Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur le plan de réforme de la Sécurité sociale, le contrat de plan de la SNCF et les régimes spéciaux de retraite, à l'Assemblée nationale le 5 décembre 1995.

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Circonstance : Débat sur la motion de censure déposée contre le gouvernement par le groupe socialiste à l'Assemblée nationale le 5 décembre 1995

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Oui, la France est à la croisée des chemins !
Oui, la France n'a le choix qu'entre le changement ou le déclin !
Oui, la France peut et doit s'engager résolument dans la voie des réformes trop longtemps différées !
Telle est mon intime conviction. Telle est la mission que le Président de la République a assignée au Gouvernement. Telle est ma raison d'être au poste de Premier ministre. Voilà pourquoi je l'affirme tranquillement devant vous : je maintiendrai mes projets de reforme. Si nous les retirions, nous irions contre l'intérêt de la France et des Français.
Lorsque, le 15 novembre dernier, je vous ai présenté mon plan de sauvegarde de la Sécurité sociale, je vous ai dit :
- Il faut le faire maintenant !
- Il faut le faire ensemble, !
Vous m'avez alors répondu oui avec enthousiasme et par un vote massif. Votre détermination, comme la mienne, je le sais, n'a pas varié.
Je le répète donc avec la même foi :
- Il faut faire les réformes maintenant !
- Il faut les faire ensemble !
Depuis 15 ans, on a trop "laissé le temps au temps". La formule était belle, mais elle cachait une réalité qui l'était moins.
Aujourd'hui, nous ne pouvons plus attendre.
Je n'ai pas, vous le savez, un goût immodéré pour les formules emphatiques. J'exprime donc ce que je crois être une vérité toute simple en affirmant que, d'ici deux ans, la France a rendez-vous avec l'Histoire et les Français avec leur destin. Il nous incombe d'écrire cette nouvelle page de notre commune aventure.
Que se passera-t-il, en effet, dans les deux ans qui viennent ?
- Ou bien nous aurons rétabli la santé de notre économie et ressoudé le pacte républicain entre les Français, et alors tous les espoirs nous seront permis. Nous jouerons en première division, ou dans la cour des grands selon l'image que vous préférez. La France, fidèle à elle-même, sera forte de ses propres forces mais aussi de l'Union avec ses grands partenaires européens. Les Français jouiront du bien-être et de l'harmonie que procure l'appartenance aux grands ensembles économiques mondiaux.
- Ou bien nous continuerons à ployer sous les déficits, nous ne serons pas prêts à rejoindre nos partenaires les plus dynamiques, nous décrocherons en deuxième division, bref nous aurons pris la pente du déclin, lentement mais sûrement.
Personne ne veut de ce deuxième scénario, ni vous, ni nous.
Nous avons tous les moyens de l'éviter. Nous sommes en bonne voie pour réussir. Si nous le voulons vraiment, nous pouvons être prêts au rendez-vous que le peuple de France s'est fixé à lui-même. C'est donc bien un moment d'Histoire que nous vivons.
Certes, les choses ne se feront pas toutes seules. Il nous faudra, pour assurer la réussite, d'abord le courage de la lucidité.
Osons regarder en face la situation financière de l'État, de la Sécurité sociale, des entreprises publiques, que ce soit Air France, la SNCF, ou nos industries d'armement... On a partout laissé se creuser des déficits abyssaux. Et qu'on ne vienne pas me dire qu'il s'agit là d'une approche comptable ou technocratique ! Je refuse l'illusion lyrique ! Le vrai lyrisme n'y trouve guère son compte, et l'illusion cache mal le mensonge. Il n'est pas vrai qu'un pays puisse vivre durablement libre et prospère quand il est perclus de dettes ! Je ne me lasserai pas de le dire aux Français.
Le courage de la lucidité, donc, mais aussi le courage de l'action. Et l'action, ce sont les réformes que vous propose le Gouvernement.
Il faut les faire maintenant.
Il faut aussi les faire ensemble, c'est-à-dire avec les Français et pour les Français.
Pour réussir des réformes ensemble, il faut, à mes yeux, remplir trois conditions :
o dire la vérité;
o pratiquer la concertation ;
o agir dans la durée.
- Depuis plusieurs jours, on ment aux Français pour leur faire peur. Notre première tâche est de rétablir la vérité.
1) La vérité sur la réforme de la Sécurité sociale
o C'est une réforme qui a été précédée d'un large débat dans le pays et au Parlement. Il n'est pas vrai que le Gouvernement cherche à passer en force.
o Nous avons mis tout notre cur à concevoir une réforme juste, à répartir équitablement les efforts demandés. Il n'est pas vrai que les "petits" paieront comme continuent à le prétendre les démagogues de tout poil. Chacun apportera une contribution proportionnée à ses moyens.
