Texte intégral
Jean-Michel APHATIE : Bonsoir, bienvenue dans ce grand studio de RTL pour cette nouvelle édition du " Grand Jury ". Vous en êtes l'invité, Dominique de VILLEPIN, bonsoir.
Dominique de VILLEPIN : Bonsoir.
Jean-Michel APHATIE : Vous répondrez aux questions de Pierre-Luc SÉGUILLON, de LCI, et de Nicolas BEYTOUT, du Figaro. Aimez-vous, Dominique de VILLEPIN, de temps en temps, avoir une cigarette dans la main, ou fumer un petit cigare, ça vous arrive ?
Dominique de VILLEPIN : Je n'ai jamais fumé.
Jean-Michel APHATIE : Bon. Alors vous savez que vos propos sont très attendus sur le sujet : allez-vous ou pas, et de quelle manière, interdire la cigarette dans les lieux publics, Dominique de VILLEPIN ?
Dominique de VILLEPIN : Oui. Nous allons, et nous avons décidé d'interdire le tabac dans les lieux publics. Pourquoi ? Nous sommes partis d'un constat simple, deux chiffres : 60.000 morts par an dans notre pays liés directement à la consommation de tabac ; et 5 000 morts liés au tabagisme passif - cela fait plus de 13 morts par jour. C'est une réalité inacceptable dans notre pays, en termes de santé publique. Nous avons donc décidé d'interdire, à compter du 1er février 2007, d'interdire le tabac dans les lieux publics.
Jean-Michel APHATIE : Tous les lieux publics ? Y compris les cafés et restaurants ?
Dominique de VILLEPIN : Alors, pour les établissements qui traditionnellement accueillent des fumeurs, nous avons prévu un délai supplémentaire, un délai d'adaptation, compte tenu des investissements que certains auront à faire, et donc c'est au 1er janvier 2008 que, pour les bars-tabac, restaurants, discothèques, la mesure interviendra. C'est un délai maximal, mais un certain nombre d'entre elles, je l'imagine, se mettront en conformité. Certaines entreprises par exemple - je vois le cas de RTL - ont déjà décidé d'interdire le tabac. Non, ce que nous souhaitons, c'est que très progressivement tout le monde se mettre au diapason, en tout cas tous ceux qui, bars-tabac, cafés, restaurants, peuvent le faire le plus rapidement possible. Mais la mesure générale intervient dès le 1er février 2007.
Nicolas BEYTOUT : Alors le mot "lieux publics" est un petit peu ambigu. Est-ce que ça veut dire - mais je suppose que non - que le tabac sera interdit dans la rue ? On pourra toujours fumer, je suppose, dans la rue ?
Dominique de VILLEPIN : Bien sûr, on pourra...
Nicolas BEYTOUT : C'est un lieu public !
Dominique de VILLEPIN : ... on pourra toujours fumer dans la rue. La mesure concernera, au 1er février 2007, les écoles, les lycées, les collèges, les administrations, les entreprises, les magasins, y compris les cours de récréation. Et bien sûr, dans les lieux privés, la possibilité de fumer restera entière.
Nicolas BEYTOUT : Donc quelles sanctions vous prévoyez pour ceux qui ne respectent pas ces obligations nouvelles ?
Dominique de VILLEPIN : Alors les sanctions, ce seront les amendes forfaitaires : 75 euros pour le contrevenant, la personne ; et pour les personnes responsables des établissements, l'amende sera doublée. Et nous aurons un corps de contrôle important qui sera mobilisé. Xavier BERTRAND, qui est ici, que je salue, qui présentera le détail de ces mesures, sera bien évidemment chargé, dans la préparation du décret, de prévoir l'ensemble des conditions qui présideront à l'organisation de cette interdiction.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Est-ce que vous avez l'idée de la réduction de consommation que cela va entraîner, d'une part, et d'autre part, pour les fumeurs invétérés, qui vont se trouver dans cette situation, est-ce que vous prévoyez des mesures d'accompagnement, une aide, notamment au niveau de la santé ?
Dominique de VILLEPIN : Alors le bénéfice en termes de santé publique est un bénéfice que nous attendons rapide. Si nous prenons l'exemple de ce qui se passe en Italie, une étude épidémiologique vient d'être faite sur la Lombardie, il est apparu qu'après cinq mois d'interdiction du tabac, pour les moins de 60 ans il y avait déjà 10 % de réduction des maladies cardiovasculaires. C'est un chiffre impressionnant. Ce qui montre que dans ce domaine nous attendons très rapidement une amélioration de la santé publique, comme nous l'avons vu dans d'autres domaines - je pense à la sécurité routière. Nous souhaitons d'ailleurs mesurer l'impact sur la santé publique chaque mois, voir les gains, l'amélioration de la situation, et nous établirons donc un indice, un critère, un baromètre permettant de savoir exactement ce qui se passe. Alors il faut dire que pour en arriver là, nous avons multiplié les concertations. C'est le travail qu'a fait Xavier BERTRAND. Nous avons reçu à la fois les professionnels de santé, les associations de lutte contre le tabac, les professionnels, bars-tabac, restaurants, toutes les professions les plus directement concernées, pour véritablement essayer d'arriver à la meilleure décision possible. Et puis nous avons bénéficié, et il faut le dire, des travaux remarquables de la mission parlementaire présidée par Claude EVIN, Pierre MORANGE qui est ici, que je salue, qui a été le rapporteur. Et nous avons voulu suivre le plus complètement les propositions de cette commission.
Jean-Michel APHATIE : Et vous vous en éloignez sur un point, c'est-à-dire que vous différenciez tout de même le moment où l'interdiction interviendra dans les lieux publics.
Dominique de VILLEPIN : Alors vous avez raison, vous avez raison...
Jean-Michel APHATIE : Pourquoi vous différenciez ?
Dominique de VILLEPIN : ... la mission parlementaire avait proposé une date unique, celle du début septembre. Nous avons considéré, en termes de responsabilité gouvernementale, qu'il était difficile, d'abord, d'attendre. Ma conviction, c'est que les Français sont aujourd'hui prêts. Nous avons beaucoup débattu de cette question, la situation est mûre dans notre pays, compte tenu des expériences que nous connaissons à l'étranger. Par ailleurs, il m'apparaissait difficile, comme chef du Gouvernement, d'engager le gouvernement suivant, alors même que c'est ma responsabilité. Donc j'ai souhaité prendre la date le plus rapprochée possible. Si nous prenons, ce que nous allons faire, le décret dans les prochains jours, le décret donc au mois de novembre, compte tenu des délais de préparation, il faut juridiquement un délai de trois mois pour permettre à ceux qui ont des aménagements à faire, de les faire. Cela nous conduit donc, vous le voyez, au 1er février 2007.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Vous disiez que vous avez beaucoup consulté ; est-ce qu'on est arrivé à un consensus, et notamment, les organisations professionnelles des cafés et tabacs vous ont-elles donné leur feu vert - à partir du moment où vous leur donnez un laps de temps pour s'adapter, si j'ai bien compris ?
Dominique de VILLEPIN : Alors, ils auraient bien sûr souhaité un temps plus long, d'environ cinq ans. Nous avons, au terme des consultations, considéré qu'en une année il y avait la possibilité d'avancer. Nous avons souhaité par ailleurs prendre les mesures permettant d'accompagner la reconversion de certaines activités, car il faudra bien sûr, en termes de chiffre d'affaires, qu'ils puissent trouver de nouvelles activités, prendre les mesures pratiques, pour ceux qui le souhaiteraient, et en particulier les fumoirs, qui seront strictement réglementés : c'est-à-dire des pièces fermées, hermétiquement closes, avec des extracteurs de fumée, où le personnel n'aura pas la possibilité d'entrer.
Nicolas BEYTOUT : D'accord, donc dans un café, une zone fumeurs sera isolée du reste du café, et sera fermée totalement ?
Dominique de VILLEPIN : Complètement fermée.
Nicolas BEYTOUT : Et on ne pourra pas servir de consommations ?
Dominique de VILLEPIN : Et on ne pourra pas servir de consommations, c'est-à-dire que le personnel sera protégé. Nous préciserons dans le décret de façon très stricte les règles concernant ces pièces fumeurs.
Nicolas BEYTOUT : Le président de la Confédération des débitants de tabac, il y a quelques jours, disait - je le cite : " On voudrait faire descendre les buralistes dans la rue qu'on ne s'y prendrait pas autrement. " Est-ce que vous avez aujourd'hui un certain nombre d'assurances sur la façon dont ça va se passer... ?
Dominique de VILLEPIN : Oui, ce n'est pas du tout l'état d'esprit des entretiens que nous avons pu avoir avec la profession, qu'il s'agisse des hôteliers, qu'il s'agisse des bars-tabac. Je crois que chacun comprend bien aujourd'hui à quel point il est important d'aller vers cet impératif de santé publique. Dès lors que la décision est prise, je crois qu'il est important que nous prenions nos responsabilités. Ce que souhaite chacune de ces professions, c'est que l'Etat dise clairement ce qu'il souhaite - eh bien, c'est fait. Nous pensons que c'est un impératif de santé publique qui s'impose à tous. Nous prenons en compte le délai nécessaire pour les aménagements, et je crois que la mesure elle est simple, elle est claire, et que chacun aujourd'hui peut la comprendre.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Une baisse de la consommation, pardonnez-moi cette question prosaïque, mais c'est une baisse des recettes de l'Etat ; est-ce que vous avez estimé ce manque à gagner pour l'Etat, en taxes sur le tabac ?
Dominique de VILLEPIN : Alors, en termes de santé publique, ce n'est pas un argument qui rentre en ligne de compte. Je l'ai redit, je le redis, nous avons deux chiffres qui sont très forts : 60 000 morts par an liés directement à la consommation, 5 000 liés au tabagisme passif. Je crois que cela mérite des décisions, et qu'aucune contrainte financière ne peut peser dans ce sens.
Jean-Michel APHATIE : Les pouvoirs publics aideront-ils ceux qui souhaitent arrêter de fumer à le faire ?
Dominique de VILLEPIN : Alors nous souhaitons accompagner, bien sûr, les fumeurs, tous ceux qui souhaitent arrêter, et nous prendrons à notre charge l'Assurance maladie, nous prendrons à notre charge une partie des frais pour cela. Et je prends le cas d'un traitement anti-fumeur, eh bien nous prendrons en charge un tiers du coût de ces traitements. Si l'on prend l'exemple d'un traitement avec des patchs, ça fait environ 150 euros, donc un tiers, ça représente le premier mois de ce traitement.
Jean-Michel APHATIE : Et vous évaluez la totalité de la somme que vous consacrerez à ce type d'aide ? Vous avez une idée ?
Dominique de VILLEPIN : Nous avons, et Xavier Bertrand précisera l'ensemble de ces éléments, mais nous avons fait les études nécessaires. Nous travaillons sérieusement, Monsieur APHATIE !
Jean-Michel APHATIE : Je vois !
Nicolas BEYTOUT : Il y a des mesures qui avaient été assez efficaces, il y a quelques années, mesures d'augmentations très, très fortes du prix du tabac. Est-ce que vous allez à nouveau augmenter le prix du tabac, pour accompagner ces mesures d'interdiction ?
Dominique de VILLEPIN : Ecoutez, nous n'avons pas pris de dispositions en ce sens, mais bien évidemment nous suivrons attentivement la situation. Nous pensons que la santé publique exige des mesures claires et un engagement fort de la part du gouvernement, c'est ce que nous faisons. A partir de là, bien sûr, la politique de santé s'adaptera aux nécessités.
Nicolas BEYTOUT : 60 000 morts directs, 65 000 morts si on compte le tabagisme passif. Il y a un autre problème de santé publique qui a trait à la consommation, je veux parler de l'alcool. Est-ce qu'un jour votre gouvernement lancera une étude sur l'interdiction de la consommation d'alcool par exemple dans des lieux publics, ou est-ce que c'est quelque chose qui est totalement hors de portée ?
Dominique de VILLEPIN : Alors c'est une préoccupation très forte. Quand nous voyons les ravages que cause l'alcoolisme, chez les hommes, chez les femmes, chez les jeunes, et la progression de la consommation d'alcool est tout à fait préoccupante, et c'est un dossier auquel nous voulons nous attaquer, en effet. Il y a une éducation à la consommation, qui est très importante. Je crois qu'il faut que chacun comprenne mieux les mécanismes qui conduisent à l'alcoolisme. Donc nous travaillons, avec Xavier BERTRAND, sur cette question, car je crois qu'il y a un gros travail pédagogique à faire vis-à-vis des plus jeunes, et permettre à tous ceux qui tombent dans l'alcoolisme de s'en sortir. Je crois qu'il y a là une responsabilité collective, sur laquelle il nous faut travailler.
Jean-Michel APHATIE : Et on peut imaginer à terme une interdiction... à terme, pas dans les mois qui viennent, mais on peut imaginer à terme que ce type d'interdiction soit nécessaire aussi... ?
Dominique de VILLEPIN : Monsieur APHATIE, je ne crois pas. Je ne crois pas, et je vais vous dire pourquoi. Je crois que nous sommes dans des sociétés de liberté. Nous ne pouvons pas interdire tout. Beaucoup d'activités humaines sont dangereuses ; il faut apprendre à se positionner, à réguler son propre comportement. Ce qui relève de la liberté individuelle doit relever de la liberté individuelle. Néanmoins, la responsabilité de la société c'est d'encadrer, d'expliquer, d'informer, de limiter les risques, d'accompagner le traitement de ceux qui en ont besoin - certainement pas d'interdire à tours de bras quand ce n'est pas nécessaire.
Nicolas BEYTOUT : Si on vous écoute bien, c'est un décret qui est privatif de liberté ; pourquoi est-ce que vous n'avez pas demandé aux députés et aux sénateurs de se prononcer ? Après tout, c'est quelque chose d'important que la représentation parlementaire se prononce sur une telle privation de liberté ?
Dominique de VILLEPIN : La mission parlementaire, qui a fait, je le redis, un travail formidable, et je remercie Claude Evin et l'ensemble des membres, Pierre Morange, de ce travail, qui nous a permis d'aller très au fond des questions...
Nicolas BEYTOUT : Oui, mais ce n'est pas un vote.
Dominique de VILLEPIN : ... s'est posée cette question. Or, il est apparu que si nous voulions aller vite, il fallait utiliser la voie réglementaire, la voie du décret.
Nicolas BEYTOUT : ...plus difficile vis-à-vis d'un certain nombre de lobbies, ou... ?
Dominique de VILLEPIN : Je crois que la première raison, c'est-à-dire la nécessité d'aller vite, est importante. Il y a une deuxième raison, c'est que je crois qu'il est nécessaire aussi, quand on veut prendre ses responsabilités, c'est le cas de notre gouvernement, c'est aussi la responsabilité de l'Etat, eh bien, de l'assumer pleinement. Nous assumons pleinement cette nécessité, et à partir de là nous prenons les dispositions qui sont nécessaires.
Jean-Michel APHATIE : Voilà, sans doute avons-nous été très complets sur ce point, mais l'information est importante. Donc l'interdiction de fumer dans les lieux publics, vous l'annoncez au "Grand Jury", Dominique de VILLEPIN, à partir du 1er février 2007.
Dominique de VILLEPIN : Alors, il faut le rappeler aussi, nous avons prévu de multiplier les consultations tabac dans les hôpitaux. Il y a actuellement 500 consultations, il y en aura 1 000. C'est dire à quel point nous voulons faire en sorte que ceux qui veulent arrêter de fumer puissent le faire en connaissance de cause.
Jean-Michel APHATIE : L'actualité nous fournit une circonstance malheureuse, qui nous oblige à nous tourner vers la Russie : une journaliste indépendante, Anna Politkovskaïa couvrait le conflit tchétchène, elle a été assassinée hier, dans des conditions... elle est morte, elle a été tuée par quelqu'un, des gens qui lui ont tiré dessus. Enfin, sa mort est violente, bien sûr, et elle jette comme ça une ombre sur ce que devient la Russie. Quels commentaires vous inspire ce fait divers... ?
Dominique de VILLEPIN : D'abord, une très profonde émotion. Anna Politkovskaïa était une femme remarquable, une grande journaliste. Et nous sommes attachés, partout, à la défense de la liberté de la presse, de la liberté d'opinion. Le combat qu'elle menait pour cette liberté d'informer est un combat essentiel dans le monde d'aujourd'hui.
Jean-Michel APHATIE : Son combat tenait à la dénonciation de l'attitude de l'armée russe en Tchétchénie, qui peut-être n'a pas été dénoncée comme cela le méritait, en Occident notamment.
Dominique de VILLEPIN : Le combat pour l'information, sur l'ensemble des sujets - vous évoquez la Tchétchénie, et...
Jean-Michel APHATIE : Et c'était celui-là, son combat.
Dominique de VILLEPIN : ... et, Monsieur APHATIE, j'ai suffisamment souvent évoqué, à chacun de mes déplacements à Moscou, et avec tous les dirigeants russes, cette question, pour pouvoir de ce point de vue vous dire à quel point je suis attaché à la défense de cette liberté, de cette règle démocratique. Ce sont des sujets que nous ne pouvons pas éviter de traiter. Mais sur cette affaire, je crois qu'il est très important que la lumière puisse être faite, et je souhaite donc que les autorités russes puissent très rapidement faire la lumière, que les travaux d'enquête nécessaires puissent être faits. Par ailleurs, un certain nombre d'organismes européens - c'est le cas de l'OSCE, c'est le cas du Conseil de l'Europe - peuvent apporter dans ce cadre-là des éléments permettant de faciliter la mise à jour de la vérité, et je souhaite bien sûr que tout ce travail soit fait.
