Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, dans "Le Journal du Pays Basque" le 24 juin 2006, sur la reconnaissance de l'identité culturelle basque et le rôle des élus locaux au Parlement européen pour l'évolution des institutions locales.

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Circonstance : Annonce du cessez-le-feu par l'ETA en Espagne le 24 mars 2006

Média : Le Journal du Pays basque

Texte intégral

Q - Quelle a été votre réaction le soir du 24 mars dernier, en apprenant l'annonce du cessez-le-feu permanent de l'ETA ?
R - Ma première pensée a été pour les victimes, pour tous ceux qui sont morts, pour tous ceux qui ont été atteints, pour tous ceux dont la vie a été marquée par le deuil ou la peur. Et j'ai pensé aussi à ce nouvel espoir avec une grande émotion, sans avoir l'impression que tout était fini, bien entendu. Parce que tout le monde sait qu'il s'agit d'un long processus. Mais c'était forcément une nouvelle très importante et un signe d'espoir. J'en ai parlé avec mes amis du PNV (ndlr. Parti National Basque, au pouvoir à Vitoria et membre du groupe centriste européen) et j'ai ressenti le sentiment qu'il pourrait s'agir d'une date historique, si le processus rentrait dans une phase construite. Et comme chaque fois qu'un grand lieu de conflit rencontre ainsi une chance d'en sortir, forcément, on doit saisir cet espoir.
Q - Depuis la fin des années 90, le Ministère de l'Intérieur français a assuré votre protection votre nom étant apparu dans un communiqué de l'ETA.
R - Oui j'ai subi cette menace. Cela fait partie des embêtements, du prix qu'il faut payer pour les responsabilités qu'un petit nombre d'entre nous exerce. Mais évidemment, c'était tellement moins lourd à porter que les drames de l'autre côté, les personnes qui ont payé de leur vie et de leur santé, gardes du corps ou pas. Donc c'était pour moi, d'une certaine manière un petit signe de solidarité que d'avoir à affronter ce problème.
Q - Aujourd'hui, depuis l'annonce du cessez-le-feu, cette menace a disparu et vous n'avez plus cette surveillance rapprochée. C'est un soulagement ?
R - Aujourd'hui j'ai toujours des gardes du corps, dans des circonstances publiques. Pour le reste, je vis le plus simplement du monde.
Q - Le président espagnol a annoncé que les pourparlers avec l'ETA sont imminents. Qu'attendez-vous de ce processus de paix ?
R - C'est toujours difficile de sortir de drames comme celui-là. Difficile pour deux raisons principales: la première est que des gens ont été atteints à jamais dans leur vie, soit par la perte d'un être cher soit par des blessures inguérissables, physiques et affectives. Et ceux-là, évidemment, ne pardonnent pas et n'imaginent même pas que l'on puisse pardonner. Et l'on peut parfaitement les comprendre. Et d'un autre côté, il y a souvent des gens qui se sont enfoncés dans la marginalité et pour qui le retour à une vie normale, sans les facilités du réseau et de l'argent facile, est extrêmement difficile également. En même temps les pouvoirs politiques ont le souci de ne pas perdre la face et d'apparaître comme conservant les principes de la loi et du droit. C'est donc extrêmement difficile de sortir d'une crise comme celle-là. J'espère cependant que l'on en sortira, parce que c'est trop cher payé ce que le Pays Basque a vécu. Et les traces ne disparaîtront malheureusement pas d'aussi tôt.
Q - L'ETA souhaite que la France s'implique dans ces négociations, et l'a fait savoir par un communiqué la semaine dernière. Pensez-vous que la France doit s'impliquer ?
R - Je pense que la France ne le fera pas, parce que l'Etat n'a jamais voulu considérer qu'il était engagé dans ce conflit. Et je pense que ceux qui demandent que la France s'engage savent très bien qu'elle ne le fera pas. L'Etat ne s'engagera pas dans ce conflit, parce que si elle le faisait, cela voudrait dire que les deux Etats sont engagés dans la même crise. Et cela est faux. Il est vrai que la réalité basque et le terrorisme basque ont également été sur le sol français, mais ça n'a jamais été un face-à-face comme en Espagne.
