Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec Le Grand Jury RTL-LCI le 11 décembre 2005, sur le budget communautaire et sur la controverse concernant le rôle positif de la colonisation.

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Média : Emission L'Invité de RTL - La Chaîne Info - RTL

Texte intégral

Q - Pouvez-vous nous donner quelques nouvelles de cet ingénieur français Bernard Planche qui a disparu à Bagdad lundi. Avez-vous des informations, Philippe Douste-Blazy ?
R - Je vous confirme en effet qu'un ressortissant français a été pris en otage lundi dernier. Nous sommes au contact de sa famille, des autorités irakiennes, l'ensemble de l'ambassade est mobilisé. Je ne peux pas vous en dire plus. Il travaille dans une ONG, dans le domaine de l'eau, de l'assainissement. C'est l'occasion pour moi de dire que depuis un mois il y a une reprise des activités d'une violence extrême et, en particulier, de prises d'otages : une Allemande, quatre Anglo-saxons, et on entre dans une période particulièrement dangereuse. On le voit au niveau politique avec une exacerbation des tensions, les élections législatives du 15 décembre, le gouvernement qui va être mis en place à la fin de l'année, le procès de Saddam Hussein. Il faut des journalistes pour avoir une démocratie et couvrir tous ces événements mais je me permets de dire qu'il faut aussi se faire connaître auprès de l'ambassade, auprès du ministère des Affaires étrangères et être très prudent.
Q - Mais aucune information précise, ceci dit. Vous dites "pris en otage" mais, au fond, j'imagine que l'ambassade sur place essaie d'obtenir des renseignements. Mais a-t-on des renseignements ?
R - Tout ce que je peux vous dire est que tout est fait pour qu'on le libère mais au moment où je parle, je ne peux rien vous dire.
Q - Avez-vous des interlocuteurs ?
R - Je ne peux rien vous dire. Pour le moment la chose la plus importante dans cette affaire est la confidentialité. Malheureusement l'histoire nous l'a prouvée.
Q - Dans l'affaire précédente, celle de Florence Aubenas, au bout de combien de temps avez-vous eu des informations de la part des ravisseurs de notre cons?ur ?
R - En permanence, il y avait des contacts avec ceux qui voulaient nous dire pourquoi ils l'avaient prise, pour quelles raisons. C'est une affaire extrêmement délicate. Dans un endroit comme celui-là, il y a tellement de rumeurs, tellement de bruit qu'il faut être d'une très grande prudence, vous le comprendrez, je pense.
Q ? Mais, à défaut d'avoir une idée claire de qui sont les ravisseurs, avez-vous une idée précise de qui était Bernard Planche et de ce qu'il faisait là-bas ?
R - Je viens de vous le dire. C'est un ingénieur qui travaille dans le domaine humanitaire. Il y a eu plusieurs réunions d'ONG où il était, d'ailleurs, durant les deux derniers mois. Je ne le connais pas personnellement. La seule chose que je peux vous dire c'est qu'aujourd'hui nous avons 90 ressortissants répertoriés à Bagdad. Il y en a 43, 44 qui dépendent du ministère des Affaires étrangères. Il y a une quinzaine de journalistes. Le reste, ce sont des ONG.
Q - On dit quand même que cette ONG, dont il dépend, est assez mal connue. Connaissiez-vous ses activités ? Aviez-vous le sentiment qu'il était là pour des raisons qui sont liées à l'humanitaire ?
R ? Ce n'est pas le moment de faire une enquête sur lui.
Q - Cela peut aider à le retrouver, si on connaît ses réseaux et ses contraintes.
R - Evidemment, mais vous comprendrez qu'au moment où je vous parle, j'essaie de savoir où il est, quels sont les gens qui l'ont éventuellement pris et comment je peux le libérer.
Q - On change de sujet. Le Sommet européen à Bruxelles de vendredi ne se présente pas très bien. On va essayer de trouver une réponse au problème du budget pour la période 2007-2013. Des propositions ont été faites par le gouvernement de Tony Blair. On sait qu'elles ne vous conviennent pas. Attendez-vous, pour les jours qui viennent, des propositions différentes de la présidence anglaise qui vous rendraient optimiste ?
R - Des propositions de la présidence anglaise qui seraient différentes des premières ? On attend cela après le Conseil Affaires générales des ministres des Affaires étrangères qui aura lieu demain. J'irai à Bruxelles demain avec Catherine Colonna. Entre le moment où nous allons nous réunir, nous les ministres des Affaires étrangères, et le moment où les chefs d'Etat vont se réunir, je pense qu'il y aura des propositions anglaises. Il faut rappeler de quoi il s'agit. Il ne s'agit pas d'une petite bataille dans un petit club. Nous avons décidé d'élargir l'Union européenne à dix nouveaux Etats membres. Il faut financer cet élargissement. Donc la question est de savoir comment faire.
