Interview de M. François Patriat, secrétaire d'Etat aux PME, au commerce, à l'artisanat et à la consommation, à France Inter, le 15 novembre 2000, sur la décision du gouvernement de suspendre l'utilisation des farines animales.

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli Sont-ce les médias qui entretiennent une psychose de la vache folle ? Les professionnels de la boucherie l'affirment. Quant aux représentants de la grande distribution, ils ont décliné l'invitation qui leur était faite de participer à Lyon aux Etats Généraux de l'alimentation. A peine 250 personnes y ont assisté lundi. 48 heures plus tard, le Gouvernement suspend l'utilisation des farines animales. Instrumentalisation politique ou principe de précaution ? Ce qui était jugé démagogique il y a huit jours est-il imposé aujourd'hui ? Comment l'expliquer ?
- "Non, ce n'était pas jugé démagogique puisque le Gouvernement, par la voix de plusieurs ministres dont J. Glavany et moi-même, avait mis en perspective cet arrêt. Mais on ne peut pas vouloir une chose et ne pas en accepter les conséquences - j'entends des conséquences en termes de stockage et en termes européens ! Nous avons toujours dit que, pour des raisons de pollution croisée, de contamination croisée, pour des raisons de fraude, le secteur des farines n'était pas à 100 % étanche, mais il l'était pratiquement parfaitement. Pour des raisons politiques, pour des raisons de perception des consommateurs, il était inévitable qu'à terme nous le fassions. Le Gouvernement a choisi une méthode qui était la consultation, la faisabilité, la mise en place et le contrôle. Il souhaitait avoir l'avis des scientifiques parce qu'on a tendance à peu croire les politiques dans ce pays, pour des raisons dont je ne débattrai pas ici. Avoir un avis scientifique, indépendant, permettant de déterminer le risque et d'en assumer l'appréciation pour prendre des décisions, me paraît être la bonne méthode."
Cela veut dire que l'on pouvait avoir scientifiquement raison et politiquement tort ?
- "C'est arrivé déjà dans l'histoire, bien entendu."
Qu'en est-il de l'intérêt du consommateur aujourd'hui ? Ces décisions qui viennent d'être prises nous protègent-elles ? Est-ce que cela nous protège pour de bon ?
- "Hier, le Premier ministre a proposé un plan en sept volets, sur l'arrêt des farines, sur les crédits de la recherche, sur les moyens de contrôle et sur le diagnostic poursuivi : sur tous les plans. On peut dire qu'aujourd'hui le dispositif français est le plus performant en Europe face à une maladie dont on connaît - parce qu'on la cherche - les éléments en France, dont on ne connaît pas - parce qu'on ne cherche pas - les éléments dans d'autres pays européens. C'est la raison pour laquelle je vais, cet après-midi - j'ai vu tout à l'heure que vous parliez de l'Europe - à Strasbourg expliquer au Parlement européen la politique de la France. Je vais aller, en tant que représentant de la présidence française momentanée, demander les mesures que les consommateurs et les politiques français souhaitent, notamment l'Agence alimentaire européenne dont j'ai rencontré le commissaire D. Burn, la semaine dernière. Il a salué les efforts de la France, il a dit que ce qui arrivait dans ce pays était injuste et qu'il nous suivait dans ce domaine : l'Agence alimentaire européenne sera mise sur pied très rapidement. Ensuite, je rencontrerai les consommateurs."
La question est également environnementale : ces farines, qui sont là, qui existent, sont stockées. Elles sont parfois stockées dans des conditions qui posent des questions : infiltration dans les nappes phréatiques possibles quand il y a des vents, les farines se dispersent, les oiseaux passent, ils mangent des farines, les poissons aussi. Tout cela ne risque-t-il pas de se retrouver dans un cycle écologique qui finalement nous concerne à nouveau, nous, consommateurs, bien que l'on ait supprimé les farines pour les animaux ?
- "Vous avez complètement raison. Je vous renvoie à mes propositions de la semaine dernière. Quand je dis "on ne peut pas vouloir une chose et ne pas en assumer les conséquences", c'est parce que je disais dernière, le Gouvernement disait, qu'il ne voulait pas, en supprimant un risque indirect, créer un risque direct. Il est réel aujourd'hui ; si le Gouvernement a pris quelques jours pour prendre cette décision, c'est qu'il voulait se donner les moyens d'une part de stocker, d'autre part d'éliminer les farines dans de bonnes conditions. Le tonnage de farines ne va pas arriver en bloc mais il va s'étaler dans le temps. Vous connaissez la donne : il y a avec les farines animales et le graisses 830 000 tonnes - 760 000 tonnes et 240 000 tonnes de graisses -, environ 1 million de tonnes. Aujourd'hui, on en traite seulement 140 000 tonnes. Nous sommes en mesure d'en traiter 500 000 tonnes. Il faut encore que, dans les jours et les semaines qui viennent, à mesure que les tonnages vont s'accumuler - c'est pour dans un an, un an et demi maintenant - trouver le traitement des 700 000 tonnes. La France, à travers les cimenteries, à travers les sites de stockage qu'elle détermine aujourd'hui - nous en avons déjà fléché quelques-uns -, à travers les méthodes d'élimination, a les moyens de faire face au plus urgent."