A preuve :
- pas de Remboursement de la Dette sociale pour les 5 millions de personnes les plus modestes ;
- pas d'augmentation de la cotisation maladie pour plus de 6 millions de retraités non imposables et pour 2,5 millions de chômeurs dont les ressources sont inférieures au SMIC.
o C'est une réforme nécessaire et urgente.
Si nous ne faisons rien aujourd'hui, la Sécurité sociale sera en cessation de paiement demain et nous en souffrirons tous !
Si nous réalisons aujourd'hui la réforme que je vous propose, la Sécurité sociale sera sauvegardée.
Où est l'alternative ?
Où est l'autre réforme ?
Le choix proposé aux Français est clair : soit ne rien faire, soit appliquer la seule réforme qui vaille, celle dont vous avez massivement approuvé le principe.
2) Rétablir la vérité aussi sur les régimes spéciaux de retraite.
Je le dis avec force :
o Il n'est pas question de supprimer les régimes spéciaux des fonctionnaires, des cheminots, des agents de la RATP, etc.
o Il n'est pas question de les aligner sur le régime général, tout simplement parce que les métiers qu'ils concernent ont leur spécificité : la spécificité des services publics.
o Mais il n'est pas question non plus de ne rien faire.
M. Rocard, du temps où il était réformateur, l'expliquait fort bien. je le cite :
"Ne rien faire aujourd'hui conduirait à terme à la condamnation de la répartition et à la rupture des solidarités essentielles. Ceux qui, pour des gains politiques à courte vue, croiraient flatter l'opinion en niant le problème, programmeraient sûrement une guerre de générations".
Que n'avez vous, Messieurs, mis en pratique ces fortes maximes !
o Il faudra donc une réforme, sans bouleversements brutaux, dans la durée et dans la concertation j'y reviendrai.
3) Rétablir la vérité sur la SNCF
o Il n'est évidemment pas question de porter atteinte au statut de cette entreprise publique ni de remettre en cause sa mission de service public. Le contrat de plan dit le contraire !
o J'ai été le premier à déclarer ici même que le Gouvernement défendrait les "services publics à la française" à Paris comme à Bruxelles. La pugnacité des ministres qui expriment nos positions dans les instances communautaires ne saurait être mise en doute. Elle ne l'est en tout cas pas par nos partenaires européens ! S'il le faut, nous inscrirons la notion de "service public" dans nos textes fondamentaux, qu'ils soient nationaux ou européens.
o Il n'est pas question, par conséquent, de supprimer ou de diminuer les garanties statutaires des cheminots. Les rumeurs qu'on fait courir à ce sujet relèvent du fantasme ou du mensonge.
o Mais, à la SNCF aussi, il faut des réformes.
Ne rien faire serait condamner l'entreprise à la faillite. On ne peut vivre indéfiniment avec 175 milliards de francs de dettes, des déficits annuels qui s'aggravent, et un recul commercial préoccupant.
o Le contrat de plan que propose le Gouvernement est conçu pour aider les cheminots et la SNCF à s'en sortir - et pour rien d'autre.
Il comporte un effort immédiat et sans contrepartie des contribuables, c'est-à-dire des Françaises et des Français eux-mêmes qui allégeront la dette de 37 MdF dès 1996. A cette aide s'ajoute l'engagement de réduire la dette chaque année pendant 5 ans au fur et à mesure que l'entreprise redressera sa situation : pour 1 F de déficit en moins, l'État prendra à sa charge 1 F d'intérêt, c'est-à-dire 12 F de dette !
Le contrat de plan renvoie aux négociations annuelles la question des salaires, comme c'est la règle actuelle. Il ne fixe aucune liste de lignes à supprimer. Il s'en remet à la discussion avec les régions dans le cadre d'un schéma ferroviaire national qui déterminera les lignes prioritaires et celles qui sont d'intérêt local.
Que demande-t-il à l'entreprise : de se moderniser, de motiver tous ses collaborateurs, de développer son dynamisme commercial pour reconquérir des parts de trafic. N'est-ce pas la moindre des choses ?
Voici la vérité sur le contrat de plan.
Qui, de bonne foi, peut nier que c'est un effort considérable de la nation pour redresser son entreprise de chemins de fer, entreprise dont elle est légitimement fière ?
Telle est la vérité sur l'assurance-maladie, sur les régimes spéciaux de retraite, sur l'avenir de la SNCF. Assez de fausses nouvelles ! Assez de mensonges ! Assez de confusion. Les Français ont besoin d'un langage de vérité et de responsabilité. Certains, à droite comme à gauche, se sont grandis en le comprenant.
