Texte intégral
Madame le président,
Monsieur le premier président,
Mesdames, Messieurs,
C'est avec un grand plaisir que je viens aujourd'hui à la rencontre des juristes d'entreprise à l'occasion de votre 36ème assemblée générale. Ce plaisir est double :
- En premier lieu cela me donne l'occasion de pouvoir assister, à une assemblée générale présidée par Mme Lochmann dont j'entends de toute part louer le dynamisme et les bienfaits de l'action au bénéfice des juristes d'entreprise ; qu'elle soit ici publiquement remerciée pour son travail ;
- La seconde raison de mon plaisir est que je porte en haute estime votre profession : c'est une profession du droit particulièrement tournée vers la vie des entreprises. Par vos actions, vous contribuez à l'enrichissement économique de la nation.
A l'occasion de votre assemblée générale, je voudrais aborder avec vous, d'une part, la question du rapprochement avocat - juriste d'entreprise et, d'autre part, des questions touchant plus particulièrement au droit économique.
I -Madame la Présidente vous avez évoqué à la fin de votre propos le rapprochement des professions d'avocat et de juriste d'entreprise. Comme vous le savez, ce dossier a très sensiblement évolué, au cours de l'année qui vient de s'écouler.
Depuis de nombreuses années les praticiens du droit réfléchissaient à la création d'une « grande profession du droit ». Cette idée ambitieuse avait donné lieu à de multiples débats, mais aucun projet véritablement concret n'avait pu voir le jour.
Il y a un an, le 15 décembre 2004, devant l'assemblée générale de votre mouvement, mon prédécesseur, Dominique Perben, annonçait la création d'un groupe de travail composé à parité de membres des institutions et des associations représentatives des professions d'avocat et de juriste d'entreprise.
Cette commission s'est réunie plusieurs fois, entre le mois de mars et le mois de septembre 2005. Vous avez bien voulu y siéger, Madame la Présidente. Secondée par Monsieur Francis Hoppenot, Président d'honneur de l'AFJE, vous avez apporté une contribution très importante aux débats.
Je tenais, ici, devant l'assemblée générale de votre association, à vous en remercier très chaleureusement.
L'institution de ce groupe de travail a marqué un changement de perspective par rapport aux réflexions anciennes. Il n'est pas question d'envisager une réforme au terme de laquelle la profession d'avocat absorberait purement et simplement celle des juristes d'entreprise. Il ne s'agit pas non plus de préparer une fusion entre deux professions libérales et réglementées, comme ce fut le cas en 1990, entre avocats et conseils juridiques.
Il n'est pas davantage prévu de créer une nouvelle profession réglementée des juristes d'entreprise, distincte de celle des avocats et ayant son propre statut, sa propre déontologie et sa propre discipline.
Nous travaillons ensemble à une réforme beaucoup plus pragmatique. Il s'agit de permettre à certain de vos confrères, s'ils le souhaitent, d'intégrer la profession d'avocat, tout en conservant leur emploi et leur fonction au sein de leur entreprise. Dans le même temps, les avocats pourraient, à l'avenir, choisir d'exercer leur profession en qualité de salarié d'une entreprise, tout en conservant leur titre, leur statut et leur déontologie. Ainsi, la discussion actuelle ne porte pas sur la fusion de deux professions, mais bien plutôt sur la création d'un nouveau mode d'exercice de la profession d'avocat : « avocat en entreprise ».
Dans cette perspective, la méthode du groupe de travail a été de chercher à identifier toutes les questions que l'exercice de la profession « d'avocat en entreprise » pourrait poser.
A cette fin, le groupe a d'abord examiné la législation des autres Etats membres de l'Union européenne, puis il a recueillis l'avis des associations représentant les employeurs : le MEDEF, l'AFEP, la CGPME, la Fédération bancaire française et la Fédération françaises des sociétés d'assurance et de réassurance. De cette phase préalable des travaux, il faut tirer deux grands enseignements :
- Premier enseignement : Si l'idée qu'un avocat puisse exercer sa profession en qualité de salarié d'une entreprise apparaît encore iconoclaste à de nombreux juristes français, elle est totalement naturelle pour les avocats anglais, espagnols ou allemands, qui n'ont absolument pas le sentiment de renoncer à leur indépendance statutaire en exerçant leur profession en entreprise.
