Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur les mesures en faveur de l'artisanat, le financement et la fiscalité des entreprises artisanales et le développement de l'emploi dans ce secteur, Paris le 12 octobre 1995.

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Circonstance : Journée nationale de l'Union professionnelle artisanale, Paris le 12 octobre 1995

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux d'être parmi vous ce matin, à l'occasion de votre Journée Nationale. Je me réjouis de cette occasion de poursuivre et d'approfondir le dialogue avec le monde de l'artisanat. Je le fais, Monsieur le Président, avec vous-même et vos collègues responsables, depuis les premiers jours de mon action à la tête du Gouvernement.
Le Gouvernement est pleinement conscient du rôle éminent que joue l'artisanat dans la vie économique et sociale de notre pays, et il lui porte pour cette raison une attention toute particulière.
J'en veux pour preuve la communication en Conseil des Ministres qui, dès le 5 juillet dernier, dressait la liste des priorités de l'action gouvernementale en faveur de l'artisanat, et ouvrait les principaux chantiers de cette rentrée.
Trop longtemps en effet, l'artisanat, malgré sa diversité, sa richesse humaine, sa créativité, et en dépit de son poids économique, a été un peu le parent pauvre des politiques publiques.
Fort heureusement, depuis quelque temps déjà, cette époque est révolue une étape importante a été franchie, la loi du 11 février 1994 sur l'initiative et l'entreprise individuelle, ou, plus près de nous, le Programme d'Orientation pour l'Artisanat de septembre 1994.
Des progrès ont été accomplis, et des pistes ont été ouvertes, il nous appartient - c'est ce que nous faisons depuis notre arrivée aux affaires, de poursuivre dans la bonne direction, d'amplifier les efforts consentis, bref d'uvrer ensemble, non pas en faveur de telle ou telle catégorie sociale, mais dans l'intérêt général.
Je suis certain qu'en consolidant le secteur de l'artisanat dans notre pays, en favorisant son développement, nous travaillons pour la nation tout entière rappelons-nous, en effet, que l'artisanat, c'est plus de 800 000 entreprises - donc plus d'une entreprise sur trois -, plus de 2 millions 100.000 emplois, c'est-à-dire 10 % de la population active, et 750 milliards de francs de chiffre d'affaires : l'artisanat est l'un des poumons de notre économie.
Il l'est d'abord par la capacité d'embauche de ces hommes et de ces femmes qui, aujourd'hui, travaillent seuls : ils sont plus de 400.000 ! Je sais qu'ils en ont, qu'elles en ont la volonté ; à nous de tout faire pour libérer l'initiative, pour supprimer les obstacles à l'embauche du premier salarié - bref, à nous de leur donner les moyens de croître.
Il l'est, ensuite, par son extraordinaire faculté de renouvellement : en 1994, 30 % des entreprises créées en France l'ont été dans le domaine des métiers, et les créations d'entreprises artisanales, qui étaient descendues à moins de 40.000 par an durant la récession, atteignent aujourd'hui, et dépasseront sans doute cette année, les très hauts niveaux des belles années : plus de 70.000, d'après les statistiques dont nous disposons au moment où je vous parle.
Bien sûr, la situation n'est pas la même partout : la réparation et les transports, par exemple, ne sont pas aussi bien lotis que la construction et les services, et certains, parmi vous, ne se reconnaîtront peut-être pas dans ce tableau trop général.
Bien sûr, nous savons aussi que lorsque l'on s'installe sans préparation, et j'allais dire sans l'amour de son métier et la foi dans le travail bien fait, bref, lorsque l'on s'installe n'importe comment - cela arrive parfois -, il peut en résulter des conséquences dommageables pour tous : il y a concurrence déloyale, préjudice pour la collectivité, et le consommateur est, en fin de compte, déçu ou trompé. Mais cela, c'est la contrepartie, qu'il faut rendre aussi limitée et marginale que possible, de la liberté d'entreprendre - la contrepartie, aussi, de l'attraction légitime qu'exercent vos métiers.
Permettez-moi, en tout cas, de voir dans votre impressionnante capacité de renouvellement un signe d'espoir - l'indice que, quoiqu'on dise parfois ici ou là, notre économie fait montre d'une belle vitalité, que les hommes et les femmes qui travaillent croient en l'avenir : la bataille de l'emploi, vous la gagnez, Mesdames et Messieurs, jour après jour, sur le terrain, dans vos entreprises !
