pauvre, l'Irak n'est pas un pays pauvre !
R - Philippe Douste-Blazy - Le sujet, ce n'est pas cela. Le sujet ce n'est pas ceux qui commanditent. Il y a des gens qui commanditent et qui sont riches. C'est vrai que Ben Laden n'est pas pauvre, c'est sûr. Faire croire que les poseurs de bombes sont des gens pauvres, c'est vrai que c'est une erreur, mais que les poseurs de bombes se servent du désespoir des peuples et le fait que l'hémisphère Nord laisse l'hémisphère Sud sans médicaments, sans argent, sans activité commerciale mondiale, c'est certainement uniquement le début...
Q - C'est donc un peu notre faute, quand même.
R -Philippe Douste-Blazy - Mais évidemment ! Mais je pense évidemment qu'il y a là-dedans aujourd'hui une réflexion globale à avoir dans le monde sur la question de savoir pourquoi un cinquième de la population de la planète se partage quatre cinquièmes des richesses. C'est un sujet qui est majeur. Je n'excuse personne, je serai très dur et nous serons très durs avec tous les terroristes. Il ne s'agit pas de mettre un genou à terre, au contraire. Il faut continuer plus que jamais notre action. Personne ne nous déstabilisera mais, à l'inverse, il faut quand même comprendre qu'il y a des peuples qui sont en désarroi.
Q - Alors, je voudrais qu'on parle un petit peu de l'Europe et de la crise politique qu'elle traverse. La ratification de la Constitution par 56 % des Luxembourgeois avant-hier, - ils ne sont pas nombreux, c'est un arrondissement de Paris mais quand même - on ne sait pas très bien si c'est un "oui" au traité ou si c'est un "oui" à Jean-Claude Juncker qui est très populaire chez lui. Mais est-ce que, à votre avis, la spirale de l'échec est cassée ? Est-ce que la dynamique du "non" est enrayée ?
R - Jack Straw - Eh bien, je suis fort heureux de la décision du peuple luxembourgeois d'avoir dit "oui" à la Constitution. Cela ne change rien au fait que de plus grands pays, la France et les Pays-Bas, ont dit "non" et donc, il nous reste bien un problème sur les bras et c'est la raison pour laquelle, il y a trois semaines, le Conseil européen a dit qu'il fallait entamer cette période de réflexion, ainsi qu'on l'a dit, une période de débats qui va devoir avoir lieu dans l'année qui vient et nous devons y réfléchir, nous poser la question des causes, des raisons de ce "non". Et il me semble qu'en France et aux Pays-Bas, mais dans d'autres pays également, certains arguments ont été évoqués et certains ont dit que le Traité constitutionnel n'était peut-être pas totalement en cause. La décision a été prise dans un contexte plus général, dans certains contextes de morosité. Et ce projet, auquel j'ai beaucoup participé dans les phases de rédaction et que j'ai beaucoup soutenu personnellement, n'a donc pas pu recueillir l'affection, l'enthousiasme des citoyens européens. C'est ainsi.
Q - Vous avez tenu à féliciter tout particulièrement et chaleureusement Jean-Claude Juncker. Il a fait sa campagne en disant aux Luxembourgeois "Vous ne devez pas être les moutons noirs de l'Europe". Finalement, la France est un peu plus isolée aujourd'hui qu'il y a trois jours. Il y a des raisons de se réjouir, vraiment ?
R - Philippe Douste-Blazy - Moi, je me réjouis vis-à-vis de Jean-Claude Juncker que je connais personnellement depuis quinze ans pour avoir été du même parti que lui, qui est un très grand Européen, un Européen fidèle, un homme qui croit à la construction européenne et je suis heureux pour lui parce que la présidence luxembourgeoise a été une grande présidence, et donc je lui ai rendu hommage.
Q - Mais la France est un peu plus isolée ?