A cet égard, la législation française qui interdit à l'avocat d'exercer sa profession en entreprise fait figure d'exception en Europe, ce qui pénalise considérablement les juristes français par rapport à leurs homologues anglais, espagnols ou allemands.
- Deuxième enseignement : Longtemps hostiles à l'idée du rapprochement entre les professions d'avocat et de juriste d'entreprise, les employeurs, ont pris conscience qu'une telle réforme serait très bénéfique au développement de la fonction juridique au sein des entreprises. En effet, les avocats exerçant en entreprise, se verraient, comme leurs confrères, reconnaître la confidentialité de leurs avis juridiques, ce qui les mettrait effectivement à égalité avec leurs confrères européens qui bénéficient du statut d'avocat.
Les représentants des entreprises entendus par le groupe de travail ont donc adopté une position très ouverte et constructive. Bien sûr ils soulignent que l'avocat exerçant sa profession en entreprise doit le faire dans le cadre d'un contrat de travail. Il doit être soumis au code du travail et à la convention collective de l'entreprise.
Ces travaux permettent aujourd'hui d'envisager ce que pourrait être un statut de l'avocat français, salarié d'entreprise, proche de celui de ses homologues européens.
Ainsi, s'agissant de son champ d'activité professionnelle, l'avocat exercerait les mêmes fonctions de consultation et de rédaction d'actes au profit de l'entreprise qui l'emploie que l'actuel juriste d'entreprise.
Je veux ici, souligner, avec netteté que ces avocats exerçant en entreprise ne devraient en aucune manière concurrencer les avocats sur le terrain judiciaire, en représentant leurs employeurs et en plaidant devant les tribunaux. Cela ne correspond ni à la pratique actuelle des entreprises, ni au souhait des juristes d'entreprise.
Pour que cela soit sans ambiguïté, la loi devrait leur interdire de plaider et de représenter leur employeur devant les juridictions lorsque la représentation est obligatoire.
Je veux aussi insister sur le contrat de travail qui serait celui de l'avocat exerçant en entreprise. La situation de ce dernier serait régi par le code du travail. Les contrats de travail seraient soumis au contrôle de l'autorité ordinale.
Les clauses susceptibles de porter atteinte à l'indépendance que comporte le serment de l'avocat seraient prohibées. En revanche, la clause de conscience, permettant à l'avocat salarié d'une entreprise de demander à son employeur d'être déchargé d'une affaire qu'il estimerait contraire à sa conscience serait obligatoire.
Bien sûr, une telle réforme devrait s'accompagner de l'intégration de juristes d'entreprise à la profession d'avocat. En effet, le changement de statut professionnel ne pourrait être automatique puisqu'il ne s'agit pas d'une fusion entre deux professions réglementées.
L'intégration s'opérerait au profit des juristes répondant aux conditions fixées par la loi, notamment de diplôme, de pratique professionnelle exclusive et de niveau de responsabilité.
A l'issue de ce tour d'horizon des questions posées par le rapprochement des profession d'avocat et juriste d'entreprise , je remarque que les débats du groupe de travail ont d'ores et déjà permis de dégager des solutions consensuelles dans plusieurs domaines. Pour autant, la réflexion doit se poursuivre notamment sur les sujets complexes comme le statut social et le régime des retraites des avocats exerçant en entreprise.
Le rapport du groupe de travail vous sera très prochainement soumis. Il doit s'agir du point de départ d'un travail de pédagogie et de concertation. Encore une fois, il n'y aura pas de réforme et de rapprochement sans adhésion des professionnels du droit de ce pays à un projet clair et consensuel.