Or, si les Britanniques n'acceptent pas de revoir leurs propositions, il y a deux principes qui ne fonctionnent pas. Le premier principe est le principe de solidarité car, si on continue à accepter les propositions britanniques, on donne 8 % de moins de fonds structurels pour les nouveaux Etats membres.
Q - Les fonds structurels, ce sont les aides au développement des nouveaux adhérents ?
R - Oui, car il s'agit en réalité de faire une proposition de convergence économique et sociale entre les nouveaux et les anciens Etats membres. Comment voulez-vous que nous profitions du développement des nouveaux Etats membres si on ne leur donne pas les moyens de se développer tout de suite ?
Q - Les Britanniques avaient une solution parce que vous dites : "comment peut-on imaginer d'aider les nouveaux pays membres sans leur donner de l'argent ?". Ils disaient que l'on peut prendre l'argent sur la PAC. Au fond, la France est effectivement le premier bénéficiaire du premier budget européen. Les Britanniques disent : "Messieurs les Français, tapez dans votre budget les premiers !".
R - Ce n'est pas la France qui est bénéficiaire de la PAC, c'est l'Europe.
Q - Enfin c'est quand même la France au milieu de l'Europe.
R - Pour une fois que nous sommes les premiers au monde dans les produits alimentaires transformés, pourquoi voulez-vous que l'on se tire une balle dans le pied ?
Quand vous voyez M. Bush qui parle du pouvoir vert, qui est heureux et fier de développer son agriculture, qui est heureux et fier de donner des aides directes, ce que nous ne faisons plus, aux agriculteurs parce-qu'il sait que demain il y aura 7 ou 8 milliards de personnes sur la planète, parce qu'il faudra les faire manger. Aujourd'hui, avec la vache folle, avec la grippe aviaire, on voit bien l'importance d'avoir une sécurité sanitaire alimentaire. Nous avons tout cela. Nous sommes les premiers dans le monde. Pourquoi voulez-vous remettre en cause la PAC ?
Je rappelle une chose importante. Ce chèque britannique, il faut expliquer qu'en 1984, Mme Thatcher avait dit : "nous sommes pauvres, cette Angleterre va mal, nous avons du chômage, arrêtez de nous faire payer tout pour l'Europe, il faut que nous soyons particulièrement choyés." Alors, nous avions dit : "oui, on va vous donner un chèque chaque année." A l'époque, la PAC représentait 70 % du budget, aujourd'hui plus que 40 % et demain à peu près 30 %. Donc, le budget de l'Europe a complètement changé. Le Royaume-Uni n'est plus pauvre. Le Royaume-Uni est devenu un grand pays riche. Donc ce mécanisme de chèque britannique ne veut plus rien dire aujourd'hui. D'ailleurs, nous ne sommes pas les seuls à le dire.
J'étais au conseil des ministres des Affaires étrangères il y a quelques jours. Tous les pays, en dehors de Malte, 23 pays sur 25, ont demandé au Royaume-Uni de faire de nouvelles propositions. Ce n'est donc pas une France isolée, qui n'aime pas les Anglais. Nous souhaitons qu'il y ait un accord. Mais nous demandons aux Britanniques de réviser leurs propositions.
Q - Les Anglais aiment-ils l'Europe ?
R - Je pense que Tony Blair a prouvé qu'il voulait l'Union européenne. Je suis persuadé qu'il essaie d'avoir le "chèque" britannique le moins abîmé possible, c'est, je crois, son "job" de ministre anglais. Ce qui est important, c'est que l'Europe, ce ne sont pas des intérêts particuliers. L'Europe, ce n'est pas l'intérêt français puis l'intérêt britannique, puis l'intérêt allemand ou l'intérêt italien. C'est un intérêt commun et cela il faut que les Anglais le comprennent. Quand on a la présidence de l'Union européenne, on doit penser plus à l'Europe qu'à son propre pays.
Q - Mais tout le monde critique finalement la proposition de compromis britannique. Est-ce une provocation d'après vous ?
R - Je ne le pense pas. Ils ont essayé de faire cette proposition en pensant simplement que les pays de l'Est, les nouveaux Etats membre en général mais en particulier les pays de l'Est allaient même accepter une diminution.
Q - Visiblement ils sont moins hostiles que nous. On est plus en pointe que les Allemands et que les nouveaux pays de l'Est.
