Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur les mesures gouvernementales tendant à "recentraliser" la politique de l'eau et sur la nécessité de promouvoir une décentralisation de la gestion de l'eau vers les collectivités locales, Orléans le 27 octobre 2000.

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Circonstance : Etats généraux des élus locaux de la région Centre à Orléans (Loiret) le 27 octobre 2000-discours de clôture

Texte intégral

Comme je prends la parole pour la seconde fois depuis le début de ces Etats Généraux, je vais me permettre de m'adresser à vous sans protocole, en vous disant très simplement :
Mesdames et Messieurs,
chers collègues et amis,
Au terme de cette matinée de débats, je tiens tout d'abord à vous remercier tous très chaleureusement pour votre participation et plus encore pour la richesse et la franchise de nos échanges sur des sujets complexes et parfois délicats.
Je me réjouis d'avoir pu contribuer, avec le concours actif de tous vos sénateurs, à la naissance d'un tel dialogue qui constitue un pas important vers la recherche de solutions équilibrées.
Sans revenir, rassurez-vous, sur l'ensemble des questions qui ont été évoquées, je voudrais simplement vous livrer deux séries d'observations.
Ma première série d'observations a trait au futur projet de loi sur l'eau. A cet égard, je note que ce texte, qui en est après un an de travail à sa douzième version, a déjà très largement évolué et semble, d'ores et déjà, si vous me permettez l'expression, avoir été " dépollué " de ses dispositions les plus contestables.
Sans m'y attarder, je souhaite rendre un hommage tout particulier à mes collègues, Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économique, et Jacques Oudin, président du groupe d'études sur l'eau, d'avoir véritablement " tiré la sonnette d'alarme ", en réaction à l'approche initiale du Gouvernement, dont la réforme semblait avoir comme objectif majeur, disons-le, " d'en finir " avec les agences de l'eau.
Depuis lors, je pense que le Gouvernement a mesuré le degré d'attachement des Français à la philosophie décentralisée de la politique de l'eau dans notre pays...
Je tiens donc à donner acte au Gouvernement qui, dans ce domaine, a admis la nécessité d'engager une concertation avec l'ensemble des partenaires concernés. Pour autant, je ne saurais lui délivrer un satisfecit sur ce texte.
A l'évidence, ce projet comporte encore des orientations inquiétantes quant à l'avenir de la conception décentralisée de la politique de l'eau dans notre pays, ainsi que des dispositions très contestables.
A cet égard, et bien que cette analyse puisse être considérée comme paradoxale de la part du président d'une assemblée parlementaire, je tiens à émettre les plus vives réserves sur l'ensemble des mesures que le Gouvernement présente comme destinées à renforcer le rôle du Parlement en ce qui concerne les redevances et les programmes pluriannuels des agences de l'eau.
Ce " paravent démocratique " porte, hélas, en germe les instruments d'une reprise en main étatique des moyens financiers des agences de l'eau.
A l'évidence, Bercy admet avec difficulté que les 13 milliards de francs que représentent les budgets des six agences de l'eau puissent encore échapper à son contrôle !
Plus généralement, j'affirme mon hostilité aux mesures qui auraient pour conséquence de remettre en cause la philosophie décentralisée de la gestion de l'eau dans notre pays.
Je suis d'autant plus déterminé à défendre cette philosophie que la future directive cadre sur la politique communautaire de l'eau consacre comme modèle de gestion dans ce domaine, le modèle français issu de la loi, à bien des égards visionnaire, de 1964 instituant une gestion décentralisée par grands bassins hydrographiques.
De ce point de vue, je m'étonne que cette transposition de directive ne soit qu'un appendice du projet de loi, au lieu d'en être la colonne vertébrale.
Ceci est d'autant plus regrettable que ce projet comporte des mesures contestables. Il faudrait être naïf pour ne pas voir que l'institution d'un " haut conseil des services publics de l'eau et de l'assainissement ", est porteur du " virus de la recentralisation " contre lequel nous cherchons toujours l'antidote !
