Texte intégral
Jean-Michel Aphatie : Bonjour, Azouz Begag.
Azouz Begag : Bonjour.
Q.- Jean-Michel Aphatie : La République française a promulgué, le 25 février dernier, une loi, aujourd'hui controversée. Ce texte demande aux programmes scolaires, je cite : "de reconnaître en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord". Vous êtes fils d'immigrés algériens, Azouz Begag. Vos parents sont installés en France au début des années 50. Votre expérience vous permet donc de parler de la colonisation telle que vos parents, votre famille, vos amis, peut-être, vous l'ont transmise. Rôle positif ou pas, Azouz Begag ?
R.- Mon père est arrivé en France en 1947, Jean-Michel Aphatie. Il arrivait d'une ville qui n'est pas neutre dans l'histoire des relations entre la France et l'Algérie, puisqu'il arrivait de Sétif.
Q.- Il y a eu des massacres, à Sétif !
R.- Où j'ai passé, jusqu'à l'âge de 22 ans, toutes mes vacances d'été. Et, à chaque fois que j'entrais à Sétif pour y passer un mois de vacances, c'était les massacres de Sétif, le 8 mai 1945, au cours desquels des milliers de sétifiens sont morts. Mon père m'a souvent parlé de cette histoire, de ces jours meurtriers. Et je passe du 8 mai 1945 au 23 février 2005. Il est clair que, pour moi, cette loi me provoque des contorsions ventrales, puisque je n'arrive pas à assumer cette lecture de l'histoire, en particulier, des relations entre la France et l'Algérie, même si je ne nie pas qu'il y ait eu Albert Camus. Même si je ne nie pas qu'il y ait eu des routes, des hôpitaux. Sétif, dans l'histoire, c'est quand même - pour moi - le 8 mai 1945 et, à ce titre et à titre personnel, je me réjouirais de voir abroger cet article 4 de la loi du 23 février 2005.
Q.- Voilà qui est dit. Pour vous, cette loi - la loi qu'a promulguée la République française - c'est une souffrance, d'abord à votre mémoire, et puis une erreur politique ?
R.- C'est une blessure ! Et, aujourd'hui, comme la France qui a besoin de se retrouver, de se regrouper, ne peut avancer vers son avenir que si elle fait face, avec courage, avec complexité à sa mémoire, à ses mémoires, en respectant les unes et les autres. Et donc, en ôtant des lois tout ce qui peut atténuer la blessure de l'un. Alors, je pense, effectivement, l'apaisement ne pourra se faire - ne devrait se faire - que si les mots qui font mal puissent disparaître de cette loi. Et, de toute façon, je suis le président de la République et je suis le Premier ministre lorsqu'ils disent que ce n'est pas au Parlement de faire l'histoire.
Q.- Mais le Parlement l'a fait !
R.- Oui, mais ce qui est très étrange ! C'est un drôle de mic-mac, cette affaire, puisque même les socialistes ont voté cette loi, dit-on - entre guillemets - "par inadvertance". Donc, ce n'est vraiment pas une loi des uns ou des autres, c'est une loi du Parlement français qui - je ne sais pas, ça se peut - il se peut que, parfois, à 2h12 du matin ou à 3h12 du matin, on vote des lois, des amendements et que tout le monde est à moitié endormi, et que l'on ne se rende pas compte de l'impact.
Q.- Alors, les socialistes étaient à moitié endormis lors de la première lecture, mais ils ont demandé, la semaine dernière, que le Parlement - unanime si possible - revienne sur cette loi. Et là, c'est la majorité qui l'a refusé. A votre avis, elle aurait dû l'accepter, Azouz Begag ?
R.- Je ne sais pas. Voilà, des deux côtés, il y a des incohérences. Comment se fait-il que les socialistes, un jour, disent : "on dormait, on s'excuse, on n'a rien vu passer". Et, le lendemain, se retrouvent et se constituent en force d'opposition, à l'UMP, pour dire : "vous avez voté une loi de falsification de l'histoire" alors que eux, aussi, ont participé.