Jean-Michel APHATIE : Et cela vous inquiète-t-il, sur l'évolution de la Russie, et du pouvoir de Vladimir Poutine ?
Dominique de VILLEPIN : La situation partout à travers la planète, là où des libertés peuvent être menacées, est un sujet de vigilance et de conscience pour notre pays.
Jean-Michel APHATIE : Et en Russie ? L'évolution de la Russie telle qu'on la voit à travers ce fait divers ?
Dominique de VILLEPIN : En Russie... bien sûr, mais tout fait divers - et qui est plus, d'ailleurs, qu'un fait divers -, toute situation de ce type nous interpelle, et nous avons à regarder très attentivement les choses, et à faire en sorte que les actions et les positions qui sont les nôtres prennent en compte bien sûr ces éléments si importants.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Vous dites : toute situation de ce type nous interpelle. Mais, très précisément, en ce qui concerne la Russie, est-ce que vous estimez qu'il conviendrait peut-être d'être plus explicites dans notre condamnation de l'évolution de la démocratie en Russie quand on rencontre par exemple Vladimir Poutine, comme l'a fait Jacques CHIRAC il y a quelques jours ?
Dominique de VILLEPIN : Alors la France, comme pays défenseur des droits de l'Homme, a une responsabilité particulière. Et cette responsabilité, nous avons toujours voulu l'assumer, quelles que soient les situations, quels que soient les régimes. Et la vigilance doit être une vigilance qui n'est pas à géométrie variable, mais qui doit être une vigilance de principe. La Russie, ne l'oublions pas, c'est un partenaire important, et il est essentiel pour un pays comme la France, compte tenu de ce qu'est l'Europe aujourd'hui, d'entretenir de bonnes relations avec la Russie. Je ne parle même pas de l'importance d'une relation économique, commerciale, en matière énergétique, avec ce pays. Donc nous avons besoin aujourd'hui de relations...
Nicolas BEYTOUT : Mais est-ce qu'il ne faut pas changer quand même un peu le discours ? Il y a cette journaliste, Anna Politkovskaïa, il y a la Géorgie - une chasse aux Géorgiens est manifestement lancée en Russie -, il y a les menaces répétées - et d'ailleurs mises en oeuvre - de l'arme énergétique, il y a ce monsieur Khodorkovski qui est en prison depuis des mois, un peu plus d'un an maintenant ; ça fait quand même beaucoup, beaucoup de menaces. Est-ce que l'Europe peut continuer à parler de la même manière à la Russie, en disant : au fond, c'est un grand pays, et il faut avoir de bonnes relations avec lui ?
Dominique de VILLEPIN : Vous posez la question de l'Europe, mais c'est une question que vous pourriez poser pour l'ensemble des Etats. Je crois que nous devons intégrer ces situations et ces données si importantes en matière de droits de l'Homme et de démocratie dans le dialogue, et avoir un dialogue très franc. Le dialogue...
Nicolas BEYTOUT : Est-ce que la France par exemple ne doit pas être plus demanderesse, plus exigeante, vis-à-vis de Poutine ?
Dominique de VILLEPIN : Mais la France est exigeante...
Jean-Michel APHATIE : ... Angela MERKEL, par exemple, qui a l'air d'être plus...
Dominique de VILLEPIN : ... non, non, non, je peux vous dire que de ce point de vue-là, nous n'avons de leçons...
Jean-Michel APHATIE : ...plus franche quand il s'agit de dénoncer ?
Dominique de VILLEPIN : ... non, de ce point de vue-là, nous n'avons de leçons à recevoir de personne, ni des Etats-Unis, ni de n'importe quel autre pays européen. Nous faisons ce qui doit être fait. Et il nous faut intégrer, dans la nécessité d'avoir des relations avec un Etat comme la Russie... quand il s'agit de régler une question comme celle de la Corée du Nord, ou de l'Iran, avec qui parle-t-on ? On parle avec la Russie. Les Etats-Unis parlent avec la Russie. L'ensemble des pays d'Asie parlent avec la Russie. Donc, distinguons ce que doit être la relation entre des Etats, et ce que doit être l'attitude exigeante d'un pays comme la France, ou d'autres pays, sur des questions comme celle des droits de l'Homme. Je crois que cette question de la morale dans les relations internationales est une question importante, parce qu'il faut bien sûr que ces questions soient évoquées, nous avons besoin d'un dialogue très franc et très responsables sur ces questions - nous ne devons pas nous mettre en position de nous exclure d'un dialogue. Car nous avons vu trop souvent ceux qui voulaient donner des leçons de morale à tort et à travers s'exclure de cette relation, et les pays se durcir. Donc nous devons prendre en compte cette exigence, qui est de faire avancer les choses. Nous devons avoir une exigence de résultats, faire avancer les choses, faire évoluer les situations, si nous voulons être efficaces.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Il y a le problème des respects des droits de l'Homme, et il y a aussi les problèmes géostratégiques. Et j'aimerais avoir votre opinion : est-ce que, de votre point de vue, la Géorgie par exemple, ou l'Ukraine, doivent demeurer dans l'orbite de la Russie, comme le souhaite visiblement Vladimir POUTINE, ou est-ce qu'il faut progressivement les sortir de cette orbite pour les mettre, je dirais, dans l'orbite européenne ?
Dominique de VILLEPIN : Il est normal que des pays souverains - vous avez cité la Géorgie et l'Ukraine - puissent avoir des relations avec qui bon leur semble, et donc qu'ils soient indépendants, qu'ils puissent mener cette politique en toute indépendance paraît une évidence. Il y a les liens de l'histoire, il y a des relations de voisinage. Ce que nous souhaitons, c'est que l'on puisse à la fois avoir de bonnes relations avec les pays voisins - c'est ce que nous faisons, nous, en Europe -, et en même temps, défendre la politique que l'on souhaite. Nous sortons...
Pierre-Luc SÉGUILLON : Mais est-ce que vous sentez une volonté impériale de la part de la Russie aujourd'hui ?
Dominique de VILLEPIN : ... mais, nous sortons d'une longue période difficile dans les relations de ces Etats avec la Russie et l'ancienne Union Soviétique. Qu'il y ait une période délicate, c'est normal. Que nous fassions tout pour permettre qu'un cap soit franchi, et que de bonnes relations puissent se développer, cela me paraît nécessaire aussi. Donc, que la France, que l'Europe jouent un rôle pour faciliter ces rapports, un rôle d'explication, un rôle de pédagogie, c'est tout à fait essentiel.
Jean-Michel APHATIE : Les propos de Nicolas SARKOZY à ce propos ne vous ont sans doute pas échappé. C'est une revue un peu confidentielle, qui s'appelle Le meilleur des mondes, qui paraîtra le 12 octobre, Nicolas SARKOZY dit, dans une interview tout entière consacrée à la politique étrangère, que la France échange des principes contre la "real politique", et il poursuit en disant : "Je ne peux pas accepter qu'au prétexte d'avoir de bons rapports avec la Chine ou la Russie, on s'abstienne de dire ce que l'on pense." Donc les critiques viennent de votre camp, Dominique de VILLEPIN.
Dominique de VILLEPIN : Non, non, je crois qu'on ne peut pas tirer de conclusions de ces propos-là...
Jean-Michel APHATIE : Ce sont des propos qui sont une critique, tout de même, de la diplomatie française.
Dominique de VILLEPIN : Cherchons, au-delà des mots, une illustration concrète de cette situation. Quel pays donneriez-vous aujourd'hui en exemple sur la scène internationale, d'une politique qui permette à la fois une bonne relation d'Etat à Etat et une exigence morale qui puisse être considérée comme parfaite ? Il n'y en a pas. Tout simplement parce que c'est difficile. Donc il faut en permanence chercher à concilier ces deux exigences. C'est ce que la France fait. Alors on cherche à faire mieux, c'est l'évidence. Qu'on puisse aujourd'hui considérer qu'il y a un modèle à suivre qui s'imposerait à nous, je dis : ce modèle n'existe pas. C'est une exigence que nous devons porter en nous. Que, dans le cadre d'une campagne électorale, on cherche à se positionner, à se distinguer, quoi de plus naturel ?
Jean-Michel APHATIE : Vous le prenez seulement comme ça ? C'est juste un positionnement de campagne électorale, ça n'est pas un jugement sur le fond de la politique qui est menée, de la part de Nicolas SARKOZY ?
Dominique de VILLEPIN : Je pense que l'épreuve des faits est une épreuve redoutable en politique. Parler des choses, c'est une chose ; vivre les choses et mener une politique, c'est autre chose. Ce que je peux vous dire, c'est qu'ayant présidé à la diplomatie française pendant deux ans, et ayant travaillé longtemps avec Jacques CHIRAC, l'exigence de la politique française c'est de porter cette exigence le plus loin possible. Et je serais curieux de savoir comment on peut aller plus loin dans la dénonciation, tout en gardant ce dialogue nécessaire, pour faire avancer le dossier iranien, pour faire avancer le dossier coréen, pour faire avancer le dossier énergétique. Vous voyez bien qu'il y a là quelque chose qui peut apparaître comme contradictoire, qui exige donc beaucoup de savoir-faire, beaucoup d'exigence morale, et c'est cette exigence-là que nous voulons porter. Mais tout l'exercice, Monsieur APHATIE, est d'application ; c'est bien un domaine où je me garderai de donner des leçons.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Alors vous le rappeliez à l'instant, vous avez dirigé la diplomatie française. Dans ce même entretien, Nicolas SARKOZY dit : "Il faut que la politique étrangère et la défense cessent d'être le domaine réservé du chef de l'Etat". J'aimerais avoir votre opinion, à la fois d'ancien ministre des Affaires étrangères, et puis d'homme qui se met dans une tradition gaulliste - si je ne me trompe ?
Dominique de VILLEPIN : Tout à fait, et c'est pour ça que je ne veux pas me satisfaire de mots. Domaine réservé, pas domaine réservé - sortons de ces querelles...
Pierre-Luc SÉGUILLON : La pratique ?
Dominique de VILLEPIN : ... voilà, la pratique. Qui prend la décision, dans le pays qui est le nôtre, la France, d'engager nos forces ? Le président de la République. Et s'il s'agissait d'en faire autrement, eh bien nous verrions alors notre diplomatie sans doute considérablement brouillée. Qui exerce la responsabilité en matière de dissuasion ? Le président de la République. Ce ne sont pas des choses qu'on peut mettre sur la place publique. Une grande démocratie qui veut agir efficacement dans ce domaine, qui veut être crédible, compte tenu de la taille, de la puissance de la France, eh bien elle a besoin d'avoir la capacité de parler d'une seule voix. Donc vous le voyez...
Jean-Michel APHATIE : ...l'engagement des troupes, les parlementaires disent leur mot ?
Nicolas BEYTOUT : ...les parlementaires, et ce que critique Nicolas SARKOZY dans cet entretien, c'est effectivement par exemple sur la guerre en Irak, la position de la France n'a pas été débattue et votée par le Parlement. Même chose sur le Liban : au fond, il n'y a pas eu de vote sur l'engagement des forces françaises au Liban. Et est-ce que cette notion...
Dominique de VILLEPIN : Mais il y a eu débat...
Nicolas BEYTOUT : Pas de vote, précisément.
Dominique de VILLEPIN : ... il y a eu débat. Sur des domaines aussi importants, nous faisons mieux qu'avant. C'est-à-dire que nous nous attachons à défendre un consensus. Tout le travail que j'ai fait comme ministre des Affaires étrangères, sous l'égide du président de la République, dans le cadre de notre politique en Irak, c'est de défendre un consensus dans notre pays. Et il y a eu un consensus sur la position française en Irak, pour définir la position française. Sur le Liban, il y a...
Nicolas BEYTOUT : Pourquoi ne pas passer par un vote, dans ce cas ?
Dominique de VILLEPIN : ... il y a un consensus.
Nicolas BEYTOUT : Pourquoi les députés ne sont pas appelés à exprimer leur... ?
Dominique de VILLEPIN : Parce que le débat, le débat permet aux députés d'exprimer leur voix, mais la diplomatie, et le travail que nous faisons en relation avec les parlementaires, nous permet de dégager ce consensus, et nous y sommes profondément attachés.
Nicolas BEYTOUT : Il y a beaucoup de pays dans lesquels c'est différent. Les Etats-Unis, l'Angleterre, l'Allemagne aussi.
Dominique de VILLEPIN : Mais il y a beaucoup qui ne fonctionnent pas comme la France, mais il y a beaucoup de pays qui ne sont pas la France.
Nicolas BEYTOUT : Non mais, en quoi est-ce que ce serait gênant ? Je veux dire, il y a eu des consensus dans d'autres pays qui...
Dominique de VILLEPIN : Ce qui me paraît important, c'est de défendre l'efficacité et la crédibilité de la diplomatie française. Le fait que nous ayons un président de la République qui soit à la fois la voix et la main de la France, à la fois dans le domaine de la défense et à la fois dans le domaine diplomatique, nous donne l'énergie et la force nécessaire pour avancer. Je prends un exemple : nous dépensons chaque année plus de 30 et quelques milliards pour notre armée. Le fait que le président de la République soit engagé dans cette politique de défense, qu'il soit non seulement le premier responsable, mais qu'il ait la responsabilité suprême dans ce domaine, donne le poids au président de la République pour faire des arbitrages qui ne sont pas simples. Est-ce que vous croyez qu'au cours des dernières années nous aurions tenu, pour bâtir une politique de défense indépendante, pour bâtir un effort militaire comme nous l'avons fait, pour rentrer dans la professionnalisation, si le président de la République n'avait pas pesé de tout son poids ? Donc je crois qu'il faut faire attention de ne pas banaliser notre effort diplomatique, ou de banaliser notre effort de défense. Si nous voulons garder un cap, si nous voulons rester un pays - si vous me le permettez - un peu différent des autres, dont la voix est attendue et entendue, faisons en sorte que cette capacité qui est la nôtre de pouvoir décider, dans des délais très courts, d'envoyer des troupes au Liban, de faire face à une situation de crise dans tel et tel pays, c'est une capacité unique. Et quand les Etats-Unis parlent de la France, c'est avec le respect d'un pays qui a cette capacité de se porter sur le front des crises extrêmement rapidement. Je crois qu'il faut avoir conscience de cette situation française, et ne pas mettre en danger cette efficacité et cette légitimité de notre action diplomatique et militaire.
Jean-Michel APHATIE : On le voit dans ce dossier, on l'a vu dans beaucoup d'autres, les approches de Nicolas SARKOZY aujourd'hui divergent assez notablement des vôtres. Comment définiriez-vous votre... ?
Dominique de VILLEPIN : Je ne me définis pas sur un plan politique par rapport à ces questions. Je me définis par rapport à l'expérience qui est la mienne, et par rapport à mes convictions gaullistes.
Jean-Michel APHATIE : D'accord. Comment définiriez-vous... ?
Dominique de VILLEPIN : Mon expérience, au-delà des mots, c'est qu'il faut être vigilant sur ces questions, et tant qu'on n'a pas connu ces situations, tant qu'on n'a pas exercé de fonction dans ces domaines, il faut être attentif à bien réfléchir, bien observer, pour ne pas défaire ce que nous avons mis longtemps à construire. La crédibilité...
Jean-Michel APHATIE : Vous suggérez que Nicolas SARKOZY n'a pas assez réfléchi à ce qu'il dit ?
Dominique de VILLEPIN : ... non, ce que je veux dire, c'est que la crédibilité et l'indépendance de la France sont des choses que nous avons héritées du général De Gaulle, que nous avons patiemment conquises - faisons en sorte de ne pas tout perdre en un jour.
Jean-Michel APHATIE : Ma question c'était : comment définiriez-vous aujourd'hui vos relations avec Nicolas SARKOZY ?
Dominique de VILLEPIN : Ce sont de bonnes relations d'un chef du gouvernement avec l'un de ses ministres.
Jean-Michel APHATIE : Mais qui sont en opposition sur...
Dominique de VILLEPIN : Et qui est par ailleurs président de l'UMP.
Jean-Michel APHATIE : ... qui sont en opposition sur beaucoup de dossiers concrets, et qui ont aussi, visiblement, une approche philosophique différente des choses ?
Dominique de VILLEPIN : Mais c'est la chance de notre famille politique. Nous avons...
Jean-Michel APHATIE : Vous croyez vraiment ?
Dominique de VILLEPIN : ... oui, je le crois, profondément.
Jean-Michel APHATIE : Il n'y a pas beaucoup de perturbations, du coup ? On ne se demande pas si... ?
Dominique de VILLEPIN : Non, il y a un débat. Il y a un débat. Non mais, que vous, vous ayez des états d'âme, Monsieur APHATIE, et d'autres avec vous...
Jean-Michel APHATIE : Ah, moi je n'ai pas d'états d'âme, enfin... !
Dominique de VILLEPIN : ... c'est votre droit. Mais je pense que pour les Français, c'est une garantie, et c'est une chance, c'est un atout. Quand vous avez des personnalités différentes, des personnalités fortes, qui ont une expérience et des convictions... prenez le cas de madame Alliot-Marie, qui a mis en oeuvre toute son énergie et sa détermination, sous l'égide du président de la République, pour bâtir notre politique militaire ; quand nous prenons des personnalités comme Xavier Bertrand - je le salue, parce qu'il est ici -, eh bien ce sont des engagements très forts ; Gilles de Robien, en matière d'éducation. Que chacun ait sa voix, que chacun ait son rôle, c'est très bien.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Mais attendez, pardonnez-moi, mais quand vous entendez Nicolas SARKOZY expliquer que le comportement, la manière dont la France a défendu sa décision sur la guerre d'Irak était arrogante, ça ne vous donne pas des boutons ?