R - Parce-que quand vous êtes faible, c'est toujours difficile de mettre la tête en dehors de l'eau. Et c'est cela qui est inadmissible car voilà des pays qui pendant 40 ou 50 ans ont été sous le joug communiste, totalitaire, qui en ont vraiment bavé, comme l'on dit vulgairement, qui en sont sortis, au prix de réformes courageuses. Le personnel politique des ex-pays de l'URSS, qui sont aujourd'hui dans l'Union européenne, est composé de gens remarquables. Ils se sont fait vider plusieurs fois mais ils sont revenus. Des parlements se sont mis en place, des grandes réformes ont été conduites. Et au moment où ils arrivent à la table de l'Union européenne, on leur dit : "Ecoutez, on vous a dit ça mais ce sera moins". Evidemment qu'ils ne vont rien dire, évidemment qu'ils vont accepter. Cela est inadmissible et je suis heureux que la France puisse les défendre. Et d'ailleurs, ils l'ont compris. J'ai fait un tour, Mme Catherine Colonna a fait un tour, le président de la République a reçu un certain nombre de chefs de gouvernement et de chefs d'Etat de pays de l'Est et aujourd'hui ils regardent la France de manière différente.
Q - La France est-elle suffisamment forte aujourd'hui en Europe compte tenu de ce qui s'est passé le 29 mai dernier, suffisamment pour faire la leçon à d'autres pays qui ont un point de vue différent du notre ?
R - On ne fait absolument pas la leçon.
Q - On fait la leçon en disant qu'il ne faut pas humilier les nouveaux pays membres, qu'il faut les écouter.
R - Ce n'est pas faire la leçon, c'est défendre. On défend des pays qui viennent d'arriver, qui sont des pays plus pauvres que nous, qui ont besoin qu'on les aide et à qui on va vendre énormément. J'entends souvent que l'élargissement va coûter à la France. Non, l'élargissement va considérablement nous aider. J'étais l'autre jour en Slovaquie. Il faut savoir qu'en Slovaquie, il y aura l'une des plus grandes usines Peugeot du monde.
Q - Il va y avoir une sorte de négociation, une sorte de marchandage. On va essayer de lâcher le moins possible. Les Anglais, vous dites doivent lâcher quelque chose. M. Tony Blair a déjà proposé de renoncer à 8 milliards d'euros sur quelques années. Vous dites qu'il en faut encore 6 de plus. On est vraiment dans la négociation. Qu'est-ce que la France est prête à lâcher ?
R - La France va proposer un chèque de 11 milliards d'euros sur la période 2007-2013, c'est-à-dire quelque chose de considérable.
Q - On va donner plus à l'Europe ?
R - Oui, on va donner 11 milliards de plus entre 2007 et 2013 pour participer à cet élargissement. Donc, le premier principe, le principe de solidarité est qu'il faut payer pour les pays les plus pauvres qui viennent de rentrer. Deuxièmement, le principe d'équité, car si on continuait comme cela, si on acceptait la proposition britannique, les seuls à ne pas payer pour l'élargissement, ce serait les Britanniques. Enfin c'est nous qui continuerions à payer ce chèque.
Q - Ces 8 milliards d'euros qu'il accepte déjà de mettre dans la balance lui valent des salves de critiques extrêmement violentes. On parle d'une capitulation, d'une espèce de traîtrise. Comment faut-il qu'il fasse ? Comment pourrions-nous faire si on était dans la même situation ?
R - Nous sommes dans la même situation, nous avons nous aussi une opinion publique, nous avons nous aussi des gens qui sont anti-européens. On s'en est aperçu le 29 mai. Précisément lorsque l'on croit en l'Union européenne, il faut se dire une chose : après la crise institutionnelle que nous avons vécue, en raison du référendum négatif, français et néerlandais, on ne peut pas se payer une crise financière. Si le Conseil européen n'est pas capable de trouver le budget, il va aller directement au Parlement européen, qui lui augmentera le budget européen. Ce qui n'est évidemment pas une solution. Nous avons ici dans cette pièce le ministre de la Recherche. Si nous voulons avoir un grand paquet financier pour la recherche en Europe - quand on sait que les Etats-Unis mettent 100 milliards de dollars dans les biotechnologies et les nano-technologies -, est-ce que nous, en Europe, on va continuer à nous battre sur 1 ou 2 milliards ? On ne va pas être capable de développer une politique de recherche, comme nous l'avons fait pour la PAC. Croyez-vous que demain, ce sera seulement sur la main d'?uvre à bas prix que nous pourrons développer des emplois ? Non, c'est sur la recherche, sur les pôles de compétitivité, sur tout le travail qui est fait aujourd'hui par le ministre de la Recherche et ses homologues. C'est comme cela que l'on arrivera à avoir une Europe forte. Enfin pour tout vous dire, ce n'est pas uniquement cela qu'on va demander aux Anglais. On va demander de mettre encore plus et on va surtout leur demander de corriger ce "chèque" britannique, pas pour les 7 ans qui viennent mais pour toujours. Sinon, en 2014, on recommencera.
