Texte intégral
Jean-Michel Aphatie : Bonjour Pascal Clément. Vous avez présenté, hier, au nom de la justice
française, des excuses à ces femmes, à ces hommes, injustement condamnés, injustement
emprisonnés dans l'affaire d'Outreau. Et, à côté de vous, justement, se trouve Daniel
Legrand. Bonjour, Daniel Legrand.
Daniel Legrand : Bonjour.
Jean-Michel Aphatie : Vous avez 24 ans, vous avez été 30 mois en prison, pour rien, sur la
base de témoignages fantaisistes ou délirants. Et, hier, la Cour d'Assises de Paris vous a
définitivement acquitté. Vous êtes sorti du cauchemar, vous avez réussi à trouver le sommeil
cette nuit, Daniel Legrand ?
Daniel Legrand : Réussi à trouver le sommeil ? C'est vrai que, oui, j'ai réussi à trouver le
sommeil, mais ça été assez tardif. Mais c'est vrai que l'acquittement, ça a été un
soulagement pour nous tous, parce qu'on attendait cela depuis des années. Et c'est vrai que
la nuit a été un peu agitée. Mon sommeil a été un peu agité, mais je suis soulagé d'un poids
que je traînais depuis 4 années.
Jean-Michel Aphatie : A côté de vous, se trouve le Ministre de la Justice. Vous en voulez
aujourd'hui à la justice française, Daniel Legrand ?
Daniel Legrand : J'en veux beaucoup moins, parce que, là, je me suis senti écouté, pendant
ce procès en appel. J'ai été très écouté. Et je veux dire que j'en veux moins à la justice,
beaucoup moins à la justice parce que j'ai été très écouté pendant ce procès en appel. On
m'a beaucoup écouté, et on a été attentif à tout ce qu'ai pu déclarer, et on a vu mon
innocence. C'est cela que je retiendrai de la Cour d'Appel de Paris.
Jean-Michel Aphatie : Pascal Clément, vous êtes Ministre de la Justice, et vous êtes assis
ce matin, dans le studio de RTL, à côté de quelqu'un qui a été victime d'une erreur
judiciaire, d'une mécanique judiciaire effroyable. Quels sont vos sentiments ce matin,
Pascal Clément ?
Pascal Clément : Et bien, une grande tristesse. Une tristesse pour la justice en général, et
c'est pour cela qu'hier j'ai présenté mes excuses à tous les acquittés d'Outreau, donc,
aujourd'hui à Daniel Legrand, au nom de l'institution judiciaire. Je pense aux 2 ans, 6
mois, 11 jours de prison qu'a faits Daniel Legrand. C'est énorme. Je pense donc à tous ces
acquittés, et je pense en même temps à tous les magistrats, et à l'immense peine qu'ils
ressentent. La justice marche bien et puis, de temps en temps - et à ce point-là c'est
rarissime - il y une abominable catastrophe qui se produit. Je voudrais qu'on pense à la
souffrance des magistrats.
Jean-Michel Aphatie : Lesquels ?
Pascal Clément : Tous les magistrats.
Jean-Michel Aphatie : Ceux qui ont mal travaillé dans cette affaire d'Outreau ?
Pascal Clément : Je parle globalement de tous les magistrats, et puis particulièrement ceux
qui, peut-être, se sont trompés, et dont la souffrance doit être forte aussi. Il y a
quelques mois, j'ai tenu à mettre en exergue le procès d'Angers. C'est le même type de
procès. C'était aussi réputé pour être, peut-être, un réseau de pédophiles. Il a
magnifiquement fonctionné et ça a été de l'avis général. Donc, la justice ne se trompe pas
tout le temps, et en plus, la justice, comme vous le voyez, s'est trompée là, sur le recueil
de la preuve, mais le rôle de l'audience a parfaitement fonctionné, 2 fois.
Jean-Michel Aphatie : Pour Daniel Legrand, pas beaucoup à Saint-Omer.
Daniel Legrand : Il a fallu 2 fois, mais à la deuxième fois, l'audience a joué son rôle.
Alors, ce n'est pas pour trouver des excuses, c'est pour dire que c'est une affaire qui nous
concerne tous, spécialement la justice. Eh bien, elle va en tirer le maximum.