Secteur d'avenir, l'artisanat l'est, enfin, par sa capacité d'adaptation aux nouvelles technologies ; n'est-ce pas dans vos métiers que l'on rencontre les entreprises les plus performantes, dont certaines obtiennent d'ailleurs de remarquables résultats à l'export, et dont la technicité égale le savoir-faire.
Mais tout cela ne serait rien si l'artisanat n'était aussi un état d'esprit, un ensemble de valeurs traditionnelles qui vous sont propres, l'amour du travail bien fait, ce travail de la main qui est irremplaçable, le goût du perfectionnement individuel joint à la pratique réfléchie de la solidarité - bref ce qui définit votre singularité et votre identité.
Cela, nous devons le préserver, nous ne devons pas permettre que les logiques de la compétitivité et de la libéralisation des échanges effacent des siècles de tradition, de savoir-faire et de savoir-vivre.
Comment ? En faisant en sorte que les artisanats soient, chaque jour davantage, des gestionnaires, et des gestionnaires compétents, aussi bien que des hommes de métier. Cette évolution est plus qu'amorcée, mais il faut la consolider, en concertation avec les partenaires sociaux et les instances représentatives. C'est en alliant avec toujours plus de force modernité et tradition que les métiers relèveront les défis de demain.
Parce que vos entreprises sont proches du consommateur, parce qu'elles connaissent ses besoins, parce qu'elles sont réactives, dynamiques, innovantes, parce que l'impératif de qualité leur est, pour ainsi dire, consubstantiel, elles sont aujourd'hui en position de gagner les batailles qui les attendent.
Le rôle des pouvoirs publics est de reconnaître à l'artisanat une égalité de dignité avec les autres secteurs de la vie économique et sociale.
Je vous l'ai dit en commençant : nous avons déjà accompli des pas significatifs dans la bonne direction.
Une énumération des mesures déjà prises serait fastidieuse.
Comment cependant passer sous silence les allégements de charges très importants que nous avons décidés dès juillet dernier, malgré une situation budgétaire extrêmement tendue, le Contrat Initiative Emploi, la prime d'embauche pour les jeunes - sans oublier la prime forfaitaire de 10.000 francs versée par l'État au maître d'apprentissage pour l'embauche de tout apprenti ?
Il y a eu, aussi, l'augmentation de la réduction d'impôt pour investissement, la réorientation des ressources du CODEVI vers le financement des Petites et Moyennes Entreprises, l'abondement, grâce à 250 millions de francs de crédits budgétaires, d'un fonds de garantie gérée par la SOFARIS en faveur du commerce de proximité et de l'artisanat - ce qui permettra, je le rappelle, de dégager plus de 8 milliards de francs de crédits supplémentaires pour les entreprises.
Il y a eu, enfin, la volonté de soutenir, face à la concurrence de la grande distribution, les produits traditionnels - tel le pain fabriqué en boulangerie.
En quelques mois, que de chemin parcouru.
Il faut aujourd'hui aller plus loin ensemble, et c'est ce à quoi le Gouvernement est résolu.
Bien sûr, il a fallu choisir, déterminer des priorités, et tout n'est pas possible immédiatement, les ressources publiques ne sont pas illimitées - alors que les demandes, même légitimes et fondées, le sont !
Je sais d'ailleurs que ce dont les artisans ont besoin, ce n'est pas d'aides publiques supplémentaires, en un mot : d'assistance. A juste titre, vous récusez ces termes et les réalités qu'ils recouvrent.
Ce dont les artisans ont besoin, c'est de pouvoir créer leurs entreprises, d'avoir la liberté de les développer, sans obstacles indus, que ces obstacles soient administratifs, sociaux ou fiscaux ; bref, vous voulez pouvoir vous battre à armes égales avec vos concurrents, au lieu d'être contraints, comme c'est parfois le cas aujourd'hui, d'avancer les mains liées.
Cette ambition, je la partage et je la fais mienne.
Ce dont l'artisanat a besoin, c'est d'équité et de liberté - plus que d'aides nouvelles qui, parce qu'elles devront bien être financées d'une façon ou d'une autre, se traduiraient en définitive par des impôts nouveaux.
