Déclaration de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, sur le projet de loi d'habilitation des ordonnances sur l'emploi et notamment sur le "contrat nouvelles embauches", à l'Assemblée nationale le 28 juin 2005.

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Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Députés
Je suis venu ce soir vous dire ma détermination. Pour vous parler d'action et de responsabilité.
En accord avec le Président de la République, j'ai fait le choix des ordonnances.
J'ai fait ce choix pour une raison simple : l'urgence. Nous ne pouvons plus attendre face aux 10% de chômage que connaît notre pays depuis des années. Le chômage représente aujourd'hui une injustice inacceptable. Une injustice que nous connaissons tous autour de nous et que nos compatriotes ne peuvent plus supporter. Nous avons consacré beaucoup de temps et d'énergie aux analyses et aux réflexions : nous devons désormais entrer dans le temps de l'action et du résultat. Nous n'avons pas tout essayé.
Certains craignent que nous ouvrions la voie à la précarité. Mais la vraie précarité, c'est le chômage. La vraie précarité, c'est de n'avoir aucune perspective d'embauche. La vraie précarité, c'est l'alternance des petits CDD et de longues périodes d'inactivité. Regardons les choses telles qu'elles sont. Regardons la réalité du marché de l'emploi : aujourd'hui, plus de 70% des embauches dans les très petites entreprises ont lieu en CDD. La moitié dure moins d'un mois. Et l'autre moitié quatre mois et demi en moyenne.
J'entends ici et là certains qui s'inquiètent d'une remise en cause des droits sociaux. Mais où sont les propositions ? Tous ceux qui plaident pour l'immobilisme portent une lourde responsabilité. Car si nous nous résignons à ne pas bouger, tout ce que nous avons construit depuis des décennies sera emporté. L'histoire se fera sans nous.
J'ai fait le choix des ordonnances dans un esprit de dialogue et de concertation : notre débat d'aujourd'hui en est la preuve, comme les concertations que le ministre de l'emploi et de la cohésion sociale et le ministre délégué au travail ont eues avec les partenaires sociaux. Le dialogue social doit nous permettre de trouver ensemble les meilleures solutions, sans retarder les décisions qui s'imposent : l'honneur de la politique, c'est aussi de savoir trancher dans le sens de l'intérêt général.
J'ai fait ce choix en conscience : les ordonnances ne sont pas l'arbitraire, mais la tradition républicaine lorsque les circonstances l'exigent. Elles ont été utilisées par la gauche comme par la droite depuis le début de la Cinquième République. La création des comités d'entreprise et de la sécurité sociale en 1945, la participation en 1967, les 39 heures et la cinquième semaine de congés payés en 1982, les réformes de la sécurité sociale de 1967 à 1996 ont été adoptés par ordonnances. Le champ des ordonnances sera strictement limité à l'emploi et aux mesures que j'ai annoncées dans ma déclaration de politique générale.
J'ai fait ce choix avec une conviction : nous avons aujourd'hui entre nos mains, nous tous rassemblés ici, l'une des dernières chances de sauver le modèle social français. Soit nous retrouvons le chemin de la confiance et de l'emploi, et notre modèle social pourra continuer à promouvoir en France comme en Europe un équilibre de justice et de solidarité. Soit nous nous laissons miner par le chômage, et alors nous n'aurons plus aucune arme, plus aucun argument, plus aucun atout à défendre contre un système économique mondialisé dépourvu de règles et de respect. Ce choix est le choix de l'avenir pour tous les Français. Ceux qui ont un emploi et ceux qui n'en ont pas. Ceux qui n'ont pas les qualifications nécessaires et ceux dont l'expérience ne les protège pas du licenciement et du chômage de longue durée. Les femmes isolées qui n'arrivent pas à faire garder leurs enfants et les allocataires de minima sociaux qui ont perdu les réflexes du travail.
Le projet de loi que je soumets aujourd'hui à votre examen vise à habiliter mon Gouvernement à prendre six ordonnances.
La première met en place le contrat " nouvelles embauches ". Il facilitera l'embauche dans les très petites entreprises, qui constituent le principal gisement d'emplois dans notre pays. Ces entreprises, nous le savons tous, hésitent trop souvent à embaucher alors même que leur carnet de commandes immédiat le permettrait.