Q.- Ça, c'est l'incohérence des socialistes. Vous la pointez. Vous avez raison de la pointer, ce matin, Azouz Begag. Et l'incohérence de l'UMP, comment la caractériseriez-vous ?
R.- Je ne sais pas.
Q.- Pour être précis, vous regrettez que l'on n'ait pas accédé à la demande d'abroger cet article de loi ?
R.- Non, non. Au contraire, je crois qu'aujourd'hui si on a besoin de retrouver l'apaisement, on a besoin de quelques mois. Je trouve excellente d'abord de placer, sous le registre de l'apaisement, cette mission confiée à Jean-Louis Debré de mission pluraliste. C'est lui seul qui va décider qui va pouvoir discuter, d'une manière courageuse et libre.
Q.- Vous pourriez participer à cette mission ? Non, le fait que vous soyez dans l'exécutif, sans doute ?
R.- Je ne crois pas. Mais, en tous les cas, il faut un peu de temps, il faut apaiser, et vraiment c'est un endroit extrêmement charnière dans l'histoire de France. Voyez comme aujourd'hui les mémoires remontent à la surface. Les mémoires remontent à la surface du corps social, et disent leurs maux.
Q.- En tout cas, vous n'avez pas de doute sur l'issue de cette histoire. Il faut abroger cet article ?
R.- A titre personnel, je réclame effectivement l'abrogation de cet article.
Q.- Et ce n'est pas pour vous opposer à lui, Azouz Begag, mais Nicolas Sarkozy, lui, regrette ce débat et dit : "vraiment, la repentance systématique n'est pas une bonne attitude". Que lui répondez-vous, Azouz Begag ?
R.- Non, je pense que se retourner vers le passé, tous, entre français, pour prendre à bras-le-corps son histoire, ce n'est pas de la repentance : c'est du courage. Il n'y a pas à s'excuser d'être français. Azouz Begag, né à Lyon, de parents immigrés algériens, sétifiens, est français, au même titre que les autres. Il est français même depuis que ses grands-parents sont morts dans la Somme, en 1918, dans le 23e régiment de tirailleurs algériens. Ils avaient 20 ans, 22 ans : Larbi Ben Mohamed, venu de Sétif.
Alors aujourd'hui, c'est en tant que français, tous, que nous n'avons pas, ni à nous excuser d'être français, ni à jouer la repentance. Mais regardez ce que nous avons fait, ce que nos ancêtres ont fait, et à pouvoir avancer avec ce fardeau, ou ce cadeau, je ne sais pas. Mais, en tous les cas cette complexité que constituent une histoire et l'histoire d'un peuple pour aller vers demain.
Q.- Ce débat, Azouz Begag, est-il un débat qui a, selon vous, beaucoup d'écho dans les cités ? Des jeunes français issus de l'immigration en parlent-ils, le vivent-ils avec la même émotion que vous évoquez, vous, ce matin ?
R.- Non. Parce que l'un des problèmes des jeunes des cités, c'est qu'ils n'ont plus de continuité dans le temps. Ils n'ont plus guère de rapports avec le passé, avec leurs parents, avec leur mémoire, avec leur histoire. Et, par conséquent, c'est un handicap majeur, pour eux, d'aller vers le futur parce qu'ils n'ont pas de mémoire. Et l'un d'entre eux, un jour, m'a dit : "Eh, M'sieur ! A quoi ça sert d'avoir de la mémoire quand on n'a pas d'avenir ?". Et je lui ai répondu : "C'est justement pour ça, mon ami ! C'est avec ta mémoire que tu peux te bâtir un avenir !".
Q.- Azouz Begag, ministre de l'égalité des chances, fils d'algériens français qui souhaite, donc, l'abrogation de l'article 4 de la loi du 25 février, était l'invité de RTL, ce matin. Bonne journée !