R - Philippe Douste-Blazy - Alors, non, mais ce n'est pas que la France soit isolée. Aujourd'hui, il n'y a pas que les Pays-Bas, il n'y a pas que la France qui se posent des questions. Tous les Européens se posent des questions sur l'avenir de la construction européenne qu'ont voulu faire les pères fondateurs. Est-ce qu'on reste dans cette idée ou est-ce qu'on l'a un peu perdue ? C'est une discussion qu'on doit avoir évidemment avec Jack et qui est excessivement importante. Autrement dit, aujourd'hui, je crois que l'union politique n'est pas du tout en jeu. Je suis plus que jamais persuadé qu'il faut faire l'union politique européenne. Pour moi, ce n'est pas uniquement une union douanière, ce n'est pas une zone de libre-échange, ce n'est pas un simple espace de paix et de stabilité, mais ce sont des politiques communes, une union politique, une union de la défense, une Europe puissance, une Europe qui est capable d'avoir des politiques communes, sur le plan agricole mais aussi, pourquoi pas, sur celui de la recherche demain. Je rentre des Etats-Unis. Ils consacrent 70 milliards d'euros de recherche dans les infotechnologies, 100 milliards de recherche sur les biotechnologies. Jack, il est évident que l'on doit faire une politique intégrée de la recherche demain. C'est comme cela que nous arriverons à tenir et à devenir une union politique. Cela, c'est ma vision et je pense qu'elle est partagée.
Q - La vision de l'Europe mais le fonctionnement de l'Europe. La Constitution par exemple, à votre avis, elle est mort-née, comme on l'a dit en France et aux Pays-Bas, ou est-ce qu'au contraire, le vote des Luxembourgeois et l'euphorie qu'il a suscitée ici et là, notamment ici à Bruxelles, peut la ranimer ? Est-ce qu'il faudra faire revoter les Français, par exemple ?
R - Philippe Douste-Blazy - Je pense que la présidence britannique a pris une décision qui est tout à fait sage qui est d'organiser un sommet exceptionnel, début 2006, pour pouvoir faire le point. Il est absolument fondamental d'avoir une réflexion la plus rapide possible pour savoir où nous allons. Evidemment, en France, on a dit "non", aux Pays Bas, on a dit "non" mais je prends un exemple : la présidence du Conseil européen de deux ans et demi ; j'aimerais, à titre personnel, que les chefs d'Etat et de gouvernement se posent la question, dans un Conseil européen, pour savoir si on ne peut pas garder cette idée. On n'a pas besoin de traité pour cela. Après tout, être président pendant deux ans et demi, c'est quand même plus, je dirais, normal, plus efficace...
Q - Et vous n'avez pas l'impression de contourner le vote des Français en prenant des petits bouts de la Constitution ?
R - Philippe Douste-Blazy - Non, je ne dis pas de prendre des petits bouts. Je prends un exemple. Deux ans et demi, qui peut dire, aujourd'hui, que six mois de présidence tournante c'est mieux que deux ans et demi ? Je pose la question et j'aimerais qu'il y ait un tour de table à 25, on n'a pas besoin de traité pour décider cela. Pendant la campagne française, je n'ai jamais entendu quelqu'un qui votait "non" parce qu'il y avait une présidence de deux ans et demi.
R - Jack Straw - Tout à fait.
Q - Vous aussi, vous êtes pour la mise en uvre de certaines parties du traité ?
R - Jack Straw - Philippe a raison. Je l'ai dit très clairement à la Chambre des Communes, directement d'ailleurs après la décision lorsqu'elle est tombée en France et aux Pays Bas. Il y a peut-être des éléments du traité qui peuvent être mis en uvre sans pour autant passer par un processus de ratification. Il ne faut pas en avoir peur, d'ailleurs. Il y a une certaine ironie dans la situation qui est la nôtre, en Grande-Bretagne comme ailleurs, d'ailleurs. C'est que personne ne se bat vraiment sur les changements institutionnels qui sont dans le Traité. Lorsque l'on prend, par exemple, le changement de la pondération des votes en conseil, le renforcement du pouvoir du Parlement, la question d'une présidence permanente, la réduction du nombre de commissaires, ce sont des modifications de l'organisation, pourrait-on dire, qui ont du sens. Mais les arguments qui ont été lancés ont porté, en fait, sur le "non" et pas forcément sur la fonction du ministre européen des Affaires étrangères. Et donc, on a parlé beaucoup de contexte. On n'a pas vraiment parlé de ce qui allait figurer dans le véritable traité mais on a remis en cause l'acquis existant. Et, à mon avis, je pense que nous devons utiliser cette période de réflexion pour y réfléchir à tête reposée, voir si nous ne pouvons pas peut-être élaborer un nouveau consensus pour certains de ces éléments qui sont de petites modifications institutionnelles mais importantes, qui ont du poids, tout en essayant de réfléchir aux raisons profondes qui ont fait que les citoyens européens dans de nombreux pays, mais pas tous, sont, en fait, déphasés par rapport au projet européen.