II- J'en viens maintenant aux questions de droit notamment aux réformes récentes qui peuvent vous intéresser plus particulièrement
L'entreprise et, avec elle, votre profession, est confrontée à de nombreuses réformes. Vous l'avez relevé, le droit des sociétés est un droit en mutation et ces dernières années ont été particulièrement riches en changements. Je souhaiterais en évoquer quelques aspects avec vous.
Vous avez cité l'impératif de sécurité. Cette idée a guidé le législateur dans l'élaboration de plusieurs textes, au premier rang desquelles la loi de sécurité financière du 1er août 2003. Celle-ci s'est notamment attachée à promouvoir la transparence et la qualité des informations diffusées par les sociétés. Elle a favorisé une meilleure information des actionnaires et des parties prenantes sur l'organisation du gouvernement au sein de la société.
C'est tout le sens du rapport que doit rédiger le président sur les modalités d'organisation des travaux du conseil, ainsi que sur les procédures de contrôle interne.
Cet effort de transparence s'est également exercé dans le domaine sensible de la rémunération des dirigeants. Cette exigence a été améliorée par la loi pour la confiance et la modernisation de l'économie du 26 juillet 2005.
Le rôle du commissaire aux comptes, garant de la sécurité de l'information, a également été renforcé. Les garanties de son indépendance ont ainsi été rehaussées par l'affirmation de la séparation des fonctions d'audit et de conseil et la mise en place d'un système de régulation partagée, dans lequel le Haut Conseil du commissariat aux comptes joue un rôle central.
Pour toutes ces réformes, l'idéal de sécurité, garant de la confiance et du développement, nous a inspiré.
Mais cette sécurité passe aussi par une adaptation de notre droit aux enjeux européens et aux évolutions économiques.
Ainsi, la loi pour la confiance et la modernisation de l'économie du 27 juillet 2005 offre un nouvel outil aux entrepreneurs, en faisant entrer dans notre système juridique la société européenne. Attendue depuis plus d'une trentaine d'années, la société européenne facilitera la création de grands groupes européens, capables de se faire une place forte au sein d'une économie mondiale de plus en plus ouverte, puisqu'elle limite considérablement les obstacles aux fusions transnationales ou encore aux transferts transfrontaliers de sièges.
Votre profession jouera un rôle important dans la mise en ?uvre de ce nouveau dispositif.
Les améliorations vont se poursuivre puisque l'Assemblée nationale va très prochainement examiner un projet de loi du gouvernement sur les offres publiques d'acquisition.
Il s'agit, dans un contexte marqué par une reprise du mouvement de fusions et d'acquisitions, d'améliorer la préservation des moyens de défense des entreprises contre des OPA hostiles et d'harmoniser au niveau européen les questions du prix, sans toutefois bloquer tout mouvement d'acquisition. Car, il faut le rappeler, la France figure au premier rang des fusions acquisitions sur des entreprises européennes.
Ce projet de loi établit un équilibre qui permet aux sociétés françaises de se protéger et de faire face « à armes égales » à un offrant, sans pour autant contrevenir à l'intérêt social ni offrir des capacités de résistance qui entraveraient les forces du marché et le dynamisme des économies. Vous aurez là encore un rôle à jouer dans ces opérations. Votre expertise et vos conseils seront précieux.
Dans le même sens, je vous demande de vous approprier la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises. Le dispositif va entrer en vigueur dans moins d'un mois.
J'ai eu à de nombreuses reprises l'occasion de rappeler publiquement que la confiance des dirigeants d'entreprises à l'égard du droit rénové est la condition du changement de comportement des acteurs de la vie économique qui viennent à connaître des difficultés. Le succès de la réforme en dépend.
Le rôle du conseil du chef d'entreprise va être déterminant. Il aura à lui expliquer le sens des procédures nouvelles, à choisir avec lui la meilleure stratégie.
La loi nouvelle donnant une grande place à la négociation, le rôle et l'intervention des conseils sont également amplifiés tout au long des procédures.