Quelles sont les mesures précises que je compte prendre pour amplifier notre action en faveur de l'artisanat ? Je vous les présenterai dans leurs grandes lignes : Monsieur Jean-Pierre RAFFARIN y reviendra plus en détail.
1. Le premier terrain sur lequel nous avons voulu agir, c'est l'affirmation de l'identité artisanale, la préservation de cette image de marque qui distingue l'artisan.
Dans la suite des décisions du 5 juillet dernier, un texte sera déposé durant cette session parlementaire sur la qualification professionnelle préalable dans certains métiers susceptibles de porter atteinte à la sécurité des consommateurs. Je vous propose d'engager sans tarder une réflexion commune pour rendre plus performante la formation à la gestion dispensée par les chambres de métiers préalablement à l'installation.
Je sais aussi que les artisans souffrent de ne pas voir leurs métiers et leur savoir-faire suffisamment reconnus et valorisés face à des concurrents, industriels ou grands distributeurs, qui peuvent s'offrir toutes formes de publicité. Beaucoup d'entre vous voudraient pouvoir organiser des actions collectives de promotion comme celle qui a récemment rappelé aux Français le goût du bon pain. J'ai donc décidé d'autoriser les chambres de métiers à lever, à leur initiative, des centimes additionnels à la taxe qui les alimente afin de mener de telles actions.
2. Le deuxième champ d'intervention retenu par le Gouvernement pour conforter le secteur des métiers concerne le financement et la fiscalité des entreprises artisanales.
Des mesures importantes ont été prises en ce sens dès le mois de juin dernier, qu'il s'agisse de l'extension du champ d'intervention de SOFARIS ou des CODEVI.
I - En matière de garantie des prêts, mon souci est de mieux valoriser les sociétés de caution mutuelle. C'est ainsi que sera supprimée la double imposition de ces sociétés et que seront signées des conventions entre elles et la SOFARIS afin de mieux harmoniser leurs interventions conjointes.
II- Il était également nécessaire, à mes yeux, de donner aux artisans les moyens d'un accès plus facile au crédit, en dehors même de l'intervention des organismes de garantie. C'est un problème que vous connaissez bien. En l'absence de reconnaissance juridique d'un fonds artisanal, comparable au fonds de commerce, les artisans n'ont pas la possibilité de nantir, en garantie d'un prêt, les éléments constitutifs de leur actif, particulièrement les éléments immatériels.
Pour remédier à cette situation, plusieurs solutions techniques peuvent s'offrir, et, en particulier, la transposition aux activités relevant du registre des métiers des dispositions de la loi de 1909 relative au nantissement des fonds de commerce.
III - Au-delà de ces mesures ponctuelles, c'est une véritable refonte du dispositif de financement de l'artisanat à laquelle j'ai décidé de procéder, car les instruments dont nous disposons aujourd'hui ne sont ni parfaitement ciblés ni parfaitement coordonnés. Jean-Pierre RAFFARIN vous détaillera tout à l'heure ce nouveau dispositif. Il conduira en premier lieu à réserver à l'artisanat une enveloppe spécifique de 3 milliards de francs sur les fonds CODEVI. En second lieu, il permettra de transformer les prêts bonifiés actuels en prêts à taux zéro, moins nombreux, mais ciblés sur des priorités plus claires (l'installation des jeunes et la mise aux normes des entreprises). Ces priorités bénéficieront dès lors d'un financement très privilégié.
IV - Un mot enfin de fiscalité. Le contexte budgétaire, vous le savez, est peu propice aux mesures qui entraîneraient des pertes de recettes importantes pour l'État. Il ne m'est dès lors pas possible d'aller dans le sens de réductions d'impôts qui, pour légitimes qu'elles soient, ne seraient pas compatibles avec l'objectif de diminution des déficits publics qui s'impose à nous. Pour autant, il est possible, de simplifier tel ou tel dispositif ou de restaurer l'équité entre différents régimes. C'est ce que je me suis efforcé de faire.
Ainsi, j'ai décidé de porter de 3,8 à 5 millions de francs le plafond du régime simplifié d'imposition. Cela signifie une simplification considérable pour de nombreuses entreprises et leur ouvre le droit au paiement trimestriel de la TVA.
J'ai également décidé de différer le paiement de la TVA sur les stocks dans le cadre des cessions d'entreprises individuelles, comme c'est déjà le cas lors de fusions d'entreprises ou d'apports partiels d'actifs.