Q - Et s'ils ne sont pas d'accord ? Est-on prêt à aller jusqu'au bout, c'est-à-dire à renvoyer à plus tard, à l'année prochaine, la recherche hypothétique d'un budget ? Etes-vous prêt à une nouvelle crise européenne ?
R - Si les Britanniques ne sont pas d'accord, c'est eux qui prennent la responsabilité de la crise car 23 pays sur 25 sont avec nous. Lorsqu'on est 2 sur 23, même en politique, on voit que les forces sont différentes.
Q - La fermeté d'Angela Merkel n'est pas celle de Jacques Chirac.
R - On s'est beaucoup posé la question du couple franco-allemand. Va-t-il tenir, pas tenir. M. Schröder s'en va, Mme Merkel arrive. Je vous rassure tout de suite. Les Allemands demandent aux Anglais, comme nous, de réviser le "chèque" britannique de manière durable.
Q - Vous avez avec les Allemands une pomme de discorde sur la TVA. Les restaurateurs en France attendent de ce sommet un feu vert pour que la TVA baisse à partir du 1er janvier 2006. Comment cela va-t-il se passer ?
R - Nous allons nous battre afin d'obtenir cette baisse de TVA pour les restaurateurs, dont les Allemands ne veulent pas. Les Allemands disent que s'ils acceptent pour les Français, tous les restaurateurs vont le leur demander.
Q - Comment contournez-vous le blocage des Allemands ?
R - Nous avons deux sujets sur la TVA. Le premier, c'est la TVA à 5,5 % pour tout ce qui est main d'?uvre courante, le bâtiment et les travaux publics. Je rappelle que cette diminution de 5,5 % de la TVA pour le bâtiment et travaux publics a crée de 60 000 à 70 000 emplois en France. C'est donc une lutte contre le chômage que nous voulons mener par là. Deuxièmement, aussi, pour toutes les entreprises de service, je pense aux personnes âgées ou handicapées. Donc nous obtiendrons, je pense, la poursuite du dispositif pour la baisse de TVA pour cette main d'?uvre.
Q - Cela fait trois ans que le gouvernement dit qu'il va se battre.
R - Il se bat.
Q ? M. Jean-François Copé disait à l'Assemblée il y a deux jours : "nous sommes tout prêt d'un accord" et c'est au nom de ce quasi-accord qu'il a repoussé la tentative des députés de votre majorité qui étaient prêts à voter cette baisse de la TVA dans la restauration. Qu'est-ce qui vous permet de dire qu'on est tout prêt d'un accord, plus aujourd'hui qu'il y a deux ans ?
R - Comme vous le savez, ce n'est pas le parlement national qui vote cela, c'est l'Union européenne à l'unanimité.
Q - Monsieur Philippe Douste-Blazy, qu'est-ce qui vous permet de dire aujourd'hui que nous sommes plus prêts d'un accord et que cet accord peut être atteint jeudi ou vendredi prochain ?
R - Parce que les Allemands ont décidé de ne pas le mettre au Conseil économie-finances mais de le mettre au Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement. Sur 25, il y en a 24, je crois, qui accepteraient. Nous avons un problème avec les Allemands. J'espère pouvoir convaincre les Allemands d'ici là.
Q - Vous n'avez pas l'impression d'affaiblir considérablement votre dénonciation de l'égoïsme britannique en venant polluer la recherche d'un budget avec cette question, qui est quand même très franco-française, de la TVA ?
R - Je crois que vous n'avez pas compris. Nous ne passons absolument pas un "deal". Nous ne mettons absolument pas côte à côte la TVA pour la restauration et les perspectives financières.
Q - Vendredi soir à 3h du matin, vous ne le ferez pas ce "deal" ?
R - Vous le feriez si vous étiez à ma place. Nous ne le ferons pas parce qu'en effet, ce sont deux choses différentes et le paquet financier est une chose tellement sérieuse et tellement lourd de conséquence pour l'Union européenne, pour la suite, pour nos enfants et petits-enfants, que l'on ne peut absolument pas mélanger les deux exercices.
Q - Imaginez-vous que si un accord n'est pas signé sur la restauration, le gouvernement français puisse prendre, de manière unilatérale, des mesures à partir du 1er janvier 2006 ?
R - C'est le Premier ministre qui décidera. Nous avons tout intérêt cette année à tout faire pour faire baisser le chômage. Je vois que ce chômage commence à baisser de manière significative.
Q - Donc tout faire, ce pourrait être baisser la TVA sur la restauration en France ?
R - Il est vrai que les restaurateurs nous le demandent, à condition qu'ils le répercutent sur la note.
Q - Il y a un accord. Les professionnels de la restauration se sont engagés. Passerez-vous en force s'il n'y a pas d'accord ?
R - S'il n'y a pas d'accord, on ne peut pas passer en force au niveau européen car c'est la règle de l'unanimité.