Vous mesurez ainsi l'ampleur du champ qui vous est ouvert.
Avant de clore mon propos je souhaiterais vous dire un mot des ordonnances récentes sur les sûretés et les hypothèques.
En premier lieu, la réforme des sûretés est guidée par des objectifs de modernisation, d'efficacité et d'équilibre.
Le caractère désuet, le manque de lisibilité du code civil étaient unanimement dénoncés. Il fallait donner de la clarté mais aussi de la vigueur à ces instruments essentiels au regard du développement économique que sont les sûretés mobilières.
Nul ici n'ignore que l'efficacité des sûretés est indispensable à la bonne marche des affaires : elle rassure le créancier qui doit pouvoir disposer de garanties effectives en cas de défaillance de son débiteur pour recouvrer sa créance. Elle permet aussi au débiteur de trouver plus facilement du crédit pour financer ses projets.
Le projet d'ordonnance élaboré par la Chancellerie entend restaurer l'efficacité du droit des sûretés mobilières français. Des sûretés issues de la pratique comme la garantie autonome ou la lettre d'intention seront consacrées.
La constitution des sûretés et leurs modalités de réalisation seront également simplifiées. Ainsi, le projet rend possible le gage sans dépossession et la conclusion d'un pacte commissoire.
Bien évidemment et vous le comprendrez, efficacité doit être combinée avec respect des intérêts de chacun et notamment des débiteurs. Plusieurs règles sont notamment posées afin de protéger les débiteurs contre d'éventuels abus de créanciers. Tel est par exemple l'objet du principe directeur selon lequel en aucun cas une sûreté ne peut procurer un enrichissement au créancier.
En deuxième lieu, j'ai voulu engager une refonte globale de l'hypothèque. Je suis en effet convaincu que ce droit doit être simplifié et modernisé. J'en attends un développement du crédit hypothécaire. C'est, là encore, une illustration qu'un droit rénové sert notre économie.
Le projet d'ordonnance comprend deux innovations majeures :
- l'hypothèque rechargeable : son mécanisme repose sur la faculté d'offrir successivement ou simultanément la même hypothèque en garantie de plusieurs créances présentes ou futures. Chaque créance garantie bénéficie du rang conféré par l'inscription initiale. Il s'agit d'une faculté, qui doit être prévue dans l'acte constitutif et publiée à la conservation des hypothèques.
- le prêt viager hypothécaire : Il est défini comme le contrat par lequel un établissement de crédit prête à une personne physique une somme d'argent sous forme d'un capital ou de versements périodiques. Ce prêt est garanti par une hypothèque constituée sur le bien immobilier du débiteur. Son remboursement ne peut être exigé qu'au décès de l'emprunteur ou lors de la cession de l'immeuble hypothéqué.
Cette hypothèque rechargeable est conçue comme un moyen de garantir, et donc d'obtenir, un crédit remboursable au décès de l'emprunteur ou en cas de cession de l'immeuble.
Compte tenu des risques inhérents à ce type de prêt, des dispositions protectrices du consentement de l'emprunteur sont envisagées dès la phase de conclusion du contrat pour éviter des engagements irréfléchis : obligation d'information, offre préalable, acceptation de l'offre devant notaire à peine de nullité. Des sanctions pénales en cas de non respect complèteront ces dispositions protectrices.
Madame le Président,
Mesdames,
Messieurs,
Nous partageons tous la conviction que le droit est aujourd'hui un élément central, non seulement de nos sociétés, mais aussi de nos économies. Les réformes du droit des entreprises ou de l'hypothèque comme le projet de rapprochement entre les avocats et les juristes d'entreprise, s'inscrivent dans cette perspective : celle d'une alliance renouvelée entre le droit et l'économie.
Je sais pouvoir compter sur vous pour m'aider dans cette tâche. Elle est nécessaire et exaltante.