Q - Jack Straw, le plan B comme Blair, on attend de lui qu'il sauve l'Europe, et puis, au contraire, le massacre continue, cette querelle sur le budget et on a maintenant l"'Union Jack" qui flotte comme sur un champ de ruines.
R - Jack Straw - J'ai un petit peu de difficulté à accepter cette vision apocalyptique de l'Union européenne, je dois dire. Nous avons un problème avec ce Traité constitutionnel, c'est évident. Mais nous devons faire en sorte que nous utilisions les traités existants pour garantir la coopération dans de nombreux domaines et c'est exactement ce que nous faisons. Il y a un problème budgétaire, il y a des problèmes budgétaires qui se sont succédés dans l'histoire européenne, c'était le cas en 1999 et avant en 1992, c'est assez récurrent. Alors, certes, il y a eu une crise, mais n'oubliez pas qu'il n'y a pas eu que le Royaume-Uni, il y a eu quatre autres pays qui ont dit "non", deux qui ont dit, en plus, "oui" mais attention, et il faudra donc que nous trouvions une résolution à ce problème. Mais dans l'intervalle, ce qu'il ne faut pas oublier de faire, c'est d'intensifier la coopération. Alors, c'est vrai que l'on peut mettre le doigt sur des désaccords entre la France et le Royaume-Uni, mais je pourrais mettre le doigt sur des zones d'accords profonds et, plus encore, des zones d'actions communes, notamment en matière de politique étrangère, mais également dans d'autres domaines.
Q - Il y a les déclarations d'amour et puis il y a les preuves d'amour. Monsieur Straw vous dit qu'il n'était pas le seul, ce n'est pas la Grande-Bretagne qui a torpillé l'accord sur le budget. Pourtant, c'est ce qu'ont dit et répété les dirigeants français. Est-ce qu'à votre avis, ils auraient pu faire cela si la France n'avait pas elle-même torpillé l'union politique avec son vote au référendum ?
R - Philippe Douste-Blazy - D'abord, le peuple n'a jamais tort par définition, donc personne ne torpille personne, c'est comme cela. Nous n'avons peut-être pas suffisamment su expliquer et faire de la pédagogie. Là où nous avons un problème et c'est là où il faut le régler - d'ailleurs sous présidence britannique et je pense que Jack le fera - c'est le problème du coût de l'élargissement. Nous avons des nouveaux pays qui sont arrivés dans l'Union européenne et il est important, surtout pour ceux de l'Est qui ont connu des dictatures et qui arrivent enfin à la table des négociations, ceux-là, il ne faut pas leur donner l'impression qu'il n'y a pas de budget. C'est ce qui a créé une tension un peu entre nous.
Q - Pas de budget, c'est-à-dire pas de quoi financer les plans d'ajustement structurel, pas de quoi financer les réformes.
R - Philippe Douste-Blazy - Cela veut dire ne pas aider la Pologne, ne pas aider la Lituanie, l'Estonie, comme on a pu aider à l'époque l'Espagne ou la Grèce ou le Portugal. Et on voit le succès qu'il y a eu. Donc, il est évident que nous devons sortir par le haut de cela et c'est ce qui est important : ne pas donner l'impression de ne pas faire une place aux pays de l'Est. En même temps, c'est vrai que la France a décidé de donner 10 milliards d'euros de plus sur la période 2007-2013, c'est là qu'on a une discussion sur le chèque britannique et c'est là où nous avons une discussion. Mais, je crois qu'il est important que l'on ait un budget assez vite de façon à ce qu'il n'y ait pas de crise financière qui vienne se surajouter à une crise institutionnelle.
Q - Il y a un instant, Philippe Douste-Blazy disait qu'il ne doutait pas de la volonté des Britanniques d'aller vers l'Europe politique. Mais je lis ce que vient de déclarer Gordon Brown, votre Chancelier de l'Echiquier : "L'Union européenne était une belle idée, c'est désormais un non-sens. Il n'y a pas d'échelon entre la mondialisation et l'Etat Nation."