Jean-Michel Aphatie : Vous, Daniel Legrand, puisqu'on parle des magistrats, vous avez été
confronté, physiquement, à ce magistrat dont on parle beaucoup, Stéphane Burgaud, qui était
le juge d'instruction de l'affaire d'Outreau. De ce qu'il vous reste, dans votre mémoire,
comment s'est comporté avec vous le juge Burgaud, Daniel Legrand ?
Daniel Legrand : J'ai plutôt des souvenirs positifs et négatifs. Quand je suis parti dans
mes délires mensongers, quand j'ai commencé à mentir, c'est vrai que j'avais une réaction de
la part du juge : j'allais dans son sens, alors il m'écoutait. Mais quand je niais les
faits, que je criais mon innocence, c'est vrai qu'il n'y avait aucune écoute pour moi.
J'étais dans mon coin, et il ne m'écoutait pas.
Jean-Michel Aphatie : Tout à l'heure, vous disiez que les juges de la Cour d'Appel, hier, à
Paris, vous ont écouté. Le juge Burgaud, lui, ne vous a pas écouté.
Daniel Legrand : Voilà, c'est la différence qui a entre les deux : entre le juge Burgaud et
la Cour d'Appel de Paris. Il y a une grande différence parce que, là, j'ai été écouté en
Cour d'Appel de Paris. Là, on m'a écouté, on a écouté mon innocence. Là, je me suis senti
écouté face aux juges, aux jurés. On m'a vraiment écouté, on a écouté ma parole d'innocent.
Et ça, j'en suis très heureux. Cela m'a beaucoup touché et ils ont été sincères avec moi :
je retiendrai une bonne image de la Cour d'Appel de Paris parce qu'ils ont été sincères avec
moi, sincères.
Jean-Michel Aphatie : C'est cette différence-là qu'il vous faut gérer, Pascal Clément. Des
juges qui écoutent, et c'est leur rôle. Des juges qui n'écoutent pas et c'est une faute.
Pascal Clément : Si j'ai demandé et souhaité l'inspection de l'ensemble des services
justice, police, sociaux, c'est parce que c'est toute la chaîne qui a failli. Je voudrais
vous l'expliquer rapidement pourquoi. D'abord, voir ce qui s'est passé au niveau des
travailleurs sociaux qui gèrent les familles d'accueil qui, elles, gèrent les enfants. Et
c'est déjà à ce niveau-là qu'a été recueilli les paroles de l'enfant et, peut-être, à ce
moment-là, sacralisé trop la parole des enfants. Les paroles de l'enfant sont arrivées dans
le bureau du juge d'instruction et qui, sans doute, a manqué d'esprit critique. Puis,
ensuite, nous sommes arrivés au niveau de la Chambre d'Instruction, qui est l'appel des
décisions du juge d'instruction, et qui a confirmé les décisions du juge d'instruction :
donc, l'erreur se poursuit. Et puis, enfin la Cour d'Assises qui s'est trompée en partie -
vous l'avez fait remarqué - la première fois. Et il a fallu deux Cour d'Assises, finalement,
pour établir ce qui semble être la vérité : donc, vous voyez bien, c'est toute la chaîne.
Jean-Michel Aphatie : C'est horrible qu'autant de gens puissent se tromper, comme cela ! On
est effrayé en vous écoutant, Pascal Clément ! Qu'une personne se trompe, soit ! Que toutes
se trompent : c'est inouï comme histoire !
Pascal Clément : C'est ce qu'il faut savoir comprendre et expliquer. Pour le moment, cela
paraît inouï, cela paraît intolérable - ça l'est d'ailleurs. Mais, il faut essayer de
comprendre. Et je crois que l'on va beaucoup réfléchir sur le recueil de la parole de
l'enfant.
Et d'ailleurs, dès le mois de mai, une circulaire de la Chancellerie partait au Procureur de
la République, à la suite de la première décision de Saint-Omer, pour bien donner les
conditions du recueil de l'appel de l'enfant. Il faut que ce soit des professionnels, pas
dans n'importe quel lieu, car c'est très difficile de recueillir la parole d'un enfant de 5
ans. Et c'est ce qui s'est passé. A quel moment est-elle crédible ?