Je vous remercie.Source http://www.afje.org, le 26 décembre 2005
Monsieur le premier président,
Mesdames, Messieurs,
C'est avec un grand plaisir que je viens aujourd'hui à la rencontre des juristes d'entreprise à l'occasion de votre 36ème assemblée générale. Ce plaisir est double :
- En premier lieu cela me donne l'occasion de pouvoir assister, à une assemblée générale présidée par Mme Lochmann dont j'entends de toute part louer le dynamisme et les bienfaits de l'action au bénéfice des juristes d'entreprise ; qu'elle soit ici publiquement remerciée pour son travail ;
- La seconde raison de mon plaisir est que je porte en haute estime votre profession : c'est une profession du droit particulièrement tournée vers la vie des entreprises. Par vos actions, vous contribuez à l'enrichissement économique de la nation.
A l'occasion de votre assemblée générale, je voudrais aborder avec vous, d'une part, la question du rapprochement avocat - juriste d'entreprise et, d'autre part, des questions touchant plus particulièrement au droit économique.
I -Madame la Présidente vous avez évoqué à la fin de votre propos le rapprochement des professions d'avocat et de juriste d'entreprise. Comme vous le savez, ce dossier a très sensiblement évolué, au cours de l'année qui vient de s'écouler.
Depuis de nombreuses années les praticiens du droit réfléchissaient à la création d'une « grande profession du droit ». Cette idée ambitieuse avait donné lieu à de multiples débats, mais aucun projet véritablement concret n'avait pu voir le jour.
Il y a un an, le 15 décembre 2004, devant l'assemblée générale de votre mouvement, mon prédécesseur, Dominique Perben, annonçait la création d'un groupe de travail composé à parité de membres des institutions et des associations représentatives des professions d'avocat et de juriste d'entreprise.
Cette commission s'est réunie plusieurs fois, entre le mois de mars et le mois de septembre 2005. Vous avez bien voulu y siéger, Madame la Présidente. Secondée par Monsieur Francis Hoppenot, Président d'honneur de l'AFJE, vous avez apporté une contribution très importante aux débats.
Je tenais, ici, devant l'assemblée générale de votre association, à vous en remercier très chaleureusement.
L'institution de ce groupe de travail a marqué un changement de perspective par rapport aux réflexions anciennes. Il n'est pas question d'envisager une réforme au terme de laquelle la profession d'avocat absorberait purement et simplement celle des juristes d'entreprise. Il ne s'agit pas non plus de préparer une fusion entre deux professions libérales et réglementées, comme ce fut le cas en 1990, entre avocats et conseils juridiques.
Il n'est pas davantage prévu de créer une nouvelle profession réglementée des juristes d'entreprise, distincte de celle des avocats et ayant son propre statut, sa propre déontologie et sa propre discipline.
Nous travaillons ensemble à une réforme beaucoup plus pragmatique. Il s'agit de permettre à certain de vos confrères, s'ils le souhaitent, d'intégrer la profession d'avocat, tout en conservant leur emploi et leur fonction au sein de leur entreprise. Dans le même temps, les avocats pourraient, à l'avenir, choisir d'exercer leur profession en qualité de salarié d'une entreprise, tout en conservant leur titre, leur statut et leur déontologie. Ainsi, la discussion actuelle ne porte pas sur la fusion de deux professions, mais bien plutôt sur la création d'un nouveau mode d'exercice de la profession d'avocat : « avocat en entreprise ».
Dans cette perspective, la méthode du groupe de travail a été de chercher à identifier toutes les questions que l'exercice de la profession « d'avocat en entreprise » pourrait poser.
A cette fin, le groupe a d'abord examiné la législation des autres Etats membres de l'Union européenne, puis il a recueillis l'avis des associations représentant les employeurs : le MEDEF, l'AFEP, la CGPME, la Fédération bancaire française et la Fédération françaises des sociétés d'assurance et de réassurance. De cette phase préalable des travaux, il faut tirer deux grands enseignements :
- Premier enseignement : Si l'idée qu'un avocat puisse exercer sa profession en qualité de salarié d'une entreprise apparaît encore iconoclaste à de nombreux juristes français, elle est totalement naturelle pour les avocats anglais, espagnols ou allemands, qui n'ont absolument pas le sentiment de renoncer à leur indépendance statutaire en exerçant leur profession en entreprise.
