Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, à I Télé le 14 octobre 2005, sur les risques et les mesures de prévention contre la grippe aviaire, la défense de la Pac dans les négociations à l'OMC, la coopération européenne contre le terrorisme, les relations et la coopération franco-américaines sur le Liban, le dossier nucléaire iranien et la situation en Irak.

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Média : I Télé

Texte intégral

Q - Philippe Douste-Blazy est donc notre invité ce soir. Nous ouvrons tous les soirs ce JT international par une image de l'actualité que nous avons choisie. Je vous propose de regarder ensemble celle de ce soir, c'est celle de Recep Tayyip Erdogan s'attaquant à une salade au jambon de poulet hier soir, c'était pour la rupture du jeûne du ramadan, un menu symbolique évidemment puisque le Premier ministre turc a voulu rassurer ses concitoyens. Philippe Douste-Blazy, une première question au croisement de l'actualité européenne et de vos compétences scientifiques : est-ce qu'on peut faire sérieusement comme le ministre Erdogan ? On peut encore manger ce genre de volaille, est-ce que c'est dangereux, est-ce qu'il y a un risque de crise sanitaire en France, en Europe maintenant ?
R - D'abord il est évident qu'il faut dire et redire et qu'il n'y a aujourd'hui absolument aucun risque pour l'homme aujourd'hui de grippe aviaire tout simplement puisque le virus ne se transmet pas d'homme à homme. Simplement ce virus H5N1 a touché aujourd'hui les poulets, les volailles...
Q - Enfin il y a eu des morts en Asie du Sud-Est, il y a eu une soixantaine de morts...
R - Oui mais il n'y a jamais eu d'épidémie, il n'y a jamais eu de contagion d'homme à homme. Si ce virus mute, change, alors à ce moment-là il peut y avoir une catastrophe. C'est la raison pour laquelle Xavier Bertrand, le ministre de la Santé et son équipe y travaillent aujourd'hui vraiment et remarquablement. Je le sais, j'ai été ministre de la Santé, donc je vois que ce travail est bien fait en France mais l'urgence aujourd'hui pour la communauté internationale, c'est de s'occuper des pays les plus pauvres, des pays en voie de développement, des pays qui, en Asie du Sud-Est et en Afrique, vont être touchés dont les volailles vont être touchées.
Et donc attention parce que si rien n'est fait pour vacciner les volailles, si rien n'est fait pour les systèmes de santé publique dans les pays du Sud, alors oui, il peut y avoir un risque de mutation du virus ; si le virus mute dans ces pays du Sud, alors évidemment les oiseaux migrateurs repartiront vers l'Europe ou ailleurs et à ce moment-là il peut y avoir une épidémie.
Donc ne soyons pas bêtes, égoïstes et surtout ignares. Soyons au rendez-vous avec ces pays les plus pauvres. Il y a une réunion à Genève les 7 et 8 novembre. Les bailleurs de fonds doivent être là. Elle est organisée par l'Organisation mondiale de la Santé, l'OAA/FAO mais aussi l'Organisation internationale des Epizooties. Il faut être au rendez-vous et il faut au moins 150 millions de dollars pour donner la possibilité à ces pays pauvres de mettre en oeuvre un système de santé publique, de vacciner les volailles pour éviter la mutation. L'urgence de l'urgence, c'est d'éviter la mutation du virus. Si le virus ne mute pas, il n'y a aucun risque. Donc arrêtons de nous faire peur ici mais soyons plutôt efficaces là-bas.
Q - C'est pour cela que vous avez demandé un sommet européen spécial qui sera consacré à la grippe aviaire, qui sera consacré aussi à d'autres dossiers ? Vous allez aussi évoquer ce problème du sud, voir ce que peut faire l'Europe pour aider ces pays que vous dites vulnérables à cette épizootie ?
R - Absolument. La France a demandé, Jacques Chirac a demandé à la Présidence britannique d'organiser un Conseil Affaires générales, c'est-à-dire la réunion des ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne, d'abord pour aborder la question des discussions au sein de l'OMC, parce que nous estimons que nous ne sommes aujourd'hui pas écoutés par la Commission et ensuite pour parler aussi de la grippe aviaire, parce qu'il faut savoir ce que l'Union européenne va faire pour ces pays les plus pauvres. L'urgence, c'est aujourd'hui de s'occuper des pays les plus pauvres. Pourquoi ne pas trouver d'ailleurs avec la Banque mondiale l'occasion de trouver les financements nécessaires pour aider ces pays dans leur action ? C'est éthiquement catastrophique de ne pas s'en occuper, mais en plus c'est idiot parce que le virus risque de muter.