On a aussi demandé à ne pas poser comme question au psychiatre : "est-ce que cet enfant est
crédible ou pas" ? Cela ne veut rien dire comme question. Or, c'est ce type de question où
l'on trouvait facile, commode de se reculer derrière la décision du psychiatre. Et puis, on
l'a vu les psychiatre, disons-le, se ridiculiser pendant l'audience. Même à moment,
l'audience éclatait de rire devant une musaraigne. On voit bien que, là aussi, il y a toute
une réflexion sur notre société qui va au-delà même des seuls juges.
Jean-Michel Aphatie : Daniel Legrand, pour vous serait-il utile, nécessaire, important, que
des juges soient sanctionnés après ce que vous avez vécu ?
Daniel Legrand : Sanctionnés : qu'on en tire des leçon, c'est cela que je voudrais. Qu'on
tire des leçons de cette affaire d'Outreau, parce que je pense qu'il y a beaucoup de
personnes qui sont responsables du fiasco. Qu'elles soient punies, qu'il y ait des
conséquences sur les juges. Que le juge Burgaud ait des conséquences : oui, oui, je suis
d'accord pour qu'il ait des conséquences sur sa fonction.
Parce que, moi, je pense qu'il est fautif de notre enfermement. On a été enfermé pendant 4
années, enfin 4 années de souffrances. Pour moi, j'étais enfermé malgré que j'ai été libéré
au bout de deux ans et demi : pour moi, j'étais encore enfermé jusqu'à mon acquittement. Je
n'étais pas encore libéré dans ma tête. Mais je pense qu'il y a des responsabilité à prendre
: le juge, c'est à lui d'assumer ce qu'il a pu commettre.
Jean-Michel Aphatie : Comprenez-vous la réaction de Daniel Legrand, Pascal Clément ?
Pascal Clément : Bien sûr.
Jean-Michel Aphatie : Il y aura un procès du procès d'Outreau ? Vous vous y engagez ce matin
?
Pascal Clément : Il y a une inspection, alors on verra ce qu'elle donnera. Il ne faut pas
préjuger de cette inspection, sinon on nous reprocherait, à tort, d'être aussi juge et
partie, et puis de juger uniquement à charge. Alors, on rappelle : le juge d'instruction
juge à charge et à décharge. On entend dire qu'il juge trop à charge : et bien, c'est ce qui
va être prouvé par l'inspection.
Jean-Michel Aphatie : Quelquefois les inspections et les commissions noient les problèmes.
Ce ne sera pas le cas, là, Pascal Clément ?
Pascal Clément : Non, parce que c'est toute la société française qui est derrière cette
inspection. C'est le Parlement qui décide d'une commission d'enquête. On va déboucher et on
va faire des progrès. Comme vous le savez, le président de la république m'a confié une
mission de réflexion sur la responsabilité des juges.
Alors, elle existe déjà la responsabilité, sur le plan civil. Sur le plan professionnel,
elle est très difficile à mettre en place puisqu'il faut, aussi, en même temps, préserver
l'indépendance des juges. Et toute la France y tient aussi beaucoup. Donc, on marche sur une
ligne de crêtes. Mais on va peut-être s'inspirer de ce que le Conseil de l'Europe a mis déjà
en exergue, c'est-à-dire : la grossière erreur d'appréciation commise par un magistrat.
Et là, ce sera, effectivement, un élément nouveau. C'est ce que j'ai lancé hier. Il s'agit -
même si le juge n'a pas violé la loi, n'a pas commis d'erreur de procédure - s'il n'a pas
pris en compte une série d'éléments de faits qui auraient dû l'alerter, le conduire à
prendre une autre décision, cela serait une erreur grossière d'appréciation.
Jean-Michel Aphatie : Vous n'avez pas eu l'occasion de parler avec le juge Burgaud puisqu'il
est magistrat à Paris. Avez-vous cherché à prendre contact avec lui, Pascal Clément ?
Pascal Clément : Ce n'est pas mon rôle !