A cet égard, la législation française qui interdit à l'avocat d'exercer sa profession en entreprise fait figure d'exception en Europe, ce qui pénalise considérablement les juristes français par rapport à leurs homologues anglais, espagnols ou allemands.
- Deuxième enseignement : Longtemps hostiles à l'idée du rapprochement entre les professions d'avocat et de juriste d'entreprise, les employeurs, ont pris conscience qu'une telle réforme serait très bénéfique au développement de la fonction juridique au sein des entreprises. En effet, les avocats exerçant en entreprise, se verraient, comme leurs confrères, reconnaître la confidentialité de leurs avis juridiques, ce qui les mettrait effectivement à égalité avec leurs confrères européens qui bénéficient du statut d'avocat.
Les représentants des entreprises entendus par le groupe de travail ont donc adopté une position très ouverte et constructive. Bien sûr ils soulignent que l'avocat exerçant sa profession en entreprise doit le faire dans le cadre d'un contrat de travail. Il doit être soumis au code du travail et à la convention collective de l'entreprise.
Ces travaux permettent aujourd'hui d'envisager ce que pourrait être un statut de l'avocat français, salarié d'entreprise, proche de celui de ses homologues européens.
Ainsi, s'agissant de son champ d'activité professionnelle, l'avocat exercerait les mêmes fonctions de consultation et de rédaction d'actes au profit de l'entreprise qui l'emploie que l'actuel juriste d'entreprise.
Je veux ici, souligner, avec netteté que ces avocats exerçant en entreprise ne devraient en aucune manière concurrencer les avocats sur le terrain judiciaire, en représentant leurs employeurs et en plaidant devant les tribunaux. Cela ne correspond ni à la pratique actuelle des entreprises, ni au souhait des juristes d'entreprise.
Pour que cela soit sans ambiguïté, la loi devrait leur interdire de plaider et de représenter leur employeur devant les juridictions lorsque la représentation est obligatoire.
Je veux aussi insister sur le contrat de travail qui serait celui de l'avocat exerçant en entreprise. La situation de ce dernier serait régi par le code du travail. Les contrats de travail seraient soumis au contrôle de l'autorité ordinale.
Les clauses susceptibles de porter atteinte à l'indépendance que comporte le serment de l'avocat seraient prohibées. En revanche, la clause de conscience, permettant à l'avocat salarié d'une entreprise de demander à son employeur d'être déchargé d'une affaire qu'il estimerait contraire à sa conscience serait obligatoire.
Bien sûr, une telle réforme devrait s'accompagner de l'intégration de juristes d'entreprise à la profession d'avocat. En effet, le changement de statut professionnel ne pourrait être automatique puisqu'il ne s'agit pas d'une fusion entre deux professions réglementées.
L'intégration s'opérerait au profit des juristes répondant aux conditions fixées par la loi, notamment de diplôme, de pratique professionnelle exclusive et de niveau de responsabilité.
A l'issue de ce tour d'horizon des questions posées par le rapprochement des profession d'avocat et juriste d'entreprise , je remarque que les débats du groupe de travail ont d'ores et déjà permis de dégager des solutions consensuelles dans plusieurs domaines. Pour autant, la réflexion doit se poursuivre notamment sur les sujets complexes comme le statut social et le régime des retraites des avocats exerçant en entreprise.
Le rapport du groupe de travail vous sera très prochainement soumis. Il doit s'agir du point de départ d'un travail de pédagogie et de concertation. Encore une fois, il n'y aura pas de réforme et de rapprochement sans adhésion des professionnels du droit de ce pays à un projet clair et consensuel.