Q - Alors, juste une dernière question sur la grippe aviaire en Europe parce qu'il y en a en Roumanie, il y en a en Turquie. Tout à coup, on a l'impression que la Turquie est en Europe parce qu'on s'inquiète vivement de la détection de ce virus là-bas, sans céder à la panique, il n'y a vraiment pas à s'inquiéter ? Parce qu'on a l'impression qu'on veut tellement rassurer que, du coup, on endort un peu les gens. Non ?
R - Non, au contraire, je crois qu'il y a une transparence totale, c'est-à-dire qu'on voit aujourd'hui que ce virus H5N1 est présent dans certaines volailles. Ces volailles se trouvaient au départ uniquement dans des pays d'Asie, elles sont aujourd'hui proches du Danube, elles risquent d'avancer. Mais tant que le virus en question est confiné aux volailles, ne passe pas à l'homme et en tout cas ne mute pas avec un risque de transmission à l'homme, il n'y a pas d'épidémie et donc vous pouvez évidemment être tranquille mais attention...
Q - Donc pas de ruée sur les pharmacies...
R - Non évidemment il faut faire très attention à cela mais la transparence est totale et le Premier ministre ce matin, Dominique de Villepin, s'en occupe en personne, pilote cela avec le ministre de la Santé.
Q - Alors on va revenir à l'OMC. Il y a un grand débat en ce moment sur les subventions agricoles au sein des négociations qui se mènent dans le cycle de Doha. Je sais que la France tient énormément aux subventions de l'agriculture européenne, c'est ce que vous défendez vous aussi notamment. Juste une question : vous parlez de Nord-Sud, des inégalités etc, est-ce que ce n'est pas dans l'économie mondialisée qu'on connaît aujourd'hui, dans les inégalités commerciales, est-ce que cela peut paraître égoïste, un peu archaïque même si c'est économiquement compréhensible, de vouloir absolument préserver ces subventions agricoles européennes ?
R - Il faut d'abord expliquer un peu à ceux qui nous écoutent ce qu'est l'OMC parce que...

Q - L'Organisation mondiale du Commerce où l'on discute les règles du commerce...
R - L'Organisation mondiale du Commerce permet de définir les règles du jeu du commerce mondial. Alors vous dites - et vous avez raison - : ce n'est pas la peine de parler toujours des pays pauvres et des pays en voie de développement...
Q - Et de dire qu'on va les aider, qu'on va effacer leur dette, qu'on va faire du commerce équitable et se cramponner encore à ces subventions...
R - Et si en même temps nous faisons tout pour que ces pays n'"écoulent" pas ce qu'ils ont à écouler, c'est-à-dire en premier lieu les matières agricoles... alors vous savez, c'est très simple, l'Europe a fait son travail. La réforme de la Politique agricole commune, en 2002, a diminué les aides à l'exportation, a diminué les aides directes aux agriculteurs qui n'en étaient pas contents, justement pour pouvoir permettre aux pays les plus pauvres d'entrer dans le commerce international. Nous l'avons fait et d'ailleurs le problème, c'est qu'il y a deux grands continents, il y a l'Europe et l'Union européenne d'un côté mais il y a aussi les Etats-Unis...
Q - Ils ont baissé... ils proposent de baisser...
R - Ce n'est pas la même chose. Vous avez dit "ils ont baissé" et ensuite vous avez dit "ils ont proposé "... ce n'est pas tout à fait la même chose. Les Etats-Unis le disent mais ils ne l'ont pas fait. Donc, il faut de la fermeté. Nous l'avons fait en 2002, les Américains doivent le faire maintenant et ne doivent pas demander de conditions. Or, le commissaire européen, M. Mandelson, lui, a discuté avec la partie américaine sans nous en rendre compte à nous, pays membres, nous hommes politiques. Alors on nous dit le 29 mai que les hommes politiques ne font pas suffisamment d'Europe ; certes, mais à condition que personne ne les écarte de la discussion ! Nous sommes des hommes politiques. Nous souhaitons définir le cadre de négociation de M. Mandelson, qui est, lui, commissaire. Il a fait ses propositions sans nous le dire. Je vais lui dire mardi qu'il négocie dans un cadre fixé par les chefs d'Etat et de gouvernement et les ministres...
Q - Donc nous, on ne renonce pas à notre PAC avant 2013... il est hors de question de faire plus d'efforts que ce qui a été fait...