Dominique de VILLEPIN : Mais je suis...
Pierre-Luc SÉGUILLON : Parce que c'était vous qui portiez la diplomatie, à l'époque. C'est vous qui avez tenu le discours aux Nations unies.
Dominique de VILLEPIN : ... oui, mais je n'ai pas d'ego, donc je ne juge pas cela par rapport à moi. J'essaie de tirer les leçons de l'expérience que nous avons vécue. Et je crois qu'on peut tout dire de la diplomatie française dans cette période, sauf de l'arrogance. C'est une diplomatie qui a été courageuse, nous avons eu le courage de porter une conviction et une vision, qui se sont avérées justes - je ne connais pas aujourd'hui un pays qui contredit la justesse de la position de la France. Et, c'est vrai, nous avons été en pointe. C'est nous qui avons porté sur le front des nations cette exigence. Et nous l'avons fait parce que les autres pays, dans le cadre des Nations unies, membres des Nations unies, nous le demandaient. Comment auraient-ils pu tenir face aux pressions américaines de l'époque, si la France n'avait pas dit clairement ce qu'elle faisait ? En d'autres termes, si nous n'avions pas fait ce que nous avons fait, eh bien, les Nations unies auraient vraisemblablement voté la résolution autorisant les Etats-Unis à user de la force en Irak. C'est vous dire que le risque de confrontation entre l'Orient et l'Occident, le risque de choc des civilisations aurait été extrêmement grand. Nous avons pris une responsabilité historique, nous en avons eu conscience à l'époque, et je crois que c'était une sage décision.
Jean-Michel APHATIE : Voyez, ça paraît simple, mais pourtant Nicolas SARKOZY a du mal à le comprendre.
Dominique de VILLEPIN : Mais parce que l'expérience, l'expérience dans ces domaines est irremplaçable.
Jean-Michel APHATIE : Eh bien voilà. Eh bien on se retrouve après le journal, à tout de suite.
Jean-Michel APHATIE : Nous sommes de retour dans le grand studio de RTL, avec vous, Dominique de VILLEPIN. Dans un peu plus de six mois maintenant - le temps passe ! -, les Français vont voter. Pour le premier tour de l'élection présidentielle, un sondage SOFRES pour " Le Grand Jury " place Nicolas SARKOZY à 39 % des intentions de vote, c'est-à-dire très haut. C'est le candidat de l'UMP aujourd'hui ? C'est le candidat de votre camp, Nicolas SARKOZY, Dominique de VILLEPIN ?
Dominique de VILLEPIN : Nous avons un calendrier, et il faut respecter ce calendrier. Donc le moment venu...
Jean-Michel APHATIE : Respecter le calendrier, bien sûr, mais quand on regarde le paysage - vous disiez tout à l'heure, à propos d'autre chose, qu'il fallait être attentif aux faits -, la domination de Nicolas SARKOZY vous apparaît-elle, comme elle nous apparaît à nous, ou pas ?
Dominique de VILLEPIN : Je me réjouis que nous ayons dans notre camp aujourd'hui un candidat qui soit salué par l'opinion. C'est une très bonne chose, et je m'en félicite. Mais une fois de plus, nous ne sommes pas dans le temps de la campagne présidentielle. Nous avons dit, le président de la République, je l'ai répété, que nous souhaitions une année d'action pour le gouvernement, une année utile - c'est ce que nous essayons de faire. Nous concentrons toute notre tâche, tous nos efforts, pour faire avancer la réponse aux préoccupations des Français : l'emploi, le chômage, la croissance, le désendettement. C'est à ces questions qu'il nous faut répondre, et, vous en conviendrez, nous avons beaucoup de travail.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Vous avez déclaré que vous aviez un calendrier ; est-ce que le calendrier tel qu'il a été défini par l'UMP vous semble adéquat ? Autrement dit, est-ce que la désignation par l'UMP de son candidat, je crois, autour du 14 janvier, vous semble prématurée ? Et de votre point de vue, est-ce qu'il faudrait attendre, par exemple, que le président de la République se soit prononcé ?
Dominique de VILLEPIN : Je prends acte de la situation, je ne crois pas qu'il faille débattre à l'infini de savoir si c'est un bon ou un mauvais calendrier, est-ce qu'on pourrait retarder d'une semaine, d'un peu plus ou d'un peu moins. Je crois que ce n'est pas le sujet. L'UMP se réunit pour choisir, non pas une investiture donnée à un candidat, mais pour apporter son soutien à un candidat - très bien. Le président de la République a indiqué qu'il se déterminerait dans le courant du premier trimestre de l'année prochaine, eh bien attendons, soyons patients.
Nicolas BEYTOUT : Est-ce que vous imaginez que ce soutien apporté à un candidat puisse être contourné par d'autres ? On a beaucoup évoqué à la fin de la semaine la candidature éventuelle de Michèle Alliot-Marie ; manifestement, ce n'est pas encore le temps pour elle de se déclarer, mais est-ce qu'on pourrait imaginer plusieurs candidatures issues de la famille actuelle de l'UMP ?
Dominique de VILLEPIN : Nous avons un héritage - je parle pour les gaullistes, mais peut-être aussi pour d'autres, dans notre famille -, qui est de considérer que cette élection présidentielle c'est d'abord la rencontre entre un homme, une femme et le peuple français. Donc c'est pour cela que nous avons pris beaucoup de soin à dire : notre famille politique, l'UMP, apportera son soutien, et en particulier son soutien financier, à un candidat - et c'est son droit le plus strict. Mais si d'autres avaient le sentiment de pouvoir jouer un rôle, de pouvoir s'engager, eh bien ce choix pourrait être le leur. Et vous évoquez le cas de Michèle Alliot-Marie, c'est une femme de grand talent, qui a montré ses capacités dans le cadre du gouvernement. Moi je respecte la liberté des uns et des autres.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Je ne vais pas vous demander si vous êtes candidat, mais je vais vous demander si...
Dominique de VILLEPIN : Merci !
Pierre-Luc SÉGUILLON : ... vous avez dit que...
Dominique de VILLEPIN : Je vous remercie !...
Jean-Michel APHATIE : Il connaît la réponse !
Pierre-Luc SÉGUILLON : ... je connais, enfin, j'ai déjà entendu la réponse ! Mais est-ce que vous pensez...
Dominique de VILLEPIN : Bien ! Comme quoi, on ne prêche pas complètement dans le désert !
Pierre-Luc SÉGUILLON : ... que vous consacrer totalement à l'action, comme vous dites, comme vous le faites, et ce que vous faites, jusqu'au dernier moment, vous interdit, le cas échéant, si nécessité venait, d'être candidat ?
Dominique de VILLEPIN : J'ai indiqué clairement quelle était ma position sur ce sujet. Nous avons une responsabilité, ceux qui sont au gouvernement, une mission, c'est de travailler au service des Français. Nous entrerons, au début de l'année prochaine, dans une autre étape, qui sera celle de la campagne présidentielle, et à partir de là, chacun d'entre nous devra prendre sa responsabilité. Ça veut dire quoi ? Et moi j'ai fixé ma doctrine : j'ai fait le choix de l'unité, je crois qu'il faut que nous avancions unis, rassemblés ; et, je l'ai dit clairement, je soutiendrai celui ou celle qui, dans notre famille politique, sera le mieux placé pour défendre nos valeurs, pour rassembler...
Nicolas BEYTOUT : C'est-à-dire, celui qui aura été désigné ?
Dominique de VILLEPIN : ...celui ou celle qui sera le mieux placé pour gagner, pour rassembler notre famille, et pour défendre nos idées et nos valeurs.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Tout à l'heure, en vous écoutant évoquer l'entretien accordé par Nicolas SARKOZY à la revue, sur la politique étrangère, Le meilleur des mondes, j'ai cru comprendre que vous étiez quand même assez inquiet sur la manière dont il mènerait la politique étrangère s'il le faisait comme cet entretien...
Dominique de VILLEPIN : Vous savez, je...
Pierre-Luc SÉGUILLON : ... pardon, je vais jusqu'au bout de ma question : est-ce que vous n'avez pas d'inquiétude sur la candidature de Nicolas SARKOZY ? Autrement dit, pour aller brutalement aux choses, est-ce que vous le trouvez à la dimension du rôle ?
Dominique de VILLEPIN : Vous l'avez évoqué vous-même, il s'agit d'un entretien donné dans une revue qui s'appelle Le meilleur des mondes - c'est tout un programme !
Jean-Michel APHATIE : Ah !
Dominique de VILLEPIN : Qu'on puisse se laisser aller à rêver à une autre politique... mais c'est très bien, ça fait partie des choses possibles, il est normal que dans la vie politique on agite des idées. Lorsque viendra le temps d'exprimer des propositions devant les Français, des propositions qui engagent une famille politique et qui engagent le candidat d'une famille politique, je crois qu'il faudra que nous soyons très attentifs et très concernés, c'est-à-dire qu'il faudra que nous en parlions. Vous évoquez la place et le rôle de la France dans le monde, la question de défense, quelle politique militaire, la question de notre idée de la République : que faire face à la montée des communautés, à la montée de l'insécurité ? Est-ce que nous pouvons nous permettre, nous Français, de rester français dans un monde mondialisé, tout en préservant notre identité ? Voilà des questions auxquelles je serai, bien sûr, non seulement attentif, mais où je défendrai mes convictions.
Nicolas BEYTOUT : Est-ce que vous avez le sentiment que, compte tenu de l'offre politique actuelle, et du sentiment de succès, auprès de l'opinion en tout cas, que rencontrent des candidatures qui se placent souvent sous le signe de la nouveauté, est-ce que vous avez le sentiment qu'une candidature nouvelle de Jacques CHIRAC serait opportune ?
Dominique de VILLEPIN : D'abord, le président Jacques CHIRAC est président de la République, il n'est pas question de me prononcer à sa place, et la vue qui est la vôtre est, si vous me le permettez, très humblement, un tout petit peu déplacée. Ce n'est pas à moi à avoir un jugement sur cette opportunité. Le président de la République joue un rôle essentiel dans les institutions, chacun voit l'importance qu'il a dans la défense de la cohésion de la nation, il incarne cette unité de la nation, et le chemin que nous avons parcouru au fil des dernières années montre bien avec quel engagement il s'est battu, et il se bat. Je crois que c'est une responsabilité essentielle. Le président de la République fera son choix en toute liberté - en toute liberté.
Jean-Michel APHATIE : Dominique de VILLEPIN, souhaitez-vous que la réforme du statut pénal du chef de l'Etat soit adoptée avant la fin de la législature ?
Dominique de VILLEPIN : Oui. Oui, et le président de la République l'a dit très clairement...
Jean-Michel APHATIE : Pas tout à fait.
Dominique de VILLEPIN : Si.
Jean-Michel APHATIE : Le président de la République a dit qu'il souhaitait que la Commission des lois examine le texte.
Dominique de VILLEPIN : Oui, enfin, ça veut dire...
Jean-Michel APHATIE : Ma question est un peu différente : souhaitez-vous que cette réforme... ?
Dominique de VILLEPIN : ... ça veut dire que nous engageons le processus pour faire en sorte que ce projet de loi puisse être adopté.
Jean-Michel APHATIE : Avant la fin de la législature ? Comme ça, c'est dit. Votre gouvernement, enfin, la législature a été inaugurée sur la base du programme présidentiel de Jacques CHIRAC sous le signe de la tolérance zéro et de la lutte contre l'insécurité. Les violences faites aux personnes, depuis un an maintenant, connaissent une recrudescence ; la crise des banlieues a également eu lieu, il y a un an. Quelquefois on a le sentiment que, sur le dossier de la sécurité, le gouvernement n'a pas réussi.
Dominique de VILLEPIN : Je crois qu'il faut peut-être y regarder, Monsieur APHATIE, d'un tout petit peu plus près...
Jean-Michel APHATIE : En tout cas, il y a beaucoup de violence encore, et l'insécurité demeure dans la vie quotidienne des gens.
Dominique de VILLEPIN : La délinquance générale, depuis 2002, a baissé dans notre pays de 10 %, et la délinquance de voie publique, de plus de 20 %, de 23 % également. Si nous prenons les quatre dernières années de Lionel Jospin, l'augmentation de la délinquance générale était de 14 %, et pour ce qui concerne la voie publique, c'était une augmentation de plus de 10 %. Donc vous voyez le contraste. Nous avons beaucoup travaillé, et je crois qu'il faut saluer l'action tout à fait remarquable de Nicolas SARKOZY dans ce domaine. Nous sommes confrontés...
Jean-Michel APHATIE : Mais on voit les problèmes, on voit les banlieues, on voit...
Dominique de VILLEPIN : ...oui, mais je crois qu'il faut affiner le diagnostic. Quelle est la réalité des choses ? Nous avons un problème en ce qui concerne les violences aux personnes. Ce problème, c'est celui de toutes les démocraties. Les autres pays européens, les Etats-Unis sont confrontés à cette augmentation des violences aux personnes. Par ailleurs, dans certains lieux, il y a une concentration de problèmes : le chômage, problèmes de cohésion urbaine, probl??mes de cohésion sociale, problèmes de violence. Et par ailleurs, on constate dans ces lieux qu'on s'en prend systématiquement aux représentants de l'autorité - je pense aux forces de l'ordre, je pense aux infirmiers, je pense aux pompiers. Il y a là des symboles qui sont violemment attaqués. Tout cela est inacceptable, et se double d'une violence des mineurs plus forte - je pense notamment aux jeunes entre 8 et 12 ans. Tout cela est inacceptable, d'abord parce que chacun voit bien les conséquences en matière de sécurité, et puis parce que c'est une atteinte à notre République. Et nous devons donc défendre cette exigence, faire en sorte qu'il n'y ait ni banalisation de la violence, quelle que soit la violence - je pense : vols de scooters, vols de voitures, incivilités. Il doit y avoir une sanction. Il ne doit pas y avoir de sentiment d'impunité dans notre pays. Quand un jeune est interpellé, et que, le lendemain, la personne qui a été agressée le croise dans une cité, eh bien c'est une situation intolérable. Il faut donc...
Nicolas BEYTOUT : Est-ce que ça signifie que les juges ne sont pas assez sévères ?
Dominique de VILLEPIN : ... alors il faut donc, d'abord, que nous adaptions nos sanctions, que nous soyons plus exigeants. Et c'est le travail que nous sommes en train de faire : aller encore plus loin dans ce domaine. D'abord, des sanctions systématiques, pour l'ensemble des délits, pour l'ensemble des incivilités. Une sanction...
Nicolas BEYTOUT : Qu'est-ce que ça veut dire, systématiques ?
Dominique de VILLEPIN : C'est-à-dire qu'on ne peut pas avoir d'infractions...
Nicolas BEYTOUT : Automatiques ?
Dominique de VILLEPIN : ... non, pas automatiques ; ne pas avoir d'infractions qui ne soient pas sanctionnées. Deuxièmement, des sanctions plus rapides. Le délai de réponse est très important. Si nous laissons passer plusieurs semaines ou plusieurs mois entre l'infraction commise et la réponse apportée, vous l'imaginez, c'est beaucoup moins efficace. A Paris, cette réponse, le délai de réponse est de huit mois. Nous avons donc décidé, dans le cadre du projet de loi de prévention de la délinquance, de faire en sorte qu'il puisse y avoir une présentation immédiate en ce qui concerne les mineurs. Un fait commis peut, au terme de la garde-à-vue, dans les heures ou jours qui suivent, le jeune doit passer devant un juge, qui prononce sa décision. Nous devons par ailleurs avoir une réponse, des sanctions plus graduées. On ne doit pas avoir pour seule alternative, soit une admonestation - en gros, engueuler un jeune : "ce n'est pas bien" -, ou la prison. Il faut avoir une gamme de réponses plus vaste : travaux d'intérêt général, sanctions éducatives. Donc il faut... ou décision de placer les jeunes dans des centres fermés. Nous devons avoir une gamme plus vaste. Enfin...
Nicolas BEYTOUT : Est-ce qu'il faut modifier l'ordonnance de 45 ?
Dominique de VILLEPIN : ... enfin, nous devons avoir une réponse plus dure. C'est pour cela que nous avons adopté une nouvelle loi dans ce domaine en 2005, qui permet de prendre en compte la récidive dans les sanctions qui sont prises.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Mais si les outils existent...
Dominique de VILLEPIN : Vous savez, l'ordonnance de 45, vous me posez la question, l'ordonnance de 1945, nous y avons touché 70 fois.
Nicolas BEYTOUT : Oui, mais est-ce qu'il faut la modifier ? En particulier, le fait que les jeunes, à 16 ans, ne sont plus les jeunes qui avaient 16 ans il y a 40 ans, donc... les comportements sont évidemment très différents. Est-ce qu'il faut être plus sévère ?
Dominique de VILLEPIN : Il faut évidemment adapter notre réponse. Quand je parle de présentation immédiate pour les jeunes, c'est un dispositif qui n'existait pas, et qui sera prévu par le projet de loi de prévention de la délinquance.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Vous dites : adapter notre réponse ; est-ce qu'on ne manque pas cruellement d'outils ? Et vous avez évoqué les structures fermées pour des mineurs. Apparemment, on en parle depuis des années, et il ne s'en construit, ou il ne s'en organise que fort peu ?