II- J'en viens maintenant aux questions de droit notamment aux réformes récentes qui peuvent vous intéresser plus particulièrement
L'entreprise et, avec elle, votre profession, est confrontée à de nombreuses réformes. Vous l'avez relevé, le droit des sociétés est un droit en mutation et ces dernières années ont été particulièrement riches en changements. Je souhaiterais en évoquer quelques aspects avec vous.
Vous avez cité l'impératif de sécurité. Cette idée a guidé le législateur dans l'élaboration de plusieurs textes, au premier rang desquelles la loi de sécurité financière du 1er août 2003. Celle-ci s'est notamment attachée à promouvoir la transparence et la qualité des informations diffusées par les sociétés. Elle a favorisé une meilleure information des actionnaires et des parties prenantes sur l'organisation du gouvernement au sein de la société.
C'est tout le sens du rapport que doit rédiger le président sur les modalités d'organisation des travaux du conseil, ainsi que sur les procédures de contrôle interne.
Cet effort de transparence s'est également exercé dans le domaine sensible de la rémunération des dirigeants. Cette exigence a été améliorée par la loi pour la confiance et la modernisation de l'économie du 26 juillet 2005.
Le rôle du commissaire aux comptes, garant de la sécurité de l'information, a également été renforcé. Les garanties de son indépendance ont ainsi été rehaussées par l'affirmation de la séparation des fonctions d'audit et de conseil et la mise en place d'un système de régulation partagée, dans lequel le Haut Conseil du commissariat aux comptes joue un rôle central.
Pour toutes ces réformes, l'idéal de sécurité, garant de la confiance et du développement, nous a inspiré.
Mais cette sécurité passe aussi par une adaptation de notre droit aux enjeux européens et aux évolutions économiques.
Ainsi, la loi pour la confiance et la modernisation de l'économie du 27 juillet 2005 offre un nouvel outil aux entrepreneurs, en faisant entrer dans notre système juridique la société européenne. Attendue depuis plus d'une trentaine d'années, la société européenne facilitera la création de grands groupes européens, capables de se faire une place forte au sein d'une économie mondiale de plus en plus ouverte, puisqu'elle limite considérablement les obstacles aux fusions transnationales ou encore aux transferts transfrontaliers de sièges.
Votre profession jouera un rôle important dans la mise en ?uvre de ce nouveau dispositif.
Les améliorations vont se poursuivre puisque l'Assemblée nationale va très prochainement examiner un projet de loi du gouvernement sur les offres publiques d'acquisition.
Il s'agit, dans un contexte marqué par une reprise du mouvement de fusions et d'acquisitions, d'améliorer la préservation des moyens de défense des entreprises contre des OPA hostiles et d'harmoniser au niveau européen les questions du prix, sans toutefois bloquer tout mouvement d'acquisition. Car, il faut le rappeler, la France figure au premier rang des fusions acquisitions sur des entreprises européennes.
Ce projet de loi établit un équilibre qui permet aux sociétés françaises de se protéger et de faire face « à armes égales » à un offrant, sans pour autant contrevenir à l'intérêt social ni offrir des capacités de résistance qui entraveraient les forces du marché et le dynamisme des économies. Vous aurez là encore un rôle à jouer dans ces opérations. Votre expertise et vos conseils seront précieux.
Dans le même sens, je vous demande de vous approprier la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises. Le dispositif va entrer en vigueur dans moins d'un mois.
J'ai eu à de nombreuses reprises l'occasion de rappeler publiquement que la confiance des dirigeants d'entreprises à l'égard du droit rénové est la condition du changement de comportement des acteurs de la vie économique qui viennent à connaître des difficultés. Le succès de la réforme en dépend.
Le rôle du conseil du chef d'entreprise va être déterminant. Il aura à lui expliquer le sens des procédures nouvelles, à choisir avec lui la meilleure stratégie.
La loi nouvelle donnant une grande place à la négociation, le rôle et l'intervention des conseils sont également amplifiés tout au long des procédures.
