Déclaration de M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, sur les acquis, l'évolution et les orientations de l'administration territoriale, à la lumière des recommandations du rapport Mauroy sur la décentralisation, Paris le 13 décembre 2000.

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Circonstance : Clôture du colloque "Quelle fonction publique territoriale pour réussir la décentralisation ?" au Sénat le 13 décembre 2000

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
J'ai plaisir et intérêt à participer à cette journée sur la fonction publique territoriale.
Je remercie le Président PONCELET d'avoir pris cette initiative, le CNFPT et les associations professionnelles de s'y être associés.
Le Ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat est le Ministre des trois fonctions publiques. Je le rappelle régulièrement : il serait dommageable de segmenter les approches. C'est pourquoi je tente, depuis mars dernier et sur chaque dossier, de porter un regard d'ensemble sur la fonction publique pour imaginer des solutions communes. Des solutions communes pour aménager et réduire le temps de travail, ou résorber la précarité par exemple.
Pour autant, approche commune ne signifie pas approche unique ou uniforme : des dispositifs particuliers sont souvent nécessaires, pour tenir compte de la nature et de la spécificité des missions de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique hospitalière. Dans la FPT, la spécificité tient notamment à ce que plus des 2/3 des agents sont salariés de communes ou d'organismes intercommunaux. Elle tient également au développement soutenu du travail à temps partiel, et à une proportion d'emplois techniques plus importante.
Mais je sais que des interrogations se font jour, dans la suite notamment de la mission d'information sénatoriale Delevoye-Mercier : la fonction publique territoriale est-elle à même de répondre de manière satisfaisante aux besoins des collectivités locales et des élus ? Comment adapter la fonction publique territoriale et son statut aux nouveaux enjeux ? Ces questions ont été au cur de votre réflexion tout au long de cette journée. Je vais, à mon tour, tâcher d'y répondre. Mais je souhaite avant toute chose évacuer un faux débat : autant je suis prêt à admettre que la FPT mérite un examen au fond de ses nécessaires adaptations, autant je réfute avec force l'idée selon laquelle la construction statutaire serait un frein à la capacité de modernisation des administrations locales et à la mise en oeuvre d'une nouvelle étape de la décentralisation.
I - L'apport de la FPT à la réussite de la décentralisation, que personne ici ne niera, nous autorise au contraire à faire valoir les acquis de la construction statutaire - avant d'en relever les insuffisances.
Les fonctionnaires territoriaux ont joué un rôle considérable auprès des élus dans la mise en uvre de la décentralisation. C'est bien la preuve que le choix du gouvernement MAUROY, de Gaston DEFERRE et d'Anicet LE PORS, en particulier, était un choix adapté à l'unité recherchée : le choix de garantir un certain nombre de droits des salariés, tout en les conjuguant avec la spécificité territoriale caractérisée, notamment, par la multiplicité des employeurs et des métiers.
A. Je citerai deux acquis majeurs :
1) Premier acquis : une remarquable capacité d'adaptation de la FPT à la modernisation des administrations locales
Conciliant les besoins des 50 000 employeurs, les aspirations des
1 million 400 000 fonctionnaires territoriaux, mais aussi l'efficacité du service public, le statut de la FPT a permis de favoriser l'émergence d'une fonction publique appréciée des élus et des usagers.
Une enquête récente rappelle d'ailleurs que parmi les services publics les plus appréciés des usagers figurent les services municipaux.
C'est là sans doute l'une des spécificités de la fonction publique territoriale, à savoir une exigence aiguë à l'égard des fonctionnaires territoriaux due à la proximité des usagers et à la nécessité d'une évaluation rapide des actions menées.
Ces capacités d'adaptation sont attestées notamment par :
* La mise en uvre depuis 15 ans de compétences transférées par l'Etat dans le domaine du patrimoine, de l'action sociale, du développement local.
* La maîtrise de nouveaux outils de gestion : la nomenclature budgétaire des communes, les technologies de la communication pour bâtir des systèmes d'information dédiés au pilotage des organisations, le contrôle de gestion.
2) Deuxième acquis : l'unité statutaire.