Mais je souhaite et je pense que nous aurons un accord. Si nous ne l'avions pas, il faudra alors voir catégoriellement avec les restaurateurs comment nous pouvons les aider.
Q - La directive Bolkestein qui avait été adoptée, puis dans un grand fracas mise sous le boisseau est en train de revenir. Une des commissions du Parlement européen vient de la voter dans des termes qui sont assez proches de ce qu'elle était auparavant, avec en particulier cette clause du pays d'origine qui permet d'avoir le cadre réglementaire de son pays d'origine. Si cette directive revient dans les mois qui viennent, que ferez-vous ?
R - Le gouvernement français est très clair : nous sommes pour une harmonisation et nous sommes contre le principe du chacun pour soi. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que la directive telle qu'elle est annoncée aujourd'hui est inacceptable pour nous. Je ne comprends et n'accepte pas qu'un salarié d'un pays qui vient de rentrer dans l'Union européenne, puisse venir en France, dans une entreprise française, travailler avec un droit du travail qui est celui de son pays d'origine.
Q - Vous disiez tout à l'heure qu'il faut être ouvert, qu'il faut aider les pays qui viennent d'arriver à lutter contre le chômage. Est-ce que ce n'est pas une bonne façon de les aider à se développer, à s'enrichir, à faire du commerce ?
R - Faire travailler un Lituanien en France, ce n'est pas aider obligatoirement la Lituanie.
Q - C'est aider les entreprises lituaniennes éventuellement, non ?
R - Vous n'avez pas compris. Le principe du pays d'origine est grave car il aboutit à l'idée que c'est le pays qui a le droit social le moins contraignant qui s'applique, et à terme, il va y avoir une délocalisation vers les pays qui sont les moins disants en terme social.
Là, vous avez raison, tout le monde peut partir en Lituanie, sauf que cela ne fonctionnera pas comme cela, et c'est surtout une atteinte au droit social. Je pense que c'est, d'abord, une première erreur sur le fond. Deuxièmement, là où je ne suis pas d'accord avec vous, c'est que la commission du Parlement européen a énormément amélioré cette directive, dans deux secteurs. Premièrement sur les domaines qui s'appliquent. Il ne faut pas que cette directive s'applique dans le domaine de la santé (hôpitaux, cliniques privées) ; dans le domaine également de certaines activités juridiques, je pense aux notaires ; dans le domaine de l'audiovisuel, je pense au cinéma et à la télévision ; dans le domaine de la fiscalité, des conseillers fiscaux. Tout cela a déjà été arrangé par le Parlement européen. Il reste, en effet, à arranger, et dire que cela a été fait en grande partie pour ce que l'on appelle les services publics, et les services économiques généraux, c'est à dire les services municipaux et les services de gestion de l'eau et des ordures ménagères.
Enfin, la France va se battre sur cela, et je pense que nous y arriverons.
Q - Un débat français perturbe l'action du ministre des Affaires étrangères que vous êtes, c'est le rapport et le jugement que les Français portent sur l'Etat français et la colonisation. L'article 4 de la loi du 23 février 2005 stipule que les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française Outre-mer notamment en Afrique du Nord. Cette loi, Philippe Douste-Blazy, faut-il revenir dessus, notamment, pour vous permettre d'avoir des relations plus apaisées avec les pays du Maghreb ?
R - Je vais dire, vraiment, c'est un sujet qui est d'une gravité extrême parce qu'en effet, ce n'est pas aux législateurs de faire l'histoire. C'est aux historiens, qui sont des scientifiques, à partir de leurs documents, à partir de leurs archives.
Q - C'est une erreur d'avoir fait une loi qui reconnaît ou qui évoque le rôle positif ?
R - Je vais vous dire l'erreur pour moi. C'est que l'histoire, elle évolue. L'histoire, elle n'est jamais figée pour l'éternité. Le contenu de l'histoire évolue, justement par les recherches, par les travaux des historiens. A mon avis, vouloir dire quelle histoire enseignée, c'est quelque part terrible pour les historiens. C'est peu de cas de ce qu'ils sont.
Il n'y a pas d'histoire officielle, il n'y aura jamais d'histoire officielle.
Q - Il faut donc abroger la loi ?
R - Attendez, je vais vous dire ce que je pense. Le président de la République a demandé à ce qu'il y ait une commission. Il l'a demandé à Jean-Louis Debré pour qu'on regarde si, en effet, on est allé trop loin ou pas suffisamment loin dans les différents textes de l'Assemblée nationale et du Sénat concernant l'histoire de France.