Réussir la réforme c'est aussi pratiquer la concertation.
Les ministres compétents - MM. BARROT et GAYMARD, M. PONS et Mme IDRAC, M. PERBEN, M. BAYROU - n'ont pas, un seul jour, cessé de rencontrer les organisations syndicales pour les éclairer sur les intentions du Gouvernement.
Nous continuerons sans désemparer.
Puisqu'il subsiste des malentendus, je propose une relance de cette concertation selon les modalités suivantes :
o M. BARROT, ministre du Travail et des Affaires sociales, recevra à ma demande dans les prochains jours, les dirigeants des grandes confédérations syndicales et des organisations professionnelles.
Sur la base des principes que vous avez adoptés, il leur proposera d'examiner les modalités d'application des réformes, les méthodes de consultation et de dialogue pour la mise au point des textes maintenant nécessaires.
S'agissant en particulier des ordonnances prévues par la loi d'habilitation que vous examinerez jeudi prochain, je me suis engagé à les élaborer en consultant les commissions parlementaires concernées. Les partenaires sociaux seront également consultés.
o Pour ce qui est des régimes spéciaux de retraite, je viens d'adresser au Président de la Commission de réforme une lettre de mission qui précise l'objectif de sa réflexion et son mode de travail, de telle façon que les partenaires sociaux trouvent leur place dans ce processus de mise à plat, préalable aux décisions qui seront arrêtées le moment venu, sur la base d'une discussion approfondie avec eux pour parvenir à l'accord le plus large possible sur une réforme indispensable.
o S'agissant enfin de la défense du service public à la française, le Gouvernement et le Parlement y travaillent. Les organisations syndicales et professionnelles, et notamment celles des entreprises de service public, seront associées dans le cadre d'une table ronde autour du ministre de l'Industrie, à cette réflexion qui touche au cur d'une réalité française dont, toutes sensibilités confondues, nous sommes déterminés à préserver l'originalité. Là encore, la problématique est claire : comment évoluer pour sauvegarder ? Nous aurons, dans les mois qui viennent, une application concrète de grande portée : je pense à France Télécom. Il n'est pas question que l'État renonce à la majorité du capital de cette entreprise. Il n'est pas question que son personnel actuel soit privé de son statut actuel. Mais dans le même temps, l'entreprise doit adapter son organisation pour rester, dans la concurrence internationale, l'une des premières du monde.
Réformer, c'est enfin agir dans la durée.
Le Gouvernement a une vision claire de ce qu'il faut faire et de ce qu'il veut faire pour donner à la France toutes ses chances de réussite. Ce plan d'ensemble devait être exposé à la représentation nationale et au pays. Il l'a été. Vous l'avez approuvé. Sa mise en uvre doit évidemment s'étaler sur les mois qui viennent.
Je voudrais rappeler notre calendrier :
o la révision constitutionnelle sera lancée dès janvier, car c'est la clef de voûte de la réforme:
o la priorité doit aller ensuite à l'assurance-maladie.
La loi d'habilitation nous permettra de prendre les ordonnances nécessaires dans les délais requis, c'est-à-dire avant fin avril.
o dans le courant du premier semestre 1996, vous seront soumis les projets de loi qui compléteront le dispositif, notamment celui qui instituera le régime universel d'assurance-maladie,
o les dispositions fiscales qui conditionnent la mise en uvre de la réforme de la protection sociale devront être prises pour que leur application intervienne dès le 1er janvier 1997.
A ce propos. je crois utile de vous donner quelques précisions.
Je peux dès aujourd'hui dire ce que ne sera pas la réforme fiscale dont on parle tant, souvent sur la base de rumeurs infondées :
- il ne saurait être question d'enlever aux salariés et aux contribuables dont les revenus sont exactement connus parce qu'ils sont déclarés par des tiers l'abattement général de 20 % et cela afin de réduire les taux les plus élevés du barème de l'impôt sur le revenu. Le Gouvernement n'a jamais eu cette intention. Il convient aujourd'hui de mettre un terme aux spéculations ou procès d'intention qui courent à ce sujet.
Je peux également vous dire ce que prévoiront à coup sûr, le moment venu, les propositions fiscales du Gouvernement : une réforme de la CSG dont l'assiette sera élargie à tous les revenus, notamment à ceux des placements financiers ; un transfert, vers cette CSG rénovée, point par point et année après année, des cotisations maladie des travailleurs, actuellement assises sur les seuls salaires, ce qui pénalise l'emploi ; un plan progressif de déductibilité de la CSG rénovée de sorte qu'elle devienne, comme je m'y suis engagé, une cotisation sociale à part entière.
o enfin, quand la Commission de réforme des régimes spéciaux de retraite aura rendu son diagnostic, c'est-à-dire au printemps prochain, le Gouvernement en tirera des propositions qu'il soumettra alors à toutes les concertations utiles.