Jean-Michel Aphatie : Je voudrais juste vous soumettre, assez rapidement pour terminer,
cette parole d'expert qui a beaucoup choqué, mais qui disait aussi quelque chose de la
justice française : "quand on paie des experts au tarif des femmes de ménage, on a des
expertises de femmes de ménage". C'est une phrase insupportable de légèreté, mais elle dit
aussi que la justice ne paie pas les experts et, donc, personne ne travaille bien.
Pascal Clément : Ce n'est pas de critiquer le prix d'une chose, de dire que l'expertise vaut
ce qu'elle vaut, c'est à dire : rien. J'ai demandé la radiation de cet expert. Cela n'est
pas tolérable.
Jean-Michel Aphatie : Ça, c'est une information. Daniel Legrand, la vie va reprendre pour
vous ?
Daniel Legrand : La vie va reprendre pour moi. Je vais regarder l'avenir. En fait, j'ai 24
ans, et je veux regarder droit devant moi. Je veux éviter de regarder derrière moi, parce
que mon avenir est devant moi. Et je demande qu'à grandir, grandir avec ma famille. Grandir,
en fait, c'est tout ce que je veux : grandir.
Jean-Michel Aphatie : On vous souhaite de tourner cette page.
Daniel Legrand : Je vous remercie.
Jean-Michel Aphatie : Je voudrais signaler la présence, dans ce studio, de Roselyne Godard
dont l'histoire nous avait aussi beaucoup émue. Vous étiez, vous, acquittée au procès de
Saint-Omer. Mais, votre courage et votre dignité nous avait beaucoup touchés. Vous avez
accompagné Daniel Legrand, ce matin, et on est heureux de vous voir dans le studio de RTL.
Pascal Clément : Et une pensée pour moi à Monsieur Mourmand, qui s'est suicidé.
Daniel Legrand : Merci beaucoup.
Jean-Michel Aphatie : C'était une histoire terrible. L'affaire d'Outreau : on a commencé à
la terminer. Et puis, la justice, maintenant, devra se pencher sur ce qu'elle a mal fait.
C'était sur RTL, ce matin. Pascal Clément et Daniel Legrand se sont confrontés. Ils étaient
les invités de RTL. Bonne journée !
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 7 décembre 2005)
française, des excuses à ces femmes, à ces hommes, injustement condamnés, injustement
emprisonnés dans l'affaire d'Outreau. Et, à côté de vous, justement, se trouve Daniel
Legrand. Bonjour, Daniel Legrand.
Daniel Legrand : Bonjour.
Jean-Michel Aphatie : Vous avez 24 ans, vous avez été 30 mois en prison, pour rien, sur la
base de témoignages fantaisistes ou délirants. Et, hier, la Cour d'Assises de Paris vous a
définitivement acquitté. Vous êtes sorti du cauchemar, vous avez réussi à trouver le sommeil
cette nuit, Daniel Legrand ?
Daniel Legrand : Réussi à trouver le sommeil ? C'est vrai que, oui, j'ai réussi à trouver le
sommeil, mais ça été assez tardif. Mais c'est vrai que l'acquittement, ça a été un
soulagement pour nous tous, parce qu'on attendait cela depuis des années. Et c'est vrai que
la nuit a été un peu agitée. Mon sommeil a été un peu agité, mais je suis soulagé d'un poids
que je traînais depuis 4 années.
Jean-Michel Aphatie : A côté de vous, se trouve le Ministre de la Justice. Vous en voulez
aujourd'hui à la justice française, Daniel Legrand ?
Daniel Legrand : J'en veux beaucoup moins, parce que, là, je me suis senti écouté, pendant
ce procès en appel. J'ai été très écouté. Et je veux dire que j'en veux moins à la justice,
beaucoup moins à la justice parce que j'ai été très écouté pendant ce procès en appel. On
m'a beaucoup écouté, et on a été attentif à tout ce qu'ai pu déclarer, et on a vu mon
innocence. C'est cela que je retiendrai de la Cour d'Appel de Paris.
Jean-Michel Aphatie : Pascal Clément, vous êtes Ministre de la Justice, et vous êtes assis
ce matin, dans le studio de RTL, à côté de quelqu'un qui a été victime d'une erreur
judiciaire, d'une mécanique judiciaire effroyable. Quels sont vos sentiments ce matin,
Pascal Clément ?
