Conférence de presse de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur la décentralisation, le statut de l'élu local et le principe d'autonomie fiscale des collectivités locales, Paris le 18 octobre 2000.

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Circonstance : Présentation de la proposition de loi "Autonomie financière des collectivités locales" au Sénat le 18 octobre 2000

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Les jours se suivent et se ressemblent...
En effet, hier, nombre d'entre vous ont sans doute participé à la conférence de presse au cours de laquelle mon collègue et ami Pierre Mauroy a présenté ses 154 propositions pour " refonder l'action publique locale. "
Aujourd'hui, vous nous faites l'honneur, à mes collègues et amis Jean-Paul Delevoye, Jean-Pierre Fourcade, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin et à moi-même, d'assister à cette présentation de notre proposition de loi constitutionnelle dont l'objet est de conférer toute sa dimension fiscale et financière au principe d'autonomie locale consacré par l'article 72 de notre Constitution.
Pour ma part, je ne veux voir dans ce " tir groupé " que l'expression d'une " saine émulation " au service de l'indispensable relance de la décentralisation qui est, à l'évidence, un processus bénéfique car il libère les initiatives locales, confère toute son efficience à l'action publique et donne corps et âme à la démocratie de proximité.
Le Sénat, qui vient d'être conforté par le Conseil Constitutionnel dans son rôle de représentant des collectivités territoriales de la République, a toujours fait sien ce crédo décentralisateur.
C'est ainsi que j'ai entrepris, depuis mon élection à la présidence du Sénat, de faire vivre notre bonus constitutionnel, en organisant, dans les régions de France, les Etats généraux des élus locaux.
Loin d'être des grand'messes républicaines sans lendemain, ces Etats généraux, qui portent sur des thèmes précis, sont destinés à prendre le pouls des élus locaux, à recueillir leurs doléances et suggestions et à déboucher sur des réformes. Un seul exemple : c'est à Lille, et en présence de Pierre Mauroy, qu'est née en septembre 1999, lors des Etats généraux des élus locaux du Nord-Pas-de-Calais, l'initiative qui s'est conclue par la loi Fauchon du 10 juillet 2000 sur la définition des délits non intentionnels.
Parallèlement à la tenue de ces Etats généraux, le Sénat a créé une mission d'information sur la décentralisation animée par Jean-Paul Delevoye et Michel Mercier, qui a remis ses propositions, en juin 2000, dans un rapport intitulé " Pour une République territoriale ".
Tel est, Mesdames et Messieurs, le contexte de bouillonnement intellectuel propice à une relance de la décentralisation dans lequel intervient le dépôt de cette proposition de loi constitutionnelle.
Dans un second temps, je voudrais, Mesdames et Messieurs, -très brièvement, rassurez-vous-, vous rappeler les raisons qui nous ont conduit à élaborer cette proposition de loi avant de vous présenter l'économie de ce texte dont le Sénat débattra la semaine prochaine.
Deux raisons principales ont milité en faveur de cette révision constitutionnelle qui est destinée à conférer une plus grande densité au principe de l'autonomie locale en l'enrichissant de toute sa dimension fiscale et financière.
Première raison : nous sommes convaincus, ici au Sénat, que toute relance réelle et durable de la décentralisation est subordonnée à un préalable indispensable, celui de la consolidation de son socle.
Ce socle, qui doit être sain et solide, comporte deux aspects : une dimension humaine et une dimension fiscale et financière.
Le socle humain de la décentralisation est constitué par l'immense armée des élus locaux, ces nouveaux " hussards de la République ", qui éprouvent un besoin, légitime et exprimé à maintes reprises, d'être soutenus et reconnus.
C'est ce à quoi nous nous sommes employés avec la loi Fauchon du 10 juillet 2000 qui est destinée à enrayer le processus de pénalisation excessive de l'action publique locale.
Il reste maintenant à doter les élus locaux d'un statut enfin digne de ce nom, avec une revalorisation des indemnités des maires des petites et moyennes communes, la consécration d'un véritable droit à la formation, l'octroi d'une protection sociale et l'édiction de garanties de retour à l'emploi afin de promouvoir un égal accès aux mandats locaux.
La seconde consolidation que requiert le socle de la décentralisation réside dans la nécessaire consécration constitutionnelle des implications fiscales et financières du principe de l'autonomie locale.
