Interview de M. Alain Juppé, Premier ministre, à TF1 le 19 novembre 1995, sur la réforme de la sécurité sociale, la politique fiscale du gouvernement et la situation économique et sociale du pays.

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Média : Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

(Extraits)
Q - L'Algérie a voté cette semaine d'une manière importante, en masse. Les Algériens ont voté contre le terrorisme, très nombreux. A votre avis, ils ont voté, c'est un coup pour rien ou c'est vraiment un premier pas vers la démocratie ou vers un semblant de régime plus normalisé ?

R - Je ne crois pas que ce soit un coup pour rien. D'abord, il y a eu une très forte participation électorale, et c'est donc un échec de ceux qui avaient prôné le boycott, de ceux qui refusaient, d'une certaine manière, l'exercice de la démocratie.

En deuxième lieu, il y a eu des observateurs pour ces élections qui ont conclu qu'elles s'étaient déroulées dans des conditions convenables. Et donc le Président qui a été élu, est relégitimé par la première élection véritable au suffrage universel d'un chef d'Etat en Algérie.
Donc, je pense que c'est une étape importante.

Il faut qu'il y en ait d'autres maintenant...

Q - Il faut aller à la paix civile, est-ce que cela veut dire : dialoguer avec tout le monde,
y compris avec les islamistes, à votre avis ?

R - Moi, j'ai toujours dit qu'il fallait dialoguer avec tous ceux qui acceptaient la règle du jeu démocratique. S'il existe des islamistes qui acceptent la règle du jeu démocratique, il faut naturellement parler avec eux. Et je crois qu'il faut surtout faire émerger maintenant une vie démocratique avec des élections législatives.

Et puis je voudrais ajouter encore une dernière chose, parce que c'est ma convicton, je l'ai exprimée quand j'étais ministre des Affaires étrangères avec beaucoup de constance : ne nous mêlons pas de ce qui se passe à l'intérieur de la vie publique algérienne. Ce sont leurs affaires. Bien entendu nous ne pouvons pas être indifférents pour des raisons de proximité, historiques, géographiques, culturelles, mais ne faisons pas d'ingérence dans la vie algérienne.
C'est aux Algériens de choisir démocratiquement qui ils veulent mettre au pouvoir.

Q - Oui, mais c'est à nous de dire quelles sortes de relations on doit avoir avec l'Algérie de demain. Est-ce que l'idée de Jacques Chirac qui est de conditionner l'aide de la France au processus de démocratisation, est une piste que vous allez poursuivre et proposer au Président algérien ?

R - Bien sûr. Il y a eu un progrès vers la démocratie. Je ne dis pas que c'est parce que nous avons pris la position que nous avons prise, mais en tout cas cela nous conforte dans notre façon de voir nos relations avec l'Algérie.

Essais nucléaires - Annulation du Sommet franco-italien et de la rencontre avec le Premier ministre belge
Q - Question d'actualité : ce week-end, Jacques Chirac a annulé un sommet franco-italien et une rencontre avec le Premier ministre belge parce qu'il est furieux d'un texte qui a été voté à l'ONU contre les essais nucléaires, en gros contre la Chine et contre la France, et que ce texte a été voté par dix de nos partenaires sur quinze. N'est-ce pas prendre le risque d'une crise européenne à quatre semaines du sommet de Madrid et de nous isoler dans une sorte de manque de solidarité européenne, pour un mouvement d'humeur ?

R - C'est une analyse un peu paradoxale, si vous me permettez, Anne Sinclair, parce que, qui a pris le risque, ce n'est pas nous. Ce sont nos partenaires européens qui n'ont pas fait prévaloir le minimum d'esprit européen sur quelques pressions de leurs opinions publiques.

Je voudrais dire que la France n'a pas été - contrairement à ce qu'on a dit - aussi isolée qu'on aurait pu le craindre aux Nations unies puisqu'il y a 92 ou 95 pays qui ont voté cette résolution, mais il y en a au total près de 85 qui ne s'y sont pas associés, soit en votant contre, soit en s'abstenant, soit en ne participant pas au vote. Donc, les choses ont été finalement assez
équilibrées. Et il y a beaucoup de pays qui ont manifesté leur solidarité avec la France, des pays d'Europe centrale, des pays d'Afrique, des pays arabes. C'est un comble que nos partenaires...

Q - On a eu Monaco et beaucoup de pays d'Afrique...

R - Non, non. De grands pays africains, des grands pays d'Europe centrale...
L'Allemagne...

Q - ...s'est abstenue.

R - L'Allemagne s'est abstenue. Eh bien, c'est ce que nous souhaitions. Et c'est ce qui eut été normal, car les Traités européens reconnaissent le statut de puissance nucléaire à la France.
Et c'est l'intérêt de l'Union européenne demain que d'avoir une Force de dissuasion française qui puisse jouer un rôle pour la sécurité de l'ensemble de nos pays. Donc, je trouve que Jacques Chirac a eu tout à fait raison...

Q - Ma question était : la réaction n'est-elle pas démesurée ?

R - Non, pas du tout. Je trouve qu'il a eu tout à fait raison, et, moi, je vais faire pareil. Je devais mardi déjeuner avec le Premier ministre de Finlande, eh bien j'ai fait savoir que je souhaitais qu'il vienne un peu plus tard.

Quand on est dans la même Union européenne, on est solidaire.

Q - Est-ce qu'au bout du compte ces essais ne nous auront pas fâché avec le monde entier ?
Est-ce que le jeu en valait la chandelle ?

R - Je viens de vous dire que non. Il suffit de regarder les résultats de ce vote...

Q - ...enfin, quand on voit l'ensemble des réactions, d'une manière générale ?

R - Oui, mais qu'est-ce que vous voulez, ce sont des réactions qui passeront. La France aura fait ce que son intérêt national lui commandait de faire. Tout ceci s'arrêtera dans quelques mois. Nous aurons ainsi les données disponibles pour signer un Traité qui interdira définitivement à tout le monde tous les essais nucléaires de quelque nature que ce soit. Nous pourrons faire de la simulation en laboratoire. Nous aurons sauvegardé l'efficacité et la sécurité de notre force de dissuasion.
Bien qu'il y aura eu quelques turbulences, le propre de l'homme d'Etat est de ne pas regarder tous les matins le dernier sondage qui vient de sortir ou la dernière déclaration faite à tel ou tel journal français ou étranger, c'est de faire ce qui est bon pour le pays, et modestement, à mon rang, c'est ce que j'essaie de faire aussi.


(Source http://www.doc.diplomatie.gouv.fr, le 7 novembre 2002)