Dominique de VILLEPIN : Il faut le temps de les construire, et nous avons progressé dans ce domaine - il faut faire davantage. Mais nous devons être en mesure, quand un jeune dans une cité crée une situation inacceptable pour le voisinage, ou dans son école, eh bien il faut prévoir des mesures d'éloignement. Pour cela, la réponse des centres fermés est adaptée à ce type de situation.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Pour prendre l'exemple du tribunal de Bobigny, qui a été mis en cause, les magistrats ont dit : on a besoin de moyens. On leur a promis 25 éducateurs supplémentaires - ils en voulaient 30, d'ailleurs, mais enfin, on fait ce qu'on peut. Mais ils demandaient surtout des structures fermées pour les... et il n'y en a pas.
Dominique de VILLEPIN : Ils ont parfaitement raison. Prenons le cas que vous prenez, le tribunal de Bobigny. 200 000 affaires traitées par an, c'est tout à fait considérable. Il y a 115 magistrats qui sont dans cette instance. Nous avons renforcé leurs moyens. Quand j'ai été en 2004 ministre de l'Intérieur, avec Dominique Perben, nous avons décidé de rénover les locaux, parce qu'il y avait une exiguïté qui ne rendait pas la situation propice à une justice sereine. Nous avons décidé d'augmenter considérablement le budget de la justice. En 2007, c'est un des budgets qui augmentent le plus rapidement : plus de 5 %. Donc, ne l'oublions pas, puisque nous parlons des magistrats : une magistrature, des juges, ils sont le reflet de la volonté d'un pays, ils appliquent la loi que nous avons votée. Donc je crois qu'il ne faut pas faire de procès d'intention à la justice. Il faut au contraire remarquer le travail formidable et difficile qu'ils font, tout comme les forces de l'ordre, un travail admirable sur le terrain, et qui n'est pas sans risques. Nous devons leur donner plus de moyens, nous devons faire un effort de coordination beaucoup plus fort. Pascal Clément, quand il a été à Bobigny, a réuni les représentants de la justice et les préfets ; je veux, à sa demande, réunir très prochainement les représentants des Parquets, et en même temps les préfets. Nous devons donc travailler tous ensemble. C'est ainsi que nous adapterons effectivement notre réponse.
Jean-Michel APHATIE : Quand le ministre de l'Intérieur a mis en cause, dans la chaîne pénale, le laxisme des juges, on a eu l'impression qu'il a rencontré un écho parmi l'opinion publique, et puis parmi beaucoup de parlementaires de l'UMP, aussi. Etes-vous sûr, quand vous dites ce que vous dites, d'être au diapason de ce que les gens ressentent, Dominique de VILLEPIN ?
Dominique de VILLEPIN : Ce que je dis, c'est que la justice fait un travail difficile, et que les juges utilisent les moyens juridiques qui sont...
Jean-Michel APHATIE : Donc il n'y a pas de raison de mettre en cause un supposé laxisme des juges ?
Dominique de VILLEPIN : Il n'y a aucune raison de mettre en cause la justice, je le répète, qui fait un travail difficile. Que nous...
Nicolas BEYTOUT : Lorsque, dans les événements des banlieues de l'année dernière, 185 mineurs sont arrêtés, et un seul est écroué, est-ce que vous considérez que là, le dispositif législatif et réglementaire étant ce qu'il est, les juges ont bien fait leur travail ?
Dominique de VILLEPIN : Mais les juges font bien leur travail...
Nicolas BEYTOUT : Donc il n'y a pas de problèmes de sévérité, de laxisme, en aucun cas ?
Dominique de VILLEPIN : Non. Il faut renforcer les moyens dont disposent les juges, renforcer la gamme, parce que la prison n'est pas toujours la meilleure solution - le côté éducatif de la prison est pour le moins discuté dans un certain nombre de cas. Il faut donc être sévère, plus sévère, avec des moyens adaptés. Mais je crois que c'est un problème de moyens, un problème de coordination, et un problème d'intégration de la chaîne pénale : c'est-??-dire, il faut faire en sorte que les forces de l'ordre, la justice, marquent une continuité de l'action de la chaîne pénale. Donc je prends en compte, bien sûr, la situation d'exaspération dans laquelle sont un grand nombre de nos citoyens, et je crois que face à cela, il faut apporter des réponses concrètes sur le terrain, de façon à améliorer les choses.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Est-ce que vous approuvez les opérations policières médiatisées, qu'on a vues par exemple aux Tarterets ou aux Mureaux ?
Dominique de VILLEPIN : Non. Je suis tout à fait de la même idée que le ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur : des actions spectacles dans ce domaine ne sont pas la solution, et ne sont pas souhaitables. Il faut une sérénité à la justice, comme il faut une sérénité à la police ou aux forces de l'ordre quand elles interviennent. Donc je suis contre...
Pierre-Luc SÉGUILLON : ... au ministre de l'Intérieur, ou aux syndicats de police, ou... ?
Dominique de VILLEPIN : ... non, le ministre de l'Intérieur l'a clairement dit, ce n'est pas lui qui a informé les journalistes de l'opération qui était en cours à ce moment-là. Je crois que la position qu'il a prise est une position extrêmement claire : nous ne devons pas nous engager dans cette voie, ce serait dangereux et inopérant pour notre démocratie.
Jean-Michel APHATIE : Une baisse des impôts avait été promise, elle a été réalisée pour partie. Mais on appris la semaine dernière que la pression fiscale, elle, en France, avait augmenté pendant la législature : nous en sommes maintenant à 44 %, 4 points au-dessus de la moyenne des pays qui nous environnent. C'est un échec, pour vous ?
Dominique de VILLEPIN : Alors vous confondez, vous mélangez, plus exactement, l'ensemble des données : c'est-à-dire les impôts de l'Etat...
Jean-Michel APHATIE : Les impôts ont baissé, et la pression fiscale a augmenté.
Dominique de VILLEPIN : ... les impôts de l'Etat, les budgets sociaux, et des collectivités...
Jean-Michel APHATIE : Des collectivités territoriales.
Dominique de VILLEPIN : ... absolument.
Jean-Michel APHATIE : Mais au total, la pression fiscale a augmenté.
Dominique de VILLEPIN : Alors, c'est bien pour ça que nous avons, et nous voulons inverser cette tendance, et c'est pour cela que nous avons engagé un effort si important, en matière de désendettement d'un côté, et en matière de baisse des impôts de l'autre, en 2007. C'est un effort tout à fait considérable que nous faisons : 6 milliards de baisses d'impôts, qui seront appliquées essentiellement pour les revenus moyens, à 80 %, qui bénéficieront donc aux revenus moyens, entre 1 500 et 3 000 euros. Donc vous le voyez bien, notre volonté d'avancer dans ce sens est très importante.
Jean-Michel APHATIE : On économise de l'argent d'un côté, on en donne de l'autre, ce qui fait que les gens ont l'impression que leur pouvoir d'achat, il diminue plutôt, au total.
Dominique de VILLEPIN : Mais vous posez la question de la bonne coordination entre le budget de l'Etat, le budget de la Sécurité sociale, et les collectivités locales. Et c'est bien une mobilisation générale que nous voulons organiser, et c'est pour cela que j'ai réuni la grande conférence sur le désendettement, qui réunit l'ensemble de ces acteurs, pour les sensibiliser à ces questions. Nous voulons que les prélèvements baissent dans notre pays, donc c'est une responsabilité collective.
Nicolas BEYTOUT : Vous avez promis une autre grande conférence, celle-là sur les revenus et sur l'emploi, qui se tiendra dans quelques semaines, début décembre. Qu'est-ce que vous allez demander à cette conférence ? Est-ce que l'objectif est de faire en sorte que le pouvoir d'achat augmente tout de suite, est-ce qu'il est de trouver les moyens de faire en sorte que les entreprises augmentent les salaires ? Comment ça va se passer, dans votre esprit ?
Dominique de VILLEPIN : Alors si vous me permettez, un mot sur le pouvoir d'achat, avant d'expliquer pourquoi je veux faire cette conférence sur le revenu et l'emploi. La situation en matière de pouvoir d'achat dans notre pays est une situation difficile. Il y a un malaise...
Nicolas BEYTOUT : Oui, votre ministre de l'Economie a dit que jamais il n'avait augmenté aussi vite que dans les derniers semestres.
Dominique de VILLEPIN : ... oui, mais c'est vrai, c'est vrai des statistiques - il n'empêche que la réalité des choses vécues par les Françaises et les Français, c'est le sentiment de frustration et de malaise...
Nicolas BEYTOUT : Bien que le pouvoir d'achat augmente, c'est ça ?
Dominique de VILLEPIN : ... il y a une réalité. D'abord, la vie est chère - on l'a vu avec le passage à l'euro. Il y a ensuite des dépenses quotidiennes qui sont importantes ; je prends le logement, l'évolution et la variation du coût de l'énergie, les nouvelles dépenses technologiques - si on prend l'internet à haut débit, le portable, les dépenses d'ordinateur. Toutes ces dépenses-là pèsent lourd au quotidien pour les ménages. Il y a par ailleurs deux sentiments d'injustice de la part des Français. Le premier, c'est que leur niveau de vie n'est pas à la hauteur du travail qu'ils font, qu'ils n'en ont pas pour le travail qu'ils font. Et ça c'est quelque chose que nous devons prendre en compte, et auquel je veux apporter des réponses. Deuxième sentiment d'injustice, c'est qu'ils ont parfois le sentiment qu'ils payent pour des personnes qui ne le méritent pas, ou qui abusent du système - c'est un certain nombre de fraudes, on l'a vu, à la Sécurité sociale, et c'est pour cela que nous voulons une photo systématiquement pour la carte Vitale, c'est pour cela que nous avons durci les conditions de résidence pour les étrangers en matière de bénéfices de Sécurité sociale ; de la même façon pour le RMI. Je prends un exemple : les Bouches-du-Rhône, le conseil général a lancé une grande opération de vérification pour le RMI - dont il faut rappeler que c'est un instrument très important de cohésion sociale pour les plus défavorisés -, et il a constaté qu'il y avait 8 000 personnes qui ne respectaient pas les règles et qui fraudaient. Il faut bien sûr en tirer les conséquences sur le plan de la justice. Alors face à ça, il faut apporter des réponses. C'est ce que nous avons fait à travers un certain nombre de mesures récentes : le doublement de la prime pour l'emploi, quasiment un 13e mois que nous apportons ; l'allocation étudiante de rentrée, nouveauté pour les étudiants ; la loi participation, qui prévoira la possibilité d'actions gratuites et qui améliorera la participation en particulier dans les petites entreprises, celles de moins de 50 salariés ; le chèque transport. Vous voyez là qu'il y a des dispositions nombreuses qui sont prises. La conférence sur les revenus et l'emploi, qui rassemblera l'ensemble des partenaires sociaux avant la fin de l'année, posera la question du diagnostic : quelles situations en matière de revenus, quelles conséquences de telles et telles mesures que nous pourrions prévoir en matière d'emploi. Et cette conférence sera éclairée par le rapport de Jacques DELORS, le président du Cercle, qui nous dira quelle est la réalité exacte de la situation.
Nicolas BEYTOUT : Mais par exemple, un certain nombre de candidats à gauche ont déjà promis des augmentations très fortes du SMIC, allant même jusqu'à dire : très vite, 1 500 euros par mois. Est-ce que ce genre de sujet sera débattu au sein de la conférence ?
Dominique de VILLEPIN : Mais nous avons augmenté le SMIC, dans les dernières années...
Nicolas BEYTOUT : Oui, mais je parle du futur.
Dominique de VILLEPIN : ... plus que personne auparavant. Si l'on souhaite augmenter davantage le SMIC, il est intéressant de connaître les conséquences pour l'emploi d'une augmentation du SMIC : est-ce qu'on ne va pas risquer de créer une trappe à bas salaires, par exemple ? Donc, que la conférence éclaire ces différentes décisions, cela me paraît une bonne chose. Je souhaite qu'elle puisse se pencher sur un certain nombre de situations particulièrement difficiles, je pense à la situation des femmes en particulier : beaucoup de femmes sont amenées, obligées de travailler à temps partiel, comment faire pour qu'elles puissent travailler un plus grand nombre d'heures. Il y a là des réponses que nous voulons apporter. Je crois que cette conférence c'est vraiment l'occasion d'une mise à plat, c'est l'occasion aussi de recommandations qui peuvent être faites. Donc c'est un débat très important qu'il nous faut ouvrir d'ici la fin de l'année.
Pierre-Luc SÉGUILLON : J'imagine que c'est une autre de vos préoccupations, ce qu'on pourrait appeler l'accident industriel d'EADS. D'abord, est-ce que vous avez des précisions, est-ce que vous confirmez ou vous infirmez les rumeurs selon lesquelles le nouveau patron d'Airbus, Christian Streiff, donnerait sa démission ?
Dominique de VILLEPIN : Non, je n'ai aucune indication en ce sens. Il fait un formidable travail, et donc je pense qu'il n'y aucune raison à ce qu'il y ait démission de la part de Christian Streiff, dont je veux saluer le travail important qu'il a fait au cours des dernières semaines pour engager l'entreprise dans la voie du redressement. Alors...
Pierre-Luc SÉGUILLON : Précisément, il a proposé un plan extrêmement rigoureux.
Dominique de VILLEPIN : ... Airbus est une entreprise emblématique, de la relation franco-allemande, pour l'Europe, de notre qualité technologique. Donc c'est une entreprise à laquelle nous sommes profondément attachés, compte tenu de son savoir-faire. Aujourd'hui, il y a des difficultés industrielles sur le programme A380. Je crois qu'il faut les regarder en face. Elles ont été diagnostiquées par l'entreprise, un plan de redressement a été défini par Christian Streiff. Et il nous faut veiller à deux choses, auxquelles nous devons être extrêmement attentifs. D'abord, qu'Airbus ait les moyens de son redressement. Les discussions sont engagées entre Airbus et EADS pour simplifier le processus de décision interne, aujourd'hui trop complexe. AIRBUS doit être en mesure de prendre les bonnes décisions, et de le faire clairement et rapidement. Deuxièmement, nous devons être vigilants en matière d'emplois...
Nicolas BEYTOUT : Est-ce que ça veut dire qu'il y a un problème - excusez-moi - de gouvernance ? Parce que ça a l'air d'être un des gros sujets de conflit entre Airbus et EADS.
Dominique de VILLEPIN : C'est un sujet...
Nicolas BEYTOUT : Au fond, est-ce que Christian Streiff a les moyens de redresser Airbus aujourd'hui ?
Dominique de VILLEPIN : ... eh bien, nous voulons lui donner ces moyens, à travers un processus de décision plus court. Nous voulons également être vigilants en matière d'emplois, et vous savez que c'est une entreprise qui emploie près de 50 000 personnes, dont 20 000 en France. La première responsabilité, c'est bien sûr celle des actionnaires privés, le groupe Lagardère et Daimler-Benz. L'Etat, quant à lui, veut conforter notre filière aéronautique, et nous voulons renforcer notre pôle de compétitivité dans ce domaine de Toulouse, et bien sûr répondre au problème et à l'inquiétude des sous-traitants, qui aujourd'hui regardent avec angoisse cette situation - Dominique Perben les réunira dans les tout prochains jours.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Mais la volonté de maintenir un équilibre entre l'Allemagne et la France, dans la construction de ces appareils, est-ce que ça ne nuit pas à l'intégration de l'entreprise ?
Dominique de VILLEPIN : Je ne vous ai pas parlé d'équilibre ; je vous ai parlé de souhait d'être efficaces et d'apporter une réponse à l'entreprise. Nous sommes dans un domaine où la première règle c'est l'efficacité. Aujourd'hui, il faut être guidé par une obligation d'efficacité. Voilà une entreprise qui a choisi de répartir son activité à travers un certain nombre de sites. Je crois qu'on doit être guidé par l'excellence : il y a un problème de câblage, il faut régler le problème de câblage. Je crois que c'est ce regard opérationnel, ce regard exigeant, qui doit être au rendez-vous. Et c'est bien ce qu'on attend des industriels, compétents et concernés. Des décisions sont nécessaires, elles doivent être prises.
Jean-Michel APHATIE : On a souvent évoqué, vous concernant, Dominique de VILLEPIN, une possible audition par les juges qui instruisent le dossier Clearstream. Y a-t-il des nouveautés ? Avez-vous été convoqué par la justice, Dominique de VILLEPIN ?
Dominique de VILLEPIN : Je peux être parfaitement clair sur ce sujet, Monsieur APHATIE : je n'accepte ni les calomnies, ni les mensonges qui ont pu être émis dans cette affaire, dont j'ai été victime. Par conséquent...
Jean-Michel APHATIE : La question, c'est sur la convocation des juges.
Dominique de VILLEPIN : ... par conséquent, je suis non seulement prêt à apporter mon témoignage, si nécessaire, à la justice, mais je le souhaite, rapidement.
Jean-Michel APHATIE : Il n'y a pas de convocation pour l'instant ?
Dominique de VILLEPIN : Je n'ai rien reçu, mais, une fois de plus, je souhaite apporter mon témoignage, Monsieur APHATIE - c'est la démocratie.
Jean-Michel APHATIE : Mais l'information qui était recherchée, c'était de savoir s'il y avait une convocation - il n'y en a donc pas.
Dominique de VILLEPIN : Je vous tiendrai informé !