3. Les entreprises artisanales ont ceci de spécifique qu'elles ne sont pas seulement des entités abstraites. Elles sont intimement liées à la personnalité de l'artisan, et souvent de son conjoint, associé à la bonne marche de l'activité. Il m'a dès lors semblé important de prendre en compte cet aspect humain, et d'avancer dans le domaine de la protection sociale et du statut des conjoints collaborateurs.
La loi "Initiative et entreprise individuelle" de février 1994 avait marqué un vrai progrès dans la protection sociale complémentaire des artisans en autorisant la déduction du revenu imposable des cotisations facultatives versées par les chefs d'entreprises. Trois mesures précises seront prises. Elles concernent la publicité des différents statuts, les prestations maternité pour les conjointes collaboratrices qui seront alignées sur celles des femmes de chefs d'entreprises, et la déductibilité fiscale des cotisations facultatives aux régimes de retraite versées par les conjoints collaborateurs.
4. Le dernier volet du plan que je vous propose porte sur l'emploi et le développement des entreprises artisanales.
Là encore, nous ne bâtissons pas sur un terrain vierge. Le Gouvernement a pris dès le mois de juin des mesures très fortes pour faciliter l'embauche.
I - Je veux aller plus loin aujourd'hui. Je pense en particulier au potentiel d'embauche que représentent les 400.000 entreprises artisanales qui n'ont aucun salarié. Si l'artisan n'embauche pas, c'est parfois parce qu'il n'a pas la perspective de développer à court terme son activité; mais c'est souvent aussi parce qu'il redoute la complexité des formalités d'embauche, de rédaction des bulletins de salaires, de déclaration des charges sociales.
Je souhaite lever cet obstacle au développement de l'emploi et j'ai donc demandé au Ministre du Travail, Jacques BARROT, de mettre au point, en liaison avec les partenaires sociaux, une formule de chèque embauche premier employé, comparable au chèque emploi service proposé aux particuliers qui emploient un salarié à domicile. Nous serons bientôt en mesure de vous présenter ce nouveau dispositif.
II - Une autre mesure importante va entrer en vigueur dans les prochains jours : les artisans qui dépassent le seuil de 10 salariés pourront, s'ils le souhaitent, rester immatriculés au registre des métiers et ressortissants des Chambres des Métiers. Le décret relatif à ce "droit de suite" va être publié incessamment.
III - L'emploi, c'est aussi la lutte contre le travail clandestin. Le travail au noir, comme on dit, ce n'est pas seulement une fraude à l'encontre de l'impôt et des lois sociales, c'est aussi une concurrence déloyale faite aux artisans légalement installés. C'est une entrave au développement de l'emploi régulier.
Le Gouvernement a donc décidé de renforcer les moyens dont il dispose pour contrôler et sanctionner cette forme d'activité. Les différents corps de contrôle, inspection du travail, douane, inspection des transports terrestres, seront dotés de nouvelles prérogatives qui leur permettront d'intervenir plus efficacement.
Voilà pour l'essentiel les mesures que le Gouvernement a élaborées en vue de conforter le développement de l'artisanat. D'autres dispositions importantes, qui concernent plus largement les petites et moyennes entreprises, seront annoncées fin novembre. Vous en bénéficierez aussi : je pense par exemple à la réforme du droit de la concurrence, à la maîtrise de l'urbanisme commercial, ou encore à une première étape de la simplification des formalités administratives.
Au-delà de ces mesures, un dialogue continu doit se poursuivre entre les artisans et le Gouvernement. Ce dialogue doit nous permettre d'être attentifs à vos spécificités, de mettre toutes les chances de développement de votre côté.
Ce que j'ai voulu faire aujourd'hui, c'est vous présenter les mesures qui vous concernent très spécifiquement. Elles ne résoudront sans doute pas tous vos problèmes, j'en suis conscient. Elles contribueront, je l'espère, à la reconnaissance de votre identité, de vos particularités.
Je souhaite vous montrer que le Gouvernement, que le pays comptent sur vous. Je souhaite qu'au cur de notre économie nationale, vous soyez, les "artisans de la confiance".
Telle est la logique des mesures que je vous ai proposées. Telle est, je crois, notre ambition commune.