Mais vous connaissez cette phrase magnifique de M. Renan : "une nation c'est un passé assumé, c'est un présent partagé et c'est un futur commun". C'est à dire qu'à un moment, nous devons assumer notre passé, et, dans le passé, il y a des choses positives, il y a des choses négatives. Et dans la colonisation, il y a eu, en effet, aussi et en Algérie, en particulier, des choses qui ont été négatives. C'est vrai, mais il y a aussi quelqu'un qui était dans un dispensaire, qui était infirmier, au fin fond du désert et qui a travaillé pendant 30 ans pour le bien des autres en essayant de bien faire.
Donc attention ce n'est pas aux hommes politiques à dire où est le bien, et où est le mal.
Vous comprendrez que le secret médical empêche de dire comment va le président Bouteflika. Deuxièmement, évidemment ces nouvelles sont données à sa famille et à ses proches. Mais vous comprendrez que le ministre des Affaires étrangères français ne peut pas faire devant vous, ici, un bilan m??dical.
Q - Sans rentrer dans les détails, il va bien ? Il va sortir bientôt ?
R - Je n'ai pas à vous le dire.
Q - Il va sortir bientôt, par exemple, ce n'est pas une question qui viole le secret médical ?
R - En tout cas, je l'espère et je lui souhaite mes v?ux de prompt rétablissement.
Q - Nous aussi, on s'y associe, mais il va sortir bientôt par exemple, on ne peut pas le dire ?
R - Je ne peux pas vous le dire.
Q - Un ulcère hémorragique, le médecin que vous avez été. Ce n'est forcément pas 15 jours d'hospitalisation ?
R - Je sais ce qu'est un ulcère hémorragique. Je ne sais pas ce qu'a M. Bouteflika. Je ne peux pas vous dire ce qu'a M. Bouteflika.
Q - A votre avis, vous, ministre des Affaires étrangères, est-ce que le rôle de la France dans les anciennes colonies a été positif ou négatif ?
R - D'abord, ce n'est pas à la loi de le lire.
Q - Non, mais je vous le demande à vous !
R - D'accord, je le redis, c'est important.
Q - Je vous demande votre point de vue. C'est singulier dans votre bouche, Philippe Douste-Blazy, parce que vous dites, ce n'est pas à la loi de le dire, mais vous avez déposé, vous, avec Jean Léonéti, une proposition de loi, le 5 mars 2003.
R - Cela n'a strictement rien à voir avec cela.
Q - Vous vouliez qu'il y ait un seul article, l'?uvre positive de l'ensemble de nos concitoyens qui ont vécu pendant la période de la présence française soit publiquement reconnu. C'est singulier aujourd'hui de vous entendre dire que la loi n'a pas à porter ce type de jugement.
R - Non, je vais vous dire. Là, il y a eu une loi qui a été décidée, proposition de loi, qui a été étudiée à l'Assemblée nationale. Cette proposition a été très simple. Cela a été pour regarder quels étaient les avantages fiscaux, sociaux.
Q - Là, vous parlez de la loi de février 2005.
R - De février 2005.
? des rapatriés et des Harkis. Et puis, il y a eu un amendement à un moment donné là dessus. Je dis, aujourd'hui, qu'il ne doit pas y avoir un effet au niveau de la loi in fine. Les historiens doivent le faire. Ce n'est pas aux hommes politiques de le faire. Je viens de vous répondre. Je pense qu'il y a dans notre passé des choses qui ont été positives et des choses négatives, y compris dans notre action dans les colonies.
Q - Est-ce que c'est positif ou bien négatif ?
R - Vous avez divisé en trois. Vous avez dit : ou bien c'est positif, ou bien c'est négatif, ou bien c'est indifférent. Pour moi, il y a des choses qui ont été positives et des choses qui ont été négatives.
Q - Mais est-ce que la France a tort, fait trop repentance, se flagelle trop et finalement ne se fait plus respecter à force d'avoir honte d'elle même ?
R - D'abord, la France ne fait pas repentance...
Q - Sur le pont St Michel, il y a par exemple une plaque déposée par la Mairie de Paris demandant pardon au nom de la France. C'est Paris.
R - D'accord, c'est Paris mais ce n'est pas la même chose. L'Etat français peut faire repentance. La France en est sortie grandie. Sur ce sujet là, je reste persuadé qu'il y a des instituteurs qui ont travaillé pendant 30 ans, 35 ans, qui ont donné au contraire aux petits Algériens l'envie d'indépendance. Et qui n'ont pas fait une mauvaise action. A l'inverse, vous avez un certain nombre de personnes qui ont pu être amenées à mener des actions qui sont négatives, et cela il faut le dire. Un passé, ça s'assume, à la fois dans ses côtés positifs et dans ces côtés négatifs, mais le faire de manière globale me paraît très dangereux.
Q - Philippe Douste-Blazy, on annonçait avant la fin de l'année la signature d'un traité d'amitié, et puis on l'attendait celui-là entre l'Algérie et la France ? Nous sommes le 11 décembre : les délais seront tenus ?
