Déclarations de M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, sur l'impact des nouvelles technologies de l'information sur les administrations et les organismes publics, Paris les 10 et 12 juin 1998.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Symposium et groupe de réflexion "Etat et technologies de l'information et de la communication", les 10 et 12 juin 1998, installation de M. Lasserre en tant que président de ce groupe au Commissariat au Plan le 12 juin 1998

Texte intégral

La société de l'information constitue indéniablement l'un des défis majeurs auxquels la France est confrontée en cette fin de siècle. Depuis plusieurs années, les technologies de l'information ont largement contribué à la croissance économique et au progrès technique de notre pays, mais elles bousculent les rapports économiques, sociaux et professionnels traditionnels.
L'information est devenue une richesse à part entière et une arme économique de première grandeur, dont les pays développés doivent s'attacher à tirer le meilleur parti, au profit notamment de leur compétitivité industrielle et du bien-être de leurs habitants.
Au-delà de cette révolution, divers facteurs concourent à modifier de fond en comble le paysage économique et social.
Il s'agit, tout d'abord, de la création de systèmes et de réseaux de télécommunications, les autoroutes de l'information, qui s'accompagne de la baisse accélérée des coûts.
Il s'agit, ensuite, de la déréglementation mondiale des télécommunications qui avive la concurrence internationale entre opérateurs.
Ceci s'accompagne de l'extension du réseau Internet.
Enfin, le commerce électronique se développe en profitant indéniablement des avancées technologiques précitées et de cette liberté des échanges qu'elles favorisent au même titre que la philosophie d'ouverture et de convivialité qui caractérise le phénomène Internet.
Bien entendu, ces bouleversements provoquent un changement indiscutable de comportement chez les agents économiques qui, nettement mieux formés et informés, deviennent plus exigeants.
Certains pays ont déjà pris des initiatives d'envergure pour promouvoir la société de l'information et favoriser son instauration. Les États-Unis, bien sûr, mais aussi l'Union européenne qui s'est progressivement dotée des instruments nécessaires pour préparer l'Europe à l'avènement de ce " nouveau monde ".
La France s'est engagée à rattraper un certain retard. Dès le mois d'août 1997, le Premier Ministre, dans son discours d'Hourtin annonçait l'engagement des services de l'État. Le Gouvernement a ensuite rendu public le 16 janvier 1998 un programme d'action volontariste pour préparer l'entrée de la France dans la société de l'information : le PAGSI.
Compte tenu de son traditionnel rôle d'entraînement, l'État doit être exemplaire et les administrations sont donc invitées, dans ce programme, à adopter rapidement une politique audacieuse pour favoriser l'immersion optimale de notre pays dans la société de l'information.
Mais, le vocable administration publique recouvre des situations très diverses. L'univers de la santé travaille sur la carte à puces santé depuis presque 10 ans. L'univers des affaires étrangères a une longue tradition de communication mondiale et est donc culturellement très ouvert à Internet. Les ministères de l'intérieur ou de la défense sont, quant à eux, très sensibles à la délicate question de la sécurité.
Quoiqu'il en soit, les administrations publiques ont-elles le choix de se mettre ou de ne pas se mettre sur Internet ? Leur environnement professionnel est en train de s'adapter à ce réseau comme leur environnement international mais aussi la mentalité de leurs administrés.
Pour devenir exemplaires, les administrations vont être confrontées à des enjeux stratégiques et à des défis majeurs pour, en particulier, répondre aux attentes des Français, en matière de transparence, de services, de décision publique.
L'utilisation d'Internet devrait les aider à répondre à ces défis.
1. "Entreprise " de communication, l'administration ne peut plus ignorer qu'Internet est plus qu'un nouvel outil d'information : il change profondément les règles de la communication.
Les services publics disposent de nombreuses informations susceptibles d'intéresser les citoyens, les chercheurs, les entreprises, ou encore les collectivités locales, en France ou à l'étranger.
L'utilisation d'Internet permet d'améliorer la communication interne mais surtout externe, en favorisant l'accès des citoyens à l'information administrative. La numérisation des données et la création de liens hypertextes entre rubriques et serveurs différents offrent en la matière des possibilités de diffusion considérables et permettent aux administrations d'offrir au grand public une palette d'informations sans cesse renouvelée.
Chaque ministère s'est donc doté d'un site Internet dont il enrichit progressivement le contenu. Mais Internet n'est pas un outil comme les autres, qui s'ajouterait à la batterie des moyens dont dispose l'administration. En effet, par l'utilisation du mode interactif et par la mise en réseau, il modifie profondément le rapport à l'information.