Jean-Michel APHATIE : C'est très gentil ! C'était "Le Grand jury" de Dominique de VILLEPIN, et on se retrouve dimanche prochain. Bonsoir.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 10 octobre 2006
Dominique de VILLEPIN : Bonsoir.
Jean-Michel APHATIE : Vous répondrez aux questions de Pierre-Luc SÉGUILLON, de LCI, et de Nicolas BEYTOUT, du Figaro. Aimez-vous, Dominique de VILLEPIN, de temps en temps, avoir une cigarette dans la main, ou fumer un petit cigare, ça vous arrive ?
Dominique de VILLEPIN : Je n'ai jamais fumé.
Jean-Michel APHATIE : Bon. Alors vous savez que vos propos sont très attendus sur le sujet : allez-vous ou pas, et de quelle manière, interdire la cigarette dans les lieux publics, Dominique de VILLEPIN ?
Dominique de VILLEPIN : Oui. Nous allons, et nous avons décidé d'interdire le tabac dans les lieux publics. Pourquoi ? Nous sommes partis d'un constat simple, deux chiffres : 60.000 morts par an dans notre pays liés directement à la consommation de tabac ; et 5 000 morts liés au tabagisme passif - cela fait plus de 13 morts par jour. C'est une réalité inacceptable dans notre pays, en termes de santé publique. Nous avons donc décidé d'interdire, à compter du 1er février 2007, d'interdire le tabac dans les lieux publics.
Jean-Michel APHATIE : Tous les lieux publics ? Y compris les cafés et restaurants ?
Dominique de VILLEPIN : Alors, pour les établissements qui traditionnellement accueillent des fumeurs, nous avons prévu un délai supplémentaire, un délai d'adaptation, compte tenu des investissements que certains auront à faire, et donc c'est au 1er janvier 2008 que, pour les bars-tabac, restaurants, discothèques, la mesure interviendra. C'est un délai maximal, mais un certain nombre d'entre elles, je l'imagine, se mettront en conformité. Certaines entreprises par exemple - je vois le cas de RTL - ont déjà décidé d'interdire le tabac. Non, ce que nous souhaitons, c'est que très progressivement tout le monde se mettre au diapason, en tout cas tous ceux qui, bars-tabac, cafés, restaurants, peuvent le faire le plus rapidement possible. Mais la mesure générale intervient dès le 1er février 2007.
Nicolas BEYTOUT : Alors le mot "lieux publics" est un petit peu ambigu. Est-ce que ça veut dire - mais je suppose que non - que le tabac sera interdit dans la rue ? On pourra toujours fumer, je suppose, dans la rue ?
Dominique de VILLEPIN : Bien sûr, on pourra...
Nicolas BEYTOUT : C'est un lieu public !
Dominique de VILLEPIN : ... on pourra toujours fumer dans la rue. La mesure concernera, au 1er février 2007, les écoles, les lycées, les collèges, les administrations, les entreprises, les magasins, y compris les cours de récréation. Et bien sûr, dans les lieux privés, la possibilité de fumer restera entière.
Nicolas BEYTOUT : Donc quelles sanctions vous prévoyez pour ceux qui ne respectent pas ces obligations nouvelles ?
Dominique de VILLEPIN : Alors les sanctions, ce seront les amendes forfaitaires : 75 euros pour le contrevenant, la personne ; et pour les personnes responsables des établissements, l'amende sera doublée. Et nous aurons un corps de contrôle important qui sera mobilisé. Xavier BERTRAND, qui est ici, que je salue, qui présentera le détail de ces mesures, sera bien évidemment chargé, dans la préparation du décret, de prévoir l'ensemble des conditions qui présideront à l'organisation de cette interdiction.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Est-ce que vous avez l'idée de la réduction de consommation que cela va entraîner, d'une part, et d'autre part, pour les fumeurs invétérés, qui vont se trouver dans cette situation, est-ce que vous prévoyez des mesures d'accompagnement, une aide, notamment au niveau de la santé ?
Dominique de VILLEPIN : Alors le bénéfice en termes de santé publique est un bénéfice que nous attendons rapide. Si nous prenons l'exemple de ce qui se passe en Italie, une étude épidémiologique vient d'être faite sur la Lombardie, il est apparu qu'après cinq mois d'interdiction du tabac, pour les moins de 60 ans il y avait déjà 10 % de réduction des maladies cardiovasculaires. C'est un chiffre impressionnant. Ce qui montre que dans ce domaine nous attendons très rapidement une amélioration de la santé publique, comme nous l'avons vu dans d'autres domaines - je pense à la sécurité routière. Nous souhaitons d'ailleurs mesurer l'impact sur la santé publique chaque mois, voir les gains, l'amélioration de la situation, et nous établirons donc un indice, un critère, un baromètre permettant de savoir exactement ce qui se passe. Alors il faut dire que pour en arriver là, nous avons multiplié les concertations. C'est le travail qu'a fait Xavier BERTRAND. Nous avons reçu à la fois les professionnels de santé, les associations de lutte contre le tabac, les professionnels, bars-tabac, restaurants, toutes les professions les plus directement concernées, pour véritablement essayer d'arriver à la meilleure décision possible. Et puis nous avons bénéficié, et il faut le dire, des travaux remarquables de la mission parlementaire présidée par Claude EVIN, Pierre MORANGE qui est ici, que je salue, qui a été le rapporteur. Et nous avons voulu suivre le plus complètement les propositions de cette commission.
Jean-Michel APHATIE : Et vous vous en éloignez sur un point, c'est-à-dire que vous différenciez tout de même le moment où l'interdiction interviendra dans les lieux publics.
Dominique de VILLEPIN : Alors vous avez raison, vous avez raison...
Jean-Michel APHATIE : Pourquoi vous différenciez ?
Dominique de VILLEPIN : ... la mission parlementaire avait proposé une date unique, celle du début septembre. Nous avons considéré, en termes de responsabilité gouvernementale, qu'il était difficile, d'abord, d'attendre. Ma conviction, c'est que les Français sont aujourd'hui prêts. Nous avons beaucoup débattu de cette question, la situation est mûre dans notre pays, compte tenu des expériences que nous connaissons à l'étranger. Par ailleurs, il m'apparaissait difficile, comme chef du Gouvernement, d'engager le gouvernement suivant, alors même que c'est ma responsabilité. Donc j'ai souhaité prendre la date le plus rapprochée possible. Si nous prenons, ce que nous allons faire, le décret dans les prochains jours, le décret donc au mois de novembre, compte tenu des délais de préparation, il faut juridiquement un délai de trois mois pour permettre à ceux qui ont des aménagements à faire, de les faire. Cela nous conduit donc, vous le voyez, au 1er février 2007.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Vous disiez que vous avez beaucoup consulté ; est-ce qu'on est arrivé à un consensus, et notamment, les organisations professionnelles des cafés et tabacs vous ont-elles donné leur feu vert - à partir du moment où vous leur donnez un laps de temps pour s'adapter, si j'ai bien compris ?
Dominique de VILLEPIN : Alors, ils auraient bien sûr souhaité un temps plus long, d'environ cinq ans. Nous avons, au terme des consultations, considéré qu'en une année il y avait la possibilité d'avancer. Nous avons souhaité par ailleurs prendre les mesures permettant d'accompagner la reconversion de certaines activités, car il faudra bien sûr, en termes de chiffre d'affaires, qu'ils puissent trouver de nouvelles activités, prendre les mesures pratiques, pour ceux qui le souhaiteraient, et en particulier les fumoirs, qui seront strictement réglementés : c'est-à-dire des pièces fermées, hermétiquement closes, avec des extracteurs de fumée, où le personnel n'aura pas la possibilité d'entrer.
Nicolas BEYTOUT : D'accord, donc dans un café, une zone fumeurs sera isolée du reste du café, et sera fermée totalement ?
Dominique de VILLEPIN : Complètement fermée.
Nicolas BEYTOUT : Et on ne pourra pas servir de consommations ?
Dominique de VILLEPIN : Et on ne pourra pas servir de consommations, c'est-à-dire que le personnel sera protégé. Nous préciserons dans le décret de façon très stricte les règles concernant ces pièces fumeurs.
Nicolas BEYTOUT : Le président de la Confédération des débitants de tabac, il y a quelques jours, disait - je le cite : " On voudrait faire descendre les buralistes dans la rue qu'on ne s'y prendrait pas autrement. " Est-ce que vous avez aujourd'hui un certain nombre d'assurances sur la façon dont ça va se passer... ?
Dominique de VILLEPIN : Oui, ce n'est pas du tout l'état d'esprit des entretiens que nous avons pu avoir avec la profession, qu'il s'agisse des hôteliers, qu'il s'agisse des bars-tabac. Je crois que chacun comprend bien aujourd'hui à quel point il est important d'aller vers cet impératif de santé publique. Dès lors que la décision est prise, je crois qu'il est important que nous prenions nos responsabilités. Ce que souhaite chacune de ces professions, c'est que l'Etat dise clairement ce qu'il souhaite - eh bien, c'est fait. Nous pensons que c'est un impératif de santé publique qui s'impose à tous. Nous prenons en compte le délai nécessaire pour les aménagements, et je crois que la mesure elle est simple, elle est claire, et que chacun aujourd'hui peut la comprendre.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Une baisse de la consommation, pardonnez-moi cette question prosaïque, mais c'est une baisse des recettes de l'Etat ; est-ce que vous avez estimé ce manque à gagner pour l'Etat, en taxes sur le tabac ?
Dominique de VILLEPIN : Alors, en termes de santé publique, ce n'est pas un argument qui rentre en ligne de compte. Je l'ai redit, je le redis, nous avons deux chiffres qui sont très forts : 60 000 morts par an liés directement à la consommation, 5 000 liés au tabagisme passif. Je crois que cela mérite des décisions, et qu'aucune contrainte financière ne peut peser dans ce sens.
Jean-Michel APHATIE : Les pouvoirs publics aideront-ils ceux qui souhaitent arrêter de fumer à le faire ?
Dominique de VILLEPIN : Alors nous souhaitons accompagner, bien sûr, les fumeurs, tous ceux qui souhaitent arrêter, et nous prendrons à notre charge l'Assurance maladie, nous prendrons à notre charge une partie des frais pour cela. Et je prends le cas d'un traitement anti-fumeur, eh bien nous prendrons en charge un tiers du coût de ces traitements. Si l'on prend l'exemple d'un traitement avec des patchs, ça fait environ 150 euros, donc un tiers, ça représente le premier mois de ce traitement.
Jean-Michel APHATIE : Et vous évaluez la totalité de la somme que vous consacrerez à ce type d'aide ? Vous avez une idée ?
Dominique de VILLEPIN : Nous avons, et Xavier Bertrand précisera l'ensemble de ces éléments, mais nous avons fait les études nécessaires. Nous travaillons sérieusement, Monsieur APHATIE !
Jean-Michel APHATIE : Je vois !
Nicolas BEYTOUT : Il y a des mesures qui avaient été assez efficaces, il y a quelques années, mesures d'augmentations très, très fortes du prix du tabac. Est-ce que vous allez à nouveau augmenter le prix du tabac, pour accompagner ces mesures d'interdiction ?
Dominique de VILLEPIN : Ecoutez, nous n'avons pas pris de dispositions en ce sens, mais bien évidemment nous suivrons attentivement la situation. Nous pensons que la santé publique exige des mesures claires et un engagement fort de la part du gouvernement, c'est ce que nous faisons. A partir de là, bien sûr, la politique de santé s'adaptera aux nécessités.
Nicolas BEYTOUT : 60 000 morts directs, 65 000 morts si on compte le tabagisme passif. Il y a un autre problème de santé publique qui a trait à la consommation, je veux parler de l'alcool. Est-ce qu'un jour votre gouvernement lancera une étude sur l'interdiction de la consommation d'alcool par exemple dans des lieux publics, ou est-ce que c'est quelque chose qui est totalement hors de portée ?
Dominique de VILLEPIN : Alors c'est une préoccupation très forte. Quand nous voyons les ravages que cause l'alcoolisme, chez les hommes, chez les femmes, chez les jeunes, et la progression de la consommation d'alcool est tout à fait préoccupante, et c'est un dossier auquel nous voulons nous attaquer, en effet. Il y a une éducation à la consommation, qui est très importante. Je crois qu'il faut que chacun comprenne mieux les mécanismes qui conduisent à l'alcoolisme. Donc nous travaillons, avec Xavier BERTRAND, sur cette question, car je crois qu'il y a un gros travail pédagogique à faire vis-à-vis des plus jeunes, et permettre à tous ceux qui tombent dans l'alcoolisme de s'en sortir. Je crois qu'il y a là une responsabilité collective, sur laquelle il nous faut travailler.
Jean-Michel APHATIE : Et on peut imaginer à terme une interdiction... à terme, pas dans les mois qui viennent, mais on peut imaginer à terme que ce type d'interdiction soit nécessaire aussi... ?
Dominique de VILLEPIN : Monsieur APHATIE, je ne crois pas. Je ne crois pas, et je vais vous dire pourquoi. Je crois que nous sommes dans des sociétés de liberté. Nous ne pouvons pas interdire tout. Beaucoup d'activités humaines sont dangereuses ; il faut apprendre à se positionner, à réguler son propre comportement. Ce qui relève de la liberté individuelle doit relever de la liberté individuelle. Néanmoins, la responsabilité de la société c'est d'encadrer, d'expliquer, d'informer, de limiter les risques, d'accompagner le traitement de ceux qui en ont besoin - certainement pas d'interdire à tours de bras quand ce n'est pas nécessaire.
Nicolas BEYTOUT : Si on vous écoute bien, c'est un décret qui est privatif de liberté ; pourquoi est-ce que vous n'avez pas demandé aux députés et aux sénateurs de se prononcer ? Après tout, c'est quelque chose d'important que la représentation parlementaire se prononce sur une telle privation de liberté ?
Dominique de VILLEPIN : La mission parlementaire, qui a fait, je le redis, un travail formidable, et je remercie Claude Evin et l'ensemble des membres, Pierre Morange, de ce travail, qui nous a permis d'aller très au fond des questions...
Nicolas BEYTOUT : Oui, mais ce n'est pas un vote.
Dominique de VILLEPIN : ... s'est posée cette question. Or, il est apparu que si nous voulions aller vite, il fallait utiliser la voie réglementaire, la voie du décret.
Nicolas BEYTOUT : ...plus difficile vis-à-vis d'un certain nombre de lobbies, ou... ?
Dominique de VILLEPIN : Je crois que la première raison, c'est-à-dire la nécessité d'aller vite, est importante. Il y a une deuxième raison, c'est que je crois qu'il est nécessaire aussi, quand on veut prendre ses responsabilités, c'est le cas de notre gouvernement, c'est aussi la responsabilité de l'Etat, eh bien, de l'assumer pleinement. Nous assumons pleinement cette nécessité, et à partir de là nous prenons les dispositions qui sont nécessaires.
Jean-Michel APHATIE : Voilà, sans doute avons-nous été très complets sur ce point, mais l'information est importante. Donc l'interdiction de fumer dans les lieux publics, vous l'annoncez au "Grand Jury", Dominique de VILLEPIN, à partir du 1er février 2007.
Dominique de VILLEPIN : Alors, il faut le rappeler aussi, nous avons prévu de multiplier les consultations tabac dans les hôpitaux. Il y a actuellement 500 consultations, il y en aura 1 000. C'est dire à quel point nous voulons faire en sorte que ceux qui veulent arrêter de fumer puissent le faire en connaissance de cause.
Jean-Michel APHATIE : L'actualité nous fournit une circonstance malheureuse, qui nous oblige à nous tourner vers la Russie : une journaliste indépendante, Anna Politkovskaïa couvrait le conflit tchétchène, elle a été assassinée hier, dans des conditions... elle est morte, elle a été tuée par quelqu'un, des gens qui lui ont tiré dessus. Enfin, sa mort est violente, bien sûr, et elle jette comme ça une ombre sur ce que devient la Russie. Quels commentaires vous inspire ce fait divers... ?
Dominique de VILLEPIN : D'abord, une très profonde émotion. Anna Politkovskaïa était une femme remarquable, une grande journaliste. Et nous sommes attachés, partout, à la défense de la liberté de la presse, de la liberté d'opinion. Le combat qu'elle menait pour cette liberté d'informer est un combat essentiel dans le monde d'aujourd'hui.
Jean-Michel APHATIE : Son combat tenait à la dénonciation de l'attitude de l'armée russe en Tchétchénie, qui peut-être n'a pas été dénoncée comme cela le méritait, en Occident notamment.
Dominique de VILLEPIN : Le combat pour l'information, sur l'ensemble des sujets - vous évoquez la Tchétchénie, et...
Jean-Michel APHATIE : Et c'était celui-là, son combat.
Dominique de VILLEPIN : ... et, Monsieur APHATIE, j'ai suffisamment souvent évoqué, à chacun de mes déplacements à Moscou, et avec tous les dirigeants russes, cette question, pour pouvoir de ce point de vue vous dire à quel point je suis attaché à la défense de cette liberté, de cette règle démocratique. Ce sont des sujets que nous ne pouvons pas éviter de traiter. Mais sur cette affaire, je crois qu'il est très important que la lumière puisse être faite, et je souhaite donc que les autorités russes puissent très rapidement faire la lumière, que les travaux d'enquête nécessaires puissent être faits. Par ailleurs, un certain nombre d'organismes européens - c'est le cas de l'OSCE, c'est le cas du Conseil de l'Europe - peuvent apporter dans ce cadre-là des éléments permettant de faciliter la mise à jour de la vérité, et je souhaite bien sûr que tout ce travail soit fait.