R - Jack Straw - Je n'ai pas eu l'occasion de lire ce qu'a déclaré Gordon, je sais ce qu'il pense de l'Union européenne, il est fortement engagé comme Tony Blair et comme moi-même. Nous voulons que l'Union européenne fonctionne et fonctionne mieux dans ce nouveau contexte. Il faut bien se rappeler qu'au cours des cinquante dernières années, le contexte a beaucoup changé. Il y a cinquante ans, quel était le défi ? Le défi, c'était de remettre au goût du jour l'industrie européenne, de la remettre sur pied ; et faire en sorte que les peuples européens, plus jamais, ne souffrent de famine, faire en sorte que l'agriculture puisse fonctionner pour les nourrir. Nous avons réussi sur ces points. Nous sommes confrontés aujourd'hui à des défis différents, la mondialisation notamment, le fait que 50 % des biens industriels du monde vont nous venir d'Asie alors que, auparavant, c'était l'Europe et les Etats-Unis qui dominaient la fabrication industrielle. En ce qui concerne maintenant l'avenir, il y a bien sûr cette difficulté du budget que nous devons résoudre, une solution sera trouvée, on trouve toujours des solutions à ces crises, il y aura probablement un type de compromis, c'est ainsi que l'on fait d'habitude. Et nous restons fortement engagés pour faire en sorte que la santé des économies des nouveaux Etats, des Etats qui ont récemment accédé continue d'être renforcée.
La difficulté que nous avons en tant que gouvernement britannique, c'est que par le passé, nous avons été un contributeur net très important par rapport à d'autres pays de taille similaire et nous avons un public qui a quelque peu de mal à croire que nous devons payer encore plus. Les propositions qui ont été faites par le Luxembourg posaient problème à ce titre. Mais même si nous avions gardé en fait exactement la même remise, nous paierions encore 14 ou 15 milliards d'euros en plus. Mais nous trouverons une solution.
Mais il y a une question plus large qui se pose : quel est le type d'Europe que nous voulons ? J'aimerais vraiment m'arrêter sur ce point parce que certains, pas Philippe, certes, mais d'autres en France nous disent que tout ce que voudrait le Royaume-Uni, c'est un marché commun et rien d'autre, une union douanière, pourrait-on dire, toute simple. Ce n'est pas vrai ! Ce n'est pas vrai. Nous avons travaillé dur en Grande-Bretagne pour créer une Grande-Bretagne sociale, c'est la tradition du parti socialiste démocrate ; nous avons d'ailleurs un salaire minimal, ce qui n'est pas le cas dans tous les pays européens ; nous avons augmenté la protection sur le lieu du travail, nous avons fait cela dans notre loi nationale ; nous avons augmenté les droits syndicaux et les privilèges syndicaux, et pas le contraire, comme on semble le dire parfois. La question n'est donc pas de savoir s'il y aura une Europe sociale ou une Europe britannique, mais il faut voir quel est le mélange de politique publique qui nous permet d'aller dans ce sens. Il y a de grands débats en France, en Allemagne sur le rôle exact que doit tenir l'Etat dans ces politiques sociales. Ce débat doit avoir lieu également au niveau européen, c'est évident. Alors, je pense que nous avons tous quelque chose à apprendre les uns des autres dans ce débat. En fait, je ne dis pas cela pour me réjouir du malheur des autres, pendant des années, nous avons beaucoup appris en regardant ce que faisaient d'autres pays européens, notamment la France et l'Allemagne, pour savoir ce qu'il fallait peut-être que nous revoyions dans les investissements publics, par exemple. Dans ma propre circonscription électorale qui est en fait une ville avec des cotonneries, qui faisait du textile, il reste maintenant une seule usine de textile, il y en avait 140 avant. Mais le chômage est passé de plus de 10 % à 5 % au cours des huit dernières années, la plupart des personnes ont un emploi et, en plus, il y a un investissement important dans les infrastructures de santé et de formation beaucoup plus que par le passé. Je ne sais pas pendant combien de temps nous allons pouvoir continuer avec ce modèle et il reste encore beaucoup de choses que nous avons à apprendre de ce que font nos amis sur le continent européen, mais les personnes les plus pauvres dans ma circonscription électorale pensent qu'elles ont davantage que par le passé.
R - Philippe Douste-Blazy - Ce qui est évident, c'est que les politiques conduites par Mme Thatcher et par Tony Blair aujourd'hui, sur le plan du chômage, on le voit, ont un résultat, c'est 5,1 % de chômage, et ce n'est pas nous - surtout pas - qui pouvons donner des leçons. A l'inverse, ce qui est important, c'est de tordre le cou à ceux qui diraient qu'il y a, d'un côté, un modèle anglo-saxon qui serait un modèle non social et, de l'autre côté, un système social français qui serait "has been". Le sujet, c'est que nous sommes tous pour un modèle social.
R - Jack Straw (en français) - Oui, je suis d'accord.