R - Attendez que les Américains fassent les mêmes efforts. Il faut quand même aussi défendre les Européens. Nous sommes l'Union européenne, il faut la défendre. Dans la mondialisation actuelle, je suis là pour défendre aussi les Européens. Alors il faut que les pays pauvres...
Q - C'est un intérêt très français aussi l'agriculture, néanmoins...
R - Très français mais vous avez parlé de grippe aviaire tout à l'heure. Dites-moi quel sujet est plus important que l'agriculture et l'alimentation ? J'ai été ministre de la Santé. Il n'y a pas un seul jour où je n'ai pas eu peur d'une crise sanitaire. Vous mangez matin, midi et soir ; évidemment, vous ne vous rendez pas compte du travail qui est fait parce que vous avez confiance dans ce que vous avez dans votre assiette.
Or, nous, l'Union européenne, nous sommes d'abord indépendants, nous n'avons besoin de personne parce que nous avons une Politique agricole commune et quand Jacques Chirac défend la Politique agricole commune, il ne fait pas cela pour plaire aux agriculteurs mais parce que cela nous permet d'être indépendants sur le plan agricole et parce que ainsi nous avons dans notre assiette des produits qui sont sûrs, qui ne sont pas abîmés, qui ne sont pas gâtés, qui ne présentent aucun risque pour nous. C'est grâce à notre Politique agricole commune.
Alors, les Américains disent : "nous avons une politique américaine agricole". Qu'ils commencent à se réformer avant qu'on ne continue parce que sinon, nous, on ne vendra plus rien et les Américains prendront tout. Je suis là pour défendre aussi les Européens.
Q - Message pour Jack Straw donc. 
R - Et pour M. Mandelson.
Q - Autre image de l'actualité si vous le voulez bien : vous avez sûrement vu comme nous aujourd'hui les images aux Pays-Bas où il y a eu des interventions de la police néerlandaise qui a entouré le siège du Parlement du gouvernement, il y a eu une menace terroriste très forte ; sept personnes ont été arrêtées. Beaucoup plus à l'Est mais cela nous concerne également, il y a eu une nouvelle opération anti-terroriste dans le Caucase il y a au moins cent morts. Ce spectre du terrorisme du Caucase à Londres en passant par La Haye, est-ce que la politique européenne, est-ce que la coopération entre les Etats membres est suffisante face à ce spectre et cette menace de plus en plus forte qui nous vise tous à un moment ou un autre ? 
R - En tout cas, nous faisons beaucoup d'efforts au niveau européen pour harmoniser les actions de lutte contre le terrorisme, que ce soit avec le mandat d'arrêt européen qui fonctionne aujourd'hui, que ce soit avec des équipes communes d'enquête et en particulier dans des pays limitrophes, l'Espagne, l'Allemagne par exemple, qui donne des résultats corrects et puis surtout maintenant nous pouvons évaluer l'action antiterroriste des autres pays parce que si un des 25 ne fait pas les mêmes efforts que les autres, évidemment les terroristes vont se mettre dans cette niche pour agir. Et puis il y a aussi ce livre blanc que Dominique de Villepin souhaite sur la lutte contre le terrorisme. Il a évidemment totalement raison. Et cette loi aussi qu'il faut que nous adoptions pour lutter contre le terrorisme de manière plus forte et Nicolas Sarkozy s'y attelle.
Vous savez, personne n'est à l'abri du terrorisme, c'est la chose la plus horrible, la plus lâche, la plus effrayante qui soit. Donc, il faut se battre tous, les uns et les autres, là-dessus mais il faut aussi réfléchir Nous parlions tout à l'heure des pays les plus pauvres : attention, les pays du Sahel, la bande sahélienne aujourd'hui, lorsque vous voyez que la famine est là, lorsque vous voyez que rien n'est fait, lorsque vous voyez que ces populations se trouvent dans le plus grand dénuement, dans le désespoir total, il faut aussi comprendre qu'il y a des gens qui se servent de ce désespoir pour enrôler ces jeunes de 18, 19, 20 ans et les envoyer en kamikazes ensuite contre les capitales du Nord. Et après tout je me dis que nous devrions avoir aussi cela en tête. Lorsque l'on voit ce qui s'est passé au Maroc, lorsque l'on voit ce qui s'est passé en Espagne, à Gibraltar...