Jean-Michel APHATIE : Et cela vous inquiète-t-il, sur l'évolution de la Russie, et du pouvoir de Vladimir Poutine ?
Dominique de VILLEPIN : La situation partout à travers la planète, là où des libertés peuvent être menacées, est un sujet de vigilance et de conscience pour notre pays.
Jean-Michel APHATIE : Et en Russie ? L'évolution de la Russie telle qu'on la voit à travers ce fait divers ?
Dominique de VILLEPIN : En Russie... bien sûr, mais tout fait divers - et qui est plus, d'ailleurs, qu'un fait divers -, toute situation de ce type nous interpelle, et nous avons à regarder très attentivement les choses, et à faire en sorte que les actions et les positions qui sont les nôtres prennent en compte bien sûr ces éléments si importants.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Vous dites : toute situation de ce type nous interpelle. Mais, très précisément, en ce qui concerne la Russie, est-ce que vous estimez qu'il conviendrait peut-être d'être plus explicites dans notre condamnation de l'évolution de la démocratie en Russie quand on rencontre par exemple Vladimir Poutine, comme l'a fait Jacques CHIRAC il y a quelques jours ?
Dominique de VILLEPIN : Alors la France, comme pays défenseur des droits de l'Homme, a une responsabilité particulière. Et cette responsabilité, nous avons toujours voulu l'assumer, quelles que soient les situations, quels que soient les régimes. Et la vigilance doit être une vigilance qui n'est pas à géométrie variable, mais qui doit être une vigilance de principe. La Russie, ne l'oublions pas, c'est un partenaire important, et il est essentiel pour un pays comme la France, compte tenu de ce qu'est l'Europe aujourd'hui, d'entretenir de bonnes relations avec la Russie. Je ne parle même pas de l'importance d'une relation économique, commerciale, en matière énergétique, avec ce pays. Donc nous avons besoin aujourd'hui de relations...
Nicolas BEYTOUT : Mais est-ce qu'il ne faut pas changer quand même un peu le discours ? Il y a cette journaliste, Anna Politkovskaïa, il y a la Géorgie - une chasse aux Géorgiens est manifestement lancée en Russie -, il y a les menaces répétées - et d'ailleurs mises en oeuvre - de l'arme énergétique, il y a ce monsieur Khodorkovski qui est en prison depuis des mois, un peu plus d'un an maintenant ; ça fait quand même beaucoup, beaucoup de menaces. Est-ce que l'Europe peut continuer à parler de la même manière à la Russie, en disant : au fond, c'est un grand pays, et il faut avoir de bonnes relations avec lui ?
Dominique de VILLEPIN : Vous posez la question de l'Europe, mais c'est une question que vous pourriez poser pour l'ensemble des Etats. Je crois que nous devons intégrer ces situations et ces données si importantes en matière de droits de l'Homme et de démocratie dans le dialogue, et avoir un dialogue très franc. Le dialogue...
Nicolas BEYTOUT : Est-ce que la France par exemple ne doit pas être plus demanderesse, plus exigeante, vis-à-vis de Poutine ?
Dominique de VILLEPIN : Mais la France est exigeante...
Jean-Michel APHATIE : ... Angela MERKEL, par exemple, qui a l'air d'être plus...
Dominique de VILLEPIN : ... non, non, non, je peux vous dire que de ce point de vue-là, nous n'avons de leçons...
Jean-Michel APHATIE : ...plus franche quand il s'agit de dénoncer ?
Dominique de VILLEPIN : ... non, de ce point de vue-là, nous n'avons de leçons à recevoir de personne, ni des Etats-Unis, ni de n'importe quel autre pays européen. Nous faisons ce qui doit être fait. Et il nous faut intégrer, dans la nécessité d'avoir des relations avec un Etat comme la Russie... quand il s'agit de régler une question comme celle de la Corée du Nord, ou de l'Iran, avec qui parle-t-on ? On parle avec la Russie. Les Etats-Unis parlent avec la Russie. L'ensemble des pays d'Asie parlent avec la Russie. Donc, distinguons ce que doit être la relation entre des Etats, et ce que doit être l'attitude exigeante d'un pays comme la France, ou d'autres pays, sur des questions comme celle des droits de l'Homme. Je crois que cette question de la morale dans les relations internationales est une question importante, parce qu'il faut bien sûr que ces questions soient évoquées, nous avons besoin d'un dialogue très franc et très responsables sur ces questions - nous ne devons pas nous mettre en position de nous exclure d'un dialogue. Car nous avons vu trop souvent ceux qui voulaient donner des leçons de morale à tort et à travers s'exclure de cette relation, et les pays se durcir. Donc nous devons prendre en compte cette exigence, qui est de faire avancer les choses. Nous devons avoir une exigence de résultats, faire avancer les choses, faire évoluer les situations, si nous voulons être efficaces.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Il y a le problème des respects des droits de l'Homme, et il y a aussi les problèmes géostratégiques. Et j'aimerais avoir votre opinion : est-ce que, de votre point de vue, la Géorgie par exemple, ou l'Ukraine, doivent demeurer dans l'orbite de la Russie, comme le souhaite visiblement Vladimir POUTINE, ou est-ce qu'il faut progressivement les sortir de cette orbite pour les mettre, je dirais, dans l'orbite européenne ?
Dominique de VILLEPIN : Il est normal que des pays souverains - vous avez cité la Géorgie et l'Ukraine - puissent avoir des relations avec qui bon leur semble, et donc qu'ils soient indépendants, qu'ils puissent mener cette politique en toute indépendance paraît une évidence. Il y a les liens de l'histoire, il y a des relations de voisinage. Ce que nous souhaitons, c'est que l'on puisse à la fois avoir de bonnes relations avec les pays voisins - c'est ce que nous faisons, nous, en Europe -, et en même temps, défendre la politique que l'on souhaite. Nous sortons...
Pierre-Luc SÉGUILLON : Mais est-ce que vous sentez une volonté impériale de la part de la Russie aujourd'hui ?
Dominique de VILLEPIN : ... mais, nous sortons d'une longue période difficile dans les relations de ces Etats avec la Russie et l'ancienne Union Soviétique. Qu'il y ait une période délicate, c'est normal. Que nous fassions tout pour permettre qu'un cap soit franchi, et que de bonnes relations puissent se développer, cela me paraît nécessaire aussi. Donc, que la France, que l'Europe jouent un rôle pour faciliter ces rapports, un rôle d'explication, un rôle de pédagogie, c'est tout à fait essentiel.
Jean-Michel APHATIE : Les propos de Nicolas SARKOZY à ce propos ne vous ont sans doute pas échappé. C'est une revue un peu confidentielle, qui s'appelle Le meilleur des mondes, qui paraîtra le 12 octobre, Nicolas SARKOZY dit, dans une interview tout entière consacrée à la politique étrangère, que la France échange des principes contre la "real politique", et il poursuit en disant : "Je ne peux pas accepter qu'au prétexte d'avoir de bons rapports avec la Chine ou la Russie, on s'abstienne de dire ce que l'on pense." Donc les critiques viennent de votre camp, Dominique de VILLEPIN.
Dominique de VILLEPIN : Non, non, je crois qu'on ne peut pas tirer de conclusions de ces propos-là...
Jean-Michel APHATIE : Ce sont des propos qui sont une critique, tout de même, de la diplomatie française.
Dominique de VILLEPIN : Cherchons, au-delà des mots, une illustration concrète de cette situation. Quel pays donneriez-vous aujourd'hui en exemple sur la scène internationale, d'une politique qui permette à la fois une bonne relation d'Etat à Etat et une exigence morale qui puisse être considérée comme parfaite ? Il n'y en a pas. Tout simplement parce que c'est difficile. Donc il faut en permanence chercher à concilier ces deux exigences. C'est ce que la France fait. Alors on cherche à faire mieux, c'est l'évidence. Qu'on puisse aujourd'hui considérer qu'il y a un modèle à suivre qui s'imposerait à nous, je dis : ce modèle n'existe pas. C'est une exigence que nous devons porter en nous. Que, dans le cadre d'une campagne électorale, on cherche à se positionner, à se distinguer, quoi de plus naturel ?
Jean-Michel APHATIE : Vous le prenez seulement comme ça ? C'est juste un positionnement de campagne électorale, ça n'est pas un jugement sur le fond de la politique qui est menée, de la part de Nicolas SARKOZY ?
Dominique de VILLEPIN : Je pense que l'épreuve des faits est une épreuve redoutable en politique. Parler des choses, c'est une chose ; vivre les choses et mener une politique, c'est autre chose. Ce que je peux vous dire, c'est qu'ayant présidé à la diplomatie française pendant deux ans, et ayant travaillé longtemps avec Jacques CHIRAC, l'exigence de la politique française c'est de porter cette exigence le plus loin possible. Et je serais curieux de savoir comment on peut aller plus loin dans la dénonciation, tout en gardant ce dialogue nécessaire, pour faire avancer le dossier iranien, pour faire avancer le dossier coréen, pour faire avancer le dossier énergétique. Vous voyez bien qu'il y a là quelque chose qui peut apparaître comme contradictoire, qui exige donc beaucoup de savoir-faire, beaucoup d'exigence morale, et c'est cette exigence-là que nous voulons porter. Mais tout l'exercice, Monsieur APHATIE, est d'application ; c'est bien un domaine où je me garderai de donner des leçons.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Alors vous le rappeliez à l'instant, vous avez dirigé la diplomatie française. Dans ce même entretien, Nicolas SARKOZY dit : "Il faut que la politique étrangère et la défense cessent d'être le domaine réservé du chef de l'Etat". J'aimerais avoir votre opinion, à la fois d'ancien ministre des Affaires étrangères, et puis d'homme qui se met dans une tradition gaulliste - si je ne me trompe ?
Dominique de VILLEPIN : Tout à fait, et c'est pour ça que je ne veux pas me satisfaire de mots. Domaine réservé, pas domaine réservé - sortons de ces querelles...
Pierre-Luc SÉGUILLON : La pratique ?
Dominique de VILLEPIN : ... voilà, la pratique. Qui prend la décision, dans le pays qui est le nôtre, la France, d'engager nos forces ? Le président de la République. Et s'il s'agissait d'en faire autrement, eh bien nous verrions alors notre diplomatie sans doute considérablement brouillée. Qui exerce la responsabilité en matière de dissuasion ? Le président de la République. Ce ne sont pas des choses qu'on peut mettre sur la place publique. Une grande démocratie qui veut agir efficacement dans ce domaine, qui veut être crédible, compte tenu de la taille, de la puissance de la France, eh bien elle a besoin d'avoir la capacité de parler d'une seule voix. Donc vous le voyez...
Jean-Michel APHATIE : ...l'engagement des troupes, les parlementaires disent leur mot ?
Nicolas BEYTOUT : ...les parlementaires, et ce que critique Nicolas SARKOZY dans cet entretien, c'est effectivement par exemple sur la guerre en Irak, la position de la France n'a pas été débattue et votée par le Parlement. Même chose sur le Liban : au fond, il n'y a pas eu de vote sur l'engagement des forces françaises au Liban. Et est-ce que cette notion...
Dominique de VILLEPIN : Mais il y a eu débat...
Nicolas BEYTOUT : Pas de vote, précisément.
Dominique de VILLEPIN : ... il y a eu débat. Sur des domaines aussi importants, nous faisons mieux qu'avant. C'est-à-dire que nous nous attachons à défendre un consensus. Tout le travail que j'ai fait comme ministre des Affaires étrangères, sous l'égide du président de la République, dans le cadre de notre politique en Irak, c'est de défendre un consensus dans notre pays. Et il y a eu un consensus sur la position française en Irak, pour définir la position française. Sur le Liban, il y a...
Nicolas BEYTOUT : Pourquoi ne pas passer par un vote, dans ce cas ?
Dominique de VILLEPIN : ... il y a un consensus.
Nicolas BEYTOUT : Pourquoi les députés ne sont pas appelés à exprimer leur... ?
Dominique de VILLEPIN : Parce que le débat, le débat permet aux députés d'exprimer leur voix, mais la diplomatie, et le travail que nous faisons en relation avec les parlementaires, nous permet de dégager ce consensus, et nous y sommes profondément attachés.
Nicolas BEYTOUT : Il y a beaucoup de pays dans lesquels c'est différent. Les Etats-Unis, l'Angleterre, l'Allemagne aussi.
Dominique de VILLEPIN : Mais il y a beaucoup qui ne fonctionnent pas comme la France, mais il y a beaucoup de pays qui ne sont pas la France.
Nicolas BEYTOUT : Non mais, en quoi est-ce que ce serait gênant ? Je veux dire, il y a eu des consensus dans d'autres pays qui...
Dominique de VILLEPIN : Ce qui me paraît important, c'est de défendre l'efficacité et la crédibilité de la diplomatie française. Le fait que nous ayons un président de la République qui soit à la fois la voix et la main de la France, à la fois dans le domaine de la défense et à la fois dans le domaine diplomatique, nous donne l'énergie et la force nécessaire pour avancer. Je prends un exemple : nous dépensons chaque année plus de 30 et quelques milliards pour notre armée. Le fait que le président de la République soit engagé dans cette politique de défense, qu'il soit non seulement le premier responsable, mais qu'il ait la responsabilité suprême dans ce domaine, donne le poids au président de la République pour faire des arbitrages qui ne sont pas simples. Est-ce que vous croyez qu'au cours des dernières années nous aurions tenu, pour bâtir une politique de défense indépendante, pour bâtir un effort militaire comme nous l'avons fait, pour rentrer dans la professionnalisation, si le président de la République n'avait pas pesé de tout son poids ? Donc je crois qu'il faut faire attention de ne pas banaliser notre effort diplomatique, ou de banaliser notre effort de défense. Si nous voulons garder un cap, si nous voulons rester un pays - si vous me le permettez - un peu différent des autres, dont la voix est attendue et entendue, faisons en sorte que cette capacité qui est la nôtre de pouvoir décider, dans des délais très courts, d'envoyer des troupes au Liban, de faire face à une situation de crise dans tel et tel pays, c'est une capacité unique. Et quand les Etats-Unis parlent de la France, c'est avec le respect d'un pays qui a cette capacité de se porter sur le front des crises extrêmement rapidement. Je crois qu'il faut avoir conscience de cette situation française, et ne pas mettre en danger cette efficacité et cette légitimité de notre action diplomatique et militaire.
Jean-Michel APHATIE : On le voit dans ce dossier, on l'a vu dans beaucoup d'autres, les approches de Nicolas SARKOZY aujourd'hui divergent assez notablement des vôtres. Comment définiriez-vous votre... ?
Dominique de VILLEPIN : Je ne me définis pas sur un plan politique par rapport à ces questions. Je me définis par rapport à l'expérience qui est la mienne, et par rapport à mes convictions gaullistes.
Jean-Michel APHATIE : D'accord. Comment définiriez-vous... ?
Dominique de VILLEPIN : Mon expérience, au-delà des mots, c'est qu'il faut être vigilant sur ces questions, et tant qu'on n'a pas connu ces situations, tant qu'on n'a pas exercé de fonction dans ces domaines, il faut être attentif à bien réfléchir, bien observer, pour ne pas défaire ce que nous avons mis longtemps à construire. La crédibilité...
Jean-Michel APHATIE : Vous suggérez que Nicolas SARKOZY n'a pas assez réfléchi à ce qu'il dit ?
Dominique de VILLEPIN : ... non, ce que je veux dire, c'est que la crédibilité et l'indépendance de la France sont des choses que nous avons héritées du général De Gaulle, que nous avons patiemment conquises - faisons en sorte de ne pas tout perdre en un jour.
Jean-Michel APHATIE : Ma question c'était : comment définiriez-vous aujourd'hui vos relations avec Nicolas SARKOZY ?
Dominique de VILLEPIN : Ce sont de bonnes relations d'un chef du gouvernement avec l'un de ses ministres.
Jean-Michel APHATIE : Mais qui sont en opposition sur...
Dominique de VILLEPIN : Et qui est par ailleurs président de l'UMP.
Jean-Michel APHATIE : ... qui sont en opposition sur beaucoup de dossiers concrets, et qui ont aussi, visiblement, une approche philosophique différente des choses ?
Dominique de VILLEPIN : Mais c'est la chance de notre famille politique. Nous avons...
Jean-Michel APHATIE : Vous croyez vraiment ?
Dominique de VILLEPIN : ... oui, je le crois, profondément.
Jean-Michel APHATIE : Il n'y a pas beaucoup de perturbations, du coup ? On ne se demande pas si... ?
Dominique de VILLEPIN : Non, il y a un débat. Il y a un débat. Non mais, que vous, vous ayez des états d'âme, Monsieur APHATIE, et d'autres avec vous...
Jean-Michel APHATIE : Ah, moi je n'ai pas d'états d'âme, enfin... !
Dominique de VILLEPIN : ... c'est votre droit. Mais je pense que pour les Français, c'est une garantie, et c'est une chance, c'est un atout. Quand vous avez des personnalités différentes, des personnalités fortes, qui ont une expérience et des convictions... prenez le cas de madame Alliot-Marie, qui a mis en oeuvre toute son énergie et sa détermination, sous l'égide du président de la République, pour bâtir notre politique militaire ; quand nous prenons des personnalités comme Xavier Bertrand - je le salue, parce qu'il est ici -, eh bien ce sont des engagements très forts ; Gilles de Robien, en matière d'éducation. Que chacun ait sa voix, que chacun ait son rôle, c'est très bien.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Mais attendez, pardonnez-moi, mais quand vous entendez Nicolas SARKOZY expliquer que le comportement, la manière dont la France a défendu sa décision sur la guerre d'Irak était arrogante, ça ne vous donne pas des boutons ?