Pascal Clément : Et bien, une grande tristesse. Une tristesse pour la justice en général, et
c'est pour cela qu'hier j'ai présenté mes excuses à tous les acquittés d'Outreau, donc,
aujourd'hui à Daniel Legrand, au nom de l'institution judiciaire. Je pense aux 2 ans, 6
mois, 11 jours de prison qu'a faits Daniel Legrand. C'est énorme. Je pense donc à tous ces
acquittés, et je pense en même temps à tous les magistrats, et à l'immense peine qu'ils
ressentent. La justice marche bien et puis, de temps en temps - et à ce point-là c'est
rarissime - il y une abominable catastrophe qui se produit. Je voudrais qu'on pense à la
souffrance des magistrats.
Jean-Michel Aphatie : Lesquels ?
Pascal Clément : Tous les magistrats.
Jean-Michel Aphatie : Ceux qui ont mal travaillé dans cette affaire d'Outreau ?
Pascal Clément : Je parle globalement de tous les magistrats, et puis particulièrement ceux
qui, peut-être, se sont trompés, et dont la souffrance doit être forte aussi. Il y a
quelques mois, j'ai tenu à mettre en exergue le procès d'Angers. C'est le même type de
procès. C'était aussi réputé pour être, peut-être, un réseau de pédophiles. Il a
magnifiquement fonctionné et ça a été de l'avis général. Donc, la justice ne se trompe pas
tout le temps, et en plus, la justice, comme vous le voyez, s'est trompée là, sur le recueil
de la preuve, mais le rôle de l'audience a parfaitement fonctionné, 2 fois.
Jean-Michel Aphatie : Pour Daniel Legrand, pas beaucoup à Saint-Omer.
Daniel Legrand : Il a fallu 2 fois, mais à la deuxième fois, l'audience a joué son rôle.
Alors, ce n'est pas pour trouver des excuses, c'est pour dire que c'est une affaire qui nous
concerne tous, spécialement la justice. Eh bien, elle va en tirer le maximum.
Jean-Michel Aphatie : Vous, Daniel Legrand, puisqu'on parle des magistrats, vous avez été
confronté, physiquement, à ce magistrat dont on parle beaucoup, Stéphane Burgaud, qui était
le juge d'instruction de l'affaire d'Outreau. De ce qu'il vous reste, dans votre mémoire,
comment s'est comporté avec vous le juge Burgaud, Daniel Legrand ?
Daniel Legrand : J'ai plutôt des souvenirs positifs et négatifs. Quand je suis parti dans
mes délires mensongers, quand j'ai commencé à mentir, c'est vrai que j'avais une réaction de
la part du juge : j'allais dans son sens, alors il m'écoutait. Mais quand je niais les
faits, que je criais mon innocence, c'est vrai qu'il n'y avait aucune écoute pour moi.
J'étais dans mon coin, et il ne m'écoutait pas.
Jean-Michel Aphatie : Tout à l'heure, vous disiez que les juges de la Cour d'Appel, hier, à
Paris, vous ont écouté. Le juge Burgaud, lui, ne vous a pas écouté.
Daniel Legrand : Voilà, c'est la différence qui a entre les deux : entre le juge Burgaud et
la Cour d'Appel de Paris. Il y a une grande différence parce que, là, j'ai été écouté en
Cour d'Appel de Paris. Là, on m'a écouté, on a écouté mon innocence. Là, je me suis senti
écouté face aux juges, aux jurés. On m'a vraiment écouté, on a écouté ma parole d'innocent.
Et ça, j'en suis très heureux. Cela m'a beaucoup touché et ils ont été sincères avec moi :
je retiendrai une bonne image de la Cour d'Appel de Paris parce qu'ils ont été sincères avec
moi, sincères.
Jean-Michel Aphatie : C'est cette différence-là qu'il vous faut gérer, Pascal Clément. Des
juges qui écoutent, et c'est leur rôle. Des juges qui n'écoutent pas et c'est une faute.