La prolifération, en cours, des sites Internet a pour objectif à la fois de mieux faire connaître les différentes facettes de l'activité gouvernementale et de donner au grand public des informations concrètes sur les droits, les démarches et les formalités intéressant les citoyens, ainsi qu'un accès à des éléments propres à chaque administration.
Les sites publics sont de plus en plus, aussi, des lieux de culture partagée, grâce aux boites aux lettres et aux forums, qui permettent à tous les citoyens de s'exprimer, donner leurs avis ou poser des questions. Le site du Premier Ministre ou celui du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, en sont les meilleurs exemples.
Monsieur Baquiast que j'ai chargé d'un rapport sur l'impact d'Internet sur la modernisation de l'administration a ainsi publié son pré-rapport sur le site du Premier Ministre et fait appel à des contributions extérieures.
Je vous précise d'ailleurs que Monsieur Baquiast me remettra dans quelques jours son rapport qui a pour objet de recommander une première série d'actions sur l'introduction des nouvelles technologies dans les services publics avant les conclusions du rapport du commissariat au plan attendues pour fin 1999, j'y reviendrai.
Les sites des administrations seront, en outre , enrichis, par des textes et des rapports, ce qu'on l'on appelle " la littérature grise ", qui aujourd'hui ne sont que peu diffusés. Mieux valorisés, ces gisements, mis en ligne, permettraient à un large public d'y accéder.
Il est toutefois à noter que le problème qui se pose aujourd'hui en matière d'information administrative vient moins des services publics, mais plutôt du fait que trop peu de citoyens sont équipés à leur domicile d'accès au réseau Internet pour pouvoir consulter les différents serveurs et profiter de leurs productions.
Afin d'éviter de nouveaux phénomènes d'exclusion, les services publics se mobilisent. Dès cette année, 1 000 bureaux de poste seront équipés d'accès à Internet.
Le rôle des maisons des services publics prévues dans la loi DCRA que je présenterai prochainement au Parlement sera également très important.
2.
Grande "entreprise " de service, l'administration ne peut pas passer à coté d'Internet, qui est un outil très puissant pour offrir des services et des prestations de qualité.
Dans un contexte de plus en plus consumériste, le citoyen comme l'entreprise, devient exigeant en matière de services, l'administration se doit donc de lui offrir de nouveaux services de plus en plus performants et de qualité.
Les serveurs Internet permettent d'offrir ces nouveaux services aux usagers et de faciliter leurs relations quotidiennes avec les administrations. Ils évitent aux citoyens de se déplacer et sont accessibles vingt quatre heures sur vingt quatre.
Pour répondre aux demandes d'informations administratives, les sites télématiques existants seront progressivement doublés par des sites Internet plus performants et plus conviviaux. A terme, ils les remplaceront.
En matière de téléprocédures, le développement des échanges de données informatisées peut, d'une part, faciliter les relations entre les administrations et leurs partenaires, et, d'autre part, accroître les capacités des services de proximité en rapprochant les administrations chargées de traiter au fond les dossiers des personnes accueillies.
De nombreuses expérimentations de téléprocédures existent aujourd'hui, plus connues des entreprises que du grand public. La généralisation progressive de ces téléprocédures sera une des priorités des administrations d'ici l'an 2000.
D'autres services seront aussi offerts. On peut citer la possibilité de rendre l'administration accessible par voie électronique, chaque fonctionnaire disposant d'une adresse électronique Internet, chaque service de l'administration en relation avec le public étant équipé avant l'an 2000.
Ces échanges par courrier électronique vont imposer aux administrations de répondre dans des délais raccourcis avec plus d'efficacité et de rigueur. J'ai d'ailleurs demandé à la DGAFP de faire des recommandations dans ce domaine. Le traitement de certains dossiers pourra se faire en temps réel. L'usager pourra aussi suivre l'état d'avancement de son dossier. Le nouveau mode d'obtention du permis de construire illustre parfaitement l'utilisation de ces nouvelles technologies.
3. Internet devient dès lors un accélérateur de réforme de l'administration publique.
Pour satisfaire aux nouvelles exigences des citoyens, simplifier leur vie quotidienne avec les services publics, les administrations doivent se moderniser, se réorganiser, être plus performantes et réactives.
Le développement de la déconcentration ou le rapprochement des services et du public, ainsi que le caractère de plus en plus transversal des politiques publiques appellent non seulement de nouvelles formes d'organisation ou de fonctionnement, mais aussi la constitution de réseaux.