Je le disais en introduction, le choix statutaire, fait en 1984, a permis d'harmoniser les règles concernant les 3 fonctions publiques sur un socle commun, et d'unifier les dispositions applicables quelle que soit la collectivité employeur. Il s'agit là d'une garantie à laquelle les agents et leurs représentants sont profondément attachés.
J'ajoute que le statut permet également le dialogue social au niveau local, grâce aux Comités Techniques Paritaires, soit au niveau de la collectivité, soit au niveau des centres de gestion.
B. Ces acquis, réels et indéniables, ne doivent pas cacher des difficultés et insuffisances tout aussi réelles et indéniables.
- Première source de difficulté : l'édifice statutaire a été long à construire, bien plus long que les 4 ans prévus initialement par la loi du 26 janvier 1984.
Cette lenteur s'explique en partie par le fait que la loi constitue, à la différence de la FPE, la source principale du droit de la FPT, en vertu du principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales.
Pour autant, la construction statutaire a su tirer les enseignements de la construction de la FPE, notamment, en limitant le nombre de cadres d'emplois à 57, comparé aux 1 700 corps de la FPE.
- D'autres problèmes spécifiques à l'administration territoriale se posent :
Ainsi, parmi les dysfonctionnements mis en exergue par les rapports RIGAUDIAT en 1992 et SCHWARTZ en 1998 sont souvent rappelés des contraintes excessives imposées aux employeurs telles que les seuils, les quotas, des lourdeurs dans l'organisation des concours ou des recrutements. Sur tous ces points, la réflexion a progressé et le rapport de la Commission MAUROY, par les pistes qu'il lance, enrichit le débat sur les évolutions à construire.
II - Dans ce contexte, quelles évolutions de la fonction publique territoriale devons-nous privilégier ?
Ces évolutions doivent être imaginées dans un nouveau contexte, dont nous pouvons dessiner les contours.
A. Trois points de contexte me paraissent particulièrement prégnants :
1) D'abord, la démographie
Le contexte démographique est de mieux en mieux connu, au moins au sein de la fonction publique territoriale, grâce notamment aux travaux du CNFPT et de la CNRACL, et à une coordination des acteurs de la fonction publique territoriale que je salue ici.
Il fait apparaître des enjeux majeurs pour l'ensemble de la fonction publique et pour la fonction publique territoriale en particulier. Il va de soi que toute réflexion sur l'évolution de la FPT devra prendre en compte cet enjeu.
2) Deuxième élément de contexte : le lancement d'une nouvelle étape de la décentralisation
Le Premier ministre a ouvert, le 27 octobre dernier à Lille, les pistes d'une nouvelle " étape citoyenne de la décentralisation ".
Un débat d'orientation sera organisé au Parlement à la mi-janvier, à partir des recommandations de la Commission présidée par P. MAUROY.
Destinées " à garantir la qualité et la mobilité de la fonction publique territoriale " selon les termes du Premier ministre, certaines suggestions du rapport MAUROY paraissent tout à fait adaptées au devenir de nos territoires.
Ainsi, compte tenu du contexte démographique que je rappelais, le développement des concours sur titres, existant déjà dans les filières médico-sociale et culturelle, pourrait être utilement étendu à des filières où le diplôme d'Etat permet la reconnaissance des qualifications.
Dans le même esprit, le projet de loi de résorption de la précarité et de modernisation du recrutement généralise la possibilité de mettre en uvre des 3ème concours, tout en permettant de valider des expériences ou acquis professionnels.
L'adaptation des concours à un certain nombre de métiers est également nécessaire ; c'est pourquoi je souhaite que soient tirées rapidement les conclusions du rapport sur les métiers de la ville remis à Claude BARTOLONE par Messieurs BREVAN et PICARD. De même, la refonte des concours de la filière sportive, paraît indispensable.
3) Enfin, il nous revient d'afficher avec force les valeurs du service public, pour redonner le goût de l'intérêt général et attirer vers la fonction publique territoriale un grand nombre de citoyens
La promotion des emplois publics, vous l'avez compris, est une exigence pour nous, employeurs publics.
Au-delà des éléments liés à la rémunération des fonctionnaires auxquels les candidats potentiels ne sont pas indifférents, au-delà des modes de gestion, c'est-à-dire la place, le rôle de l'agent, je crois fortement aux valeurs du service public.