Source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 15 décembre 2005
Azouz Begag : Bonjour.
Q.- Jean-Michel Aphatie : La République française a promulgué, le 25 février dernier, une loi, aujourd'hui controversée. Ce texte demande aux programmes scolaires, je cite : "de reconnaître en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord". Vous êtes fils d'immigrés algériens, Azouz Begag. Vos parents sont installés en France au début des années 50. Votre expérience vous permet donc de parler de la colonisation telle que vos parents, votre famille, vos amis, peut-être, vous l'ont transmise. Rôle positif ou pas, Azouz Begag ?
R.- Mon père est arrivé en France en 1947, Jean-Michel Aphatie. Il arrivait d'une ville qui n'est pas neutre dans l'histoire des relations entre la France et l'Algérie, puisqu'il arrivait de Sétif.
Q.- Il y a eu des massacres, à Sétif !
R.- Où j'ai passé, jusqu'à l'âge de 22 ans, toutes mes vacances d'été. Et, à chaque fois que j'entrais à Sétif pour y passer un mois de vacances, c'était les massacres de Sétif, le 8 mai 1945, au cours desquels des milliers de sétifiens sont morts. Mon père m'a souvent parlé de cette histoire, de ces jours meurtriers. Et je passe du 8 mai 1945 au 23 février 2005. Il est clair que, pour moi, cette loi me provoque des contorsions ventrales, puisque je n'arrive pas à assumer cette lecture de l'histoire, en particulier, des relations entre la France et l'Algérie, même si je ne nie pas qu'il y ait eu Albert Camus. Même si je ne nie pas qu'il y ait eu des routes, des hôpitaux. Sétif, dans l'histoire, c'est quand même - pour moi - le 8 mai 1945 et, à ce titre et à titre personnel, je me réjouirais de voir abroger cet article 4 de la loi du 23 février 2005.
Q.- Voilà qui est dit. Pour vous, cette loi - la loi qu'a promulguée la République française - c'est une souffrance, d'abord à votre mémoire, et puis une erreur politique ?
R.- C'est une blessure ! Et, aujourd'hui, comme la France qui a besoin de se retrouver, de se regrouper, ne peut avancer vers son avenir que si elle fait face, avec courage, avec complexité à sa mémoire, à ses mémoires, en respectant les unes et les autres. Et donc, en ôtant des lois tout ce qui peut atténuer la blessure de l'un. Alors, je pense, effectivement, l'apaisement ne pourra se faire - ne devrait se faire - que si les mots qui font mal puissent disparaître de cette loi. Et, de toute façon, je suis le président de la République et je suis le Premier ministre lorsqu'ils disent que ce n'est pas au Parlement de faire l'histoire.
Q.- Mais le Parlement l'a fait !
R.- Oui, mais ce qui est très étrange ! C'est un drôle de mic-mac, cette affaire, puisque même les socialistes ont voté cette loi, dit-on - entre guillemets - "par inadvertance". Donc, ce n'est vraiment pas une loi des uns ou des autres, c'est une loi du Parlement français qui - je ne sais pas, ça se peut - il se peut que, parfois, à 2h12 du matin ou à 3h12 du matin, on vote des lois, des amendements et que tout le monde est à moitié endormi, et que l'on ne se rende pas compte de l'impact.
Q.- Alors, les socialistes étaient à moitié endormis lors de la première lecture, mais ils ont demandé, la semaine dernière, que le Parlement - unanime si possible - revienne sur cette loi. Et là, c'est la majorité qui l'a refusé. A votre avis, elle aurait dû l'accepter, Azouz Begag ?
R.- Je ne sais pas. Voilà, des deux côtés, il y a des incohérences. Comment se fait-il que les socialistes, un jour, disent : "on dormait, on s'excuse, on n'a rien vu passer". Et, le lendemain, se retrouvent et se constituent en force d'opposition, à l'UMP, pour dire : "vous avez voté une loi de falsification de l'histoire" alors que eux, aussi, ont participé.