R - Philippe Douste-Blazy - Nous sommes contre l'assistanat et nous sommes contre les abus du système social. Lorsque j'ai contrôlé systématiquement tous les arrêts maladie et que je vois qu'il y a une diminution maintenant des arrêts maladie, je suis content et je pense que Jack est d'accord. Le vrai sujet est de savoir si, demain, nous, Européens, nous sommes capables de faire, à côté de la Politique agricole commune qui nous a permis - tu viens de le rappeler - d'être le continent totalement indépendant du reste du monde pour pouvoir se nourrir, d'être les premiers exportateurs au monde de produits agricoles transformés, cela, c'est un succès, le succès de la politique européenne intégrée, est-ce qu'on peut faire pareil sur la recherche ? Est-ce que tu serais d'accord ? Est-ce que nous devons aller vers une Agence européenne de la recherche qui nous permettrait, sur six, sept ans, de devenir une puissance aussi forte que les Américains, les Chinois ou les Indiens ? Car, sinon, je ne vois pas comment on pourra obtenir demain pour nos enfants et nos petits-enfants les métiers de demain. Cela veut dire que si on met de l'argent là, c'est vrai qu'on ne le met pas dans l'assistanat. C'est sûr.
R - Jack Straw - C'est le grand enjeu, et comme tu le disais Philippe, il y a en fait des domaines de coopération pratiques dans la haute technologie, par exemple, entre la France et la Grande-Bretagne et qui ont lieu quotidiennement. Pensons par exemple à l'aérospatiale, pensons aux ailes de l'Airbus à Toulouse, bien sûr. J'ai vu cela avec Sa Majesté la Reine lorsqu'on s'est rencontré l'année passée, mais les ailes de l'Airbus sont fabriquées en Grande-Bretagne, beaucoup des moteurs sont fabriqués en Grande-Bretagne ; c'est un excellent exercice de coopération entre nos deux pays. Ainsi qu'ITER par exemple, le réacteur de puissance nucléaire où nous avons soutenu mordicus la France pour que cet investissement ait lieu en France, et nous avons gagné. Je dis, c'est en France, bien sûr, que le site sera établi mais je dis "nous", nous avons gagné cet investissement pour l'Europe et nous sommes très heureux que ce soit le cas. Je pense que nous devons étudier précisément votre idée pour voir comment nous allons pouvoir améliorer et renforcer notre collaboration en matière de recherche. Parce que les pays, individuellement, peuvent en faire beaucoup et les grands pays ont une tâche importante en la matière, mais comment allons-nous coordonner nos efforts et augmenter les sommes disponibles pour les investissements dans la recherche et le développement ? C'est absolument essentiel lorsqu'on regarde le fait que maintenant l'Inde et la Chine produisent davantage de diplômés en sciences et en technologie que le total de l'Europe combinée.
Q - Plus question d'opposer la Politique agricole commune et la recherche, on peut faire les deux ?
R - Jack Straw - Il faut que je le dise clairement. Je ne dis pas qu'il ne doit pas y avoir de Politique agricole commune, c'est important parce que si nous en revenions à des politiques agricoles nationales, il y aurait en fait davantage d'aides d'Etat payées aux agriculteurs, il y aurait des problèmes plus importants de subventions aux exportations, il y aurait donc moins de possibilités d'aller dans le sens de l'objectif de développement de Doha. Il ne s'agit donc pas d'abandonner la Politique agricole commune, mais il y a un débat qui doit avoir lieu sur la question suivante. Il faut faire en sorte qu'à moyen terme il y ait moins d'argent qui soit dépensé pour le soutien aux agriculteurs que ce n'était le cas et que davantage de l'argent disponible de l'Union européenne soit dépensé pour la recherche et le développement et que nous ouvrions parallèlement nos marchés à des pays africains notamment.
R - Philippe Douste-Blazy - Ce que je voudrais dire, c'est que c'est déjà le cas, puisque nous sommes passés de 71 % du budget de l'Europe qui était consacré à la Politique agricole commune à 40 % aujourd'hui et avec le paquet luxembourgeois, nous étions à 33 %. Je le dis et c'est important, d'ailleurs avec l'accord du Royaume-Uni : sur le problème des Africains, il faut quand même dire que nous avons ouvert toutes nos frontières aux importations africaines, ce que les Américains n'ont pas fait. Je le dis aussi dans le cadre de l'OMC : le jour où nous nous le faisons, on aimerait que les Américains le fassent aussi.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 juillet 2005)