Il est en effet devenu nécessaire de mettre à jour la conception de l'autonomie locale, esquissée en 1958, près d'un quart de siècle avant l'irruption de la décentralisation et à laquelle le Conseil Constitutionnel ne donne pas toujours sa pleine dimension. Or l'autonomie fiscale, conçue comme la prépondérance, au sein des ressources des collectivités locales, des recettes qui résultent des décisions prises par les élus locaux, est une dimension consubstantielle de l'autonomie locale.
A cet égard, les contre arguments issus de la faiblesse des ressources propres des collectivités locales dans les pays à forte tradition décentralisée (comme l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne ou l'Italie) ne sauraient emporter la conviction.
En effet, dans ces pays, à structure parfois fédérale, les règles présidant au partage du produit des impôts entre l'échelon central et les niveaux locaux sont fixées et protégées par la Constitution.
En outre, les caractéristiques de notre pays, qui est, en raison de son histoire et de sa tradition, un Etat unitaire avec une répartition des impôts, entre impôts d'Etat et impôts locaux, rendent nécessaire la consécration constitutionnelle de l'autonomie fiscale des collectivités locales.
M. Pierre Mauroy ne dit pas autre chose lorsqu'il écrit, dans son rapport, que " l'autonomie fiscale est une dimension essentielle de la démocratie et du principe français de libre administration des collectivités locales " et qu'il intitule sa proposition n° 131 -je cite toujours- : " Affirmer la nécessaire autonomie fiscale des collectivités locales ".
La consécration de l'autonomie fiscale, comme corollaire de l'autonomie locale, est donc légitime, mais elle est surtout, -et il s'agit là de la seconde raison-, devenue indispensable pour endiguer les tentations recentralisatrices des gouvernements successifs.
En effet, force est de constater que tous les gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, ont tendance à " grignoter " l'autonomie fiscale des collectivités locales. Cette dérive, qui s'est récemment illustrée par la mise en extinction de la part salariale de la taxe professionnelle, la quasi disparition des droits de mutation, la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation et la disparition de la vignette, apparaît comme dangereuse.
En effet, ce dépérissement de la fiscalité locale présente deux inconvénients majeurs : d'une part, il distend le lien entre les collectivités locales et leurs administrés ; d'autre part, il " déresponsabilise " les élus locaux qui ne sont plus incités à améliorer l'efficience de leur gestion car ils deviennent de simples distributeurs de dotations " octroyées " par l'Etat.
C'est pourquoi, il était indispensable de tracer, dans la Constitution, une ligne jaune que les gouvernements ne doivent pas franchir.
L'économie du texte que nous vous présentons découle tout naturellement des objectifs poursuivis.
C'est ainsi qu'il est, tout d'abord, proposé de consacrer le principe d'autonomie fiscale des collectivités locales par l'inscription, dans notre loi fondamentale, du principe de prépondérance du produit des recettes fiscales propres au sein des ressources de chacune des trois catégories de collectivités territoriales.
Autrement dit, le total du produit des impôts dont les collectivités locales maîtrisent les taux, c'est-à-dire essentiellement les " quatre vieilles ", et du produit des redevances pour services rendus, ne pourra représenter moins de 51 % du total de leurs ressources.
Par ailleurs, notre proposition de loi a pour objet de conférer une valeur constitutionnelle au principe de la compensation intégrale et concomitante du coût des compétences ou des charges transférées aux collectivités locales.
Enfin, notre proposition de loi tire toutes les conséquences du rôle de représentant des collectivités territoriales que la Constitution assigne au Sénat, au-delà de son rôle d'assemblée parlementaire à part entière.
Pour ce faire, notre texte écarte la faculté de donner le dernier mot à l'Assemblée nationale pour les projets ou propositions de loi relatifs à l'administration des collectivités territoriales. Autrement dit, ces textes devront être votés en termes identiques par les deux assemblées qui composent le Parlement français.
En conclusion, je dirai que l'expression " République territoriale " résume bien la nature de ce " nouveau régime " que nous nous proposons d'instituer, pour remédier à ce que j'ai appelé l'immaturité fondamentale des rapports actuels entre l'Etat et les collectivités locales.
Nous passerons ainsi d'une vision administrative des pouvoirs locaux, dont témoigne le terme même de " décentralisation ", à une reconnaissance d'un pouvoir territorial constitutionnellement garanti.
(Source http://www.senat.fr, le 24 octobre 2000).