J'ai voulu que ce contrat repose sur un équilibre fondamental : plus de souplesse pour l'employeur pendant les deux premières années, et plus de garanties pour le salarié en cas de rupture. Pendant des semaines, j'ai observé, j'ai analysé, j'ai écouté. J'ai entendu ceux qui voulaient faciliter la vie des employeurs. J'ai entendu ceux qui voulaient à juste titre garantir les droits des salariés. Je veux réconcilier l'employeur et le salarié. Arrêtons d'opposer l'un à l'autre. C'est jouer contre l'économie. C'est jouer contre l'emploi.
Le contrat que je propose est un contrat à durée indéterminée. Il instaure une " période d'embauche ", qui est un temps de consolidation de l'emploi. Ainsi, pendant les deux premières années, il pourra être rompu à l'initiative du salarié ou de l'employeur avec des formalités simplifiées.
En contrepartie le salarié bénéficiera de plusieurs garanties : tout d'abord l'instauration d'un préavis dès le deuxième mois de travail. Il sera de deux semaines au cours des six premiers mois, puis il augmentera avec l'ancienneté. En outre, l'employeur devra verser au salarié, avant la rupture du contrat, une indemnité qui sera fonction des salaires versés. A cette indemnité pourra s'ajouter une contribution de reclassement. Par ailleurs, les salariés qui n'auraient pas cotisé suffisamment longtemps pour bénéficier d'une couverture chômage auront droit à une allocation financée par l'Etat.
Enfin, outre des droits renforcés à la formation, les salariés qui sortent du contrat " nouvelles embauches " pendant les deux premières années pourront bénéficier d'un accompagnement adapté. Les partenaires sociaux pourront, s'ils le souhaitent, étendre à ces salariés le dispositif de la convention de reclassement personnalisé. En attendant, le Gouvernement se dotera de moyens pour mieux les accompagner vers un nouvel emploi. Pour financer ces dépenses, nous pourrons utiliser la contribution de reclassement que je viens d'évoquer. Bien entendu, les règles relatives au licenciement des salariés protégés s'appliqueront à ce nouveau type de contrat.
Ce nouveau contrat permettra de dynamiser le marché de l'emploi. Il devra être évalué au fur et à mesure de sa mise en uvre, en liaison avec les partenaires sociaux. Nous verrons alors s'il y a lieu de l'adapter dans ses modalités ou dans son champ d'application. Mais pour débloquer dès maintenant le plus d'emplois possible, je souhaite qu'il soit disponible dans toutes les entreprises jusqu'à 20 salariés dès le 1er septembre.
La deuxième ordonnance instaurera le chèque emploi pour les entreprises les plus petites. Dans le prolongement du titre emploi entreprise pour les salariés occasionnels, ce chèque servira à la fois de déclaration unique d'embauche, de contrat de travail, de déclaration des données sociales et de fiche de paie. Il permettra au chef d'entreprise de se consacrer pleinement, avec ses nouveaux collaborateurs, au développement de son entreprise.
La troisième ordonnance neutralisera le surcoût financier lié au franchissement du seuil de 10 salariés, et ce pour les 10 salariés suivants. L'Etat prendra ainsi en charge la participation au financement de la formation professionnelle continue, la contribution destinée au Fonds national d'aide au logement et la contribution à l'effort de construction.
Cette ordonnance instaurera également un crédit d'impôt de 1000 euros pour les jeunes de moins de 26 ans qui reprennent un emploi dans un secteur en pénurie de main d'oeuvre. Ils pourront toucher cette prime après 6 mois de travail, grâce à un versement anticipé du crédit d'impôt sur le revenu. La mesure pourrait s'appliquer à tous les jeunes qui débutent leur activité à partir du 1er juillet, pour éviter ainsi tout retard à l'embauche. Le Gouvernement mettra aussi en place une prime de 1000 euros pour les chômeurs de longue durée bénéficiaires de minima sociaux qui reprennent un emploi stable.