Q.- Ça, c'est l'incohérence des socialistes. Vous la pointez. Vous avez raison de la pointer, ce matin, Azouz Begag. Et l'incohérence de l'UMP, comment la caractériseriez-vous ?
R.- Je ne sais pas.
Q.- Pour être précis, vous regrettez que l'on n'ait pas accédé à la demande d'abroger cet article de loi ?
R.- Non, non. Au contraire, je crois qu'aujourd'hui si on a besoin de retrouver l'apaisement, on a besoin de quelques mois. Je trouve excellente d'abord de placer, sous le registre de l'apaisement, cette mission confiée à Jean-Louis Debré de mission pluraliste. C'est lui seul qui va décider qui va pouvoir discuter, d'une manière courageuse et libre.
Q.- Vous pourriez participer à cette mission ? Non, le fait que vous soyez dans l'exécutif, sans doute ?
R.- Je ne crois pas. Mais, en tous les cas, il faut un peu de temps, il faut apaiser, et vraiment c'est un endroit extrêmement charnière dans l'histoire de France. Voyez comme aujourd'hui les mémoires remontent à la surface. Les mémoires remontent à la surface du corps social, et disent leurs maux.
Q.- En tout cas, vous n'avez pas de doute sur l'issue de cette histoire. Il faut abroger cet article ?
R.- A titre personnel, je réclame effectivement l'abrogation de cet article.
Q.- Et ce n'est pas pour vous opposer à lui, Azouz Begag, mais Nicolas Sarkozy, lui, regrette ce débat et dit : "vraiment, la repentance systématique n'est pas une bonne attitude". Que lui répondez-vous, Azouz Begag ?
R.- Non, je pense que se retourner vers le passé, tous, entre français, pour prendre à bras-le-corps son histoire, ce n'est pas de la repentance : c'est du courage. Il n'y a pas à s'excuser d'être français. Azouz Begag, né à Lyon, de parents immigrés algériens, sétifiens, est français, au même titre que les autres. Il est français même depuis que ses grands-parents sont morts dans la Somme, en 1918, dans le 23e régiment de tirailleurs algériens. Ils avaient 20 ans, 22 ans : Larbi Ben Mohamed, venu de Sétif.
Alors aujourd'hui, c'est en tant que français, tous, que nous n'avons pas, ni à nous excuser d'être français, ni à jouer la repentance. Mais regardez ce que nous avons fait, ce que nos ancêtres ont fait, et à pouvoir avancer avec ce fardeau, ou ce cadeau, je ne sais pas. Mais, en tous les cas cette complexité que constituent une histoire et l'histoire d'un peuple pour aller vers demain.
Q.- Ce débat, Azouz Begag, est-il un débat qui a, selon vous, beaucoup d'écho dans les cités ? Des jeunes français issus de l'immigration en parlent-ils, le vivent-ils avec la même émotion que vous évoquez, vous, ce matin ?
R.- Non. Parce que l'un des problèmes des jeunes des cités, c'est qu'ils n'ont plus de continuité dans le temps. Ils n'ont plus guère de rapports avec le passé, avec leurs parents, avec leur mémoire, avec leur histoire. Et, par conséquent, c'est un handicap majeur, pour eux, d'aller vers le futur parce qu'ils n'ont pas de mémoire. Et l'un d'entre eux, un jour, m'a dit : "Eh, M'sieur ! A quoi ça sert d'avoir de la mémoire quand on n'a pas d'avenir ?". Et je lui ai répondu : "C'est justement pour ça, mon ami ! C'est avec ta mémoire que tu peux te bâtir un avenir !".
Q.- Azouz Begag, ministre de l'égalité des chances, fils d'algériens français qui souhaite, donc, l'abrogation de l'article 4 de la loi du 25 février, était l'invité de RTL, ce matin. Bonne journée !
Source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 15 décembre 2005