Q - Au sein de l'UDF Pays Basque, une divergence d'opinion apparaît sur le sujet. Jean-Jacques Lasserre souhaite une intervention de la France limitée à la demande espagnole. En revanche, d'autres élus comme Jean-René Etchegaray ou Michel Veunac estiment que la classe politique locale ne peut rester comme de simples spectateurs de l'autre côté de la barrière alors que le processus de paix aura irrémédiablement des conséquences pour le Pays Basque nord.
R - L'UDF est le centre en France. Ses origines sont traditionnellement très proches de la sensibilité basque. Michel Labéguerie était un centriste convaincu, il fut l'homme de la renaissance de la culture basque et je n'ai jamais oublié pour ma part cet héritage-là, notamment dans mes rapports avec les ikastola, avec les décisions que j'ai prises en relation à la culture basque, dans mes fonctions de ministre de l'Education. Comme dans toutes les formations il y a des sensibilités différentes au sein de notre mouvement.
Q - Mais quelle est la position du patron de l'UDF que vous êtes ? L'UDF doit-elle s'engager dans des négociations politiques sur l'avenir du Pays Basque nord ?
R - Toutes les forces politiques françaises et même européennes doivent regarder avec attention ce qui se passe. Dans les circonstances difficiles que toute négociation ouverte ou secrète suppose, nous devons y apporter une attention positive. Parce c'est un espoir et l'on ne peut rester indifférent face à un espoir. Et j'y suis peut-être plus sensible que d'autres, parce que j'ai formé avec le PNV un parti européen. C'était de ma part un choix profond, parce que je n'ai pas oublié les liens que nous avions avec le PNV du temps de la dictature franquiste. Je n'ai pas oublié les exilés et résistants basques démocrates-chrétiens de cette époque. Je me sens d'une certaine manière engagé par les événements qui se passent en Pays Basque et par le début de ce processus. Je ne suis pas indifférent, pas plus que je n'en suis spectateur. Mais nous n'en sommes pas acteurs, et ce ne serait qu'une fausse piste de s'engager sur ce chemin-là.
Q - À l'époque où vous étiez président du Conseil Général, le débat sur la création d'un département Pays Basque a pris force en Pays Basque. Aujourd'hui, cette demande existe toujours avec la mise en place d'une pétition afin qu'une consultation ait lieu.
R - La demande institutionnelle est une demande de reconnaissance. Je pense qu'il y aura un jour une évolution des structures actuelles. Et ce sera un de mes projets au moment des élections présidentielles. La séparation entre région et département, avec des élus qui ne se parlent pas, qui ne se connaissent pas, qui ne se rencontrent pas et que, s'agissant des élus régionaux, personne ne connaît... cela ne ressemble plus du tout à ce que la France administrative devrait être.
Q - Vous pensez donc que le Conseil Général devrait disparaître ?
R - Non, mon idée à moi c'est que département et région doivent se rapprocher et former un même ensemble pour être administrés par les mêmes élus, à la fois des élus territoriaux et des élus d'opinion. Je suis un fervent défenseur de cette organisation avec des élus qui représentent à la fois les territoires et les opinions. Les deux institutions seraient gérées par les mêmes élus. Ces deux ensembles sont appelés à évoluer, à se rapprocher. Cela implique une plus grande souplesse. C'est un des aspects de la VIe République que je souhaite voir naître. Cela prendra des années, peut-être, mais cette séparation n'a plus de sens. L'économie, l'équipement, la culture concernent à la fois la région et le département.
Q - Vous estimez que l'évolution de ces structures peut répondre à la demande de reconnaissance ?