Pascal Clément : Si j'ai demandé et souhaité l'inspection de l'ensemble des services
justice, police, sociaux, c'est parce que c'est toute la chaîne qui a failli. Je voudrais
vous l'expliquer rapidement pourquoi. D'abord, voir ce qui s'est passé au niveau des
travailleurs sociaux qui gèrent les familles d'accueil qui, elles, gèrent les enfants. Et
c'est déjà à ce niveau-là qu'a été recueilli les paroles de l'enfant et, peut-être, à ce
moment-là, sacralisé trop la parole des enfants. Les paroles de l'enfant sont arrivées dans
le bureau du juge d'instruction et qui, sans doute, a manqué d'esprit critique. Puis,
ensuite, nous sommes arrivés au niveau de la Chambre d'Instruction, qui est l'appel des
décisions du juge d'instruction, et qui a confirmé les décisions du juge d'instruction :
donc, l'erreur se poursuit. Et puis, enfin la Cour d'Assises qui s'est trompée en partie -
vous l'avez fait remarqué - la première fois. Et il a fallu deux Cour d'Assises, finalement,
pour établir ce qui semble être la vérité : donc, vous voyez bien, c'est toute la chaîne.
Jean-Michel Aphatie : C'est horrible qu'autant de gens puissent se tromper, comme cela ! On
est effrayé en vous écoutant, Pascal Clément ! Qu'une personne se trompe, soit ! Que toutes
se trompent : c'est inouï comme histoire !
Pascal Clément : C'est ce qu'il faut savoir comprendre et expliquer. Pour le moment, cela
paraît inouï, cela paraît intolérable - ça l'est d'ailleurs. Mais, il faut essayer de
comprendre. Et je crois que l'on va beaucoup réfléchir sur le recueil de la parole de
l'enfant.
Et d'ailleurs, dès le mois de mai, une circulaire de la Chancellerie partait au Procureur de
la République, à la suite de la première décision de Saint-Omer, pour bien donner les
conditions du recueil de l'appel de l'enfant. Il faut que ce soit des professionnels, pas
dans n'importe quel lieu, car c'est très difficile de recueillir la parole d'un enfant de 5
ans. Et c'est ce qui s'est passé. A quel moment est-elle crédible ?
On a aussi demandé à ne pas poser comme question au psychiatre : "est-ce que cet enfant est
crédible ou pas" ? Cela ne veut rien dire comme question. Or, c'est ce type de question où
l'on trouvait facile, commode de se reculer derrière la décision du psychiatre. Et puis, on
l'a vu les psychiatre, disons-le, se ridiculiser pendant l'audience. Même à moment,
l'audience éclatait de rire devant une musaraigne. On voit bien que, là aussi, il y a toute
une réflexion sur notre société qui va au-delà même des seuls juges.
Jean-Michel Aphatie : Daniel Legrand, pour vous serait-il utile, nécessaire, important, que
des juges soient sanctionnés après ce que vous avez vécu ?
Daniel Legrand : Sanctionnés : qu'on en tire des leçon, c'est cela que je voudrais. Qu'on
tire des leçons de cette affaire d'Outreau, parce que je pense qu'il y a beaucoup de
personnes qui sont responsables du fiasco. Qu'elles soient punies, qu'il y ait des
conséquences sur les juges. Que le juge Burgaud ait des conséquences : oui, oui, je suis
d'accord pour qu'il ait des conséquences sur sa fonction.
Parce que, moi, je pense qu'il est fautif de notre enfermement. On a été enfermé pendant 4
années, enfin 4 années de souffrances. Pour moi, j'étais enfermé malgré que j'ai été libéré
au bout de deux ans et demi : pour moi, j'étais encore enfermé jusqu'à mon acquittement. Je
n'étais pas encore libéré dans ma tête. Mais je pense qu'il y a des responsabilité à prendre
: le juge, c'est à lui d'assumer ce qu'il a pu commettre.
Jean-Michel Aphatie : Comprenez-vous la réaction de Daniel Legrand, Pascal Clément ?
Pascal Clément : Bien sûr.
Jean-Michel Aphatie : Il y aura un procès du procès d'Outreau ? Vous vous y engagez ce matin
?