Dominique de VILLEPIN : Mais je suis...
Pierre-Luc SÉGUILLON : Parce que c'était vous qui portiez la diplomatie, à l'époque. C'est vous qui avez tenu le discours aux Nations unies.
Dominique de VILLEPIN : ... oui, mais je n'ai pas d'ego, donc je ne juge pas cela par rapport à moi. J'essaie de tirer les leçons de l'expérience que nous avons vécue. Et je crois qu'on peut tout dire de la diplomatie française dans cette période, sauf de l'arrogance. C'est une diplomatie qui a été courageuse, nous avons eu le courage de porter une conviction et une vision, qui se sont avérées justes - je ne connais pas aujourd'hui un pays qui contredit la justesse de la position de la France. Et, c'est vrai, nous avons été en pointe. C'est nous qui avons porté sur le front des nations cette exigence. Et nous l'avons fait parce que les autres pays, dans le cadre des Nations unies, membres des Nations unies, nous le demandaient. Comment auraient-ils pu tenir face aux pressions américaines de l'époque, si la France n'avait pas dit clairement ce qu'elle faisait ? En d'autres termes, si nous n'avions pas fait ce que nous avons fait, eh bien, les Nations unies auraient vraisemblablement voté la résolution autorisant les Etats-Unis à user de la force en Irak. C'est vous dire que le risque de confrontation entre l'Orient et l'Occident, le risque de choc des civilisations aurait été extrêmement grand. Nous avons pris une responsabilité historique, nous en avons eu conscience à l'époque, et je crois que c'était une sage décision.
Jean-Michel APHATIE : Voyez, ça paraît simple, mais pourtant Nicolas SARKOZY a du mal à le comprendre.
Dominique de VILLEPIN : Mais parce que l'expérience, l'expérience dans ces domaines est irremplaçable.
Jean-Michel APHATIE : Eh bien voilà. Eh bien on se retrouve après le journal, à tout de suite.
Jean-Michel APHATIE : Nous sommes de retour dans le grand studio de RTL, avec vous, Dominique de VILLEPIN. Dans un peu plus de six mois maintenant - le temps passe ! -, les Français vont voter. Pour le premier tour de l'élection présidentielle, un sondage SOFRES pour " Le Grand Jury " place Nicolas SARKOZY à 39 % des intentions de vote, c'est-à-dire très haut. C'est le candidat de l'UMP aujourd'hui ? C'est le candidat de votre camp, Nicolas SARKOZY, Dominique de VILLEPIN ?
Dominique de VILLEPIN : Nous avons un calendrier, et il faut respecter ce calendrier. Donc le moment venu...
Jean-Michel APHATIE : Respecter le calendrier, bien sûr, mais quand on regarde le paysage - vous disiez tout à l'heure, à propos d'autre chose, qu'il fallait être attentif aux faits -, la domination de Nicolas SARKOZY vous apparaît-elle, comme elle nous apparaît à nous, ou pas ?
Dominique de VILLEPIN : Je me réjouis que nous ayons dans notre camp aujourd'hui un candidat qui soit salué par l'opinion. C'est une très bonne chose, et je m'en félicite. Mais une fois de plus, nous ne sommes pas dans le temps de la campagne présidentielle. Nous avons dit, le président de la République, je l'ai répété, que nous souhaitions une année d'action pour le gouvernement, une année utile - c'est ce que nous essayons de faire. Nous concentrons toute notre tâche, tous nos efforts, pour faire avancer la réponse aux préoccupations des Français : l'emploi, le chômage, la croissance, le désendettement. C'est à ces questions qu'il nous faut répondre, et, vous en conviendrez, nous avons beaucoup de travail.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Vous avez déclaré que vous aviez un calendrier ; est-ce que le calendrier tel qu'il a été défini par l'UMP vous semble adéquat ? Autrement dit, est-ce que la désignation par l'UMP de son candidat, je crois, autour du 14 janvier, vous semble prématurée ? Et de votre point de vue, est-ce qu'il faudrait attendre, par exemple, que le président de la République se soit prononcé ?
Dominique de VILLEPIN : Je prends acte de la situation, je ne crois pas qu'il faille débattre à l'infini de savoir si c'est un bon ou un mauvais calendrier, est-ce qu'on pourrait retarder d'une semaine, d'un peu plus ou d'un peu moins. Je crois que ce n'est pas le sujet. L'UMP se réunit pour choisir, non pas une investiture donnée à un candidat, mais pour apporter son soutien à un candidat - très bien. Le président de la République a indiqué qu'il se déterminerait dans le courant du premier trimestre de l'année prochaine, eh bien attendons, soyons patients.
Nicolas BEYTOUT : Est-ce que vous imaginez que ce soutien apporté à un candidat puisse être contourné par d'autres ? On a beaucoup évoqué à la fin de la semaine la candidature éventuelle de Michèle Alliot-Marie ; manifestement, ce n'est pas encore le temps pour elle de se déclarer, mais est-ce qu'on pourrait imaginer plusieurs candidatures issues de la famille actuelle de l'UMP ?
Dominique de VILLEPIN : Nous avons un héritage - je parle pour les gaullistes, mais peut-être aussi pour d'autres, dans notre famille -, qui est de considérer que cette élection présidentielle c'est d'abord la rencontre entre un homme, une femme et le peuple français. Donc c'est pour cela que nous avons pris beaucoup de soin à dire : notre famille politique, l'UMP, apportera son soutien, et en particulier son soutien financier, à un candidat - et c'est son droit le plus strict. Mais si d'autres avaient le sentiment de pouvoir jouer un rôle, de pouvoir s'engager, eh bien ce choix pourrait être le leur. Et vous évoquez le cas de Michèle Alliot-Marie, c'est une femme de grand talent, qui a montré ses capacités dans le cadre du gouvernement. Moi je respecte la liberté des uns et des autres.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Je ne vais pas vous demander si vous êtes candidat, mais je vais vous demander si...
Dominique de VILLEPIN : Merci !
Pierre-Luc SÉGUILLON : ... vous avez dit que...
Dominique de VILLEPIN : Je vous remercie !...
Jean-Michel APHATIE : Il connaît la réponse !
Pierre-Luc SÉGUILLON : ... je connais, enfin, j'ai déjà entendu la réponse ! Mais est-ce que vous pensez...
Dominique de VILLEPIN : Bien ! Comme quoi, on ne prêche pas complètement dans le désert !
Pierre-Luc SÉGUILLON : ... que vous consacrer totalement à l'action, comme vous dites, comme vous le faites, et ce que vous faites, jusqu'au dernier moment, vous interdit, le cas échéant, si nécessité venait, d'être candidat ?
Dominique de VILLEPIN : J'ai indiqué clairement quelle était ma position sur ce sujet. Nous avons une responsabilité, ceux qui sont au gouvernement, une mission, c'est de travailler au service des Français. Nous entrerons, au début de l'année prochaine, dans une autre étape, qui sera celle de la campagne présidentielle, et à partir de là, chacun d'entre nous devra prendre sa responsabilité. Ça veut dire quoi ? Et moi j'ai fixé ma doctrine : j'ai fait le choix de l'unité, je crois qu'il faut que nous avancions unis, rassemblés ; et, je l'ai dit clairement, je soutiendrai celui ou celle qui, dans notre famille politique, sera le mieux placé pour défendre nos valeurs, pour rassembler...
Nicolas BEYTOUT : C'est-à-dire, celui qui aura été désigné ?
Dominique de VILLEPIN : ...celui ou celle qui sera le mieux placé pour gagner, pour rassembler notre famille, et pour défendre nos idées et nos valeurs.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Tout à l'heure, en vous écoutant évoquer l'entretien accordé par Nicolas SARKOZY à la revue, sur la politique étrangère, Le meilleur des mondes, j'ai cru comprendre que vous étiez quand même assez inquiet sur la manière dont il mènerait la politique étrangère s'il le faisait comme cet entretien...
Dominique de VILLEPIN : Vous savez, je...
Pierre-Luc SÉGUILLON : ... pardon, je vais jusqu'au bout de ma question : est-ce que vous n'avez pas d'inquiétude sur la candidature de Nicolas SARKOZY ? Autrement dit, pour aller brutalement aux choses, est-ce que vous le trouvez à la dimension du rôle ?
Dominique de VILLEPIN : Vous l'avez évoqué vous-même, il s'agit d'un entretien donné dans une revue qui s'appelle Le meilleur des mondes - c'est tout un programme !
Jean-Michel APHATIE : Ah !
Dominique de VILLEPIN : Qu'on puisse se laisser aller à rêver à une autre politique... mais c'est très bien, ça fait partie des choses possibles, il est normal que dans la vie politique on agite des idées. Lorsque viendra le temps d'exprimer des propositions devant les Français, des propositions qui engagent une famille politique et qui engagent le candidat d'une famille politique, je crois qu'il faudra que nous soyons très attentifs et très concernés, c'est-à-dire qu'il faudra que nous en parlions. Vous évoquez la place et le rôle de la France dans le monde, la question de défense, quelle politique militaire, la question de notre idée de la République : que faire face à la montée des communautés, à la montée de l'insécurité ? Est-ce que nous pouvons nous permettre, nous Français, de rester français dans un monde mondialisé, tout en préservant notre identité ? Voilà des questions auxquelles je serai, bien sûr, non seulement attentif, mais où je défendrai mes convictions.
Nicolas BEYTOUT : Est-ce que vous avez le sentiment que, compte tenu de l'offre politique actuelle, et du sentiment de succès, auprès de l'opinion en tout cas, que rencontrent des candidatures qui se placent souvent sous le signe de la nouveauté, est-ce que vous avez le sentiment qu'une candidature nouvelle de Jacques CHIRAC serait opportune ?
Dominique de VILLEPIN : D'abord, le président Jacques CHIRAC est président de la République, il n'est pas question de me prononcer à sa place, et la vue qui est la vôtre est, si vous me le permettez, très humblement, un tout petit peu déplacée. Ce n'est pas à moi à avoir un jugement sur cette opportunité. Le président de la République joue un rôle essentiel dans les institutions, chacun voit l'importance qu'il a dans la défense de la cohésion de la nation, il incarne cette unité de la nation, et le chemin que nous avons parcouru au fil des dernières années montre bien avec quel engagement il s'est battu, et il se bat. Je crois que c'est une responsabilité essentielle. Le président de la République fera son choix en toute liberté - en toute liberté.
Jean-Michel APHATIE : Dominique de VILLEPIN, souhaitez-vous que la réforme du statut pénal du chef de l'Etat soit adoptée avant la fin de la législature ?
Dominique de VILLEPIN : Oui. Oui, et le président de la République l'a dit très clairement...
Jean-Michel APHATIE : Pas tout à fait.
Dominique de VILLEPIN : Si.
Jean-Michel APHATIE : Le président de la République a dit qu'il souhaitait que la Commission des lois examine le texte.
Dominique de VILLEPIN : Oui, enfin, ça veut dire...
Jean-Michel APHATIE : Ma question est un peu différente : souhaitez-vous que cette réforme... ?
Dominique de VILLEPIN : ... ça veut dire que nous engageons le processus pour faire en sorte que ce projet de loi puisse être adopté.
Jean-Michel APHATIE : Avant la fin de la législature ? Comme ça, c'est dit. Votre gouvernement, enfin, la législature a été inaugurée sur la base du programme présidentiel de Jacques CHIRAC sous le signe de la tolérance zéro et de la lutte contre l'insécurité. Les violences faites aux personnes, depuis un an maintenant, connaissent une recrudescence ; la crise des banlieues a également eu lieu, il y a un an. Quelquefois on a le sentiment que, sur le dossier de la sécurité, le gouvernement n'a pas réussi.
Dominique de VILLEPIN : Je crois qu'il faut peut-être y regarder, Monsieur APHATIE, d'un tout petit peu plus près...
Jean-Michel APHATIE : En tout cas, il y a beaucoup de violence encore, et l'insécurité demeure dans la vie quotidienne des gens.
Dominique de VILLEPIN : La délinquance générale, depuis 2002, a baissé dans notre pays de 10 %, et la délinquance de voie publique, de plus de 20 %, de 23 % également. Si nous prenons les quatre dernières années de Lionel Jospin, l'augmentation de la délinquance générale était de 14 %, et pour ce qui concerne la voie publique, c'était une augmentation de plus de 10 %. Donc vous voyez le contraste. Nous avons beaucoup travaillé, et je crois qu'il faut saluer l'action tout à fait remarquable de Nicolas SARKOZY dans ce domaine. Nous sommes confrontés...
Jean-Michel APHATIE : Mais on voit les problèmes, on voit les banlieues, on voit...
Dominique de VILLEPIN : ...oui, mais je crois qu'il faut affiner le diagnostic. Quelle est la réalité des choses ? Nous avons un problème en ce qui concerne les violences aux personnes. Ce problème, c'est celui de toutes les démocraties. Les autres pays européens, les Etats-Unis sont confrontés à cette augmentation des violences aux personnes. Par ailleurs, dans certains lieux, il y a une concentration de problèmes : le chômage, problèmes de cohésion urbaine, probl??mes de cohésion sociale, problèmes de violence. Et par ailleurs, on constate dans ces lieux qu'on s'en prend systématiquement aux représentants de l'autorité - je pense aux forces de l'ordre, je pense aux infirmiers, je pense aux pompiers. Il y a là des symboles qui sont violemment attaqués. Tout cela est inacceptable, et se double d'une violence des mineurs plus forte - je pense notamment aux jeunes entre 8 et 12 ans. Tout cela est inacceptable, d'abord parce que chacun voit bien les conséquences en matière de sécurité, et puis parce que c'est une atteinte à notre République. Et nous devons donc défendre cette exigence, faire en sorte qu'il n'y ait ni banalisation de la violence, quelle que soit la violence - je pense : vols de scooters, vols de voitures, incivilités. Il doit y avoir une sanction. Il ne doit pas y avoir de sentiment d'impunité dans notre pays. Quand un jeune est interpellé, et que, le lendemain, la personne qui a été agressée le croise dans une cité, eh bien c'est une situation intolérable. Il faut donc...
Nicolas BEYTOUT : Est-ce que ça signifie que les juges ne sont pas assez sévères ?
Dominique de VILLEPIN : ... alors il faut donc, d'abord, que nous adaptions nos sanctions, que nous soyons plus exigeants. Et c'est le travail que nous sommes en train de faire : aller encore plus loin dans ce domaine. D'abord, des sanctions systématiques, pour l'ensemble des délits, pour l'ensemble des incivilités. Une sanction...
Nicolas BEYTOUT : Qu'est-ce que ça veut dire, systématiques ?
Dominique de VILLEPIN : C'est-à-dire qu'on ne peut pas avoir d'infractions...
Nicolas BEYTOUT : Automatiques ?
Dominique de VILLEPIN : ... non, pas automatiques ; ne pas avoir d'infractions qui ne soient pas sanctionnées. Deuxièmement, des sanctions plus rapides. Le délai de réponse est très important. Si nous laissons passer plusieurs semaines ou plusieurs mois entre l'infraction commise et la réponse apportée, vous l'imaginez, c'est beaucoup moins efficace. A Paris, cette réponse, le délai de réponse est de huit mois. Nous avons donc décidé, dans le cadre du projet de loi de prévention de la délinquance, de faire en sorte qu'il puisse y avoir une présentation immédiate en ce qui concerne les mineurs. Un fait commis peut, au terme de la garde-à-vue, dans les heures ou jours qui suivent, le jeune doit passer devant un juge, qui prononce sa décision. Nous devons par ailleurs avoir une réponse, des sanctions plus graduées. On ne doit pas avoir pour seule alternative, soit une admonestation - en gros, engueuler un jeune : "ce n'est pas bien" -, ou la prison. Il faut avoir une gamme de réponses plus vaste : travaux d'intérêt général, sanctions éducatives. Donc il faut... ou décision de placer les jeunes dans des centres fermés. Nous devons avoir une gamme plus vaste. Enfin...
Nicolas BEYTOUT : Est-ce qu'il faut modifier l'ordonnance de 45 ?
Dominique de VILLEPIN : ... enfin, nous devons avoir une réponse plus dure. C'est pour cela que nous avons adopté une nouvelle loi dans ce domaine en 2005, qui permet de prendre en compte la récidive dans les sanctions qui sont prises.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Mais si les outils existent...
Dominique de VILLEPIN : Vous savez, l'ordonnance de 45, vous me posez la question, l'ordonnance de 1945, nous y avons touché 70 fois.
Nicolas BEYTOUT : Oui, mais est-ce qu'il faut la modifier ? En particulier, le fait que les jeunes, à 16 ans, ne sont plus les jeunes qui avaient 16 ans il y a 40 ans, donc... les comportements sont évidemment très différents. Est-ce qu'il faut être plus sévère ?
Dominique de VILLEPIN : Il faut évidemment adapter notre réponse. Quand je parle de présentation immédiate pour les jeunes, c'est un dispositif qui n'existait pas, et qui sera prévu par le projet de loi de prévention de la délinquance.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Vous dites : adapter notre réponse ; est-ce qu'on ne manque pas cruellement d'outils ? Et vous avez évoqué les structures fermées pour des mineurs. Apparemment, on en parle depuis des années, et il ne s'en construit, ou il ne s'en organise que fort peu ?