Vous mesurez ainsi l'ampleur du champ qui vous est ouvert.
Avant de clore mon propos je souhaiterais vous dire un mot des ordonnances récentes sur les sûretés et les hypothèques.
En premier lieu, la réforme des sûretés est guidée par des objectifs de modernisation, d'efficacité et d'équilibre.
Le caractère désuet, le manque de lisibilité du code civil étaient unanimement dénoncés. Il fallait donner de la clarté mais aussi de la vigueur à ces instruments essentiels au regard du développement économique que sont les sûretés mobilières.
Nul ici n'ignore que l'efficacité des sûretés est indispensable à la bonne marche des affaires : elle rassure le créancier qui doit pouvoir disposer de garanties effectives en cas de défaillance de son débiteur pour recouvrer sa créance. Elle permet aussi au débiteur de trouver plus facilement du crédit pour financer ses projets.
Le projet d'ordonnance élaboré par la Chancellerie entend restaurer l'efficacité du droit des sûretés mobilières français. Des sûretés issues de la pratique comme la garantie autonome ou la lettre d'intention seront consacrées.
La constitution des sûretés et leurs modalités de réalisation seront également simplifiées. Ainsi, le projet rend possible le gage sans dépossession et la conclusion d'un pacte commissoire.
Bien évidemment et vous le comprendrez, efficacité doit être combinée avec respect des intérêts de chacun et notamment des débiteurs. Plusieurs règles sont notamment posées afin de protéger les débiteurs contre d'éventuels abus de créanciers. Tel est par exemple l'objet du principe directeur selon lequel en aucun cas une sûreté ne peut procurer un enrichissement au créancier.
En deuxième lieu, j'ai voulu engager une refonte globale de l'hypothèque. Je suis en effet convaincu que ce droit doit être simplifié et modernisé. J'en attends un développement du crédit hypothécaire. C'est, là encore, une illustration qu'un droit rénové sert notre économie.
Le projet d'ordonnance comprend deux innovations majeures :
- l'hypothèque rechargeable : son mécanisme repose sur la faculté d'offrir successivement ou simultanément la même hypothèque en garantie de plusieurs créances présentes ou futures. Chaque créance garantie bénéficie du rang conféré par l'inscription initiale. Il s'agit d'une faculté, qui doit être prévue dans l'acte constitutif et publiée à la conservation des hypothèques.
- le prêt viager hypothécaire : Il est défini comme le contrat par lequel un établissement de crédit prête à une personne physique une somme d'argent sous forme d'un capital ou de versements périodiques. Ce prêt est garanti par une hypothèque constituée sur le bien immobilier du débiteur. Son remboursement ne peut être exigé qu'au décès de l'emprunteur ou lors de la cession de l'immeuble hypothéqué.
Cette hypothèque rechargeable est conçue comme un moyen de garantir, et donc d'obtenir, un crédit remboursable au décès de l'emprunteur ou en cas de cession de l'immeuble.
Compte tenu des risques inhérents à ce type de prêt, des dispositions protectrices du consentement de l'emprunteur sont envisagées dès la phase de conclusion du contrat pour éviter des engagements irréfléchis : obligation d'information, offre préalable, acceptation de l'offre devant notaire à peine de nullité. Des sanctions pénales en cas de non respect complèteront ces dispositions protectrices.
Madame le Président,
Mesdames,
Messieurs,
Nous partageons tous la conviction que le droit est aujourd'hui un élément central, non seulement de nos sociétés, mais aussi de nos économies. Les réformes du droit des entreprises ou de l'hypothèque comme le projet de rapprochement entre les avocats et les juristes d'entreprise, s'inscrivent dans cette perspective : celle d'une alliance renouvelée entre le droit et l'économie.
Je sais pouvoir compter sur vous pour m'aider dans cette tâche. Elle est nécessaire et exaltante.
Je vous remercie.Source http://www.afje.org, le 26 décembre 2005