R - Même si ces structures évoluent, le souci de reconnaissance restera. Et c'est quelque chose à quoi je réfléchis très souvent. Pour l'instant je n'ai pas la réponse, mais je suis sensible à ce souci de reconnaissance. Il y a deux sentiments qui s'expriment. Le premier est extrêmement fort au Pays Basque qui dit : "nous avons besoin de reconnaissance, d'être reconnus en tant que tel". Il y a un deuxième sentiment, de tous ceux Basques et Béarnais qui disent "nous, nous voulons vivre ensemble. Nous voulons que cette rencontre entre Basque et Béarnais continue à porter des fruits, que l'on continue à travailler ensemble sans être séparés". Ces deux sentiments ont leur légitimité.
Q - Et comment défaire ce noeud ?
R - Ce n'est pas si simple. C'est un de mes sujets de réflexion quand je suis tout seul. Je sais que l'exigence de reconnaissance ne s'effacera pas. Au fond c'est un dilemme.
Q - Un référendum sur une partition n'est-ce pas une solution pour trancher cette question ? Quelle est votre attitude face à cette initiative qui souhaite obtenir 46000 signatures ?
R - Je regarde, j'observe. On croit que les affaires d'identité ce sont des affaires de court terme. Que ce sont des combats d'une année, marqués par telle ou telle personnalité... Mais ce n'est pas vrai. Le Royaume de Navarre a disparu, il y a très longtemps. Et puis cela a cheminé souterrainement. Les attentes sont réapparues, il y a eu une résurgence. J'ai peu d'opinions sur les affaires de court terme. Les promoteurs du référendum vont-ils trouver les 46000 signatures ? On verra. Mais je sais que de toute façon la demande de reconnaissance existe et existera. Nous sommes en France un Etat très centralisé, la structuration institutionnelle française n'a pas le même sens que de l'autre côté. L'idée nationale en France n'est pas la même idée que les idées nationales en Espagne.
Q - Mais une solution devra bien être trouvée pour la reconnaissance du Pays Basque nord...
R - Quand j'étais président du Conseil Général, souvent j'ai été blessé. Je trouvais injuste un certain nombre de revendications et de manifestations, parce que je savais bien que c'était moi qui avais sauvé les ikastola, et personne d'autre. Si je n'avais pas été là les ikastola seraient mortes. J'ai pris des risques en faisant cela sur ma propre autorité, sans même en référer au Premier ministre. Parce que je savais bien que si je le faisais que l'accord historique n'aurait jamais eu lieu. J'ai été très ému par tout cela à l'époque, je ne comprenais pas. Et puis j'ai compris, après, que ce n'était pas une affaire de l'instant, mais un grand courant historique qui a sa propre force et sa propre logique et sa dynamique interne. Cela m'a rassuré un peu. Et puis je vois également la force en Pays Basque de ceux qui veulent vivre ensemble. En fin de compte, cela s'appelle tout simplement un conflit historique. Et pour comprendre cela, je suis très aidé par le président du Parti Nationaliste Basque, Josu-Jon Imaz, avec qui je parle beaucoup de tout cela, pour qui j'ai une grande amitié. Mais nous savons très bien que vouloir assimiler la France et l'Espagne c'est passer à côté de la réalité. Il y a deux réalités historiques et institutionnelles complètement différentes.
Q - Les socialistes ont lancé la Convention spécifique Pays Basque, l'UMP l'a poursuivie avec la mise en place de travaux par thèmes avec Nicolas Sarkozy, même si les résultats ont été contestés... Quel est le projet UDF pour le Pays Basque ?
R - Je déteste quand les mots ne recouvrent pas les choses. Nous, nous l'avons démontré depuis le temps où j'étais président du Conseil Général, avec les ikastola, le centre d'Irisarry et toutes les politiques concrètes du Conseil Général, qui aujourd'hui se poursuivent, guidées par Jean-Jacques Lasserre. Je suis pour la signature de la charte des langues et culture.Source http://www.udf.org, le 27 juin 2006