Des mesures sont prises : contrôle sur l'ensemble de la chaîne alimentaire, sur les abats bovins puisque "les vertèbres sont exclues, je lis, de la fabrication des gélatines et du suif." N'est-on pas en train de prendre la mesure de l'importance du problème ? On est largement au-delà du steak et de la côte de boeuf là ! Tout est concerné par cette affaire des farines !
- "Le steak et la côte de boeuf ne sont pas dangereux, rappelons-le. Il faut rappeler des choses simples aux gens - 4 personnes sur 10 - qui aujourd'hui disent qu'ils vont diminuer leur consommation de boeuf. Il faut leur rappeler que l'arrêt des farines animales concerne l'avenir, mais qu'aujourd'hui, vu les précautions prises, vu les plans et vu les décisions qui ont été pris - embargo, vous l'avez dit, sur les viandes britanniques, mesures de retrait des matières spécifiques à risques, mesures de contrôle des tests et de contrôle dans les abattoirs, in vivo et post mortem - la viande n'a jamais été aussi sûre. On me parle des matières à risques à côté, celles-là sont pour la plupart déjà éliminées. Le Gouvernement agit sur avis scientifique parce que c'est la seule donne. Nous nageons dans les incertitudes ! Il faut comprendre que le Gouvernement a à gérer le risque mais il peut difficilement gérer aussi la perception du risque. C'est plus difficile car il y a de l'irrationnel, vous l'avez évoqué. Je suis d'une région d'élevage, fils d'éleveur, de la région des verts pâturages. Je sais bien que le secteur bovin allaitant est aujourd'hui la filière durement touchée et ne mérite pas ce qu'il lui arrive. Quand on voit les efforts et les coûts que représente une viande de qualité, nourrie à base d'herbes et de farines végétales, avec la surveillance que cela impose, le prix est dur à payer. Rappelons que les mesures prises - celles-ci s'ajoutent à d'autres avec un plan beaucoup plus général que les farines - sont de nature non pas à rassurer mais à faire comprendre aux consommateurs que la meilleure viande qui existe aujourd'hui en Europe, c'est la viande française !"
Le problème, c'est que nous ne sommes pas seuls dans l'univers. Au niveau européen,
D. Bromberger posait en effet la question. On voit bien que les réglementations européennes sont très différentes les unes des autres, et que par conséquent, on ne peut pas répondre aujourd'hui véritablement aux enjeux du danger des farines animales ?
- "Je voudrais répondre à ceux qui font un procès politique. Regardez comment réagissent les autres. Je lisais la semaine dernière : "L'Italie va généraliser les tests prion." Ils ne l'ont encore pas fait. Ils disent : "on va le faire l'année prochaine." Personne ne leur reproche de tergiverser, alors que tous les pays d'Europe ont importé des farines dans les mêmes conditions que la France, et plus encore parce qu'ils sont générateurs d'agriculture productiviste, alors qu'en France nous avons à la fois les espaces et une agriculture accrochée au territoire. J'ai été rapporteur de la loi d'orientation agricole, et j'ai défendu cette agriculture française adossée à des signes de qualité, qui emploie des hommes sur le territoire. C'est nous qui avons inventé les AOC ! C'est nous qui aujourd'hui avons été les premiers développeurs de labels ! Donc l'Europe effectivement - vous avez raison - est en retard, ne cherche pas, ne trouve pas. Elle dit parfois qu'elle est indemne. Cela risque de peser lourd pour l'avenir. C'est la raison pour laquelle aujourd'hui, l'Europe prend des mesures ; vous avez vu qu'elle demande une généralisation du test prion sur les bêtes âgées - vous avez vu cela dans la presse d'hier soir, je m'en félicite. Nous interdisons aujourd'hui l'importation de farines d'origine animale, et nous nous donnons les moyens de les contrôler. J'ai eu, hier soir, le préfet de mon département au téléphone, à minuit, qui m'a dit : "J'ai mis en place, dès aujourd'hui, les moyens de contrôle d'importation des farines." Je crois que nous agissons avec pugnacité."
D'un mot : est-ce que cela ne pose pas la question - j'en reviens décidément à ce que disait D. Bromberger - des systèmes de production ? Interdire la farine c'est très bien, mais pour autant, la question des systèmes de production reste posée ? N'est-on pas là, confrontés à une question essentielle ?
- "J'ai défendu, l'année dernière, dans cette maison, la chasse apaisée. Je défends aussi aujourd'hui l'agriculture apaisée. Je pense que la France n'est pas faite pour produire des matières premières non transformées, à bas prix, pour un cours mondial qui n'existe pas. Elle est faite aujourd'hui pour produire des aliments de qualité capables d'être transformés, créateurs d'emplois et créateurs de devises. C'est cela aujourd'hui la vocation de la France. La France est un pays vert, c'est un pays de producteurs. La France a encore 600 000 paysans actifs à temps complet, capables d'occuper l'espace et de produire des éléments carnés et non carnés de qualité, si nous savons mettre les barrières. Je suis aujourd'hui secrétaire d'Etat à la Consommation, j'essaie de m'y employer en complément de mon ami J. Glavany."
(Source http :sig.premier-ministre.gouv.fr, le 15 novembre 2000)