R - Je tiens viscéralement à ce traité.
Q - Dans les délais ?
R - Je ne sais pas si cela sera fait. Vous avez dit tout à l'heure que le président Bouteflika était encore hospitalisé donc probablement qu'il y aura un léger retard. Mais moi je tiens à ce traité parce qu'il y a quelque chose dont on ne parle jamais, c'est la mixité franco-algérienne. On oublie de dire qu'il y a des milliers, des dizaines de milliers d'enfants, d'Algériens qui sont nés en France et on oublie aussi de dire qu'il y a des milliers de Français qui sont nés en Algérie. Et c'est une chance extraordinaire pourtant, c'est une diversité. Il faut se reposer sur eux pour cette amitié. Vous savez, moi je crois beaucoup aux relations entre le Maghreb et la France. Quelle chance pour nous d'avoir 120 millions de personnes, 110 millions de personnes qui parlent notre langue de l'autre côté de la Méditerranée. Et quand je vois les autres pays, je pense aux Etats-Unis, ou à d'autres, qui viennent beaucoup travailler en Algérie, au Maroc, en Tunisie. Je dis souvent aux français : "considérez que c'est une chance extraordinaire, la mixité franco-algérienne, peut-être la base d'un nouveau départ entre la France et les pays du Maghreb, à considérer comme des partenaires d'égal à égal". Et, enfin, n'oubliez pas que 75 % des Algériens ont moins de 25 ans.
Q - La France souhaite ce traité. Mais le président Bouteflika mettait comme condition, que, précisément, les autorités françaises aient des mots précis sur, on y revient, la colonisation et ses effets.
R - Encore une fois, il y a une commission qui a été demandée à Jean-Louis Debré.
Q - Non, ça c'est autre chose. C'est la demande du président Bouteflika. Est-ce qu'on peut honorer la demande du président Bouteflika ?
R - Sur la repentance ?
Q - Sur des mots que les autorités françaises devraient avoir.
R - Aujourd'hui je souhaite que ce traité se fasse. On trouvera les solutions. Il ne s'agit pas de faire des repentances. Il s'agit de trouver simplement les solutions. Moi je crois au traité parce que c'est des choses beaucoup plus importantes de regarder devant, de rassembler plutôt que de diviser les mémoires. Diviser les mémoires sur la haine, cela n'a jamais apporté quoique ce soit.
Q ? Un mot concernant l'Iran. Le président Mahmoud Ahmadinejad a eu des propos assez violents, pour ne pas dire plus concernant Israël. Pourtant, les Européens continuent de dialoguer avec lui, d'une part, et d'autre part, ils continuent de tenter d'enrayer un processus d'installation de l'arme nucléaire. N'avez-vous pas le sentiment qu'au fond, l'Iran et en particulier son président se moquent de nous ?
R - J'ai été le premier de la communauté internationale à me dire choqué et à condamner les propos de M. Mahmoud Ahmadinejad.
Q - Et pourtant on parle avec lui ?
R - L'Iran est un très grand pays. C'est une très grande civilisation avec des jeunes qui sont tout à fait remarquables.
Il y a un président qui est M. Ahmadinejad qui vient d'être élu à 62 %, il est l'ancien maire de Téhéran et il y a le peuple et un pays qui est un grand pays. A partir de là, nous, en effet, nous sommes choqués par le fait que les Iraniens aient immédiatement cassé, de manière unilatérale, depuis le mois d'août, notre accord qui visait à suspendre toute activité nucléaire sensible.
Aujourd'hui, nous savons qu'ils font de la conversion. Il y a un grand point d'interrogation sur l'enrichissement de l'uranium. M. El Baradeï, le directeur général de l'AIEA a parlé de violations de la part de l'Iran de leurs obligations internationales.
Q - Que fait-on alors ?
R - J'ai proposé, le 26 septembre, de passer une résolution très ferme de la communauté internationale disant que comme il y avait des violations, ce rapport passerait au Conseil de sécurité des Nations unies. Le calendrier n'est pas précis, pourquoi, parce qu'il nous faut l'unité de la communauté internationale.
Q - Mais, en attendant, l'Iran continue de s'armer ou en tout cas, à avancer dans le processus de l'arme nucléaire ?
Q ? Et cela ne leur fait "ni chaud ni froid" visiblement !
R ? Oui, mais si la communauté internationale n'est pas unie, c'est sûr que cela ne leur fera "ni chaud ni froid". Si la communauté internationale est unie, si l'Iran est isolée au banc des nations, là les choses seront différentes.