Destiné à exercer une " fonction de régulation des services publics de l'eau et de l'assainissement au nom de l'Etat par l'analyse du prix de la qualité et de la performance des services ", ce haut conseil aura, en effet des pouvoirs considérables.
Celui-ci pourra notamment recueillir auprès des collectivités locales, je cite toujours, " toutes les informations concernant le fonctionnement des services publics de distribution de l'eau et de l'assainissement, relatives en particulier aux prix, aux coûts, à la qualité de service, aux caractéristiques des ouvrages et des prestations ".
Or, sur les six membres de ce haut conseil, trois seront nommés par le Gouvernement, les trois autres étant nommés par les présidents de l'Assemblée nationale, du Sénat et du conseil économique et social.
A l'évidence, la voix des élus locaux risque de ne pas être majoritaire dans cette institution.
Le Parlement devra donc être particulièrement vigilant lors de l'examen de ce texte, pour que ne soient pas mis en cause les principes auxquels nous sommes tous très attachés.
Par ailleurs et bien qu'il ne s'agisse pas, pour moi, de rentrer trop avant dans le détail de ce futur projet de loi, je tiens à affirmer ma désapprobation sur la limitation autoritaire à douze ans de la durée des délégations de service public dans le domaine de l'eau et de l'assainissement.
Sur ce point, et nos débats en ont été l'illustration, le fait d'encourager à un raccourcissement de la durée de ces concessions apparaît souhaitable dans le cadre d'un renforcement de la concurrence.
Mais autant l'objectif est louable, autant la disposition, figurant actuellement à l'article 11 de l'avant-projet de loi, paraît à la fois arbitraire et dangereusement autoritaire.
Figer dans la loi une durée uniforme pour l'ensemble des concessions d'eau et d'assainissement en France me semble à la fois absurde et irréaliste car cette durée, bien trop courte pour permettre l'amortissement de grands investissements, ne tient, en outre, aucun compte de la diversité des situations locales.
J'espère donc que cette disposition, dont la philosophie autoritaire n'est pas sans évoquer celle retenue pour la mise en oeuvre des 35 heures, sera transformée en simple objectif à rechercher, lors de la discussion de ce texte au Parlement.
N'en doutez pas, sur tous ces points, la voix des élus locaux de la région Centre, qui s'est exprimée aujourd'hui, ne restera pas lettre morte.
Mais, au-delà de cette vigilance législative, j'entends aussi, et surtout, promouvoir un renforcement de la décentralisation dans le domaine de l'environnement. Ce sera ma seconde série d'observations.
Je tiens donc, en premier lieu, à rendre un hommage solennel à votre travail et à la façon dont vous assumez les très lourdes responsabilités juridiques et financières, qui sont les vôtres dans le domaine de l'environnement et de l'eau en particulier, où vous devez répondre aux exigences légitimes des Français, qui attendent, bien entendu, à la fois une eau de qualité, une eau au meilleur prix et une préservation de cette ressource en eau.
Face à cette redoutable équation, les collectivités locales, au premier rang desquelles se trouvent les communes et l'intercommunalité, assument des charges considérables.
A cet égard, quelques chiffres en diront plus que de long discours :
- plus de 110 milliards de francs de dépenses par an dans le domaine de l'eau ;
- 600.000 kilomètres de canalisations acheminant, après captage et traitement, l'eau potable jusqu'aux habitations ;
- 180.000 kilomètres de canalisations chargées du transport des eaux usées ;
- 12.000 stations d'épuration pour collecter et épurer les pollutions des ménages et des industriels raccordés au réseau ;
- plus de 800.000 tonnes de boues d'épuration, qui atteindront près d'1,2 millions de tonnes en 2002....
Voilà quelle est la responsabilité quotidienne de la gestion de l'eau par les collectivités locales !
Je ne suis pas certain que le consommateur mesure toujours tout ce qui est mis en jeu au moment où il ouvre son robinet d'eau !