C'est sur ces fondements, en réhabilitant le rôle des fonctionnaires, que nous pourrons répondre aux besoins de recrutement dans les 15 ans à venir.
B. Sur la base de ces éléments de contexte, permettez-moi de tracer trois pistes - assurément non exhaustives - d'évolution pour la FPT :
1. Il me paraît en premier lieu nécessaire de conforter les lieux de dialogue, de concertation sur le service public local.
Le CSFPT, présidé par A. ROGNARD, qui a beaucoup oeuvré dans la lourde tâche de construction statutaire et qui a fait la preuve de sa capacité à comprendre les enjeux du service public, doit être consolidé dans son rôle.
J'ai également noté que la Commission MAUROY préconisait la consultation des employeurs territoriaux au cours de la phase de négociation salariale avec les organisations syndicales de la fonction publique. J'y suis favorable sur le principe, même s'il convient d'en définir plus précisément les modalités, et j'ai commencé à le faire dans le cadre des négociations qui s'engagent en ce moment.
De manière plus générale, je suis conscient que la mesure de l'impact sur les collectivités locales d'un certain nombre de textes préparés par l'Etat est encore insuffisante, et souhaite en conséquence que la concertation et l'information en amont soient mieux organisées.
2. Deuxième piste d'évolution pour la FPT : construire un réseau des écoles du service public.
Je connais les sensibilités territoriales, mais aussi les réticences du côté de l'Etat à voir se rapprocher les dispositifs de formation.
Mais je pense que les enjeux des années prochaines ne seront plus les mêmes que ceux d'il y a 20 ans ou simplement 5 ans. Demain, les difficultés de recrutement seront communes aux trois fonctions publiques.
Je constate aussi que les dirigeants territoriaux ont acquis une crédibilité qui en fait aujourd'hui des partenaires reconnus dans la conception et la mise en uvre des politiques publiques.
C'est pourquoi le dialogue sur le renforcement des collaborations entre les écoles du service public me paraît aujourd'hui aussi opportun que nécessaire, à la fois pour les écoles de l'Etat et pour le CNFPT.
Les représentants de la FPT doivent s'y engager avec confiance, car l'excellence acquise par les territoriaux en matière de management, de conduite du changement et de développement local est à exporter dans les écoles où sont formés, en formation initiale ou en formation continue, les cadres des administrations publiques.
3. Enfin, la lutte contre les obstacles culturels et juridiques à la mobilité est à mes yeux prioritaire.
Parce qu'elle permet de rompre avec les cloisonnements culturels, de diversifier les expériences professionnelles et donc de mieux répondre aux besoins de nos concitoyens, la mobilité des agents publics doit être encouragée avec force.
Dans le domaine juridique, le mouvement est enclenché, notamment par la décision d'ouvrir le corps des administrateurs civils au cadre d'emplois des administrateurs territoriaux.
Au delà, je porte une attention particulière à l'ouverture des emplois de direction de la fonction publique de l'Etat aux territoriaux. La prochaine modification du décret de 1955 relatif à l'encadrement supérieur de l'Etat, et le décret portant statut d'emploi des SGAR participent de cette ouverture.
Je m'emploie ainsi à lever, méthodiquement, les obstacles statutaires, mais aussi les autres freins à la mobilité, notamment, en termes de rémunération ou de gestion de la carrière. Et je regrette qu'à ce jour aucune statistique complète ne soit établie concernant les mouvement d'agents d'une fonction publique à l'autre. Il reviendra à l'observatoire de l'emploi public, que j'ai installé au mois de septembre dernier, de répondre à cette question.
Conclusion
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénatrices et Sénateurs,
L'évolution historique du statut des agents au service des collectivités locales a traduit la conciliation de l'unité statutaire et de la spécificité des enjeux territoriaux.
Les défis quantitatif et qualitatif qui nous sont lancés ne me paraissent pas insurmontables car je suis persuadé que tous les acteurs, employeurs, institutions, agents, ont acquis une réelle confiance en eux leur permettant de développer des propositions.
Il nous rester à développer le dialogue entre l'Etat et l'ensemble des acteurs de la fonction publique territoriale.
Cette journée, Monsieur le Président, y contribue et je vous en remercie.
( source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 14 décembre 2000)