Mon travail, notre travail aujourd'hui, aux Allemands, aux Anglais et à nous, Français, la Troïka européenne, ce sont deux choses. D'abord, maintenir l'unité de la communauté internationale, et je vous rappelle que le 26 septembre dernier, à l'AIEA, cette résolution ferme a été votée avec l'Inde, et les Iraniens ne s'y attendaient pas. La Chine et la Russie se sont abstenues et le seul pays qui a voté contre, c'est le Vénézuela. Maintenant en effet, il faut passer à autre chose.
Je pense qu'il est grand temps pour l'Iran de comprendre que toutes ces opportunités que nous lui donnons, il faut les prendre, sinon ils seront au ban des nations. Il faut arrêter cette fuite en avant qui est la leur aujourd'hui.
Une dernière fois, nous allons proposer, même pas de négocier mais d'explorer avec eux, pour savoir si nous pouvons arrêter, suspendre toute convention et tout enrichissement de l'uranium en Iran. Récemment, les Russes viennent de faire une proposition, elle a été rejetée.
Q - Et sinon, vous dites qu'il faut passer à autre chose. Vous pensez à quoi ? La carotte et le bâton ?
R - Je viens de vous donner la clef, c'est le Conseil de sécurité des Nations unies, la communauté internationale. Mais, lorsque nous allons porter ce type d'affaires au Nations unies, c'est que cette affaire est excessivement grave, il faut donc être le plus uni possible, vous le comprendrez.
Q - Concernant le Liban et le rapport Mehlis qui sera remis cette semaine, le 15 décembre, le magistrat allemand "jette l'éponge". Visiblement, il n'a pas apprécié d'avoir été lâché, abandonné. Bref, il est un peu dégoûté. Nous voudrions comprendre pourquoi est-ce que l'on a essayé de retenir M. Mehlis. Y a-t-il eu véritablement un changement de cap ? Considère-t-on maintenant qu'il faut sauver le soldat Bachar el Assad ? La Syrie a-t-elle été suffisamment punie pour la mort de M. Hariri en étant obligée d'abandonner le Liban ? Désormais, jusqu'où sommes-nous prêts à aller ?
R - J'ai participé au Conseil de sécurité qui a voté à l'unanimité le fait que le rapport Mehlis devait continuer encore six mois comme vous le savez.
Q - Sans M. Mehlis ?
R - M. Mehlis a décidé d'arrêter au 1er janvier 2006, il nous faut trouver quelqu'un qui poursuivra le travail de M. Mehlis. Tout sera fait, tout doit être fait. La communauté internationale, dans son unanimité, a décidé que, quels que soient les assassins de M. Rafic Hariri, l'ancien Premier ministre libanais, où qu'ils soient, ils doivent être condamnés, punis comme il se doit. Et c'est parce que, justement, nous n'avons pas fait de politique, c'est parce que nous n'avons pas parlé du régime syrien, c'est parce que nous n'avons pas abordé d'autres sujets, que nous avons eu l'unanimité au sein de la Commission d'enquête internationale criminelle, y compris la Ligue arabe.
Je crois qu'il faut en rester là : la justice, toujours la justice, rien que la justice, rien n'a changé. Nous irons jusqu'au bout.
Q - Passer d'un magistrat à l'autre entraînera peut-être des retards, des dégâts, peut-être l'arrêt de la recherche de la vérité !
R - Absolument pas.
Q - Il aurait donc eu tort de se sentir désavoué ?
R ? Totalement, si c'est le cas. Ce n'est pas ce qu'il dit. Ce n'est pas ce qu'il a dit récemment.
Q - C'est ce que pensent tous les Syriens, tous les Libanais et tout l'entourage de M. Mehlis.
R ? Eh bien, je vous rassure tout de suite, M. Mehlis fera son rapport le 15 décembre. Le Conseil de sécurité regardera de manière très précise ce rapport. Comme nous l'avons toujours dit puisqu'il a, comme vous le savez, récemment interrogé cinq Syriens, à Vienne, certes, et pas à Beyrouth.
Q - Il n'a pas interrogé les bons ?
R - Les connaissez-vous les "bons" ?
Q - Le frère du président et le chef des services secrets syriens.
R - Si vous connaissez les bons, à la place de M. Mehlis, je veux bien, mais c'est autre chose, là. Il faut faire attention dans ce type de discussions, c'est très important.
Q - Mais la France est-elle prête à soutenir une action internationale, fusse au prix de l'accusation, nommément, du président syrien ou de ses très proches ?
R ? Premièrement...
Q - ...Non, répondez à cette question.
R ? Non. La question n'est pas celle-là. La question est la suivante : la France, comme la communauté internationale, veut aller au bout du bout pour savoir qui a commandité et qui a tué l'ancien Premier ministre libanais. Si l'enquête se rapproche d'un pays ou d'un autre, ce n'est pas le sujet. Le sujet, c'est d'aller jusqu'au bout et nous sommes décidés à aller jusqu'au bout.
Source : http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 décembre 2005