La quatrième ordonnance fera en sorte que les jeunes embauchés de moins de 26 ans n'entrent dans le décompte des seuils qu'à leur vingt-sixième anniversaire, pour les obligations sociales et financières des entreprises. Cette mesure étend les règles valables aujourd'hui pour les contrats aidés. Avec plus de 20% de jeunes au chômage, nous avons aujourd'hui une obligation de résultat. Je souhaite que demain, embaucher un jeune soit pour toutes les entreprises de France une chance, un atout.
La cinquième ordonnance mettra en place un dispositif d'insertion sur le modèle du service militaire adapté qui fonctionne avec succès dans les départements d'Outre mer. Ce dispositif sera proposé à des jeunes sortis du système scolaire sans diplôme ni qualification.
La sixième ordonnance porte sur le recrutement dans l'ensemble de la fonction publique. En supprimant le principe des limites d'âge, elle permettra aux seniors d'y accéder plus facilement. Elle créera également un nouveau mode de recrutement pour les jeunes de 16 à 25 ans sortis du système éducatif sans diplôme ou ayant des difficultés d'insertion professionnelle. Ils pourront bénéficier d'une formation en alternance rémunérée et intégrer la fonction publique à l'issue d'un examen professionnel, en qualité de fonctionnaires titulaires.
Vous le voyez, la philosophie de ce plan ne répond à aucune idéologie. Elle est dictée par le pragmatisme et le souci du résultat. Là où il y a des difficultés, nous voulons apporter des solutions. Là où il y a des gisements d'emplois inexploités, nous voulons nous donner les moyens d'aller les chercher. Là où il y a du dynamisme et de la volonté d'embaucher, nous voulons lever les appréhensions pour donner toute sa chance à l'emploi.
Ce plan d'action pour l'emploi est la première étape du retour à la confiance et à la croissance.
Nous devons partir d'un diagnostic clair et lucide : la baisse du dollar et la hausse du pétrole ont freiné la reprise économique de 2003, sans la remettre en cause. Notre économie est toujours portée par le dynamisme des créations d'entreprises, le bas niveau des taux d'intérêt et la consommation. Mais notre capacité à transformer la croissance mondiale en croissance française et en emplois reste insuffisante. Face à la mondialisation, notre pays souffre d'un manque de confiance dans ses atouts et dans ses moyens.
Pour permettre le retour de la confiance le gouvernement se fixe trois objectifs majeurs :
Premier objectif, garantir la stabilité des règles fiscales et sociales pour les entreprises. Le dispositif d'allègement des charges voté par le parlement sera pérennisé : le coût du travail n'augmentera pas.
Deuxième objectif, mobiliser d'ici la fin de l'année notre potentiel de créations d'emplois. Je compte pour cela sur le contrat " nouvelles embauches ", sur le projet de loi des services à la personne et sur les 100 000 contrats d'accompagnement vers l'emploi disponibles dès maintenant dans les associations, les maisons de retraites et le secteur de l'éducation. Cette mobilisation permettra une amélioration du pouvoir d'achat des Français, qui est une condition essentielle d'un retour de la croissance. Le gouvernement encourage par ailleurs la négociation salariale au niveau des branches ainsi que la diffusion des dispositifs d'intéressement et de participation au sein des entreprises.
Troisième objectif, l'affirmation d'un nouveau volontarisme industriel. Il reposera sur une logique de projet dont l'Etat prendra l'initiative. Mais pour retrouver une politique industrielle innovante nous avons besoin de tous : collectivités locales, universités, organismes de recherche, entreprises chacun doit jouer son rôle si nous voulons garantir la croissance et les emplois de demain.
Monsieur le président Mesdames, Messieurs les députés
A travers ces ordonnances, je veux exprimer l'engagement du gouvernement tout entier sur le front de l'emploi, un gouvernement de service public, dans lequel chaque Ministre est mobilisé, tout entier à sa tâche, pour relever le défi de l'emploi.
Ces ordonnances, je vous demande de les juger à travers l'urgence qui les motive et qui les rend si nécessaires. Que veut-on pour notre pays ? L'immobilisme ou le mouvement ? L'attentisme ou la responsabilité ? Avec bonne volonté, je cherche un chemin pour les Français. Un chemin pour tous les Français.
Mon gouvernement demande à être jugé sur ses résultats.
Je vous remercie
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 1er juillet 2005)