Pascal Clément : Il y a une inspection, alors on verra ce qu'elle donnera. Il ne faut pas
préjuger de cette inspection, sinon on nous reprocherait, à tort, d'être aussi juge et
partie, et puis de juger uniquement à charge. Alors, on rappelle : le juge d'instruction
juge à charge et à décharge. On entend dire qu'il juge trop à charge : et bien, c'est ce qui
va être prouvé par l'inspection.
Jean-Michel Aphatie : Quelquefois les inspections et les commissions noient les problèmes.
Ce ne sera pas le cas, là, Pascal Clément ?
Pascal Clément : Non, parce que c'est toute la société française qui est derrière cette
inspection. C'est le Parlement qui décide d'une commission d'enquête. On va déboucher et on
va faire des progrès. Comme vous le savez, le président de la république m'a confié une
mission de réflexion sur la responsabilité des juges.
Alors, elle existe déjà la responsabilité, sur le plan civil. Sur le plan professionnel,
elle est très difficile à mettre en place puisqu'il faut, aussi, en même temps, préserver
l'indépendance des juges. Et toute la France y tient aussi beaucoup. Donc, on marche sur une
ligne de crêtes. Mais on va peut-être s'inspirer de ce que le Conseil de l'Europe a mis déjà
en exergue, c'est-à-dire : la grossière erreur d'appréciation commise par un magistrat.
Et là, ce sera, effectivement, un élément nouveau. C'est ce que j'ai lancé hier. Il s'agit -
même si le juge n'a pas violé la loi, n'a pas commis d'erreur de procédure - s'il n'a pas
pris en compte une série d'éléments de faits qui auraient dû l'alerter, le conduire à
prendre une autre décision, cela serait une erreur grossière d'appréciation.
Jean-Michel Aphatie : Vous n'avez pas eu l'occasion de parler avec le juge Burgaud puisqu'il
est magistrat à Paris. Avez-vous cherché à prendre contact avec lui, Pascal Clément ?
Pascal Clément : Ce n'est pas mon rôle !
Jean-Michel Aphatie : Je voudrais juste vous soumettre, assez rapidement pour terminer,
cette parole d'expert qui a beaucoup choqué, mais qui disait aussi quelque chose de la
justice française : "quand on paie des experts au tarif des femmes de ménage, on a des
expertises de femmes de ménage". C'est une phrase insupportable de légèreté, mais elle dit
aussi que la justice ne paie pas les experts et, donc, personne ne travaille bien.
Pascal Clément : Ce n'est pas de critiquer le prix d'une chose, de dire que l'expertise vaut
ce qu'elle vaut, c'est à dire : rien. J'ai demandé la radiation de cet expert. Cela n'est
pas tolérable.
Jean-Michel Aphatie : Ça, c'est une information. Daniel Legrand, la vie va reprendre pour
vous ?
Daniel Legrand : La vie va reprendre pour moi. Je vais regarder l'avenir. En fait, j'ai 24
ans, et je veux regarder droit devant moi. Je veux éviter de regarder derrière moi, parce
que mon avenir est devant moi. Et je demande qu'à grandir, grandir avec ma famille. Grandir,
en fait, c'est tout ce que je veux : grandir.
Jean-Michel Aphatie : On vous souhaite de tourner cette page.
Daniel Legrand : Je vous remercie.
Jean-Michel Aphatie : Je voudrais signaler la présence, dans ce studio, de Roselyne Godard
dont l'histoire nous avait aussi beaucoup émue. Vous étiez, vous, acquittée au procès de
Saint-Omer. Mais, votre courage et votre dignité nous avait beaucoup touchés. Vous avez
accompagné Daniel Legrand, ce matin, et on est heureux de vous voir dans le studio de RTL.
Pascal Clément : Et une pensée pour moi à Monsieur Mourmand, qui s'est suicidé.
Daniel Legrand : Merci beaucoup.
Jean-Michel Aphatie : C'était une histoire terrible. L'affaire d'Outreau : on a commencé à
la terminer. Et puis, la justice, maintenant, devra se pencher sur ce qu'elle a mal fait.
C'était sur RTL, ce matin. Pascal Clément et Daniel Legrand se sont confrontés. Ils étaient
les invités de RTL. Bonne journée !
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 7 décembre 2005)