Dominique de VILLEPIN : Il faut le temps de les construire, et nous avons progressé dans ce domaine - il faut faire davantage. Mais nous devons être en mesure, quand un jeune dans une cité crée une situation inacceptable pour le voisinage, ou dans son école, eh bien il faut prévoir des mesures d'éloignement. Pour cela, la réponse des centres fermés est adaptée à ce type de situation.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Pour prendre l'exemple du tribunal de Bobigny, qui a été mis en cause, les magistrats ont dit : on a besoin de moyens. On leur a promis 25 éducateurs supplémentaires - ils en voulaient 30, d'ailleurs, mais enfin, on fait ce qu'on peut. Mais ils demandaient surtout des structures fermées pour les... et il n'y en a pas.
Dominique de VILLEPIN : Ils ont parfaitement raison. Prenons le cas que vous prenez, le tribunal de Bobigny. 200 000 affaires traitées par an, c'est tout à fait considérable. Il y a 115 magistrats qui sont dans cette instance. Nous avons renforcé leurs moyens. Quand j'ai été en 2004 ministre de l'Intérieur, avec Dominique Perben, nous avons décidé de rénover les locaux, parce qu'il y avait une exiguïté qui ne rendait pas la situation propice à une justice sereine. Nous avons décidé d'augmenter considérablement le budget de la justice. En 2007, c'est un des budgets qui augmentent le plus rapidement : plus de 5 %. Donc, ne l'oublions pas, puisque nous parlons des magistrats : une magistrature, des juges, ils sont le reflet de la volonté d'un pays, ils appliquent la loi que nous avons votée. Donc je crois qu'il ne faut pas faire de procès d'intention à la justice. Il faut au contraire remarquer le travail formidable et difficile qu'ils font, tout comme les forces de l'ordre, un travail admirable sur le terrain, et qui n'est pas sans risques. Nous devons leur donner plus de moyens, nous devons faire un effort de coordination beaucoup plus fort. Pascal Clément, quand il a été à Bobigny, a réuni les représentants de la justice et les préfets ; je veux, à sa demande, réunir très prochainement les représentants des Parquets, et en même temps les préfets. Nous devons donc travailler tous ensemble. C'est ainsi que nous adapterons effectivement notre réponse.
Jean-Michel APHATIE : Quand le ministre de l'Intérieur a mis en cause, dans la chaîne pénale, le laxisme des juges, on a eu l'impression qu'il a rencontré un écho parmi l'opinion publique, et puis parmi beaucoup de parlementaires de l'UMP, aussi. Etes-vous sûr, quand vous dites ce que vous dites, d'être au diapason de ce que les gens ressentent, Dominique de VILLEPIN ?
Dominique de VILLEPIN : Ce que je dis, c'est que la justice fait un travail difficile, et que les juges utilisent les moyens juridiques qui sont...
Jean-Michel APHATIE : Donc il n'y a pas de raison de mettre en cause un supposé laxisme des juges ?
Dominique de VILLEPIN : Il n'y a aucune raison de mettre en cause la justice, je le répète, qui fait un travail difficile. Que nous...
Nicolas BEYTOUT : Lorsque, dans les événements des banlieues de l'année dernière, 185 mineurs sont arrêtés, et un seul est écroué, est-ce que vous considérez que là, le dispositif législatif et réglementaire étant ce qu'il est, les juges ont bien fait leur travail ?
Dominique de VILLEPIN : Mais les juges font bien leur travail...
Nicolas BEYTOUT : Donc il n'y a pas de problèmes de sévérité, de laxisme, en aucun cas ?
Dominique de VILLEPIN : Non. Il faut renforcer les moyens dont disposent les juges, renforcer la gamme, parce que la prison n'est pas toujours la meilleure solution - le côté éducatif de la prison est pour le moins discuté dans un certain nombre de cas. Il faut donc être sévère, plus sévère, avec des moyens adaptés. Mais je crois que c'est un problème de moyens, un problème de coordination, et un problème d'intégration de la chaîne pénale : c'est-??-dire, il faut faire en sorte que les forces de l'ordre, la justice, marquent une continuité de l'action de la chaîne pénale. Donc je prends en compte, bien sûr, la situation d'exaspération dans laquelle sont un grand nombre de nos citoyens, et je crois que face à cela, il faut apporter des réponses concrètes sur le terrain, de façon à améliorer les choses.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Est-ce que vous approuvez les opérations policières médiatisées, qu'on a vues par exemple aux Tarterets ou aux Mureaux ?
Dominique de VILLEPIN : Non. Je suis tout à fait de la même idée que le ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur : des actions spectacles dans ce domaine ne sont pas la solution, et ne sont pas souhaitables. Il faut une sérénité à la justice, comme il faut une sérénité à la police ou aux forces de l'ordre quand elles interviennent. Donc je suis contre...
Pierre-Luc SÉGUILLON : ... au ministre de l'Intérieur, ou aux syndicats de police, ou... ?
Dominique de VILLEPIN : ... non, le ministre de l'Intérieur l'a clairement dit, ce n'est pas lui qui a informé les journalistes de l'opération qui était en cours à ce moment-là. Je crois que la position qu'il a prise est une position extrêmement claire : nous ne devons pas nous engager dans cette voie, ce serait dangereux et inopérant pour notre démocratie.
Jean-Michel APHATIE : Une baisse des impôts avait été promise, elle a été réalisée pour partie. Mais on appris la semaine dernière que la pression fiscale, elle, en France, avait augmenté pendant la législature : nous en sommes maintenant à 44 %, 4 points au-dessus de la moyenne des pays qui nous environnent. C'est un échec, pour vous ?
Dominique de VILLEPIN : Alors vous confondez, vous mélangez, plus exactement, l'ensemble des données : c'est-à-dire les impôts de l'Etat...
Jean-Michel APHATIE : Les impôts ont baissé, et la pression fiscale a augmenté.
Dominique de VILLEPIN : ... les impôts de l'Etat, les budgets sociaux, et des collectivités...
Jean-Michel APHATIE : Des collectivités territoriales.
Dominique de VILLEPIN : ... absolument.
Jean-Michel APHATIE : Mais au total, la pression fiscale a augmenté.
Dominique de VILLEPIN : Alors, c'est bien pour ça que nous avons, et nous voulons inverser cette tendance, et c'est pour cela que nous avons engagé un effort si important, en matière de désendettement d'un côté, et en matière de baisse des impôts de l'autre, en 2007. C'est un effort tout à fait considérable que nous faisons : 6 milliards de baisses d'impôts, qui seront appliquées essentiellement pour les revenus moyens, à 80 %, qui bénéficieront donc aux revenus moyens, entre 1 500 et 3 000 euros. Donc vous le voyez bien, notre volonté d'avancer dans ce sens est très importante.
Jean-Michel APHATIE : On économise de l'argent d'un côté, on en donne de l'autre, ce qui fait que les gens ont l'impression que leur pouvoir d'achat, il diminue plutôt, au total.
Dominique de VILLEPIN : Mais vous posez la question de la bonne coordination entre le budget de l'Etat, le budget de la Sécurité sociale, et les collectivités locales. Et c'est bien une mobilisation générale que nous voulons organiser, et c'est pour cela que j'ai réuni la grande conférence sur le désendettement, qui réunit l'ensemble de ces acteurs, pour les sensibiliser à ces questions. Nous voulons que les prélèvements baissent dans notre pays, donc c'est une responsabilité collective.
Nicolas BEYTOUT : Vous avez promis une autre grande conférence, celle-là sur les revenus et sur l'emploi, qui se tiendra dans quelques semaines, début décembre. Qu'est-ce que vous allez demander à cette conférence ? Est-ce que l'objectif est de faire en sorte que le pouvoir d'achat augmente tout de suite, est-ce qu'il est de trouver les moyens de faire en sorte que les entreprises augmentent les salaires ? Comment ça va se passer, dans votre esprit ?
Dominique de VILLEPIN : Alors si vous me permettez, un mot sur le pouvoir d'achat, avant d'expliquer pourquoi je veux faire cette conférence sur le revenu et l'emploi. La situation en matière de pouvoir d'achat dans notre pays est une situation difficile. Il y a un malaise...
Nicolas BEYTOUT : Oui, votre ministre de l'Economie a dit que jamais il n'avait augmenté aussi vite que dans les derniers semestres.
Dominique de VILLEPIN : ... oui, mais c'est vrai, c'est vrai des statistiques - il n'empêche que la réalité des choses vécues par les Françaises et les Français, c'est le sentiment de frustration et de malaise...
Nicolas BEYTOUT : Bien que le pouvoir d'achat augmente, c'est ça ?
Dominique de VILLEPIN : ... il y a une réalité. D'abord, la vie est chère - on l'a vu avec le passage à l'euro. Il y a ensuite des dépenses quotidiennes qui sont importantes ; je prends le logement, l'évolution et la variation du coût de l'énergie, les nouvelles dépenses technologiques - si on prend l'internet à haut débit, le portable, les dépenses d'ordinateur. Toutes ces dépenses-là pèsent lourd au quotidien pour les ménages. Il y a par ailleurs deux sentiments d'injustice de la part des Français. Le premier, c'est que leur niveau de vie n'est pas à la hauteur du travail qu'ils font, qu'ils n'en ont pas pour le travail qu'ils font. Et ça c'est quelque chose que nous devons prendre en compte, et auquel je veux apporter des réponses. Deuxième sentiment d'injustice, c'est qu'ils ont parfois le sentiment qu'ils payent pour des personnes qui ne le méritent pas, ou qui abusent du système - c'est un certain nombre de fraudes, on l'a vu, à la Sécurité sociale, et c'est pour cela que nous voulons une photo systématiquement pour la carte Vitale, c'est pour cela que nous avons durci les conditions de résidence pour les étrangers en matière de bénéfices de Sécurité sociale ; de la même façon pour le RMI. Je prends un exemple : les Bouches-du-Rhône, le conseil général a lancé une grande opération de vérification pour le RMI - dont il faut rappeler que c'est un instrument très important de cohésion sociale pour les plus défavorisés -, et il a constaté qu'il y avait 8 000 personnes qui ne respectaient pas les règles et qui fraudaient. Il faut bien sûr en tirer les conséquences sur le plan de la justice. Alors face à ça, il faut apporter des réponses. C'est ce que nous avons fait à travers un certain nombre de mesures récentes : le doublement de la prime pour l'emploi, quasiment un 13e mois que nous apportons ; l'allocation étudiante de rentrée, nouveauté pour les étudiants ; la loi participation, qui prévoira la possibilité d'actions gratuites et qui améliorera la participation en particulier dans les petites entreprises, celles de moins de 50 salariés ; le chèque transport. Vous voyez là qu'il y a des dispositions nombreuses qui sont prises. La conférence sur les revenus et l'emploi, qui rassemblera l'ensemble des partenaires sociaux avant la fin de l'année, posera la question du diagnostic : quelles situations en matière de revenus, quelles conséquences de telles et telles mesures que nous pourrions prévoir en matière d'emploi. Et cette conférence sera éclairée par le rapport de Jacques DELORS, le président du Cercle, qui nous dira quelle est la réalité exacte de la situation.
Nicolas BEYTOUT : Mais par exemple, un certain nombre de candidats à gauche ont déjà promis des augmentations très fortes du SMIC, allant même jusqu'à dire : très vite, 1 500 euros par mois. Est-ce que ce genre de sujet sera débattu au sein de la conférence ?
Dominique de VILLEPIN : Mais nous avons augmenté le SMIC, dans les dernières années...
Nicolas BEYTOUT : Oui, mais je parle du futur.
Dominique de VILLEPIN : ... plus que personne auparavant. Si l'on souhaite augmenter davantage le SMIC, il est intéressant de connaître les conséquences pour l'emploi d'une augmentation du SMIC : est-ce qu'on ne va pas risquer de créer une trappe à bas salaires, par exemple ? Donc, que la conférence éclaire ces différentes décisions, cela me paraît une bonne chose. Je souhaite qu'elle puisse se pencher sur un certain nombre de situations particulièrement difficiles, je pense à la situation des femmes en particulier : beaucoup de femmes sont amenées, obligées de travailler à temps partiel, comment faire pour qu'elles puissent travailler un plus grand nombre d'heures. Il y a là des réponses que nous voulons apporter. Je crois que cette conférence c'est vraiment l'occasion d'une mise à plat, c'est l'occasion aussi de recommandations qui peuvent être faites. Donc c'est un débat très important qu'il nous faut ouvrir d'ici la fin de l'année.
Pierre-Luc SÉGUILLON : J'imagine que c'est une autre de vos préoccupations, ce qu'on pourrait appeler l'accident industriel d'EADS. D'abord, est-ce que vous avez des précisions, est-ce que vous confirmez ou vous infirmez les rumeurs selon lesquelles le nouveau patron d'Airbus, Christian Streiff, donnerait sa démission ?
Dominique de VILLEPIN : Non, je n'ai aucune indication en ce sens. Il fait un formidable travail, et donc je pense qu'il n'y aucune raison à ce qu'il y ait démission de la part de Christian Streiff, dont je veux saluer le travail important qu'il a fait au cours des dernières semaines pour engager l'entreprise dans la voie du redressement. Alors...
Pierre-Luc SÉGUILLON : Précisément, il a proposé un plan extrêmement rigoureux.
Dominique de VILLEPIN : ... Airbus est une entreprise emblématique, de la relation franco-allemande, pour l'Europe, de notre qualité technologique. Donc c'est une entreprise à laquelle nous sommes profondément attachés, compte tenu de son savoir-faire. Aujourd'hui, il y a des difficultés industrielles sur le programme A380. Je crois qu'il faut les regarder en face. Elles ont été diagnostiquées par l'entreprise, un plan de redressement a été défini par Christian Streiff. Et il nous faut veiller à deux choses, auxquelles nous devons être extrêmement attentifs. D'abord, qu'Airbus ait les moyens de son redressement. Les discussions sont engagées entre Airbus et EADS pour simplifier le processus de décision interne, aujourd'hui trop complexe. AIRBUS doit être en mesure de prendre les bonnes décisions, et de le faire clairement et rapidement. Deuxièmement, nous devons être vigilants en matière d'emplois...
Nicolas BEYTOUT : Est-ce que ça veut dire qu'il y a un problème - excusez-moi - de gouvernance ? Parce que ça a l'air d'être un des gros sujets de conflit entre Airbus et EADS.
Dominique de VILLEPIN : C'est un sujet...
Nicolas BEYTOUT : Au fond, est-ce que Christian Streiff a les moyens de redresser Airbus aujourd'hui ?
Dominique de VILLEPIN : ... eh bien, nous voulons lui donner ces moyens, à travers un processus de décision plus court. Nous voulons également être vigilants en matière d'emplois, et vous savez que c'est une entreprise qui emploie près de 50 000 personnes, dont 20 000 en France. La première responsabilité, c'est bien sûr celle des actionnaires privés, le groupe Lagardère et Daimler-Benz. L'Etat, quant à lui, veut conforter notre filière aéronautique, et nous voulons renforcer notre pôle de compétitivité dans ce domaine de Toulouse, et bien sûr répondre au problème et à l'inquiétude des sous-traitants, qui aujourd'hui regardent avec angoisse cette situation - Dominique Perben les réunira dans les tout prochains jours.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Mais la volonté de maintenir un équilibre entre l'Allemagne et la France, dans la construction de ces appareils, est-ce que ça ne nuit pas à l'intégration de l'entreprise ?
Dominique de VILLEPIN : Je ne vous ai pas parlé d'équilibre ; je vous ai parlé de souhait d'être efficaces et d'apporter une réponse à l'entreprise. Nous sommes dans un domaine où la première règle c'est l'efficacité. Aujourd'hui, il faut être guidé par une obligation d'efficacité. Voilà une entreprise qui a choisi de répartir son activité à travers un certain nombre de sites. Je crois qu'on doit être guidé par l'excellence : il y a un problème de câblage, il faut régler le problème de câblage. Je crois que c'est ce regard opérationnel, ce regard exigeant, qui doit être au rendez-vous. Et c'est bien ce qu'on attend des industriels, compétents et concernés. Des décisions sont nécessaires, elles doivent être prises.
Jean-Michel APHATIE : On a souvent évoqué, vous concernant, Dominique de VILLEPIN, une possible audition par les juges qui instruisent le dossier Clearstream. Y a-t-il des nouveautés ? Avez-vous été convoqué par la justice, Dominique de VILLEPIN ?
Dominique de VILLEPIN : Je peux être parfaitement clair sur ce sujet, Monsieur APHATIE : je n'accepte ni les calomnies, ni les mensonges qui ont pu être émis dans cette affaire, dont j'ai été victime. Par conséquent...
Jean-Michel APHATIE : La question, c'est sur la convocation des juges.
Dominique de VILLEPIN : ... par conséquent, je suis non seulement prêt à apporter mon témoignage, si nécessaire, à la justice, mais je le souhaite, rapidement.
Jean-Michel APHATIE : Il n'y a pas de convocation pour l'instant ?
Dominique de VILLEPIN : Je n'ai rien reçu, mais, une fois de plus, je souhaite apporter mon témoignage, Monsieur APHATIE - c'est la démocratie.
Jean-Michel APHATIE : Mais l'information qui était recherchée, c'était de savoir s'il y avait une convocation - il n'y en a donc pas.
Dominique de VILLEPIN : Je vous tiendrai informé !
Jean-Michel APHATIE : C'est très gentil ! C'était "Le Grand jury" de Dominique de VILLEPIN, et on se retrouve dimanche prochain. Bonsoir.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 10 octobre 2006