Réformer dans la vérité, réformer dans la concertation, réformer dans la durée, mais réformer sans hésiter, voilà ma méthode.
Au bout du compte, quel est l'objectif ? Quelle est la perspective ?
En d'autres termes, réformer pour quoi faire ?
Je veux réformer parce que j'ai en tête et au cur la même préoccupation lancinante : l'avenir de la France, l'avenir des Français.
Notre ambition, notre idéal, c'est de les rassembler, de ramener les exclus dans la communauté nationale, de resserrer le lien de fraternité sans lequel notre peuple ne peut être fidèle à lui-même, à son histoire, à ses ambitions, à ses qualités foncières faites de générosité, d'enthousiasme, d'intelligence, et d'invention.
Pourquoi toutes ces forces qui sont en nous sont-elles aujourd'hui bridées ? Pourquoi nous abandonnons-nous au mauvais penchant de la division, de l'intolérance, et même de la violence qui est aussi dans notre nature ?
Parce qu'une menace insidieuse pèse sur chacun d'entre nous, sur chacun de nos enfants, sur les jeunes des quartiers difficiles, sur les jeunes des lycées, sur les jeunes des universités. Cette menace, c'est le chômage. Le chômage qui engendre la peur de l'avenir, et qui dissuade donc le consommateur d'acheter, l'entrepreneur d'investir, l'épargnant de prendre des risques. La peur du chômage qui, à nouveau, compromet la croissance de notre économie.
Plus que jamais, notre priorité doit rester celle que l'avais mise au premier rang dès le mois de mai dernier : la lutte contre le chômage, la bataille pour l'emploi.
Depuis 6 mois, nous avons marqué quelques points : le chômage de longue durée a commencé à reculer ; le Contrat Initiative Emploi a réussi.
En revanche, nous avons aussi subi des revers : le chômage des jeunes est à nouveau en progression. Ce n'est pas acceptable.
Les étudiants ont exprimé des demandes. Nous les avons écoutés et entendus. Avec mon accord, le ministre de l'Éducation nationale a précisé les mesures d'urgence que nous avions préparées. Elles ont été généralement bien accueillies. Je m'en réjouis.
Mais qui ne voit que la racine du mal n'est pas là ?
La véritable angoisse, la seule interpellation réelle qui nous est lancée, c'est celle du lendemain : "A quoi serviront les diplômes que nos études nous auront permis d'acquérir ?" nous disent les jeunes. C'est à cet appel qu'il faut répondre. D'où la nécessité, là encore, de réformes profondes. Nous allons les engager et je cite les 3 principales :
- préparation au choix d'une formation, orientation dès l'entrée au lycée ;
- édification d'une vraie filière technologique et professionnelle, à dignité égale avec les filières classiques ;
- diversification des premiers cycles universitaires.
Il nous faut aussi entendre le cri des jeunes des quartiers difficiles qui ne sont pas tous, loin s'en faut, dans nos universités.
A ces jeunes aussi, il faut que nous donnions une perspective et ce sera l'enjeu de notre programme d'intégration urbaine.
La bataille sera dure et longue.
Raison de plus pour ne pas affaiblir nos chances.
Le droit de grève est l'une des libertés fondamentales que garantit la République. Je sais que, pour beaucoup de salariés modestes, s'engager dans la grève est un sacrifice et qu'on ne prend pas une telle décision à la légère.
Je sais aussi que beaucoup de Français souhaitent travailler et qu'ils en sont aujourd'hui, de fait, empêchés. La liberté du travail est une autre liberté fondamentale.
La situation de blocage et d'affrontement qui s'est créée depuis quelques jours n'est donc bonne pour personne. Elle paralyse peu à peu nos entreprises. Et, de ce fait, elle va aggraver le chômage. Nous ressentons, derrière la bonne volonté et le courage des travailleurs, l'inquiétude, la souffrance quotidienne, la difficulté croissante à regagner le lieu de travail. Il y a urgence. Chacun doit le comprendre.
Le Gouvernement, je l'ai dit, est à tout moment prêt à la concertation.
Je souhaite que l'Assemblée nationale, en lui confirmant son soutien, dise aujourd'hui :
- oui à la réforme parce qu'elle est juste et nécessaire,
- oui à la réforme dans la concertation.
C'est ainsi que de la crise sortira le nouvel élan dont la France a besoin.