Q - Vous n'avez pas l'impression, là, que l'Europe se détourne un tout petit peu de ses responsabilités, "fait l'autruche" quand des ministres de l'Intérieur dont le nôtre ne vont pas par exemple à la réunion du Luxembourg où on fait un compte rendu de la Commission européenne, on demande au Maroc de faire le sale travail. Est-ce que vous ne pensez pas que là, l'Europe n'est pas face à ses responsabilités ?
R - Nous avons besoin d'une solidarité européenne beaucoup plus grande, ne serait-ce que vis-à-vis de l'Espagne d'ailleurs, plutôt que de la laisser seule avec ce problème, c'est vrai. Mais surtout ce que nous devrions comprendre, c'est que nous nous trouvons au début des problèmes. Un Malien, un sahélien qui veut faire vivre sa famille est prêt à tout ; il marche plusieurs centaines de kilomètres en plein désert mais, pour qu'un homme puisse quitter sa famille, son village pour aller ailleurs, il faut qu'il y ait quelque chose d'excessivement grave. Or nous ne comprenons pas cela. C'est la raison pour laquelle aujourd'hui, il faut le dire très fortement ; le président français le dit depuis dix ans et c'est d'ailleurs lui qui a notamment proposé des mécanismes de financement innovants.
Ces financements qui nous permettront avec 50 milliards de dollars... par rapport à la valeur des échanges internationaux, ce n'est vraiment rien ! Eh bien, il faut trouver une solution pour pouvoir aider ces personnes, aider des micro-projets économiques de façon à ce qu'ils puissent eux-mêmes permettre aux populations de vivre de leur propre agriculture avec l'irrigation...
Q - Cela passe aussi par l'OMC et par un commerce plus équitable.
R - Oui, cela passe par l'OMC et c'est ce que nous faisons. A Hong Kong au mois de décembre, il faut défendre le développement, il faut défendre les pays les plus pauvres. C'est vrai pour la grippe aviaire, c'est vrai aussi pour le terrorisme parce que sinon c'est le début de la catastrophe.
Q - Philippe Douste-Blazy, le temps passe très vite, il nous reste à peine six minutes ; vous avez vu Condoleezza Rice aujourd'hui, elle était à Paris. La dernière fois qu'elle est venue, c'était il y a huit mois, elle voulait écrire un nouveau chapitre des relations franco-américaines. Est-ce que ce chapitre a commencé, est-ce que les premières lignes sont encourageantes ?
R - Oui, les Etats-Unis sont un pays ami, un pays allié qui nous l'a prouvé au long de notre histoire et comme nous sommes des amis, nous nous disons les choses franchement. Nous leur avons dit pour l'Irak à l'époque et je dois dire qu'il y a actuellement une coopération très positive avec les Américains sur le Liban. Il se passe quelque chose de très important au Liban aujourd'hui...
Q - Notamment des suicides de ministre de l'Intérieur syrien... pas très loin...
R - D'abord vous parlez de la Syrie et pas du Liban et deuxièmement non, la chose la plus importante, c'est la démocratie. Qui aurait dit que ces élections législatives au Liban se seraient déroulées avec une telle liberté d'expression ? Eh bien aujourd'hui il y a un Parlement et puis cela va continuer. Alors c'est vrai qu'il y a le voisin syrien et nous avons dit très clairement au Conseil de sécurité avec ces résolutions 1559 et 1595, qu'il ne doit pas y avoir d'ingérence sur n'importe quel pays et le Liban en particulier. Nous l'avons dit aux Syriens et les Syriens doivent respecter cela. Une commission d'enquête doit déterminer qui a tué le Premier ministre libanais. Ce n'est pas politique, c'est purement du domaine de la justice. 
Q - Mais cela inquiète beaucoup... l'espèce de panique ou d'angoisse en Syrie et au Liban qui sont perceptibles ces derniers jours du fait qu'on va savoir dans quelque temps, fin octobre, le verdict...
R - Quand il y a des criminels, où qu'ils soient, il faut bien les trouver et ensuite il faut bien les juger. C'est une affaire de justice. Il y a beaucoup de gens qui pensent passer au travers des mailles du filet. Nous n'avons pas le droit de laisser faire cela.
Q - Est-ce que vous expliquez le suicide officiel du ministère de l'Intérieur par ce climat inquiet qui règne en Syrie ?
R - Je ne sais pas, j'espère seulement que M. Mehlis pourra trouver la cause de la mort de Rafic Hariri et ce qui me paraît le plus important, c'est que M. Mehlis est un grand juge qui va jusqu'au bout. La France a une priorité, c'est qu'il travaille parfaitement, qu'il dise au Conseil de sécurité ce qu'il a trouvé et qu'ensuite, on puisse juger les assassins du Premier ministre libanais.