Pour répondre aux attentes de leurs concitoyens, les " premiers écologistes de France ", c'est-à-dire vous Mesdames et Messieurs les élus locaux, se démènent pour trouver des solutions de gestion de l'eau toujours plus performantes, que ce soit pour la qualité ou le prix de l'eau.
A cet égard, je tiens à souligner que la dernière enquête réalisée par le ministère des finances met en évidence une maîtrise, certes récente, mais néanmoins remarquable de l'évolution du montant des factures d'eau, celles-ci n'ayant progressé que de 1,7 % en 1998 et 1999.
J'aimerai qu'il en aille ainsi du prix des carburants !
La première urgence consiste donc à préserver ce début d'équilibre qui se trouve menacé, dans un certain nombre de communes de notre pays, par les problèmes que pose parfois le recyclage des boues produites par les stations d'épuration.
Force est, hélas, de constater qu'un certain nombre de réactions hostiles se sont manifestées à l'encontre du principal moyen de recyclage de ces boues, à savoir l'épandage agricole où se trouve posé depuis quelques temps la question de leur innocuité.
Nous sommes donc en présence d'un risque majeur pour l'équilibre financier du secteur de l'assainissement en France, car, vous le savez toutes les solutions alternatives à l'épandage agricole impliquent d'importants investissements supplémentaires.
Il est donc indispensable d'engager, au plus vite, une réflexion d'ensemble, afin d'éviter que ne soit mis en cause un mode de recyclage qui, somme toute, n'a rien de choquant pour peu que puisse être garantie la qualité des boues utilisées dans le domaine agricole.
Plus généralement, je considère que le domaine de l'environnement constitue, pour l'ensemble des collectivités, et en particulier pour les départements et les régions, une nouvelle frontière qu'il est maintenant grand temps d'ouvrir.
C'est pourquoi, il me paraît parfaitement envisageable d'étudier un important transfert de compétences à ces deux niveaux de collectivité, dans le domaine de l'environnement. Transfert de compétences qui serait accompagné d'un transfert, à due concurrence, des ressources fiscales, issues de la toute récente " fiscalité écologique ".
Nous constatons, en effet, une regrettable dérive où la fiscalité dite écologique, principalement constituée par la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), est aujourd'hui gravement détournée de son objet.
Le produit de cet impôt, dont le montant avoisinera en 2001 7 milliards de francs, se trouve, de fait, affecté au financement ... des 35 heures ! J'avoue que le lien entre les deux m'échappe.
Or, il me paraît choquant que " l'argent de l'environnement " n'aille pas à l'environnement. Je suis certain que cette ressource pourrait être employée à meilleur escient par les collectivités départementales et régionales dans le cadre de compétences renforcées.
Dans le nouveau souffle que nous avons la volonté de donner à la décentralisation, l'extension du pouvoir de proximité dans les politiques d'environnement m'apparaît comme un objectif essentiel !
Dans cette perspective, il faudrait en particulier conforter le rôle des départements dans la gestion des espaces naturels sensibles et ouvrir aux régions la possibilité d'exercer un pouvoir direct dans les actions de programmation et de protection de la ressource en eau.
Enfin, il conviendrait de renforcer les moyens d'intervention des établissements publics territoriaux de bassin, dont l'établissement public d'aménagement de la Loire et de ses affluents (EPALA) constitue une incarnation emblématique, en matière de prévention des risques.
J'ai la conviction que, dans tous ces domaines, les collectivités locales, par leur connaissance du terrain, sauront faire " plus et mieux " que l'Etat !
Mesdames et Messieurs les élus locaux, merci d'avoir participé à ces Etats généraux, merci pour votre action en faveur d'une démocratie locale active et responsable, qui fait la vitalité de notre République.
Car nous servons, ensemble, la seule cause qui vaille, la raison d'être des responsables publics, préparer la France et ses territoires à une entrée réussie dans le nouveau millénaire au service de nos concitoyens.
(Source http://www.senat.gouv.fr, le 13 novembre 2000)