La mise en réseau de l'administration est donc le chantier essentiel des mois à venir. Si chaque administration a mis en place son propre réseau, reliant directions d'administration centrale et services déconcentrés, aucun réseau ne permet de relier les administrations entre elles. Des études sont en cours pour combler ce handicap. Cette nouvelle architecture de communication interministérielle basée sur les standards d'Internet permettra aux agents de communiquer par messagerie et facilitera la mise en place d'un intranet interministériel.
Cela favorisera le décloisonnement entre services, puis entre administrations, permettant l'échange électronique d'informations et favorisant les pratiques de travail en commun, constitution de bases de données communes, visioconférence, etc...
Les administrations devront profiter de l'introduction des nouvelles technologies pour réorganiser les processus administratifs, réorganisation indispensable pour améliorer et rendre plus performant le service rendu aux citoyens. Mais, il faut être clair, c'est la remise à plat des processus qui prime.
Les nouvelles technologies sont des moyens et non une fin en soi. Le système actuel de hiérarchie pourra se trouver bouleversé et de nouveaux modes de fonctionnement seront à inventer.
Les nouvelles technologies amélioreront et réduiront aussi les délais des processus de décision pour la mise en oeuvre des politiques publiques. La généralisation et la mise en réseaux de systèmes d'information performants doit permettre la mise au point de tableaux de bord pour aider les décideurs et faciliter le travail interministériel.
4.
Internet devient un levier pour le renforcement de la coopération administrative internationale.
La France n'est pas toujours assez présente dans ce domaine et ne fait pas toujours suffisamment profiter les nombreux pays, intéressés et demandeurs, de son ingénierie administrative.
* *
*
Pour conclure, un des objectifs essentiel du Gouvernement et de mon ministère est d'éviter que ne se crée avec l'utilisation d'Internet une France, et singulièrement une fonction publique, à deux vitesses. Débats publics, diminution des coûts des matériels, des logiciels et des accès à Internet permettront aux usagers, citoyens et entreprises de relever ce défi.
L'utilisation massive des nouvelles technologies passera aussi par une sensibilisation et formation accrue de tous.
Sur les 350 000 emplois-jeunes, 10 000 seront des " initiateurs aux nouvelles technologies " pour former et aider les Français à apprivoiser Internet dans les sites publics de proximité. Parallèlement, les manifestations comme la Fête de l'Internet ont montré que de nombreux volontaires étaient prêts à aider leurs compatriotes.
Pour éviter les inégalités entre les zones urbaines et les zones rurales, l'aménagement du territoire impliquera une large utilisation d'Internet pour permettre aussi aux zones en difficulté de bénéficier de ces nouvelles technologies dans les petites bibliothèques ou les écoles, par exemple.
Les administrations devront continuer à s'équiper pour offrir aux agents les outils nécessaires. Un programme interministériel de sensibilisation et de formation aux nouvelles technologies va être mis en place à cette fin.
Aujourd'hui, la rareté des fonctionnaires connaissant Internet est peut-être un frein à une mutation rapide. Mais je suis confiant. La modernisation de l'administration est en marche, et, pour l'illustrer, un serveur sur les innovations dans les services publics sera ouvert au mois de juin. Cette banque interministérielle de données sur les innovations a aussi pour objectif de promouvoir par l'exemple les démarches d'innovation dans le secteur public. Vos échanges, au cours de ces deux journées, montrent combien les croisements d'expériences peuvent êtres riches et permettre d'importantes économies.
Mais, le programme d'action du gouvernement doit aussi définir un certain nombre de règles. Ainsi, le recours accru aux technologies de l'information et de la communication, pour apporter un meilleur service au citoyen, ne doit pas se traduire par une diminution de la protection des données personnelles et de la vie privée.
Une sécurisation des échanges et des réseaux s'impose donc. Suite aux décisions du Gouvernement, la liberté est dorénavant totale d'utiliser les moyens de cryptologie pour l'authentification, la garantie d'intégrité et la non répudiation des messages. L'administration devra faire largement appel à ces moyens.
Le Premier Ministre a chargé le commissariat au Plan de réfléchir aux transformations profondes que les nouvelles technologies auront sur l'efficacité de l'État et la qualité des services qu'il rend aux citoyens.
Un groupe de travail qui devra rendre ses travaux d'ici à la fin de 1999 va être mis en place. Je l'installerai vendredi.
Fondamentalement, mon département ministériel s'attache à favoriser l'existence d'un service public de qualité, adapté aux besoins économiques et sociaux de nos concitoyens. Le service public est un élément de la cohésion de notre République, c'est dans ce cadre que doit se préparer et se mettre en oeuvre la réforme de l'État. Les nouvelles technologies de l'information et de la communication doivent y contribuer.

(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 10 septembre 2001)