Q - Vous parliez du Conseil de sécurité. Quand on regarde le dossier iranien qui pèse aussi sur le Conseil de sécurité, on a l'impression que les Européens et les Américains se sont notamment réconciliés sur le dos de l'Iran. Est-ce que l'Europe a remisé la voie de négociation un petit peu originale qui avait montré qu'il y avait un trio européen qui existait, qui avait une voix différente. On a l'impression que maintenant le discours américain, le discours européen, c'est presque le même. De toute façon, on dit "si cela ne marche pas, vous finirez devant le Conseil de sécurité" ; est-ce que les Européens ont lâché sur ce terrain-là avec les Américains ou vis-à-vis des Américains ?
R - Voulez-vous qu'il y ait une arme nucléaire en Iran ? C'est la question qu'il faut poser. 
Q - On a l'impression que les Européens ont changé de ton.
R - Non, ce n'est pas cela. La communauté internationale ne souhaite pas que l'Iran possède une arme nucléaire. Et donc l'important, c'est l'unité de la communauté internationale. Ensuite comment y arriver ? Les Européens ont négocié avec l'Iran ; l'Iran a accepté de signer l'Accord de Paris en novembre 2004 pour dire "nous allons suspendre les activités nucléaires sensibles". Et puis, de manière unilatérale, l'Iran est revenu là-dessus début août. Nous ne souhaitons pas que l'Iran continue ; donc nous lui avons proposé la négociation. Nous, Européens, nous ne demandons pas mieux et disons: "négocions, arrêtez les activités nucléaires sensibles et trouvons des solutions énergétiques, du nucléaire civil." L'Iran a droit au nucléaire civil, évidemment comme tout le monde, mais pas au nucléaire qui ne serait pas pacifique.
Adoptons des accords commerciaux, des accords stratégiques sur autre chose. Mais regardez, en Corée du Nord, on a avancé. Pourquoi n'avancerions-nous pas en Iran ? Mais si l'Iran refuse... le Conseil des gouverneurs de l'AIEA a dit de manière ferme : "il faut que vous suspendiez vos activités nucléaires sensibles car sinon le rapport ira tôt ou tard - alors on n'a pas de calendrier précis - au Conseil de sécurité" ; l'Inde a d'ailleurs voté cette résolution. Les Russes et les Chinois se sont abstenus mais n'ont pas voté contre. Il n'y a eu qu'un seul vote contre, celui du Venezuela.
Je crois qu'il faut beaucoup de fermeté et, en même temps, l'Iran est un grand pays, une grande civilisation qu'il faut respecter, qu'il ne faut pas humilier. Donc nous disons "oui, nous vous tendons la main mais attention, nous sommes fermes, il ne faut pas que vous continuiez vos activités nucléaires sensibles".
Q - On arrive à la fin de cette interview. Un mot d'Irak. On a commencé à voter, on vote vraiment demain à Bagdad et dans tout le pays pour la Constitution. Vous trouvez que c'est encourageant ? On dit beaucoup aux Etats-Unis que les Américains attendent la fin de ce processus institutionnel pour pouvoir se retirer sans trop plier les épaules. Est-ce que c'est à ce moment-là que l'Europe pourrait intervenir ?
R - Juste avant notre émission, il y en avait une autre sur l'Irak et la violence qui existe aujourd'hui. Donc il y a un paradoxe : d'un côté, il y a une Constitution, et j'espère qu'il y aura une grande participation, j'espère que tout le monde pourra voter, cela c'est plutôt positif. Mais de l'autre il y a une violence, une communautarisation et j'espère que les sunnites pourront trouver leur place car aujourd'hui ils ne la trouvent pas.
En fait nous souhaitons, nous, la souveraineté territoriale de l'Irak, nous souhaitons qu'après cette Constitution, ils aient des élections générales fin décembre, qu'il y ait un gouvernement et que l'Irak décide lui-même de son avenir. Et je souhaite surtout - nous souhaitons, nous, la France - qu'il y ait rapidement autour de la table toutes les forces politiques de l'Irak pour éviter la partition, pour qu'il n'y ait pas de guerre civile et pour qu'il y ait une cohésion nationale.
Alors nous souhaitons une conférence internationale sur ce sujet parce qu'il faut que l'Irak puisse garder sa cohésion, sa souveraineté territoriale et j'espère que les voisins de l'Irak aideront à cela.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 octobre 2005)